Titre : La rage des perdants
Entraîneur :
oeil_ecarlateEquipe/Joueur(s) : aucune en particulier
Catégorie : "Entraînement"
Note de l’entraîneur : L'ermite is back
La rage des perdants
Le match était fini. La moitié du stade était en arrêt, une expression figée accrochée au visage. L'autre partie était en fête. Personnellement, je me trouvais dans la première portion.
Dégouté, je me suis faufilé entre les rangées de fauteuils. J'étais furieux, et je voulais partir de cet endroit au plus vite. Les dents serrées, je pénétrais maintenant dans le couloir d'accès aux tribunes. Tous ces gens, si heureux, si enthousiastes, autant de niaiseries qui donnaient envie de les frapper, qu'ils aient mal, le plus mal possible.
Après avoir traversé plusieurs couloirs, je me dirigeais maintenant vers le parking souterrain. La démarche toujours crispée, je pénétrais dans le sous-sol, cherchant d'un coup d'oeil circulaire mon passeport pour la sortie : ma voiture. La lumière froide donnait à l'endroit une ambiance glauque de cave d'immeuble. Le sol en béton ne faisait qu'assombrir l'ensemble. Des extincteurs juchaient les piliers de façon régulière. Un homme s'y trouvait déjà. Il fumait et regardait dans ma direction d'un air absent, le sourire aux lèvres.
Mon portable se mit tout à coup à vibrer. L'ayant mis sur vibreur sonnerie, je savais que d'une seconde à l'autre, le vieux générique de Batman retentirait. Vous savez, celui qui consiste à faire "na na na" avant de crier "BATMAN". Je décrochais :
" - Oui ?
- Alors beau match ?
Cette voix, c'était celle de Dan. Il avait certainement vu le match, lui aussi, à la télévision. Il devait être au moins aussi déçu que moi.
- C'était beau de près ?
- Pire. Bien pire que ce que tu imagines.
- Tu rentres directement après ? Ou tu viens au bar ?
- Je vais rentrer. Kate doit m'attendre.
- OK. Embrasse-la de ma part.
Je raccrochais. L'inconnu, accoudé à sa voiture, m'observait toujours.
J'avais reperé ma voiture et j'avançais vers elle. L'homme se trouvait à quelques mètres à peine. De l'endroit où j'étais quelques instants auparavant, jamais je n'aurais pu dire qu'il était gros. Seulement qu'il avait les fesses plates. Il devait avoir la quarantaine bien tassée et possédait toutes les caractéristiques de son âge, ajoutées à quelques unes, plus personnelles : le front dégarni, des petits yeux très enfoncés, un large nez, des oreilles assez décollées et bien trop grandes pour son crâne étroit. Un vrai cliché de supporter bedonnant, que l'on imagine aisément devant son écran, la glacière remplie de bières à portée de main. Il affichait un sourire triomphant en balançant sa tête d'un air blasé.
" - Moi je l'ai trouvé bien ce match...."
Ce crétin, qui osait se la ramener, ne savait décidément ce qu'il faisait.
Sur le coup j'ai préféré garder le silence.
Il poursuivit sur la même lancée :
" - Et puis ce but ! Mais alors ma-gi-stral ! Et ce gardien, là ! Une vraie passoire ! Quel nul mais quel nul !"
Mes mains se crispèrent. Je me jetais sur lui et mon point s'abattit sur sa tempe droite. Sous la surprise, il tomba à terre et, pris d'une pulsion incontrôlable, je continuais à frapper. Je sentais ses os craquer sous mes coups. Je n'avais jamais rien connu d'aussi jouissif.
L'idée qu'il puisse mourir ne m'effleura l'esprit qu'une fois son dernier souffle expiré. Je jetais le corps sans vie dans la Tamise, avec un peu de chance, la police ne retrouverait le cadavre qu'après plusieurs semaines en croyant à une noyade d'ivrogne, comme beaucoup d'autres cas où elle n'avais pas vraiment cherché...
C'est tout simplement que je rentrais chez moi, défoulé, et étrangement serein pour quelqu'un qui venait de dissimuler son sixième corps dans le fleuve londonien.
Kate, ma femme, ne savait rien de ces crises de nerfs meurtrières. Au début, elle me voyait simplement revenir avec une humeur massacrante d'après match (due, d'après elle, au fait de supporter la plus mauvaise équipe du championnat). Elle n'y comprenait décidément vraiment rien... Mais, depuis que j'avais trouvé un moyen de canaliser ma frustration, elle ne s'en plaignait plus.
Une fois de retour à la maison, mon épouse était paniquée. Je la fis assoir pour qu'elle puisse m'expliquer la raison de son état. Elle fondit en larmes avant de me dire :
" - Un homme a été tué après le match... dans... dans un parking... la caméra de surveillance a tout filmé...."
Nouvelle crise de larmes puis :
" - La police a appelé. Ils t'ont vu sur la vidéo et... la plaque d'immatriculation... Ils t'ont retrouvé... Ils sont dehors, ils ont attendu que... que... tu reviennes. Ils m'ont tout expliqué... Je suis désolé Josh, vraiment désolée..."
Au moment où les menottes commençaient à m'enserrer les poignets, la dernière image qui me revient, même après tout ce temps, c'est le visage de ma femme, ruisselant de larmes, qui me hante encore dans mes nuits passées en prison.