[one-shot] Master and Commander - Des inconvénients d'un naturaliste à bord

Oct 29, 2008 10:30

Titre : Des inconvénients d’un naturaliste à bord
Auteur : shono_hime
Fandom : Master and Commander
Personnages : Jack Aubrey et Stephen Maturin
Rating : PG
Disclaimer : Les personnages sont à Patrick O’Brian. Je ne suis qu’une fan qui joue avec les jouets des autres.
Note de l'auteur : Écrit pour rapunzelita sur obscur_echange.

La Surprise était portée par un vent clément, dansant sur les vagues du Pacifique comme une demoiselle lors du bal de sa vie. Les marins, sur son pont et dans son ventre, profitaient de la brise. Les mouvements de cette danseuse maritime évoquaient aux hommes qui la guidaient la puissance et la liberté. Balayés par les embruns salés, ils respiraient à plein poumons le parfum salé de l'infini qui s'ouvrait devant eux. Une main sur la barre, le Capitaine Jack Aubrey, à qui ses nombreuses aubaines navales et son instinct aiguisé avaient offert le surnom de Lucky Jack, se plaisait lui aussi, en cette belle mâtinée, à profiter avec un plaisir non dissimulé de la clémence de l'Océan.

Il regarda ses hommes, autour de lui, s'affairer, leurs pas résonnant à l'unisson sur le pont du navire comme la plus parfaite symphonie qu'ils pourraient jamais offrir à la Surprise. Puis il ferma une seconde les yeux, en se disant qu'il ne manquait à ce tableau qu'un duo avec Stephen, pour compléter la symphonie avec du Mozart ou du Bach . Le naturaliste était ces derniers jours de fort plaisante humeur, depuis un bref mais fructueux passage sur les côtes du Brésil, d'où il avait ramené de nombreux "spécimens fascinants, Jack, vous devriez voir cela!" Il était en ce moment même occupé à observer lesdits spécimens, ses binocles sur le nez, avec cet air concentré qu'il réservait d'habitude à ses patients.

Les marins, suivant l'exemple de leur Capitaine, accueillaient cette lubie de scientifique avec amusement et perplexité, mais tous tenaient trop au docteur et à ses doigts habiles pour lui refuser ce petit plaisir, à lui qui en avait si peu, sur un bâtiment de guerre. Jack, le premier, laissait souvent son ami lui exposer ses découvertes et ses théories alors même que beaucoup trop de mots en latin ou en grec lui échappaient. Ces longs monologues de l'irlandais s'achevaient toujours de la même façon, comme par exemple celui de la veille.

Stephen avait reposé son livre sur ses genoux, gardant la page d'un de ses longs doigts de violoncelliste, et avait levé vers lui des yeux amusés.

« Êtes-vous toujours avec moi, Jack ? avait-il demandé avec un sourire.
― Bien sûr, Stephen ! Je n'ai pas bougé, vous voyez bien », avait répliqué Jack après un pause d'une seconde, le temps de réveiller son esprit engourdi par les longues explications auxquelles il venait d'avoir droit.

Stephen avait ri puis ôté ses lunettes et mis de côté le livre, au grand soulagement de Jack.

« Le corps est là, c'est indéniable, mais qu'en est-il de votre esprit, cher ami ?
― Ne soyez pas si dur, Stephen... Je vous assure que j'appréciais votre exposé, à ma façon.
― Vraiment ?
― Ma foi, oui ! C'est exactement ce qu'il me faut avant le coucher, pour être sûr de passer une bonne nuit », avait plaisanté Jack avec le sourire qu'il réservait, il y a longtemps, à certains de ses professeurs.

Ils avaient échangé un regard complice et rieur, Stephen avait affecté une seconde un air vexé avant de congédier son ami, arguant qu'il était donc temps pour lui d'aller mettre à profit l'ennui qu'il avait développé en sa compagnie. Killick l'avait regardé sortir de l'infirmerie, avait grogné qu'au moins, ils n'avaient pas fait miauler leurs instruments, puis l'avait raccompagné jusqu'à sa cabine en traînant des pieds.

Ce soir là, en revanche, peu importe les humeurs de leur acariâtre cuisinier, Jack était bien décidé à obtenir de Stephen qu'il range ses branches et ses insectes pour sortir son violoncelle. Hochant la tête d'un air décidé, il retourna au présent et à la Surprise, et appelait le Lieutenant Pullings pour lui donner quelques ordres, quand retentit une bordée de jurons qui firent rouler des yeux choqués à Blakeney. Reconnaissant la voix de Killick, il signifia à Pullings de prendre sa place et descendit vivement vers les cuisines.

« Docteur Maturin ! » hurlait Killick.

Sérieusement inquiet, maintenant, Jack accéléra le pas. Il espérait que personne ne s'était blessé dans la cuisine, même si le cuisinier semblait plus furieux qu'inquiet , malgré une pointe de panique dans sa voix. Il déboula dans la cuisine au moment même où Stephen apparaissait de l'autre côté, essoufflé et les vêtements en désordre. Jack nota avec curiosité la petite cage qu'il tenait à la main, et la grimace qu'il dissimula un peu trop tard en l'aperçevant.

« Que se passe-t-il, Killick ? » demanda Jack après un bref coup d'œil autour de lui.

Le cuisinier brandissait une longue fourchette et un torchon, comme des armes, et ses aides s'étaient regroupés dans un coin, l'air passablement terrorisé, surtout le plus jeune, qui regardait fixement l'endroit que Killick désignait du bout de son arme de fortune. Jack fit de même et sentit, à sa grande honte de marin aguerri, son estomac se nouer une seconde. Une araignée monstrueuse, aux longues pattes rayées et poilues était en train de progresser sur la table, au milieu des ustensiles de cuisine. Il se maîtrisa rapidement et fit la seule chose qui lui semblait pertinente, il se tourna vers le responsable, sans pour autant perdre l'animal des yeux.

« Grands Dieux, Stephen ! s'exclama-t-il en résistant à l'envie d'écraser la chose qui s'était arrêtée sur un couvercle.
― Ah, Jack... Ne vous inquiétez pas, j'allais justement la récupérer, répondit le naturaliste, pas le moins du monde inquiété.
― Vous lâchez des insectes dans nos cuisines, maintenant, Docteur ? Vous avez à vous plaindre de la nourriture, Docteur ? hurlait Killick en ponctuant ses phrases de moulinets frénétiques de sa fourchette.
― Absolument pas, Monsieur Killick. L'animal a profité d'un léger incident à l'infirmerie pour visiter le bateau. Et ce n'est pas un insecte, voyez-vous. Les araignées sont...
― Stephen ! gronda Jack. Débarrassez-nous de ça au lieu de vous lancer dans un de vos cours assommants ! »

Stephen lui jeta un regard courroucé, ce qui mettait passablement à mal ses plans de soirée musicale, et s'avança vers la table. Sous les yeux ébahis des aides cuisiniers, il prit l'araignée et la remit sans sourciller dans la petite boîte qu'il tenait toujours.

« Ce que j'allais dire, Capitaine, continua-t-il une fois sa tâche accomplie, c'est que cette espèce d'arachnides n'est pas venimeuse, ni dangereuse. Je m'excuse pour l'inquiétude causée, Monsieur Killick, je ferai en sorte que cela ne se reproduise pas. Bonne fin de matinée. »

Il tourna ensuite les talons et ressortit sans rien rajouter. Killick resta une seconde, son torchon brandi, avant de toussoter et de retourner à son chaudron en crachant, à voix basse, son avis sur les naturalistes en général, et sur le Docteur Maturin en particulier. Jack fit semblant de n'avoir rien entendu, comme à son habitude, d'autant plus qu'il partageait partiellement l'avis de son cuisinier sur ce point, et, après s'être assuré que tout allait bien, il ressortit sur le pont.

« Tout va bien, Capitaine ? Que s'est-il passé ? demanda Pullings, qui ignorait admirablement les bruits qui couraient déjà de la proue à la poupe.
― Le Docteur Maturin a choisi les cuisines pour sortir un de ses nouveaux animaux de compagnie, expliqua-t-il avec une grimace.
― Ah... se contenta de répondre le Lieutenant avec sa diplomatie habituelle.
― Mais l'incident est clos. Je vais reprendre la barre, Lieutenant, retournez à votre poste.
― Oui, Capitaine. »

Toute la journée, le bateau fut en ébullition, et ce n'était plus la brise clémente ou les vagues joueuses qui intéressaient les marins, mais plutôt le récit de l'incident qui avait eu lieu en cuisine. Les hommes semblaient partagés entre l'horreur de ce qui pouvait grouiller dans les recoins de l'infirmerie et l'admiration, sans cesse renouvelée , qu'ils vouaient à leur docteur si particulier. Jack partageait leur admiration, à laquelle se rajoutait dans son cas une amitié que chaque épreuve renforçait, mais il était également inquiet : si l'infirmerie leur faisait peur, il y avait un risque qu'ils choisissent d'ignorer un mal et que des blessures anodines empirent. Il faisait confiance à ses hommes pour ne pas agir de façon aussi irréfléchie, mais il connaissait également les inconvénients de vivre sur un bateau, et la terreur collective n'était pas des moindres.

Il rumina sur le problème toute la journée, également perturbé par le regard vexé qu'il avait reçu de Stephen. Il n'était décidément pas facile de composer avec un civil aussi susceptible et aussi peu coopératif que Maturin , et pourtant pour rien au monde Jack ne l'aurait échangé, même contre le meilleur docteur de Sa Majesté. Il passa ses mains sur le bois de la barre, comme un luthier sur sa plus belle pièce. Peut-être la solution pour se faire pardonner était-elle là, dans la musique. Il sourit et commença à donner ses ordres pour la nuit, tandis qu'à l'horizon, le soleil rougissait les flots. Il secoua Blakeney qui regardait la tombée du jour d'un air rêveur, et le chargea de régler le cap pour la nuit, en guise de punition, puis fit signe à Pullings de le seconder.

Il descendit aux cuisines pour jauger de l'humeur de Killick, et le trouva fidèle à lui-même, bourru et irascible. Il l'informa que le Docteur et lui-même dîneraient dans sa cabine et le convainquit de leur préparer un repas qui calmerait au moins un peu l'ire du naturaliste. Stephen était capable de rester plusieurs jours d'humeur particulièrement peu communicative et désagréable, ce qui n'arrangerait certainement pas les inquiétudes de l'équipage, ni son propre besoin de musique. Autant donc prendre le taureau par les cornes et s'excuser, même s'il ne voyait pas pourquoi Stephen était à ce point vexé. Même si l'insecte, ou l'animal, plutôt, n'était pas dangereux, cela n'excusait pas la négligence. Si l'araignée s'était retrouvée ailleurs qu'en cuisine, cela aurait pu avoir des conséquences plus dramatiques.

Satisfait et confiant, il se dirigea vers sa cabine, avec l'impression de pouvoir déjà sentir son violon sous ses doigts. Il croisa Higgins, l'assistant de Stephen, qui sortait de l'infirmerie.

« Capitaine ! l'interpella ce dernier, en ôtant son bonnet.
― Monsieur Higgins, le salua Jack. Que puis-je pour vous ?
― 'scusez-moi, Capitaine, mais je voulais vous voir pour vous parler de l'incident de ce matin, avec l'araignée.
― Je vous écoute, Monsieur Higgins, l'encouragea-t-il quand il devint clair que le matelot était plus que mal à l'aise.
― C'était un accident, Capitaine, j'ai juste fait tomber la cage en la déplaçant, et qu'est-ce que c'est rapide, ces bêtes-là!
― Vous avez libéré l'araignée ? » interrogea Jack en comprenant un peu mieux pourquoi Stephen était d'humeur massacrante.

L'irlandais avait certainement gardé pour lui la responsabilité de Higgins, en grand idéaliste qu'il était, ce qui ne l'empêchait pas de lui en vouloir. Était-ce une spécialité des intellectuels d'être compliqués à en donner la migraine ?

« Elle m'a touché la main, vous comprenez, et j'ai été surpris. Vous saviez que c'était velu ? continuait Higgins avec une grimace comique.
― Non, je l'ignorais... Et à dire vrai, c'est là une information qu'il me sera difficile d'oublier, répondit Jack en comprenant la grimace. Je vous remercie de votre honnêteté, Higgins.
― De rien, Capitaine. Le Docteur n'est pas très... enfin...
― Je comprends bien, Higgins, le rassura-t-il en le congédiant d'un geste.
― Merci, Capitaine. » souffla-t-il en s'éloignant précipitamment.

Jack lui jeta un regard amusé puis frappa à la porte de l'infirmerie, quelques mètres plus loin. Stephen répondit d'un ton lointain. Il était certainement penché sur un de ses spécimens ou sur ses bouquins, et devait dégager dans la pièce cette aura de désapprobation et de fierté blessée qui pouvait faire baisser la température d'une pièce de quelques degrés. Il poussa la porte en secouant la tête, se demandant brièvement s'il connaissait quelqu'un mieux que cette tête de mule, mais ne chercha pas plus avant.

« Je pensais que nous pourrions dîner ensemble, ce soir, déclara-t-il en guise de salutation.
― Je suis flatté de l'invitation, mais je suis plutôt occupé, comme vous pouvez le voir, répondit Stephen sans même relever les yeux de son herbier.
― Allons, Stephen, vous n'aller pas bouder !
― Je ne boude pas, Jack. Je travaille, et je surveille mes spécimens. Et puis je ne voudrais pas vous assommer avec un autre de mes cours si ennuyeux », siffla le naturaliste, avec au moins autant de venin que les serpents dans ses livres.

Jack accueillit le coup de bonne grâce. Il l'avait mérité, et le reconnaissait sans peine. Mais il savait que cela ne serait pour autant pas suffisant pour apaiser son courroux. Il s'éclaircit la gorge et sourit pour essayer d'adoucir son ami.

« J'ai demandé à Killick de nous préparer ce ragoût que vous appréciez tant. Et j'espérais pouvoir jouer un peu avec vous, une fois le repas terminé. Vous n'allez pas refuser ? »

Stephen releva la tête mais ne se retourna pas. Le regard fixé sur la fenêtre, il reposa l'instrument avec lequel il travaillait sur son herbier.

« Me prendriez-vous pour une de vos conquêtes, Jack ? Si c'est le cas, je m'étonne que vous ayez une telle réputation de séducteur. Ce n'est vraiment pas au point. »

Jack ouvrit et referma plusieurs fois la bouche, complètement outré et estomaqué par l'audace de l'irlandais. Puis il saisit la touche d'amusement au fond de sa voix, l'instrument que Stephen maniait le mieux, encore plus que son violoncelle, et il se détendit.

« Vous êtes dur, mon ami, déclara-t-il.
― Vous me reprochez si souvent de ne pas l'être assez, Jack, répliqua l'autre homme en se tournant à demi vers lui.
― Dans ce cas, j'admets mon erreur. Vous maniez les mots encore mieux que l'épée, Stephen. Viendrez-vous dîner?
― Je serai là dans quelques minutes. »

Jack lui sourit puis sortit pour le laisser retourner à son herbier, afin de ne pas gâcher la paix qui s'était installée entre eux. Il nota cependant de prendre sa revanche et de ne pas laisser la pique sur ses talents de séducteur impunie. Il y allait de son honneur. Il rejoignit sa cabine d'un pas plus léger, se lava soigneusement les mains et sortit son violon de son étui de cuir et de bois. Il se contenta de le contempler et d'en caresser le bois du bout des doigts, pensif.

« Je ne cherchais pas à vous blesser vraiment, vous savez. »

Jack sursauta et se tourna vers la porte. Comment Diable Stephen avait-il fait pour ouvrir la porte et rentrer sans qu'il s'en rende compte ? Parfois, à le regarder, il en oubliait que le naturaliste était plus qu'un simple docteur, et que ses talents d'espion n'étaient pas négligeables. Il faisait même un assassin potentiel des plus dangereux. Se trouvant vaguement morbide, il secoua la tête et rendit son sourire à son ami.

« Tout comme moi ce matin, répondit-il.
― Vous êtes pardonné. Je peux rentrer?
― Vous êtes déjà à l'intérieur, Stephen.
― Ce n'est pas une raison pour négliger la plus élémentaire des politesses, répliqua ce dernier en riant.
― Installez-vous, Killick devrait bientôt arriver avec le repas. »

Stephen s'exécuta, choisissant la banquette sur laquelle donnait la fenêtre arrière. Il regarda un instant dehors et Jack suivit son regard, se sentant définitivement pardonné. Il se laissa un peu aller contre le dossier de sa chaise et tendit les jambes devant lui.

« Il faut quand même que nous parlions de votre habitude de ramener des insectes de compagnie sur le navire, Stephen.
― Les araignées ne sont pas des insectes, Jack, répondit le naturaliste, malicieux.
― Ne jouez pas sur les mots. Nous devrions peut-être instaurer quelques règles concernant vos trouvailles, qu'en pensez-vous ?
― Je suppose que cela nous permettrait d'avoir tous les deux une base sur laquelle nous disputer et jouer sur les mots, oui.
― Vous êtes incorrigible, soupira Jack.
― Très bien, céda Stephen. Je ne ramènerai jamais d'animal dangereux sur le bateau, Jack, vous avez ma parole.
― L'araignée...
― Elle n'était pas venimeuse. Ses couleurs vives suggèrent le contraire, mais c'est là un pur moyen d'auto-défense, face à ses propres prédateurs.
― Vous recommencez, taquina Jack à son tour.
― Je croyais que vous vouliez vous faire pardonner... Alors subissez comme un vrai soldat.
― Oui, décidément, vous êtes particulièrement impitoyable, ce soir. »

Ils échangèrent un regard et rirent de bon cœur. Jack se leva et sortit une bouteille de brandy d'un placard, ainsi que deux verres. Il les servit et ils trinquèrent en amis.

« À votre promesse, Stephen.
― Pas d'animaux dangereux.
― C'est cela. N'oubliez pas, surtout, l'enjoignit Jack.
― Et donc, tant que cela n'est pas dangereux... »

Il ne termina pas sa phrase, regardant au fond de son verre d'un air faussement innocent. Jack vida le sien et pointa un doigt vers lui.

« Faites attention, Stephen...
― Je vous l'avais dit, Jack. Des disputes et des jeux sur les mots. »

Jack imita Stephen et regarda son verre vide, soudain las. La Surprise portait décidément bien son nom, et quelque chose lui disait que cela ne changerait pas de sitôt, si tous ses occupants s'ingéniaient à la rendre encore plus méritante de ce nom. Stephen le resservit en souriant, et ils trinquèrent à nouveau.

À l'amitié, cette fois.

FIN.

type: fic, genre: gen, statut: one-shot, fandom: master & commander

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