[one-shot] original - les quasi-monologues d'un ange déchu

Oct 14, 2008 11:42

Titre: Les quasi-monologues d'un ange déchu
Auteur: shono_hime
Fandom: Armageddon (Original)
Personnages: Misha(el)
Rating: PG
Disclaimer: L'univers est à guru_messakira et Misha(el) et Maurizio sont à moi.
Note de l'auteur: Demandé par Messa, sur le thème "Souffle", même si je suis un peu passée à côté XD


Misha faisait la même chose tous les matins. Dès l'ouverture de la petite épicerie au coin de la rue, il entrait y acheter une bouteille de vin bon marché, le genre de breuvages que l'on a toujours peur de secouer trop fort, de crainte qu'il explose. Le commerçant le regardait, indifférent, choisir soigneusement la vinasse la plus infâme possible, la payer, puis sortir et se diriger vers le parc. Il poussait la petite grille rouillée et s'asseyait sur un banc, à côté de Maurizio.

Maurizio était un clochard aviné qui passait ses journées dans ce petit parc, à insulter les pigeons et les passants jusqu'à ce, qu'excédés, les gens du coin n'appellent la police pour le mettre dehors. Trois jours plus tard, il était à nouveau là. Maurizio faisait partie des mortels que Misha appréciait, malgré son odeur rance et ses ongles noircis. D'abord, il y avait son prénom. Misha avait vu une fois un film où un démon déjanté pourrissait la vie d'un pauvre prêtre dénommé Maurizio. Alors, forcément, Misha avait demandé à Maurizio s'il avait été prêtre, juste histoire d'être sûr. Bien sûr, il tenait à la distinction entre les vrais démons et les anges déchus, comme lui, mais quand même. Il y avait quelque chose de gentiment ironique, à tel point qu'il avait presque envie d'aller trouver un prêtre nommé Maurizio pour le pousser au suicide. Comme ça, pour rire.

Maurizio avait le sens de l'humour. Pas trop, au début, jusqu'à ce que Misha lui tende la bouteille de vin. Ca avait été le début d'une grande histoire d'amitié qui durait depuis... oh, c'était difficile à dire. Misha avait du mal avec la conception humaine du temps. Moins qu'une vie d'homme, en tout cas, c'était évident, vu que Maurizio était toujours là. Quelques années, peut-être ? Soit. Cela faisait donc quelques années que Misha venait tous les matins deviser avec Maurizio. Il lui racontait comment il voyait les humains, lui, l'ange déchu qui autrefois avait été leur protecteur.

« Attention, il faut être précis dans les termes. On ne parle pas d'ange gardien, au-dessus, on parle de Protecteur, expliquait Misha. Bon, techniquement on ne parle pas du tout, mais ça, c'est un détail. Et puis tant qu'on y est. Les ailes de pigeon dans le dos ? Ridicule. On est pas des oiseaux, par Saint François - un sacré type, celui là, d'ailleurs - !
- Hrmh, grognait Maurizio, habitué à ses discours. 'foirés d'pigeons !
- Il n'y a rien de plus ingrat que d'être un Protecteur, tu le sais, ça ? Aucune considération, aucune gratitude et aucune reconnaissance. C'est vrai, quoi, on s'échine à veiller sur les Mortels parce que Dieu nous l'a demandé, mais tu penses qu'Il nous remercierait, le Père ? Penses-tu, Elle s'en fout ! Vous autres, Mortels, vous avez la part belle, dans l'Histoire. Nous, on est juste des larbins qu'Ils ont créés pour jouer les nounous pour vous sans aucune autre récompense qu'être sculptés avec des têtes de bébés trop nourris, les fesses à l'air avec des ailes en peluche sur les façades des églises !
- P'rquoi t'vas pas t'plaind'e ?
- Auprès de qui ? Le Pape ? T'es dingue, j'ai pas envie que Raphaël ou Gabriel me tombent dessus parce que je cause avec leur chouchou !
- 'foiré d'Pap' !
- Amen. »

Parfois, Maurizio était plus lucide que d'autres, et Misha s'amusait à le voir réfléchir à ce qu'il racontait. Qui sait, peut-être qu'il faisait une bonne action, à parler avec cette pauvre brebis rejetée par le troupeau. Peut-être qu'il rendrait la foi à Maurizio ! L'idée faisait beaucoup rire Misha. Lui, le Protecteur déchu, troufion d'entre les troufions, devenu Démon bien malgré lui au service de l'Étoile du Matin, inspirer Foi et Salut !

« Attention, ça veut pas dire que j'apprécie pas le Patron, hein ! précisait Misha. Lucifer, au moins, il ne m'a pas laissé tomber, au sens propre du terme, d'ailleurs ! Ça fait une sacré chute, de tout là-haut, je te le dis, Maurizio !
- C'est l'Diab' ?
- Techniquement, juste une partie. Attention, faut pas oublier la Patronne dans l'équation, après tout, c'est chez elle qu'on vit. Elle a son caractère, Dame Lilith, ah ça oui !
- Ah, les femm' ! Tout' des furies !
- Amen. »

Une fois par semaine, Misha payait un sandwich à Maurizio et ils allaient s'installer sur le parvis de Santa Maria del Fiore. Ils y regardaient les fidèles et les touristes admirer l'imposant Dôme de la Cathédrale. Misha expliquait que ces constructions ne devaient leur existence qu'aux démons, que les anges n'avaient que peu à voir là-dedans, à part l'inspiration initiale.

« Faut être réaliste, tout de même. Imagine : tu es Brunelleschi et un ange du Seigneur t'a soufflé qu'Elle serait ravie de voir une belle coupole dominer la basilique à peine construite. A cette époque là, ça ne se faisait pas trop de Lui refuser quoi que ce soit, alors tu planches sur le sujet. Mais une coupole comme celle là, Maurizio, faut bien que ça tienne ! Avoue qu'Ils seraient pas aussi ravis de voir le toit de la basilique écraser les trois-quarts de la haute société florentine. Surtout que ce sont eux qui donnent le plus à l'Église. L'Ange, lui, il a accompli sa mission, il s'en frotte les mains qu'il n'a pas et hop ! Il repart voleter plus loin avec les ailes qu'il n'a pas non plus, surtout pas pleines de plumes ! Alors toi, pauvre architecte, quand on vient te voir, un soir d'orage pour t'annoncer que tu n'as qu'à signer un tout petit bout de papier, et que ta coupole dominera, fière et éternelle, la belle ville de Florence, pour les siècles des siècles, tu fais quoi ?
- J'signe !
- Amen. »

Maurizio avait été ouvrier, avant que son usine ne ferme. Sa femme l'avait quitté pour un des huissiers qui avaient mis toute l'usine au chômage, embarquant les enfants, la vaisselle et tous les meubles. Il s'était retrouvé dehors avec trois sous en poche et maintenant il passait ses mâtinées à écouter les quasi-monologues d'un ange déchu. Misha était le premier à admettre que la vie de ce pauvre Maurizio était injuste.

« Le problème, c'est que le Père vous a donné le libre-arbitre. Super invention, le libre-arbitre, sauf que pour le coup, Elle se lave un peu les mains de ce qui vous arrive. Pratique, non ? Vous êtes libres, mes Enfants, Je laisse des Anges veiller sur vous et Moi, Je retourne à mes affaires ! ricanait Misha, loin des églises, cependant, il tenait à sa carcasse humaine, merci bien.
- Ouais. L'm'a laissé tomber ! J'ai pu d'femm', j'ai pu d'goss', pu d'maison, pu d'boulot. J'suis pu rien, Misha, ya qu'toi qui connais encore mon prénom, tu l'sais, ça ? »

Misha le savait. C'était pour ça qu'il avait choisi Maurizio. Pas pour son prénom, par pour son sens de l'humour, pas pour son goût pour la vinasse. Parce que Maurizio était abandonné de tous, abandonné des siens, et que ça leur faisait un point commun. Sauf que Misha, lui, n'avait pas encore basculé dans l'alcoolisme. Ça donnait trop mauvaise haleine.

Et quand l'hiver venait, Misha adorait regarder la buée se condenser à chaque respiration qu'ils faisaient tous les deux. Ça le fascinait. Et puis, l'hiver, il adorait ça : c'était froid et ça changeait de l'Enfer où il se rendait au moins une fois par mois pour présenter ses respects au Patron.

« Vous autres, Mortels, vous ne réalisez pas la chance que vous avez d'être vivants. Sans rire, c'est le plus beau cadeau que le Père aie pu vous faire, à part la clim', évidemment, encore qu'il faudra que je vérifie s'il y a pas un collègue du 6e dessous sur le coup.
- Viv', c'est mourir.
- Exactement, Maurizio ! Une vie de sensations, d'expériences, ça vaut mieux qu'une éternité de solitude et de servitude, à ne rien connaître, à ne rien ressentir ! Et puis un jour, tout s'arrête... Ah, crois moi, Maurizio, la Mort n'a vraiment rien de terrifiant.
- Quand mêm', la vie, ça pue !
- Amen. »

C'était un matin d'hiver et Misha, la bouteille à la main, poussait la petite grille rouillée à l'entrée du parc. Il faisait encore nuit, mais les lampadaires ne tarderaient plus à s'éteindre. Maurizio était là, roulé en boule sur son banc, dans sa couverture rapiécée mais propre, car Misha, dans un moment de bonté et de ras-le-bol olfactif, avait proposé de la lui laver dans le lavomatic où il travaillait de nuit. La veille, ils étaient allés se moquer des touristes qui se faisaient arnaquer sur le Ponte Vecchio en buvant un café bien chaud, sans se soucier des regards perplexes des passants. Qu'est-ce que ça pouvait bien leur faire, de voir un clochard et un type relativement propre sur lui, bien que mal rasé, siroter un café dans un quartier chic de la ville ?

« Salut, Maurizio ! » salua Misha, mais au moment où ces mots franchissaient ses lèvres, accompagnés de leur nuage de buée, il sut que quelque chose n'allait pas.

Avec un soupir embué, il s'assit à côté du corps inerte du sans-abri et le regarda. Aucun souffle. Le Père avait repris ce qu'Il lui avait donné à la naissance. Il posa la bouteille par terre, à ses pieds et s'installa plus confortablement sur le banc, le temps que quelqu'un arrive et demande à la police de venir nettoyer.

« Tu sais quoi, Maurizio ? Si tu Le vois, là-haut... Dis Lui que je L'emmerde. »

FIN.

type: fic, fandom: original, genre: gen, statut: one-shot, univers ori: armageddon

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