Titre: Ouvrir les yeux
Auteur:
shono_himeFandom: Harry Potter
Personnages: Théodore Nott, Blaise Zabini, Tracey Davis
Rating: PG
Disclaimer: Tout est à Rowling.
Note: Ecrit pour l'échange sur
pompom_power, sur un prompt de
meish_kaos.
Théodore commença à se poser sérieusement des questions quand il vit Baddock se prendre le coin de la porte de son dortoir, au moment où il passait. Ce dernier n’était pas franchement maladroit, mais le voir rentrer dans la porte et manquer de se faire un torticolis en le regardant passer dans l’escalier, voilà qui était louche… Plus tôt déjà, Draco l’avait poliment laissé passer devant pour aller prendre la douche. Théodore n’avait pas vraiment percuté, préférant laisser courir plutôt que de poser la question et de voir l’héritier Malfoy changer d’avis… Il avait mis ça sur le compte de la fête de la veille, une soirée costumée organisée par la Direction pour Halloween, et qui, grâce à la participation des jumeaux Weasley, s’était retrouvée assez arrosée.
Rien de très étonnant, donc, à ce que Draco agisse de façon assez étrange : il n’avait jamais su tenir son alcool. Baddock non plus, à bien y réfléchir, c’était de notoriété publique, mais d’ordinaire, il était plutôt du genre à aller roucouler sur Pritchard, pas à le suivre bêtement du regard, quitte à rencontrer le décor… Théodore fronça les sourcils en poussant la porte de la salle commune. Il n’avait pourtant pratiquement rien bu, pour sa part et ne se souvenait pas avoir fait quoi que ce soit qui pourrait justifier la curiosité de l’autre Serpentard. Pour une fois qu’il venait à une de ces fêtes, en plus…
Perplexe, il chercha du regard quelqu’un qui pourrait le renseigner et avisa Tracey, assise dans un coin. S’avançant vers elle, il réalisa avec une méfiance grandissante qu’elle cherchait, très peu subtilement, à se renfoncer dans le fauteuil pour passer inaperçue, le tout en le regardant avec des yeux de Poufsouffle traqué. Il soupira et vint se camper face à elle, avant qu’elle n’ait un geste stupide, comme s’enrouler dans son écharpe aux couleurs locales pour se fondre dans le décor.
« Qu’est-ce que tu as fait ? » demanda-t-il directement, sans lui laisser le temps de chercher une excuse quelconque.
« Salut, Théo… » marmonna-t-elle nerveusement, en souriant beaucoup trop.
Elle l’avait appelé Théo, ce qui était une preuve en soi qu’elle avait quelque chose à se reprocher… Croisant les bras sur son torse, il la regarda, en un subtil mélange de patience et de menace, que Blaise s’amusait à appeler « La pose de l’immortel », car il donnait, à ce que l’autre Serpentard prétendait, l’impression de pouvoir rester ainsi indéfiniment. Théodore, lui, appelait plus simplement ça de la pression psychologique. Blaise en faisait toujours trop.
« Mais… Rien du tout ! Comment vas-tu ? »
Il s’attendait presque à ce qu’elle rajoute « en cette belle matinée » et qu’elle se mette à deviser sur le temps qu’il faisait dehors, ce qui aurait été un faux pas, vu l’emplacement souterrain de leur salle commune.
« Très bien… » répondit-il lentement, pour lui laisser le temps de se rappeler sa patience légendaire.
Elle ouvrit la bouche, la referma en rougissant et Théodore fronça les sourcils. Il allait lui demander une explication quand une voix suave retentit derrière lui.
« Bonjour, Théodore… Comment vas-tu, ce matin ? » le salua Daphné d’un ton charmeur.
Il leva un sourcil. Daphné n’employait jamais ce ton là avec lui, lui réservant plutôt une note sympathique et familière. Il se tourna vers elle, intrigué, et la vit, à sa grande stupéfaction, replacer derrière son oreille une mèche de cheveux, en un geste que Blaise avait également baptisé, malin comme il était, « la Danse de la Mante Religieuse ». Le mouvement en lui-même n’avait rien de très étonnant, mais qu’elle le tourne vers lui, c’était en revanche une grande nouveauté.
« Bonjour, Daphné, » la salua-t-il poliment, au cas où ce changement soudain de caractère s’accompagnerait de crises de violence incontrôlées.
« Tu viens prendre ton petit-déjeuner, Théodore ? » continua-t-elle, enjôleuse, et il se mordit la langue pour lui faire savoir qu’il connaissait son prénom, merci infiniment, et qu’elle n’avait pas besoin de le répéter à chaque phrase, cela en devenait un peu agaçant.
« Non, pas tout de suite… Je dois d’abord discuter de quelque chose avec Tracey… N’est-ce pas, Trace ? » répondit-il en tournant des yeux insistants vers elle.
Elle hocha muettement la tête, visiblement trop perturbée pour risquer une réponse verbale. Daphné soupira, mais se retira gracieusement, non sans avoir jeté un petit sourire beaucoup trop amical à Théodore. Ce dernier la regarda s’éloigner, puis pivota pour se pencher vers Tracey.
« Je répète, Tracey, qu’est-ce que tu as fait ? » siffla-t-il, refusant résolument de regarder derrière lui quand son mouvement fut accueilli par les gloussements de trois Deuxièmes Années.
Elle se mordit la lèvre et passa une main dans ses cheveux avant de lever les yeux vers lui.
« Pas ici… » répondit-elle simplement en se mettant debout.
Elle l’entraîna dehors, loin des trois mijaurées qui imitaient la pintade dans un coin et il la suivit silencieusement, paniquant légèrement. Qu’est-ce qu’elle avait bien pu fabriquer, pour mettre toute la Maison dans cet état là ? Sa panique augmenta d’un cran quand ils croisèrent Zacharias Smith, qui lui fit un clin d’œil. Théodore déglutit.
Fort heureusement, elle leur trouva rapidement un endroit propice pour discuter, une ancienne salle d’Étude des Runes, isolée et silencieuse. Elle ferma la porte après l’avoir laissé rentrer, et l’invita à s’asseoir.
Il s’appuya contre un bureau, la mine peu amène et croisa les bras, imitant Snape en train de griller un Gryffondor bafouillant. Elle lui fit une grimace d’excuse.
« Tu te souviens, l’autre jour… Quand j’essayais de te convaincre de venir au bal avec moi ? » commença-t-elle.
« Tu as fait mieux, Tracey, tu as réussi à me convaincre… De façon particulièrement déloyale, d’ailleurs. Je serais presque fier de toi ! »
Elle eut un petit sourire reconnaissant.
« Et bien… Je te disais que tu n’avais pas suffisamment confiance en toi… Que ton image de toi était faussée, tu te rappelles ? »
« Vaguement… » éluda-t-il, préférant dissimuler l’impact que cette conversation avait eu sur lui.
Elle avait essayé de le convaincre de venir, arguant qu’il méritait mieux que la vie solitaire qu’il cherchait à mener, qu’il était tout à fait digne d’attirer sur lui les regards… Qu’il était son propre pire ennemi. Ils savaient tous les deux qu’elle avait raison, mais il avait refusé de l’admettre à voix haute, se contentant de capituler et d’accepter d’être son cavalier et surtout, de la laisser lui servir de styliste pour la soirée. Il avait certes dû calmer son enthousiasme vestimentaire, mais apparemment, ça ne l’avait pas empêchée de faire quelque chose d’autre, apparemment…
« Et bien… J’ai réfléchi, tu sais, et je me suis dit que… que ce serait une bonne idée de…enfin, je pensais…J’espérais que… »
« Tracey… Finis juste ta phrase, tu veux ? » coupa-t-il, de plus en plus inquiet.
« J’ai… tenté une potion ? »
L’air piteux qu’elle arborait lui sauva probablement la vie. Il se passa une main sur le visage, complètement atterré. Tracey Davis était une Serpentard tout à fait convenable, à une exception près : elle faisait le désespoir du Professeur Snape. Qu’elle ait tenté une potion sur lui le faisait littéralement frissonner.
« Pardon ? » dit-il simplement en résistant à l’envie ridicule de se frotter l’oreille, comme s’il avait mal entendu, et celle encore plus inutile de partir en hurlant d’effroi.
« Rien de méchant, ne t’inquiète pas ! C’était juste censé… te donner un peu plus confiance en toi ? »
« Arrête de tourner tes phrases comme des questions, Tracey… » soupira-t-il, amolli par son air piteux et ses grands yeux noisette. « C’était quoi, comme potion, exactement ? »
« J’ai un peu modifié la potion qu’on a apprise l’année dernière, celle qui permet d’annuler les sortilèges de modification corporelle et je l’ai mélangée avec une potion de Confiance et j’y ai mis quelques cheveux à toi pour plus de sûreté. Je voulais juste que tu te voies comme tu es à l’intérieur, Théo ! »
Il la dévisagea un moment, atterré. Elle avait mélangé deux potions… C’était déjà un miracle qu’il ne lui ait pas poussé un bras entre les omoplates pendant la nuit, ou bien plus simplement qu’il ne soit pas tombé raide mort en avalant cette cochonnerie !
« Et tu as osé me faire boire ce truc-là ? »
« Je l’ai essayé sur une des bestioles d’Hagrid, tu sais, ces trucs à trois queues, là… Elle n’a pas eu l’air de craindre. »
« Sauf que je n’ai certainement pas l’estomac aussi renforcé que ton cobaye, tu sais, » fit-il remarquer en se passant une main sur le visage pour dissimuler un sourire presque amusé.
« De toute façon… Tu n’as pas bu cette potion, » coupa-t-elle en se tordant les mains.
« Vraiment ? Et dans ce cas, pourquoi tout le monde me regarde comme ça ? »
« Euh… Tu te rappelles, hier soir, que les jumeaux Weasley ont mis du whisky pur-feu dans le punch ? Et que le Professeur Snape a menacé de les enfermer une nuit entière avec Rusard s’il trouvait la moindre trace d’alcool dans les boissons ? Et bien ils ont pensé qu’ils pourraient diluer le goût en y versant tous les jus de fruits sur la table… »
Théodore leva un sourcil. Tracey l’avait forcé à danser une bonne partie de la soirée, lui enjoignant de se détendre, ce qui avait passablement marché, vu qu’il dansait, justement, puis elle lui avait servi un verre de jus de pomme, qu’il avait posé sur la table quand Blaise l’avait accosté avec un sourire racoleur.
« Ils ont versé le verre avec la potion dans le saladier de punch ? » demanda-t-il, priant pour qu’elle ne confirme pas.
Elle hocha simplement la tête.
« Et les trois quarts de l’école ont bu de ce punch, une fois que Snape est parti… » continua-t-il d’une voix blanche.
Nouveau hochement de tête.
« C’était bien ton jour pour réussir une potion ! » s’exclama-t-il en se levant brusquement pour aller fermer la porte d’un coup de baguette, vaguement paranoïaque. « Mais à quoi pensais-tu ? »
« Je voulais juste te rendre service ! Tu crois que ça ne me fais pas de peine, de te voir toujours tout seul dans ton coin ? » répondit-elle en haussant le ton, soudain remontée contre lui. « Tu crois que je ne vois pas que toi aussi, tu as besoin de quelqu’un, mais que tu es trop introverti, trop timide, trop… névrosé pour faire le premier pas ? »
« Ce n’est pas la question, Tracey, tu n’avais pas le droit de… »
« Oh, la ferme ! Tu ne laisses personne t’approcher, Théodore ! Même moi, je dois rester à distance respectable, parce que si je devenais trop proche de toi, tu finirais par me repousser, sous prétexte que tu ne vaux pas le coup ! »
Il avait fait un pas en arrière quand elle avait commencé à parler plus fort, et maintenant qu’elle criait presque, il avait presque envie de chercher un trou de souris où se cacher. Il détestait cela, les cris, les altercations, c’était aussi pour cette raison qu’il préférait les rapports superficiels…
« Mais tu vaux le coup, tu sais… » termina-t-elle dans un souffle. « Moi je le vois, et je ne suis pas la seule… Blaise le voit, Millicent le voit… Il n’y a que toi qui ne le vois pas. Et c’est tellement dommage… »
Théodore soupira et ferma un instant les yeux.
« Comme je l’ai dit, ce n’est pas vraiment le problème, Tracey. À dire vrai, je me fiche un peu de pourquoi tu as fait ça. C’était une mauvaise idée, et maintenant, il va falloir voir à régler le problème avant que la moitié de l’école ne s’imagine amoureuse de moi, » trancha-t-il avec un frisson réprimé à cette idée.
« Qu’est-ce que je dois faire ? » demanda-t-elle, l’air vaguement paniqué. Tant mieux, ils étaient deux, comme ça.
« Va trouver Snape et raconte lui tout. »
« Quoi ? » s’écria-t-elle, les yeux écarquillés d’horreur.
« Tu m’as entendu, » continua-t-il, impitoyable, « tu vas aller tout lui raconter, il trouvera bien quelque chose pour contrer les effets de ta potion miracle… »
« Mais… »
« Tu as une meilleure idée ? »
Croisant les bras sur son torse en attendant sa réponse, Théodore tendit une oreille vers le couloir. Sans vouloir céder complètement à la paranoïa, il n’avait pas envie de se retrouver face à un Goyle intoxiqué et énamouré, avec pour seule aide une Tracey littéralement verte à l’idée de devoir aller avouer sa faute au Professeur Snape…
« Et bien ? » insista-t-il fort peu charitablement, parce qu’il n’avait pas très envie de devoir passer la journée là, non plus…
« D’accord, d’accord, j’y vais ! » geignit-elle en se levant, la mort dans l’âme.
« Je savais que je pouvais compter sur toi, Tracey, » lança-t-il suavement.
Elle lui jeta un regard noir, le menaçant muettement de représailles s’il en faisait trop, puis elle se dirigea vers la porte en traînant des pieds. Il la déverrouilla d’un coup de baguette et elle se glissa dehors.
Dès qu’elle fut sortie, Théodore soupira profondément et se laissa tomber sur une chaise en se prenant la tête à deux mains. Mais à quoi avait-elle pensé, franchement ? Donnait-il à ce point-là l’impression d’avoir besoin de l’attention de tous ? Pourquoi ne comprenait-elle pas, pourquoi ne comprenaient-ils pas tous qu’il préférait être seul ?
L’être humain était trop inconstant, trop peu digne de confiance pour lui. Oh, il savait pertinemment qu’il ne dérogeait pas à la règle, bien au contraire… Mais justement, quelque part, il détestait voir le miroir de ses propres défauts chez les autres. Et puis, s’attacher, c’était risquer d’être blessé, et vue la nature humaine, le risque était une quasi-certitude. Théodore n’était pas un Gryffondor sans peur et sans reproche, il était Serpentard, il protégeait ses propres intérêts, en l’occurrence son bien-être.
Et puis voir tous ces gens poser les yeux sur lui, cette attention malvenue, ça avait quelque chose de presque insultant. Il ne savait pas ce qu’ils voyaient exactement, mais ce n’était pas gratifiant, et il préférait mille fois qu’ils l’ignorent, plutôt qu’ils ne le suivent des yeux, guidés par une potion ratée. L’indifférence, au moins, était naturelle. Ce qu’avait fait Tracey, c’était tricher. Et tout aussi Serpentard qu’il fut, une telle tricherie était presque douloureuse.
Perdu dans ses pensées, il n’entendit que trop tard la porte s’ouvrir doucement. Il releva à demi les yeux, caché derrière ses cheveux trop longs, et reconnu Blaise, une main sur la poignée, l’autre calée sur sa hanche en une position qui, à elle seule, lui faisait comprendre à quel point Zabini se moquait de lui. De mieux en mieux…
Il se demanda si Blaise avait bu du punch, la veille au soir, puis réalisa à l’air décidément goguenard de ce dernier que ça n’avait pas la moindre importance. Il ne bougea pas, faisant clairement comprendre à son camarade qu’il n’était pas le bienvenu.
Un rire amusé, et Blaise referma la porte derrière lui, avant de s’y appuyer en un geste étudié.
« J’ai croisé Tracey, » commença-t-il sur le ton de la conversation, comme si Théodore l’avait invité à prendre le thé avec lui pour échanger les derniers ragots. « Elle était en train de se demander si elle devait feindre une crise de panique pour échapper à Snape, ou si tes propres représailles seraient de toute façon beaucoup plus douloureuses qu’un sermon de notre cher Professeur. »
Blaise avança dans la pièce, épousseta une chaise avec une grimace, puis s’y laissa gracieusement tomber.
« Je lui ai épargné bien des tourments inutiles… Savais-tu que même le plus intelligent des hommes peut devenir un bel idiot, quand sa propre personne est concernée ? » demanda-t-il, avec toujours cette politesse affectée qu’il maniait si bien.
Théodore fronça les sourcils et se redressa.
« Et bien, toi, Théodore, » continua Blaise en pointant un doigt parfaitement manucuré vers lui, « tu es un bel idiot. »
Sur cette belle réplique, il s’étala un peu plus sur sa chaise et attendit une réaction, un sourire aux lèvres. Théodore le foudroya du regard, avant de détourner les yeux.
« Sincèrement, mon ami… Tu y crois vraiment, à cette histoire de potion ? » insista Blaise, plus sérieusement. « Tu ne vas pas me faire croire que tu penses que Tracey a réussi à concocter une potion suffisamment puissante pour faire tourner la tête à la moitié de l’école ! »
« Je… ne sais pas… » soupira-t-il, n’appréciant pas la tournure que prenait cette conversation.
« Je vais te dire ce que moi je sais, Théodore, » reprit Blaise. « Je sais que tu es ton pire ennemi, et que tu préfèreras croire à une potion bien pratique plutôt que de penser que les gens s’intéressent à toi d’eux-mêmes. »
Leurs regards se croisèrent une seconde, et Théodore y lut une sincérité presque dérangeante, chez l’autre Serpentard. Il garda le silence, pas encore sûr de savoir ce qu’il voulait répondre.
« Je sais que tu ne détestes personne d’autre plus que toi-même, et je sais aussi que tu penses qu’il devrait en être ainsi pour le reste de la planète. Mais je sais aussi que quand tu arrives à oublier cette règle fondamentale, chez toi… C’est là que tu montres qui tu es vraiment. »
Blaise pointa une nouvelle fois un doigt vers lui pour appuyer ses paroles.
« Hier soir, je sais que tu ne voulais pas aller à la fête, mais que tu l’as fait pour faire plaisir à Tracey, tout comme quand elle t’a demandé de danser avec elle… Et je sais ce que j’ai vu, quand je vous ai regardé. »
Il eut un sourire étrange, presque mélancolique, usé.
« Tu étais magnifique, Théodore. Oh, pas Beau au sens propre du terme, comme je peux l’être, mais magnifique, parce que tu étais gracieux, élégant, altier… et que tu n’en avais aucunement conscience… C’était naturel, chez toi, et ça… C’est une beauté qu’il est difficile d’égaler. »
Théodore baissa les yeux, à la fois gêné et presque terrifié face à ces mots. Il voulait dire à Blaise que c’était faux, mais à dire vrai, il ne s’était pas vu, il s’était juste laissé porter par l’ambiance, par la musique et par cette envie discrète mais toujours présente d’être comme les autres, d’oublier ce qu’il savait…
« Tout le monde ne regardait que toi, Théodore. Des Poufsouffles ébahis aux Gryffondors envieux. Pourquoi crois-tu que je t’ai accosté, quand vous avez arrêté de danser ? »
« Blaise… »
« Laisse-moi terminer, » le coupa-t-il en levant une main. « J’étais jaloux, tout simplement… Le vice des Serpentards… La jalousie, l’envie. Le vert est décidément notre couleur, on dirait… »
« Tu n’as pas de raison d’être jaloux, Blaise. Je ne tiens pas à te voler ta place de bourreau des cœurs. »
« Et pourtant tu l’es… Avec Tracey, avec quatre ou cinq Troisième années rougissantes… Avec… »
Il s’interrompit une seconde, rajustant son col.
« Au fond, je crois que Tracey a réussi son coup… Non pas avec la potion, mais simplement en te forçant à sortir de ta coquille, comme un papillon. »
« Les papillons sont éphémères, Blaise. Ils meurent trop vite, et même leur beauté ne les sauve pas… »
« Mais l’être humain aussi, est éphémère, » contra Blaise en levant un sourcil. « Quelle différence entre eux et nous ? Nous mourrons tous… »
« Quelle est la morale de ton beau sermon ? »
« Qu’il serait dommage que tu meures dans ta coquille, Théodore, sans avoir montré aux autres qui tu es réellement. La vie est courte, surtout ces temps-ci… »
« Carpe diem, c’est ça ? »
« Réfléchis-y. Hier soir, sans contraintes, sans chaînes, n’étais-tu pas heureux ? »
Il ne répondit rien. Il avait passé une soirée toute entière à ne pas réfléchir trop, à juste se laisser porter, et oui, c’était grisant, oui, c’était un sentiment plus agréable que ce qu’il avait pu ressentir jusqu’alors.
« Et puis, entre nous… » rajouta Blaise en se penchant en avant, un sourire au coin des lèvres.
« Quoi ? »
« Je ne crois pas que ton cher Anthony Goldstein ait bu du punch. Lui, Boot et Corner carburaient à la Bièraubeurre, » souffla-t-il avec un clin d’œil taquin. « Juste pour information, au cas où tu aurais des doutes. »
Théodore eut soudain l’envie très enfantine de lui effacer ce sourire narquois du visage à grands renforts de sorts, mais il garda charitablement sa baguette dans sa poche. Il se contenta de cligner des yeux sans rien répondre, pour ne pas lui donner la moindre satisfaction, et Blaise trouva le moyen d’en rire, en se levant.
« Je vais te laisser réfléchir, je vois presque la tempête, derrière tes jolis yeux, » se moqua-t-il en se dirigeant vers la porte. « Mais sincèrement, Théodore… Un Serdaigle… Quel manque de goût ! »
Il secoua la tête d’un air déçu avant de sortir, laissant derrière lui l’écho de son rire et plus important, de ses mots.
Théodore regarda l’endroit où il se tenait une minute plus tôt et serra convulsivement les poings quelques secondes. Évidemment, Blaise avait raison sur toute la ligne, même au sujet de Goldstein, malheureusement. Il allait d’ailleurs falloir qu’il trouve un moyen de pression pour qu’il n’ébruite pas l’affaire…
Il essaya de se concentrer sur la marche à suivre pour assurer le silence de Blaise, mais ses pensées revenaient sans cesse à ce qui avait été dit depuis le début de la matinée. Ils ne comprenaient pas… Il n’était pas malheureux, ainsi. Mais… Il n’était pas heureux, non plus.
« Carpe diem, hein… » souffla-t-il en sortant sa baguette, comme si ces deux mots étaient la formule magique ultime du bonheur. « Et puis après tout… Pourquoi pas ? »
Il se leva, rempochant sa baguette, et sortit en direction de la Salle Commune des Serdaigles. Autant cueillir la vie tant qu’elle en encore valait la peine.
FIN.