Un homme d'une cinquantaine d'années aux cheveux gris ébouriffés était assis dans le salon sur le canapé et regardait intensément un match de football. En face de lui sur la table basse se trouvait une règle en bois, qu'il pliait fortement aux moments de l'attaque et, si l'attaque tombait, l'abaissait avec un grondement sur la table basse. Ne supportant pas le bruit, sa femme sortit de la cuisine, entra dans le salon et dit avec reproche:
- Ivan, tu ne peux pas regarder ton football moins fort?
- Qu'est-ce que tu comprends, Zina, à part tes casseroles. Là, il y a beaucoup de choses qui se passent.
Ivan alluma nerveusement une autre cigarette, libérant des bouffées de fumée de tabac. La femme sortit silencieusement, réalisant qu'il était inutile de discuter avec son mari. Pendant la saison de football, il est devenu comme un patient d'hôpital psychiatrique. Ivan fumait sans arrêt et, une fois de plus, ayant tendu la main pour une cigarette, a constaté que le paquet était vide.
- Zina, cria Ivan, appelle Paul.
Cinq minutes plus tard, un garçon mince de treize ou quatorze ans avec de beaux yeux bruns entra dans la pièce et demanda:
- Tu m'as appelé, papa?
Ivan, sans quitter le regard de la télévision, tendit un billet froissé et jacassa:
- Paul, va chercher des cigarettes au kiosque chez tante Claudia, elle nous connaît, elle les vendra à toi.
Sur l'écran a commencé une nouvelle attaque et Ivan a voulu frapper la règle sur la table, mais la main est suspendue dans les airs, parce que le garçon n'a pas bougé. Ivan, fronçant les sourcils avec colère, se retourna:
- Tu es devenu sourd, Paul, ou quoi?
Le garçon a tenu une pause et a dit brièvement:
- Je ne fume pas.
Puis il se retourna et quitta le salon.
- Paul, - Ivan a sauté du canapé, prenant la règle, - viens ici, petit con.
Mais Paul entra dans sa chambre et referma la porte derrière lui. Ivan a volé dans la cuisine et, oubliant le match, a commencé à crier:
- Il ne peut pas me supporter depuis son enfance, ce méchant garçon. Aucun respect pour son père.
- Calme-toi, tenta Zina, il est possible que le garson a un âge ingrat.
- Quel âge ingrat, enragea le père, les deux plus âgés n'en avaient point. Comme dans un conte - deux fils sont intelligents et le troisième est imbécile.
- Arrête, tu sais très bien comment le garçon étudie.
- Où sont deux autres fainéants?
- Comment puis-je savoir, - Zina éteint le brûleur à gaz, - ils flirtent avec des filles quelque part dans la rue.
- Bon sang, vous tous, - Ivan ne se retira pas, - quelle famille, personne n'est là quand j'ai besoin de quelqu'un.
- Pendant que tu cries, remarqua Zina, Claudia fermera le kiosque et tu seras sans cigarettes.
- Merde, merde, - Ivan mit sa veste et, ayant claqué bruyamment la porte, sortit de l'appartement.
Zina s'assit sur une chaise et réfléchit. Que se passe-t-il vraiment avec son fils? Il n'était pas favorable auparavant, mais il a complètement changé au cours de la dernière année. Il s'est enfermé dans lui-même, ne sort presque pas, de plus en plus souvent se trouve dans sa chambre. Elle s'est souvenue qu'avant, ils s'entendaient bien et elle s'est même prise sur le fait qu'elle l'aimait plus que les autres. Ou peut-être a-t-elle involontairement adopté l'attitude de son mari envers son fils et le considère également comme un imbécile? Soudain, une peinture de honte a inondé son visage. A quel moment remonte la dernière fois qu'elle l'a pressé contre sa poitrine? A quel moment remonte la dernière fois qu'elle a parlé avec lui à cœur ouvert? Peut-être que c'est eux qui se sont éloignés de lui, pas lui d'eux? Zina réalisa soudain qu'elle a commencé à avoir peur de son fils cadet. Non, on ne peut pas continuer comme ça. Elle se leva et se dirigea résolument vers la chambre de Paul.
Paul était assis sur un divan et feuilletait un livre. La mère s'assit à côté et, surmontant l'embarras soudain, prit son fils par les épaules.
- Paul, quelque chose s'est passé? Tu es tombé amoureux d'une fille?
Paul était un peu contraint, mais ensuite se détendit et répondit:
- Non, maman, je vais bien.
- Paul, si tu as quelque chose au fond de ton coeur, il sera très difficile pour toi de le porter en toi.
Ils se regardèrent les uns les autres dans les yeux.
- Maman, cela ne peut pas être expliqué en un mot.
Zina remarqua que Paul hésitait, le pressa encore plus fort et, souriant, dit:
- Est-ce que nous sommes pressés quelque part? Ton père va venir et va regarder sa télé, tes frères aînés ne viendront pas avant minuit, moi je n'ai rien à faire dans la cuisine, pourquoi ne pas discuter, ne pas parler en secret?
Paul sourit comme un enfant et Zina pensa que c'était probablement l'âge ingrat, quand il est impossible de comprendre c'était un garson ou bien déjà un jeune homme. Il se tut un peu et se mit à parler:
- Tu sais, maman, il y a un an, un lycéen nous a raconté une drôle d'histoire de la vie du comte Kaliostro. Tu te souviens de ce personnage?
- J'ai entendu quelque chose, acquiesça Zina.
- Alors tout le monde a ri, maman, mais pas moi.
- Pourquoi? Tu peux me raconter cette histoire?
- Un jour, pendant une fête foraine, commença Paul, le comte construisit une grande tente sur la place du marché. D'un côté, elle avait l'entrée et d'autre côté - la sortie. Ainsi, celui qui sortait ne rencontrait plus ceux qui suivaient. L'entrée ne coûtait pas cher. Eh bien, peut-être 5 cents, je ne sais pas, et donc, à travers cette tente pendant la journée, presque tous ceux qui étaient à la foire sont passés.
- Il y avait quelque chose d'intéressant là-dedans? - demanda la mère.
- Sur la tente il y avait une grande enseigne "Ici on devine". L'homme entrait, payait une pièce de monnaie pour l'entrée et là, au fond de la pénombre, Kaliostro apportait un bol au visiteur et proposait de renifler, demandant ce que c'était. L'homme reniflait et grimpait avec dégoût: "Mais c'est de la merde!". Le comte rapportait joyeusement: "Exactement! Vous avez deviné! Suivant!" et poussait le visiteur dans une sortie séparée. Puisque l'homme comprenait qu'il avait été dupé, il ne voulait pas rester idiot tout seul et proposait à ses amis et aux gens qu'il connaissait de visiter cette tente, en disant qu'ils y verraient quelque chose d'extrêmement divertissant. Ainsi, le comte a amassé une fortune en un jour.
Zina rit:
- Mais Kaliostro n'est pas bête.
Le visage de Paul est soudainement devenu dur et pas enfantin.
- Quelque chose ne va pas, Paul? Ce n'est pas drôle? - la mère regarda son fils avec inquiétude.
- Maman, - les yeux du garçon brillèrent furieusement, - il y avait des centaines de personnes à la foire, tu sais? Nous sommes tous différents, quelqu'un est très intelligent, quelqu'un ne l'est pas, quelqu'un est l'esprit lent. Comment s'est-il avéré que tout le monde était stupide, sauf le comte? Après tout, il n'est pas exclu que quelques académiciens et deux ou trois scientifiques et d'autres lumières aient visité la tente. Comment ont-ils tous été stupides?
- Oui, c'est vraiment étrange, je ne sais pas, Paul, et tu as compris pourquoi?
Paul se tut, puis dit doucement:
- Je me suis cassé la tête pendant un an et j'ai finalement compris.
La mère ne l'a pas pressé de répondre et regarda silencieusement son fils.
- Maman, dit Paul comme s'il prononçait le verdict, nous, les gens, nous sommes tellement habitués au fait que les autres font quelque chose pour nous, que par le mot "deviner" nous comprenons automatiquement que quelqu'un va deviner pour nous.
- Mais cela semble naturel, rétorque Zina.
- Je ne discute pas, dit Paul, mais ce qui n'est pas naturel, c'est qu'il n'y en ait pas un seul, c'est ce qui est effrayant, maman, personne qui comprendrait le mot "deviner" comme quelque chose qu'on lui proposerait de deviner lui-même.
- Eh bien, Paul, tu ne peux pas le savoir, - Zina n'était pas d'accord avec son fils, - peut-être que c'était le cas.
Paul regarda sa mère et parla à nouveau:
- S'il en avait trouvé un, maman, il se serait rendu compte d'abord qu'il était venu chercher des chaussures à la foire, et non pas pour deviner quelque chose, il ne serait tout simplement pas entré dans cette tente.
- Paul, je ne comprends pas ce que tu veux dire.
- Pourquoi papa n'a-t-il pas acheté de cigarettes en sortant du travail? - demanda Paul
- Eh bien, il a juste oublié, haussa les épaules sa mère.
- Pourquoi penses-tu qu'il a oublié?
- Eh bien, il n'a pas simplement pensé...
- Il n'a pas pensé, répondit Paul, parce qu'il avait l'habitude de croire qu'il avait trois tocards de fils, dont l'un le ferait de toute façon pour lui.
Ils se sont tus. Puis le garçon demanda à nouveau:
- Maman, tu te souviens de ton employée qui t'a proposé en ville d'aller au bar et de prendre un café?
- Oui, je m'en souviens.
- Tu étais sûrement persuadée que ça voulait dire que c'ést elle qui payait.
- Mais oui, c'était le cas, s'étonna Zina.
- Oui, expliqua Paul, mais tu ne comprends pas que cette proposition peut signifier que ton amie veut juste que tu lui fasse compagnie, mais elle n'allait par payer pour toi. Si c'était le cas, ça te déplairait, maman, n'est-ce pas?
- Bien sûr, parce que j'aurais attendu à ce que..., - Zina bafouilla.
- Non seulement cela, maman, dit Paul, cela te déplairait aussi parce que tu ne voulais pas vraiment boire ce café, sinon tu aurais payé sans problème. Les gens attendent quelque chose les uns des autres précisément parce qu'ils ne connaissent pas leurs désirs.
- D'accord, dit Zina, je ne voulais vraiment pas boire ce café ce jour-là, mais ton père voulait acheter des cigarettes aujourd'hui, il le voulait vraiment.
- Le garçon réfléchit et ensuite répondit:
- Alors, il y a deux variantes - soit nous ne savons pas ce que nous voulons, soit nous le savons, mais voulons que les autres le fassent pour nous.
- Écoute, Paul, demanda Zina, mais aujourd'hui, tu aurais pu simplement expliquer cela à ton père.
Paul secoua négativement la tête:
- Non, maman, j'ai essayé de l'expliquer à l'école. D'abord, ils semblent comprendre, puis ils tordent leur doigt à la tempe. Si je fais comme aujourd'hui avec mon père, ça arrive tout de suite. Demain, par exemple, papa ne passera pas devant le kiosque à tabac, je t'assure. Et si je lui avais expliqué, il aurait hoché la tête et aurait continué à rentrer à la maison sans cigarettes.
La mère rit et regarda pensivement son fils:
- Paul, que penses-tu devenir après l'école? Tu n'es pas bête, pourrais-tu devenir avocat ou psychologue?
Paul se blottit contre sa mère et dit:
- J'y ai pensé, maman.
- Et alors?
- Il y avait des gens de toutes sortes à la foire, maman, mais ils sont tous tombés dans le même piège. Cela signifie qu'il n'y a pas d'importance qui je serai quand je serai grand, mais qui que je sois, je vais essayer de transmettre cette vérité aux gens - ils ne sont pas conscients de leurs actions, ils ne connaissent pas leurs désirs et, par conséquent, eux-mêmes ne comprenant pas deviennent les uns pour les autres tels kaliostro. Qu'ont-ils fait pour le comte? Ils ont répondu à ses attentes, car c'est ce qu'il attendait d'eux.
- Tu es comme ton grand-père, Paul, dit soudain Zina.
- Tu connaissais ton père? - s'étonna Paul, - il est mort dans la guerre.
- Mes sœurs m'ont beaucoup parlé de lui, mais ce n'est que maintenant que je me suis souvenue de la façon dont ma mère m'a dit un jour que quand elle l'a rencontré, elle a remarqué qu'il semblait trop adulte pour ses dix-sept ans. Maintenant, je comprends ce qu'elle voulait dire.
Ils se turent et se blottirent les uns contre les autres encore un peu plus.
- Paul, dit sa mère, fais comme tu le penses. Tu es la seule personne pour laquelle je n'ai jamais eu peur que tu sois dans une mauvaise compagnie. Bonne nuit.
Zina embrassa son fils sur le front et alla dans la cuisine.
Dans le salon Ivan regardait les nouvelles sportives. Zina se servit du thé et pensa que c'était bien qu'elle n'ait pas manqué cette occasion et qu'elle ait parlé à son fils. Elle a soudainement eu le désir de regarder de plus près ses fils aînés. Se souvenant de sa conversation avec Paul, elle se demanda si elle le voulait vraiment.
- Oui, répondit-elle à elle-même, maintenant je suis vraiment intéressée de savoir ce que vivent mes enfants. Pas dans le sens avec quelles filles ils sortent, mais dans ce qui se passe dans leurs cœurs.
Ivan fumait une cigarette et pensait que ce petit con lui avait montré un exemple intéressant. Demain, au travail, il fera de même avec son partenaire, qui l'oblige toujours à faire des choses que lui, Ivan, n'a pas envie de faire du tout.
Paul s'enfonça dans l'oreiller et pensa qu'enfin il n'était pas seul. Son grand-père était comme lui, ce qui signifie qu'il y a encore des gens dans ce monde qui ne comptent que sur eux-mêmes dans leurs actions. Et lui, Paul, les trouvera certainement.