UCSVP # 2

Aug 29, 2007 14:03


Ce deuxième extrait d'Un café S'il Vous Plait est dédié à Emeline, parce qu'elle me soutient même dans les moments où ça devrait être à moi de la soutenir.

4 ~ Redistribution

Tout en contemplant les étagères désespérément vides, hormis quelques boites de sucres et de sachet de thé, Juliette se força à reprendre ses esprits. Mais c’était impossible. Elle ne pouvait s’empêcher de penser au malheur qui allait s’abattre sur eux tous. Elle vit son petit garçon et son mari emportés par un déluge de flammes et des torrents de lave sans qu’elle puisse rien faire. Les jambes tremblantes, la secrétaire s’appuya d’une main maladroite contre la paroi. Son cerveau tournait toujours en boucle sur l’idée que si ses employeurs ne recevait pas rapidement leur substantifique tasse de café matinale … elle hurla alors intérieurement :

« Ça va être l’A-PO-CA-LYP-SE !!!!!!!!!!!!!!!!!!!! »

Et le fait d’en être responsable la rendait malade. Mais alors qu’un haut-le-cœur s’apprêtait à la secouer une lueur d’espoir vint l’effleurer. Le chef du ravitaillement, Mr Moka, le directeur de l’approvisionnement et des fournitures ! C’était lui qui s’occupait personnellement de remplir cette pièce. Il avait forcément une explication !

Juliette sortit en trombe de la réserve et courut à perdre haleine vers le bureau de Mr Moka. Celui-ci bondit sur sa chaise quand elle s’arrêta devant lui dans un dérapage contrôlé qui provoqua la chute d’un paravent et de deux plantes vertes. Avant qu’il soit revenu de sa frayeur Juliette, le regard brûlant, haleta :

-          Mr Moka … est-ce que … est-ce que …

-          Est-ce que ?

-          Est-ce que vous pouvez m’expliquer pourquoi il n’y a plus de café dans la réserve ?

-          Vous rigolez ? Je l’ai fait réapprovisionner hier et j’ai moi-même supervisé le déchargement. Quand je l’ai fermé hier soir cette pièce était pleine à rabord de tout ce que vous m’aviez commandé.

La secrétaire en furie approcha son visage à 2 centimètres de la figure du quadragénaire guindé et articula d’un ton menaçant :

-          Est-ce que j’ai l’air de plaisanter ?

-          Non, non, bien sûr. Je … je ne mettrai pas en doute votre sérieux, mais … vous êtes sûre ?

-          Je sors juste de la réserve et croyez-moi c’est le vide interstellaire !

Mr Moka ne trouva rien à redire et resta coi tandis que son cerveau pragmatique cherchait une explication. Juliette, quant à elle, soupira et s’affala, désespérée, sur une chaise qui traînait là. La tête dans les mains elle réfléchit à voix haute plus pour Mr Moka (qui semblait peiner à extirper une idée cohérente de son esprit et dont le visage se crispait dangereusement) que pour elle-même.

-          Résumons ! Hier soir, le placard de mon bureau et la réserve contenait tout l’or noir nécessaire au bon fonctionnement de nos activités. Seuls vous et moi possédons la clé de la réserve que vous affirmez avoir verrouillée par contre mon bureau était ouvert mais j’ai été la dernière à partir.

Elle se leva brusquement et commença à faire les cents pas se forçant à accepter l’idée qui germait en elle. Finalement elle murmura.

-          Oui il faut nous rendre à l’évidence, le café …

-          … le café … ? continua timidement Mr Moka

-          … a été volé ! termina Juliette avec colère avant de se lamenter ; mais comment je vais faire ? Le voleur est sûrement déjà loin !

-          Aaah c’est donc ça … eh bien nous n’avons plus qu’à appeler la police et en attendant vous pouvez aller acheter du café dans un supermarché.

Juliette fixa le visage innocent de Mr Moka et laissa ses paroles faire leur chemin dans son esprit. Elle ne pouvait pas faire intervenir la police, mais ça le cadre à lunettes ne pouvait pas le savoir, par contre pourquoi n’avait-elle pas pensé plus tôt à aller acheter son précieux ingrédient ? Mais à peine son cœur se réchauffait à cette pensée qu’un frisson glacial lui parcourut l’échine. La grève ! Tous les supermarchés étaient fermés ! Elle rappela ce petit détail à Mr Moka avant de le remercier d’une voix éteinte laissant son pauvre collègue à son incompréhension. Elle avait besoin de réfléchir, seule. Elle s’enferma donc dans son bureau qu’elle arpenta de long en large.

Elle ne pouvait certainement pas appeler la police au risque de dévoiler les « particularités » de ses dirigeants. Qui plus est elle était certaine que le vol s’était produit cette nuit, entre le moment où elle avait quitté le bureau et celui où le personnel d’entretien était arrivé ce matin, c'est-à-dire entre 20h et 6h. Dix heures. Dix heures pendant lesquelles le crime avait été perpétré. Dix heures pendant lesquelles la sécurité des deux derniers étages du CG Building était maximale, pas même un moucheron n’aurait pu y pénétrer ni même Superman (SuperMoucheron à la rigueur mais Juliette ne voyait vraiment pas pourquoi il volerait son café).

Le crime n’avait donc pu être commis que par les seules personnes qui résidaient de façon permanente dans les bâtiments ; les 17 patrons de Juliette. C’était inconcevable mais c’était la seule explication. La petite secrétaire ne voyait pas vraiment quel aurait pu être le mobile mais avec ses employeurs elle s’attendait à tout. Il fallait donc qu’elle les interroge et qu’elle persuade le voleur de restituer son larcin pour le bien de tous. Mais elle devait faire vite, si à 11h30 la Directrice Générale ne recevait pas son café … Juliette préféra ne pas y penser.

Commençant à se prendre pour un enquêteur Juliette décréta qu’elle pouvait La rayer de la liste des suspects, elle n’avait ni le temps ni l’utilité de faire un truc pareil. Juliette avait également automatiquement éliminé les 36 Kobolds qui n’agissaient jamais de leur propre chef, même si l’un d’eux était impliqué elle ne pourrait rien en tirer. Elle avait donc 16 suspects à interroger, un nombre conséquent mais des indices pourraient peut-être l’aider à diminuer cette liste.

Elle se dirigea vers son placard et découvrit sur le sol un cheveu noir. Elle le préleva avec sa pince à épiler et le glissa dans une pochette cristal. Cet artefact capillaire ouvrait des pistes intéressantes. Juliette traversa ensuite le couloir  mais s’arrêta juste devant la porte de l’espace détente ; il y avait comme un drôle de courant d’air. L’énergique secrétaire jeta un coup d’œil vers les bureaux mais il n’y avait rien d’anormal, qui plus est l’impression était passée. Elle poussa la porte qui était entrouverte et entra à nouveau dans la réserve. Les étagères étaient toujours désespérément vides. Juliette s’agenouilla pour regarder en dessous et aperçut comme un éclat. Elle tendit la main et attrapa ce qui semblait être une petite seringue en verre et qui finit également dans une pochette cristal. Avec un grand sourire Juliette retourna à son bureau.

Contemplant ces maigres indices, elle réfléchit quelques minutes à ce qu’elle allait devoir dire - et ne pas dire - et à la manière dont elle allait s’y prendre pour chacun de ses suspects. Enfin elle attrapa les dossiers du jour et entama sa tournée avec un air déterminé. Elle allait confondre les coupables et gare à ceux qui se mettraient en travers de sa route.

5 ~ Valet de Pique

Juliette gravissait l’escalier de marbre d’un pas conquérant quand une mine plus sombre qu’un puit sans fond croisa son chemin. La secrétaire s’arrêta dans l’ombre de l’homme qui la surplombait et leva la tête vers lui. C’était Morphée de Arena, un de ses employeurs, un beau jeune homme à la peau noire dont les longs cheveux aile de corbeau était élégamment attaché en catogan. Il paraissait étrangement décalé dans cet endroit avec son air princier, sa chemise de lin, ses grandes bottes en cuir et surtout son immense cape bleu nuit. Il paraissait particulièrement renfrogné ce matin.

A vrai dire cela faisait un moment que Juliette était inquiète pour Monsieur de Arena. Quand elle l’avait rencontré c’était une personne charmante, pleine de vie, assez laconique et mystérieuse mais très sympathique quand même. Cependant, depuis quelques mois, son sourire avait disparu, son visage s’était fermé. Il paraissait constamment plongé dans de sombres ruminations. Mais comme il ne disait rien, personne ne pouvait savoir quelle était la cause de ce changement.

Comme toujours notre rouquine s’efforça de le saluer avec la plus grande chaleur, comme pour l’encourager à partager ses problèmes.

-          Bonjour Monsieur de Arena !!!

Il lui répondit par un signe de tête et reprit sa descente. Elle se retourna vivement.

-          Euh … vous sortez ?

-          Je fais une pause. Sun est au courant. Elle prendra les messages pour moi … et j’ai un dossier pour Moka sur mon bureau, tu le lui amèneras. Et pas la peine de l’ouvrir c’est confidentielle.

Et sur ces aimables paroles il s’engagea à grands pas dans le couloir.

6 ~ Cinq de Cœur

Juliette le regarda s’éloigner, soucieuse. Elle fit finalement volte face et traversa la barrière immatérielle et invisible qui bloquait l’accès au dernier niveau du CG Building. Une volée de marches plus loin, elle arriva dans l’un des deux halls d’entrée. Ce n’était pas une pièce à proprement parler mais plutôt un couloir élargit pourvu de bancs (Juliette n’y avait jamais vu personne assis, elle supposait donc qu’ils étaient juste là pour la déco) et d’un guichet.

En fait, cet étage possédait une disposition particulière ; au centre se trouvait une immense pièce qu’un couloir continu entourait, les autres bureaux étant disposés tout autour le long des façades. L’unique couloir s’évasait à l’Ouest et à l’Est pour former les fameux halls d’entrée sur lesquels débouchaient respectivement les cages d’ascenseur et le grand escalier.

Notre secrétaire jeta un coup d’œil circulaire sur les alentours ; il n’y avait personne. Elle marcha donc vers le guichet inoccupé et appuya sur une sonnette en cuivre comme en possédaient les vieux hôtels, à la différence près qu’aucun son ne retentit. Cependant, à peine une seconde plus tard, une étrange petite chose vint s’installer sur le haut tabouret derrière le comptoir et fixa sa grande interlocutrice derrière ses lunettes d’aviateur opaques.

-          Bonjour Doris, fit Juliette avec un grand sourire

Doris était une Kobold. Les Kobolds étaient les « nains de main » des patrons de Juliette qui les envoyaient fréquemment effectuer des missions qu’ils ne pouvaient pas confier à leur personnel humain. Lointain cousin des Oumpas-Loumpas, il ne mesuraient pas plus d’un mètre (bonnet compris) et portaient toujours une épaisse combinaison sombre sur leur silhouette rondouillette, ainsi que de grosses bottes, des lunettes épaisses, un bonnet et une écharpe ; de sorte que la seule partie visible de leur visage était leur nez en forme de pomme de terre. Doris était la seule à ne pas arborer cet uniforme, elle portait une robe rose à fleurs jaunes au dessus de ses bottes grises et son écharpe et son bonnet étaient assortit à la robe. Une carte à jouer était cousue sur sa tenue, c’était un cinq de cœur.

Comme tous les Kobolds Doris ne parlait pas, pour toute réponse elle brandit donc une pancarte sur laquelle on pouvait lire « Bonjour Mrs Smith ». Juliette s’accouda alors au comptoir se rapprochant de Doris avec des airs de conspirateurs ; s’il y avait une personne qui pouvait lui venir en aide c’était bien la Kobold en robe à fleurs.

-          Nous avons un problème Doris, chuchota Juliette, l’un de nos employeurs a volé tout le café et si je ne le retrouve pas avant 11h30 …

Doris eut un sursaut d’horreur alors qu’elle laissait sa phrase en suspend, n’osant pas faire face à la terrifiante possibilité que se profilaient devant elles.

-          C’est pour ça, continua Juliette, que j’aurais voulu savoir si vous aviez remarqué des choses étranges la nuit dernières. Nos dirigeants ne se sont pas comportés de façon anormale ? …. Je veux dire pas de façon plus anormale que d’habitude ?

Doris secoua la tête, la nuit avait été calme, rien d’inhabituel (vous seriez surpris de voir tout ce qu’un Kobold peur exprimer dans un simple mouvement de tête).

-          Très bien. Je suppose qu’il ne me reste plus qu’à interroger tous nos suspects. Je vais faire ma tournée comme s’il ne s’était rien passé et je suis sûre que le coupable se trahira. En attendant je vous confie mes indices Doris prenez en soin.

Sur ce elle déposa prestement les deux pochettes cristal sur le comptoir en surveillant les alentours de peur qu’on les surprenne. Et alors que Doris cachait les indices sous sa robe, elle réaffirma sa prise sur les dossiers qu’elle transportait et s’élança vers le couloir à sa gauche. En quelques enjambées elle fut devant la première porte. Enfin, ce n’était pas vraiment une porte, hormis la plaque brillante au nom de Mr Black c’était une entrée tout a fait particulière, c’était une carte ; le Roi de Pique.

Juliette effleura la surface cartonnée et il se passa alors un fait tout à fait extraordinaire. Le Roi de Pique bascula comme si on renversait un paquet de cartes. Un chemin de carton se forma ainsi dans le vide cotonneux qui se trouvait derrière la porte et Mrs Smith s’y engagea.

ucsvp

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