Entre les lignes

Oct 20, 2008 14:46



La première fois qu’elle revit Heero, elle l’ignora, pensant à une hallucination due au chagrin, très certainement. Il ne pouvait pas être là, c’était impossible. Il était mort devant ses yeux, elle avait senti le sang sur ses doigts, le poids de son corps sur elle, elle avait vu la lueur dans ses yeux s’éteindre. Et elle n’avait pas pu lui dire qu’elle l’aimait.

Il y avait des mots entre eux qui ne seraient jamais prononcés, parce qu’il était trop tard. Leur relation avait été construite sur des silences et des caresses.

La deuxième fois qu’elle le vit, il se tenait contre le mur du salon, comme il avait l’habitude de le faire, quand il était là et qu’elle ne s’y attendait pas, quand il voulait la surprendre. Il souriait, d’un air paisible qu’elle ne lui avait jamais vu en cinq ans qu’elle le connaissait. Il était toujours là quand elle cilla et cligna des yeux plusieurs fois. Mais elle passa devant lui comme si elle ne le voyait pas.

Il était mort quinze jours auparavant, fauché par une voiture. Et de toutes les façons dont il aurait pu mourir, celle-ci était sans doute la plus injuste. Il n’était pas mort au combat, il était mort parce qu’un conducteur avait un peu trop bu avant de prendre le volant.

La troisième fois, elle envisagea de consulter un spécialiste qui lui parlerait sans doute de traumatisme et de deuil à faire, de chagrin et de colère. Cela ne serait sans doute pas très utile, mais au moins, elle n’aurait plus cette sensation désagréable de perdre l’esprit parce qu’elle voyait un mort sourire dans son salon. Evidemment, elle n’en fit rien, et continua de pleurer dans le noir.

Elle avait vu l’accident arriver, comme dans un film d’horreur. Ce n’était pas un ralenti, mais quelque chose de terriblement rapide. Une seconde il était là, celle d’après, il ne l’était plus. Il était tombé sur le béton et son sang coulait sur la route. Heero était mort avant que les secours n’arrivent.

La quatrième fois, elle s’assit en face de lui et le regarda. Ils restèrent ainsi, sans bouger, un temps indéfini qui aurait pu durer une minute comme cent. C’était comme faire face à un rêve ou à un cauchemar ; sauf qu’elle était réveillée.

« Heero… »

Prononcer son nom semblait donner du sens à cette folie, et il hocha doucement la tête (comme il avait l’habitude de le faire), semblant l’encourager à continuer. Elle déglutit, incertaine.
« Tu es là. »
Il approuva d’un sourire, d’un regard, et Relena se rendit compte qu’elle s’était remise à pleurer.

C’était un monstrueux rappel qu’il n’avait jamais été qu’un être humain comme les autres. Ils avaient fini par croire - et Relena y compris - qu’il ne pouvait pas mourir, parce qu’il avait survécu à tant d’épreuves et de combats qu’ils ne pouvaient rien croire d’autre.

Après la cinquième fois, elle cessa de compter, et commença à accepter la présence silencieuse de l’homme, le soir, quand elle rentrait. Il n’était pas toujours là, et elle découvrit qu’elle était déçue quand elle ne le voyait pas quelque part dans la maison. Elle devenait sans doute folle, mais c’était la seule chose qui lui permettait de continuer, l’espoir que ce soir, il serait là, peut-être.

Il fut enterré deux jours plus tard, dans un cimetière terrestre. Un enterrement laïc, sans fioritures, comme Heero avait été, comme il avait vécu. Il y avait une dizaine de gens qui se souviendraient de lui, réunis dans le blizzard.

Sur la plaque, il n’y avait pas de date de naissance.

Un soir, il s’assit près d’elle, sur le canapé, toujours sans un mot. Il approcha sa main de son visage, sans jamais la toucher. A aucun moment, leurs yeux ne se lâchèrent. Elle avait envie de lui dire qu’elle l’aimait, mais sa bouche demeura scellée. Relena se demanda ce qu’il se passerait si elle posait sa main sur celle d’Heero. Peut-être serait-ce quelque chose de froid ou de chaud, peut-être sentirait-elle la main de Heero sur la sienne, ou peut-être qu’elle ne sentirait rien du tout ; et cette perspective retint sa main.

Elle était partie très vite, n’ayant pas envie de parler à ses amis. Par la suite, le téléphone sonna, parfois cinq fois d’affilées mais elle n’y répondit jamais.
*Relena, c’est Quatre, rappelle-moi s’il te plaît.* Click.
*Bonjour Relena, c’est Dorothy. Je pars quelques jours avec quelques amis. Tu devrais venir, si tu peux. Appelle-moi.* Click.
*Hé, Relena, c’est Duo. A quoi tu joues, princesse ? Appelle-moi.* Click.
*Noin à l’appareil. Quatre me dit que tu ne réponds à aucun appel, je suis inquiète. S’il te plaît, contacte-moi.* Click.
Elle ne les rappelait pas, bien entendu.

Peut-être un mois après la première apparition, Relena osa le toucher. Il était chaud, incroyablement chaud, et surtout, il était là. Toujours sans un mot, il la serra contre lui, et elle se remit à pleurer. C’était des larmes de joie et de désespoir, des larmes qui coulaient et ne voulaient pas s’arrêter. Des larmes qui la condamnait, parce qu’elle ne voulait plus jamais le lâcher.
« Je t’aime », murmura-t-elle.
Son regard était triste.

Heero apparut quinze jours après.

Il ne montait jamais dans la chambre, il restait toujours au rez-de-chaussée, ancré entre la fenêtre et le canapé où il l’avait prise dans ses bras pour la première fois. Quelque part durant les deux semaines qui suivirent, Relena cessa d’aller au travail.

Ses amis inquiets vinrent frapper à la porte. Parfois, Heero était là, près d’elle et elle était la seule à pouvoir le voir. Elle était toujours souriante et ils repartaient à moitié rassurés, à moitié terrifiés. Mais il n’y avait rien qu’ils puissent faire.

Quand Heero revint pour la dernière fois, il la toucha. Sa main se perdit dans les cheveux blonds de la jeune fille et il l’embrassa.

Elle ferma les yeux, et quand elle les rouvrit, il avait disparu.

Dès lors, elle ne trouva plus de raison de rester.

[fin]

gundam, drabbles, fics

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