Disclaimer : Tout est à moi
Titre : Mémoire culpabilisante
Personnages : Un condamné à mort
Rating : M
Nombre de mots : 1760
Défi : Journée mondiale contre la peine de mort et asphyxie de
bingo_fr Genre : drame
Bêta : aucune
Note : Bien qu'écrit en un peu plus d'une heure, ce texte ne fut pas aisé à écrire. Non pas à cause de mes convictions qui ne changeront pas, mais par la difficulté de ne pas transformer cette histoire en pamphlet
Mémoire culpabilisante
Dans quelques heures, je ne serai plus de ce monde. Mon avocat me l'a confirmé : le Gouverneur refuse de communier ma peine de mort en peine à perpétuité. Je peux le comprendre le crime dont on m'accuse est d'un telle barbarie que même moi pendant quelques instants, j'aurai eu cette haine sociale, ce besoin de punir le monstre pour "sauver la société".
Je vais vous conter cette histoire qui a bouleversé ma vie, ainsi que celle de mes proches, il y a de cela près de vingt-cinq ans. Je revenais du drugstore du coin pour prendre une aspirine, un soudain mal de tête violent m'avait pris. Je me souviens d'avoir pris le médicament, d'avoir payé, d'être sorti. La nuit était claire par ce jour d'hiver, la lune éclairait mieux les trottoirs que les maigres lampadaires essaimés à des distances si importantes que l'on risquait sa vie à chaque coin de rue.
Je me rappelle d'avoir croisé une dame en imperméable bleu qui changea de trottoir en me voyant. Je n'y faisait plus guère attention : je n'avais pas la bonne couleur de peau. Je ne sais comment je suis revenu chez moi, mais je me réveillais une heure plus tard avec du sang sur les mains, sur mes vêtements et une douleur si atroce à la tête qui me fit pousser un cri, lequel éveilla mes voisins.
Madame Piepu, une immigrante française me trouva dans cet état : me balançant sur moi même en psalmodiant "j'ai mal à la tête", le regard vide. Elle eut la présence de m'emmener à l’hôpital public et de me sauver ainsi la vie. Aujourd'hui, après plus de vingt-quatre ans enfermé dans une cellule de trois mètres carrées, je ne sais pas encore si je sois la bénir ou la maudire pour son geste. En accomplissant cet acte altruiste, elle m'avait condamné sans le savoir.
A l'hôpital, on me diagnostiqua un début de rupture d'anévrisme, ceci expliquant la douleur qui martelait ma tête. On m'opéra en urgence et l'on me sauva. Il faut dire que j'avais à cette époque un métier avec une très bonne assurance maladie et l'on me prodigua les meilleurs soins. Suivant leur protocole, mes vêtements tachés de sang furent remis aux autorités policières. Si un crime ou une agression avait eu lieu cette nuit là, on comparerait ce sang à l'ADN de la victime et ce fut le cas.
Je pourrais clamer mon innocence, feindre un repenti pour une culpabilité que je saurais existante, mais je mentirai parce que je n'ai aucun souvenir de ce cette journée là. Les seuls faits que je viens de vous relater sont les seuls bribes qui me restent. J'ai perdu la mémoire.
Depuis près de vingt-quatre ans, je ne cesse de me poser la question : Suis-je coupable ? Suis-je un monstre et ne pas savoir est la plus cruelle des tortures. Je ne peux même pas demander pardon pour cet acte à la famille de la victime, je les mystifierais Je ne peux pas tenter de retrouver le réconfort dans une piété pour sauver mon âme. Non tout cela m'est impossible.
Le procès fut bref, mon avocat, commis d'office, très gentil mais peu efficient ne put rien faire pour semer le doute dans la tête des douze jurés qui me condamnèrent à l'injection létale. Pourtant malgré son expérience, il s'acharna jusqu'au bout à communier cette peine de mort en prison à vie. Je peux même dire que ce fut mon seul ami pendant ce quart de siècle.
Si le procès fut une épreuve insupportable pour les parents de la victime, il en fut de même pour moi car je découvrais le crime dont on m'accusait en même temps que les preuves de ma culpabilité était mises en avant.
La jeune femme s'appelait Klara, d'origine hongroise, ses grand-parents avaient émigré aux Etats-Unis un demi-siècle plus tôt. Elle avait juste vingt-deux ans, blonde, un nez retroussé, des dents non alignés, pas comme ceux des sourires factices des stars hollywoodienne.
Et pour accentuer l'horreur de l'agression : on avait mis sur un même panneau cette fille souriante dans sa tenue officielle de graduate et les photos prises par le médecin légiste. Aucune personne normale n'aurait pu la reconnaître sans une expertise scientifique. Son visage n'était qu'une bouillie informe. J'appris que l’agresseur s'était acharné à coup de poing sur elle, la martelant comme un punching-ball. Sa mort était la conséquence de ses coups, l'un des premiers avait brisé sa nuque, les autres n’étaient qu'un déversement de violence. Comment avais-je pu faire cela ?
Je n'étais pas un enfant de choeur, il m'était arrivé de me bagarrer une ou deux fois dans les bars, mais jamais avec une telle violence et je savais toujours m’arrêter à temps. Dès que je voyais un peu de sang, je stoppais net. Je refusais de nuire à une personne, mais je ne pouvais pas me permettre de me laisser insulter ou provoquer sans rien dire, mais j’avais toujours su éviter à temps le geste de trop. Jamais je n'avais levé la main sur une femme. Enfin jusqu'à cette nuit parce que les arguments du procureur étaient si convaincants que je ne pouvais que croire à ma culpabilité. Le sang sur mes vêtements étaient bien ceux de la victime. J'étais comme le prouvait le témoignage du gérant du drugstore et le ticket de caisse à moins de deux pâtés de maison du lieu de l'agression. Mon amnésie semblait bien opportune pour les jurés mais je peux vous assurer que je préférerais me souvenir de ce qui c’était passé cette nuit.
Les quelques indices à ma décharge, comme de l'ADN inconnu retrouvé sous les ongles de la victime, un T-shirt et une veste passe-partout que l'on voyait à chaque coin de rue et mon casier vierge, même de la plus petite contravention. Rien ne pouvait infléchir le jury et moi à leur place devant cette photo, je me serais condamné, tant à l'époque je croyais que ce châtiment puisse être un moyen d'assurer la cohésion sociale et de punir comme la loi du talion ceux qui avaient ôte la vie. Ces quelques éléments à décharge aboutirent à la conclusion que j'avais un complice avec moi.
Jamais je ne m'étais posé la question de la culpabilité ou pas de la personne condamné à mort. Jamais je ne m'étais interrogé sur la pertinence de ce type de condamnation : c'était un bien pour la société, un moyen de se prémunir des personnes dangereuses, des personnes qui quittent le droit chemin.
Et pourtant, pendant vingt-cinq, je me mis à penser à cela. Non pas pour des raisons égoïstes, pour justifier l'abolition de la peine de mort mais parce qu'en prenant mon cas, en lisant tous les livres, traités pour ou contre la peine de mort, j'en arrivais à la conclusion qu'elle n'avait pas lieu d'être. Bien sûr, je me mets dans la peau des proches des victimes et si jamais une personne avait touché à ma nièce, il y après de vint ans, j'aurais eu des instincts meurtriers parce qu'aussi civilisé que je puisse être dans une société, l'instinct de survie, de protéger mes proches aurait été le plus fort. Et pourtant, je reste convaincu que ma mort n'apportera aucun soulagement à la douleur de ses parents.Ce sera juste un point final d'un long calvaire. Ils ne pourront même pas entendre mes regrets, les supplier de me pardonner l’indicible, ce dont je suis incapable. Comment s'excuser d'un acte dont on ne garde aucun souvenirs ? Comment regarder en face la douleur dans les yeux et prononcer des mots creux, vides de sens. Et pourtant, j'aurai vraiment voulu leur donner cet instant fugace de sérénité, leur expliquer pourquoi elle était morte mais je ne le savais pas.
La peine de mort n'était pas une affaire de justice. Ce n'était pas une condamnation de la société pour assurer sa survie, plusieurs société dites « archaïques » par les sociétés « modernes » choisissaient le bannissement comme punition extrême, la mort sociale en quelques sorte. La peine de mort était simplement une barbarie, un lynchage institutionnalisé. Et qu'importe l'atrocité du crime commis, aucune peine de prison, aucune peine de mort ne parviendrait à soulager la peine des proches des victimes. La justice ne pourrait jamais compenser cela et c'est une gageure que de fonder un modèle de société sur cela.
Dans quelques minutes, je vais sortir du couloir de la mort pour suivre mon destin. J'en serais presque impatient. Passer plus d'un millier de semaine en se demandant si c'était la dernière a de quoi rendre fou le plus cartésien des hommes.
J'entre dans la salle. Je sais que derrière le miroir, les proches de Klara me regarde. Je voudrais tant soulager leur douleur, je voudrais tant leur dire la vérité, mais ma mémoire reste défaillante même au dernier moment.
On m'allonge, on me sangle. Le bourreau-médecin regarde le cadran de l'horloge. Jusqu'au dernier moment on scrute le téléphone rouge pour une grâce. Une minute avant minuit, on m'injecte le premier produit : il ouvre mes veines, fluidifie le sang afin de permettre au produit létal de faire rapidement son office. Trois minutes après, le téléphone n'ayant pas sonnée, on m'injecte la dose fatale. Je sens que mes membres s'endormissent. J'ai de grandes difficultés à respire, je cherche dans un sursaut à prendre une bouchée d'air, à lutter contre cette asphyxie qui réveille mes peurs les plus profondes. Je ne suis plus.
Cinq ans après, la police de Baltimore arrêta un suspect pour vagabondage et voie de fait sur un autre laissé pour compte dont il avait fracassé le crâne, sans parvenir heureusement à l'occire. On lui prit son ADN et par regroupement de fichiers nationaux, on découvrit que cet ADN correspondait à celui retrouvé sous les ongles de ma victime. Atteint de troubles de personnalité, cet homme avoua avoir commis le meurtre dont je fus condamné. Il leur affirma qu'il ne m’avait jamais vu. Quand il s'était enfui, il s'était retourné et avait vu un homme penché sur le corps avec la même veste que moi tentant de faire un massage cardiaque.
Jamais je n'ai su mon innocence. Peut-être que celui qui avait voulu aider cette femme était une autre personne, mais j'ose espérer que j'étais ce que l'on appelle une personne bien. Tout ce que je sais c'est que dans quelques mois, quelques années une autre personne sortira du couloir de la mort pour voir sa vie s'achever et répondre du même meurtre que moi.
Est-ce que les proches de Klara retrouveront un jour, le sommeil ?