J'ai eu l'envie de lire des nouvelles au mois de juin, après les longs romans des mois d'avant, et du coup comme les recueils tendent à s'empiler plus que tout le reste, c'était le moment ou jamais d'en avaler quelques uns !
Je n'ai pas à proprement parler de "coup de coeur" parce qu'il y a toujours des nouvelles un peu plus faibles que d'autres, et parce qu'on est rarement chamboulé par une nouvelle comme on l'est par un roman, mais j'ai vraiment beaucoup aimé les recueils couronnés d'un cœur vert.
Rappel sur la valeur des symboles :
❤ : À lire absolument
❤ : Mérite le détour !
rien : Pourquoi pas, mais vous pouvez vivre sans
♠ : Vivement déconseillé
Nouvelles
Treize Mauvais Quarts D'heure, Albert Sanchez Piñol (2009) ❤
Un recueil court de nouvelles insolites. À part la première histoire qui, sans être mauvaise, ne m'a pas convaincue, j'ai lu ce recueil avec beaucoup de plaisir, chaque nouvelle participant de la même atmosphère tout en étant très différente. Je le recommande à ceux qui aiment les nouvelles qui se lisent vite et qui hésitent entre l'humour et quelque chose de plus inquiétant.
Third from the Sun, Richard Matheson (1955) ❤
Je n'avais pas été convaincue par la majorité des nouvelles que j'avais lues de Matheson jusqu'ici, mais ce recueil est excellent. C'est de la nouvelle de SF comme on n'en fait plus, intelligente et décomplexée, qui joue habilement avec toutes les possibilités qu'offrent les extra-terrestres, les monstres et le fantastique. Ce ne sont pas de ces nouvelles qui nous laissent à moitié sur notre faim, ces histoires (souvent à chute) étant vraiment faites pour le format. Leur postulat de départ ne fournit pas matière à développer un roman, juste de quoi placer le lecteur dans une situation qui intrigue et qui soulève des questions intéressantes et inédites. Une de celles qui m'a le plus marquée est "Lover, when you're near me", qui est à la fois intimement dérangeante et franchement angoissante. D'autres sont presque drôles, comme "SRL Ad" où une femme de Vénus lance une annonce dans le journal pour se trouver un petit-ami terrien. Je pense que s'il faut attaquer Matheson par un bout, ce recueil-là peut très bien faire l'affaire !
L'apocalypse des homards, Jean-Marc Agrati (2011)
Clairement j'ai acheté ce livre parce qu'il était joli, donc bon. Ce recueil contient des histoires de tailles diverses mais pour la plupart extrêmement courtes (une page ou moins). Elle n'ont pas la construction d'une nouvelle classique, ce sont le plus souvent des divagations absurdes qui tiennent du rêve ou du cauchemar - souvent violent, trash, sexuel. Des éléments récurrents reviennent d'une histoire à l'autre : des personnages secondaires, ou un narrateur qui a des anges vus de lui seul et qui lui font faire des choses. Il y a des éléments vraiment intéressants et même parfois jubilatoires dans le lot, mais je pense qu'on aurait quand même pu virer une bonne partie des "shots", qui à la longue deviennent gonflants à force de n'aller jamais nulle part. On finit par se dire que n'importe qui peut gribouiller une histoire sans queue ni tête sur un coin de page, et on aimerait que ça se passe moins souvent en-dessous de la ceinture (l'écriture est "masculine", mais pas dans le bon sens). C'est gentil de nous raconter tes fantasmes mec, mais ponds-nous un truc un peu plus construit la prochaine fois.
The Lottery and Other Stories, Shirley Jackson (1959) ❤
Les nouvelles de Shirley Jackson ne sont pas à chute, mais purement d'atmosphère. Cette atmosphère est généralement puissante, donc c'est bien, mais ça se lit avec moins de légèreté que les deux premiers recueils cités.
Les histoires sont difficiles à décrire mais en gros, ce sont des personnages relativement ordinaires, dans des situations relativement ordinaires, mais dont l'auteur va savoir dégager un malaise saisissant ou un cynisme grinçant. Si certaines situations sont bien ancrées dans leur époque (les femmes et la places qu'elles devaient tenir) on ne se sent pas moins proche de toutes ces personnes, tangibles et justes, même lorsqu'elles semblent frôler la folie.
Seule la dernière nouvelle, qui donne son nom au recueil, s'aventure hors des limites de la cruauté ordinaire, et elle n'en est que plus glaçante. Il est amusant que je l'aie lue si peu de temps avant m'être mise à la fiction en podcast
Welcome to Nightvale, dont l'un des épisodes y fait clairement hommage.
Romans
Le Déchronologue, Stéphane Beauverger (2009) ❤
Les maravillas, des objets étonnants venus d'une époque lointaine, se multiplient dans les ports des Caraïbes et deviennent un commerce pour les collectionneurs fascinés comme le capitaine Villon. Dans ce récit de science-fiction entièrement situé au XVIIe siècle, un pirate aguerri va ouvrir les portes du temps pour lutter contre un ennemi redoutable venu du futur.
J'ai eu quelques difficultés à accrocher au début à cause du récit à la première personne et du héros un peu plat. Mais à mesure qu'on avance, on se prend au jeu, on est intrigué, et notre capitaine subit de telles souffrances qu'on finit par compatir à son sort. Si les aventures et les déboires des pirates sont racontés dans une langue soignée, je regrette que le scénario ne soit pas un peu mieux ficelé, laissant délibérément des questions sans réponse, et manquant d'une véritable apothéose. Le fait d'avoir éclaté la chronologie, loin de servir la narration, la rend assez claudicante, et il vaudrait presque la peine de lire les chapitres dans l'ordre naturel pour voir si au final, ça rend mieux. Divertissant malgré tout.
The Road, Cormack McCarthy (2006) ❤
Sur une terre agonisante, des suites d'un cataclysme inconnu, un père et son fils marchent inlassablement vers le sud, défiant la loi du plus fort, s'accrochant à des convictions et des principes obsolètes comme à un radeau de survie.
J'avais vu le film, qui m'avait totalement bouleversée. Le roman est moins cru, car il ne s'attarde pas sur les passages les plus durs, donc je pense qu'il est tout à fait lisible même pour les âmes un peu sensibles. C'est pour moi un roman captivant, à l'écriture accidentée et aux personnages poignants. Apparemment il perd à la traduction, donc je le recommande en VO. Qu'on aime ou qu'on aime pas, il faut s'y frotter, toucher à ce gris infini de l'humanité déchue. C'est triste comme la fin du monde et beau comme le désespoir.
The Ocean at the End of the Lane, Neil Gaiman (2013)
À l'occasion d'un enterrement, un homme d'âge mur revient sur les lieux de son enfance. En s'abîmant dans la contemplation du petit étang au bout du chemin en terre, près de la ferme de ses anciennes voisines, il se remémore une aventure étonnante qu'il avait reléguée dans les tréfonds de son esprit.
Ce livre était apparemment le retour de Gaiman au roman pour adultes : sur ce plan, à mes yeux, c'est un échec. Étant presque intégralement raconté du point de vue d'un enfant, même si cet enfant est à l'intérieur de la tête d'un homme adulte, je lui ai trouvé un ton très similaire à Coraline ou The Graveyard Book. Mais en moins bien. Le personnage "méchant" m'a relativement ennuyée et encore une fois beaucoup rappelé celui de Coraline. Mais en moins bien. Un ou deux thèmes plus adultes sont certes évoqués, mais du coup j'ai trouvé qu'ils faisaient tache (une scène en particulier) et je m'en serais bien passée.
Bon, il y a de chouettes idées comme toujours, mais que je n'ai pas trouvées impeccablement ficelées dans un scénario génial comme c'est généralement le cas chez cet auteur. La lecture reste plaisante et tout à fait divertissante ! Mais je me permets d'être exigeante avec l'un de mes auteurs préférés et du coup, pour du Neil Gaiman, je trouve cela un peu décevant et surtout pas très nouveau.
Je serais néanmoins curieuse d'en discuter avec un de ceux qui ont adoré ce roman…