Pour finir ce défi j'avais entre autres deux pavés à lire. Je ne les ai pas lus dans les temps impartis mais bon, j'avais prévenu que les livres de plus de 600 pages ça le ferait moyen niveau timing. D'autant que j'ai fait beaucoup de choses pendant cette période.
J'ai eu des tests de traduction à rendre, des entretiens à passer, des anniversaires à la pelle, des crémaillères et même un mariage.
Je me suis mise à cuisiner compulsivement. J'ai acheté un laminoir, je fais des pâtes fraîches, j'adore faire des pâtes fraîches. Des tagliatelles. Des raviolis. Des lasagnes. C'est trop bon et trop fun. J'adore mon laminoir. J'ai fait des biscuits, des fondants au chocolat beurre de cacahuète, des muffins au citron, un cake aux amandes avec une étoile de pistache à l'intérieur. J'ai fait des gougères à la mimolette, des crackers au romarin, du chutney de tomate, des ravioles de Royan, des raviolis à la crème d'aubergine avec des tomates confites, des lasagnes pleines de mozarrella.
Je commence à me débrouiller suffisamment en cuisine pour que ce soit vraiment divertissant. Voir un superbe outil de procrastination.
Mais bon, j'ai quand même fini par arriver au bout de ma liste de lecture. Voici mes commentaires pour les quatre derniers livres !
Le Passe-muraille, Marcel Aymé (1943) - défi lancé par
taraxacumoff le 19 mars, fini le 18 avril
Je suis embêtée pour parler de ce recueil. Il est très bon au niveau de l'écriture et des idées de départ, c'est divertissant à lire et même assez moderne dans la façon de jouer du fantastique et du burlesque. L'ennui c'est que les personnages féminins, eux, sont écrits de manière très datée. Très.
Je pense que j'aurais eu une lecture moins critique si la deuxième nouvelle du recueil, Les Sabine ne m'avait pas autant écœurée. Si le récit est d'abord très drôle et saugrenu, tout à fait du même style que la première, Le passe-muraille, au bout d'un moment la morale catholique s'en mêle, et il vire au sordide le plus épouvantable (justement parce que c'est présenté comme moral… et drôle ??). J'ai vraiment essayé de comprendre dans quel esprit l'auteur avait pu écrire cette nouvelle, comment il avait pu juger acceptable de raconter une fin pareille d'une telle façon. Je n'ai pas réussi. Pour moi elle a des relents de
slut-shaming et de culte du martyr tout à fait inacceptables. Que Marcel Aymé ait voulu faire de l'humour, je n'en doute pas, mais cette histoire d'expiation me donne sincèrement envie de gerber.
Partant de là, je n'étais pas très bien disposée pour la suite. Cela ne m'a pas empêchée d'adorer certaines histoires !
J'ai notamment été totalement séduite par les récits "SF" : La carte et Le décret (en particulier le premier). Dans le contexte de la seconde guerre mondiale, qui est celui de l'écriture de ce recueil, le gouvernement français joue avec le temps, dans la première histoire pour des questions de rationnement, dans la seconde pour faire passer la guerre plus vite. Le résultat est vraiment très intéressant, et assez poétique.
Dans un autre style mais aussi sur la guerre, la dernière nouvelle, En attendant, mettant en scène 14 personnages qui témoignent de leur drame personnel, est très émouvante et mordante juste ce qu'il faut.
J'ai été touchée également par Les bottes de sept lieues, même si le personnage de la mère m'a un peu gonflée. Et puis c'est quand même un petit peu mièvre. Elle présente des similitudes avec Le proverbe, plus aigre, plus subtile aussi, que j'ai bien aimée.
Parfaitement cynique, la Légende poldève m'a amusée sans tout à fait me convaincre.
Dans Le percepteur d'épouses et L'huissier, enfin, Aymé prend (comme toujours) le parti des pauvres vis-à-vis de la prétendue "justice", avec de la subtile misogynie dans le premier récit et une bonne dose de bénédiction divine dans le second. L'humour fait passer la pilule, mais en même temps, pas tout à fait.
Au bout du compte, ce qui m'a empêchée d'apprécier vraiment un certain nombre de ces nouvelles, c'est que les personnages féminins de Marcel Aymé, même en les replaçant dans le contexte des années 40, sont très déplaisants à lire (sauf dans En attendant, qui est un peu à part). Il y a essentiellement des vertueuses et des adultères, les vertueuses répondant bien sûr à des critères très catho-old-school de dévotion à l'autre, de modestie absolue, de piété et de fidélité. Pas une n'a des aspirations qui ne soient pas liées à un homme, leur enfant ou Dieu. En-dehors de ces quelques modèles de vertu assez exceptionnels, les femmes sont souvent frivoles, coquettes et inconséquentes. Autre temps, autres mœurs, certes, mais il me semble qu'il y avait des idées un peu plus avancées chez les intellectuels déjà à l'époque.
The Blind Assassin (Le Tueur aveugle), Margaret Atwood (2000) ❤ - défi lancé par
hattie_chan le 18 mars, fini le 24 avril
Ce roman raconte trois histoires imbriquées les unes dans les autres.
Iris, une vieille dame qui a traversé la majeure partie du vingtième siècle, raconte l'histoire de sa famille et surtout les souvenirs de sa jeunesse, à l'époque où sa jeune sœur Laura était encore en vie. Car Laura s'est suicidée il y a maintenant longtemps, laissant derrière elle un roman posthume, devenu culte.
Le roman de Laura Chase, que l'on découvre extrait par extrait, parle des rencontres clandestines de deux amants, de milieux différents, dans une situation impossible. Pour la séduire elle, lui invente une histoire qu'elle suit avidement : celle du tueur aveugle.
Il s'agit d'un récit de fantasy/SF, qui évoque un peuple aujourd'hui disparu, à la civilisation très avancée mais aux mœurs cruelles et fascinantes. Cette histoire est aussi passionnante que le reste, même si les deux premières se répondent bien plus intimement.
C'est un très très beau roman, écrit d'une belle plume, avec des personnages attachants (notamment cette vieille dame à la santé déclinante qui raconte ses promenades et s'agace d'être traitée comme une impotente). Les époques que l'on traverse avec la famille Chase sont évoquées de manière vivante et nostalgique. Au fil des pages, le besoin de raccrocher le second récit au premier et d'avoir le fin mot de l'histoire se fait de plus en plus urgent, si bien que je n'ai pas été capable de lâcher le livre pour le dernier tiers, que je me suis avalé en une journée.
Si je ne devais mentionner qu'un regret, ce serai celui-ci : il y a deux personnages antipathiques dans ce roman, et ce sont les seuls qui ne soient pas écrits avec finesse, ce qui donne un petit côté manichéen qui ne colle pas vraiment avec le reste de l'histoire. L'auteur en a bien conscience puisque la narratrice s'en excuse, l'explique par son vécu, mais même si cela se tient avec un narrateur interne, je trouve quand même que c'est dommage de ne pas avoir fait preuve de cette merveilleuse sensibilité avec laquelle sont dépeints les autres personnages jusqu'au bout.
Malgré cela, j'ai vraiment adoré lire ce livre et je remercie mille fois Harriet de me l'avoir offert.
Là-Bas, J.K. Huysmans (1891) ❤ - défi lancé par
huilou le 2 avril, fini le 2 mai
Un écrivain se consacre à l'écriture de la biographie de Gilles de Rais. Il tente de percer le mystère de ce ténébreux personnage, de comprendre comment il a pu en arriver à l'accomplissement de ces crimes atroces. Dans cette optique, il discute du satanisme lors de succulents dîners entre amis dans la curieuse demeure d'un sonneur de cloches, au sein même de l'église Saint Sulpice. Mais il aura peut-être davantage à apprendre de l'une de ses admiratrices, une femme mariée avec qui il échange une correspondance enflammée, et souhaite devenir sa maîtresse.
Je ne connaissais pas Huysmans et j'étais d'ailleurs tombée un peu par hasard sur la page Wikipedia de ce bouquin, qui m'avait vivement intriguée. La première chose à souligner est que la plume de cette écrivain est d'une richesse incroyable. Il est capable de décrire un Christ en croix au point qu'on en ait la nausée, l'intérieur d'un clocher au point qu'on en ait le vertige. C'est un amoureux des mots, et il va parfois les chercher loin (combien de ces mots ai-je cherchés dans le dictionnaire, pour y trouver une citation de Huymans lui-même ?), mon préféré de tous étant sans doute l'adjectif "térébrant". Cela pourrait être gonflant s'il ne les choisissait pas d'une si belle harmonie avec la phrase qui leur sert d'écrin, mais tel qu'il le fait, c'est superbe. Et quand il n'a pas su trouver dans le vocabulaire existant le mot qui lui sied, il n'a pas peur d'en inventer - avez-vous entendu parler du verbe « bôomber », qui décrit le son émis par des grosses cloches ?
Bref. L'histoire quant à elle est assez intéressante, notamment l'alternance entre la biographie de Gilles de Rais, les dîners bavards et les scènes de romance. Mais ce que j'ai aimé surtout, c'est que Huysmans parle de la difficulté de son héros à vivre dans l'instant, notamment en matière d'amour, qu'il ne parvient pas à pratiquer sans être consterné par le grotesque vulgaire de la chose. Je n'avais encore jamais lu de scènes de cet acabit dans un classique, et j'ai trouvé cela délicieusement cocasse en même temps que très réaliste.
Le seul ennui c'est que si l'histoire progresse entre deux discussions de gens cultivés, c'est pour aller un peu nulle part sur tous les plans. C'est comme si Huysmans était incapable de prendre son récit suffisamment au sérieux pour se lancer franchement dans le gothique, ou pour croire à son intrigue amoureuse. Comme son héros, il réfléchit trop, remet tout en doute, refuse de se positionner sur rien. Malgré les longueurs qui naissent immanquablement de cette approche anti-climatique du scénario, cela reste un roman divertissant, intéressant, surprenant, et j'ai assez envie d'aller jusqu'à dire, un véritable ovni dans la littérature du XIXe. Je ne sais pas si tout ce que Huysmans a écrit est de cet ordre, mais ça donne envie d'en lire plus.
Jane Eyre, Charlotte Brontë (1847) ❤ - défi lancé par
niarkouille le 7 avril, fini le 24 mai
Une orpheline à l'enfance difficile grandit pour devenir gouvernante dans un manoir retiré. Elle y fait la rencontre du maître des lieux, Mr Rochester, un homme sombre et aigri, qui n'intimide cependant guère la jeune femme. Alors qu'elle devient sa plus proche confidente, elle éprouve pour lui des sentiments de plus en plus difficiles à ignorer, mais c'est sans compter le terrible secret qui hante son maître et le condamne à une vie de malheur.
J'ai déjà vu deux adaptation de Jane Eyre par le passé. Celle avec Charlotte Gainsbourg m'avait laissé l'impression d'une héroïne un peu molle, effacée, soupirant après un amour impossible, mais sans réelle passion. Celle avec Mia Wasikovska, en revanche, m'a fait entrevoir un personnage beaucoup plus riche, capable d'une force que ne laissent pas soupçonner sa frêle silhouette et son très jeune visage. Et c'est cette Jane Eyre que j'ai découverte en lisant enfin le roman original. Je n'ai pas cessé de m'émerveiller de la force d'esprit de cette jeune fille livrée à elle-même, au tempérament de feu, qui tient tête sans hésiter à un homme du double de son âge et d'un statut supérieur au sien. Elle ne se compromet pas dans l'amour : elle refuse en tout point de se changer pour celui qu'elle aime, pour correspondre à l'idéal qu'il croit vouloir. Bref, Jane est épatante et m'a laissée béate d'admiration.
Le roman en lui-même est long, d'autant que je commençais à en avoir un peu marre de bouquiner quand je l'ai attaqué, mais le rythme est bon, les péripéties toujours intéressantes, les personnage toujours fins, et on ne s'y ennuie jamais. Un roman très inscrit dans son époque, mais en même temps très moderne grâce à son héroïne, l'une des plus belles qu'il m'ait été donné de rencontrer dans mes lectures.