Lecture : La pitié dangereuse - Stephan Zweig

Jan 05, 2015 15:53


"La pitié dangereuse" de Stephan Zweig
roman - 500 pages
♥ ♥ ♥ ♥ ♥ 5/5



Quel sentiment honorable que la pitié, cette douce émotion qui nous pousse à nous soucier de notre prochain plus que de nous même ! Nul n’en doute, mais l’expérience à maintes fois prouver que toutes les démonstrations de pitié ne sont pas bénéfiques… Il existe deux sortes de pitié : la vraie, celle où l’on se donne entièrement à autrui et où on le soutient jusqu’aux limites de ses forces, et l’autre, celle sentimentale et vaniteuse où l’on ne fait preuve de compassion que pour le plaisir de se sentir grand et bienfaisant à ses propres yeux. Cette pitié-là n’est pas seulement inutile, elle peut aussi être terriblement néfaste, déjà pour l’hypocrite bienfaiteur, mais surtout pour les malheureux qui s’accrocheront bec et ongles à lui dans l’espoir d’obtenir quelques miettes supplémentaires de réconfort.

C’est cette vérité acide que va apprendre un jeune officier autrichien à la veille de la première guerre mondiale. Lors d’une soirée chez un bourgeois aisé de la petite ville où il est cantonné, le lieutenant Anton Hofmiller blesse involontairement la fille de la maison, Edith, en lui proposant une danse. En effet, la jeune femme est paralysée et ne peut esquisser le moindre pas sans aide. La malheureuse fond en larme et Anton prend la fuite, affolé par sa bévue. Poussée par la culpabilité, il revient dès le lendemain présenter ses excuses à Edith. Cette première visite est rapidement suivie d’une autre, puis d’une autre, puis d’une autre. Rapidement, Anton devient un familier de la maison où il est accueilli avec de plus en plus de chaleur et de reconnaissance. Lui, qui n’a jamais connu la jouissance d’être nécessaire à autrui, éprouve un doux plaisir à répandre le bonheur autour de lui et s’émeut de la détresse de cette famille frappée si durement par le sort. Hélas, le jeune homme est faible et immature et il sous-estime la puissance de l’attachement que lui porte Edith. Une parole mal-interprétée, un petit mensonge arraché lors d’un accès de faiblesse et voici Anton engagé sur une voie aussi glissante que dangereuse…

Bon sang, qu’est-ce qu’il m’aura énervée, ce petit imbécile d’Anton ! Mais s’il m’a agacée à ce point, c’est que son comportement est d’une justesse consternante. Racontée à la première personne par un narrateur vieilli et amèrement lucide, la dramatique aventure du jeune lieutenant éclaire d’une lumière froide et impitoyable nos plus sournoises faiblesses. On y est cruel, non par malfaisance ou par méchanceté, mais par mollesse et par lâcheté - traits de caractère que nous avons tous expérimentés à un moment ou l’autre de notre vie. Le ton est donc dur, coupant, mais il n’est pas manichéen ou déshumanisé : Anton, c’est un peu nous, c’est un peu moi. On a envie de le gifler et mais on ne le comprend que trop bien en même temps. Les autres personnages sont construits avec la même finesse qui nous les fait prendre en compassion et nous irrite tour à tour, de la pauvre Edith, malade tyrannique et torturée, à son père, vieillard si obnubilé par la maladie de sa fille qu’il en devient par moment presque insupportable. Le tout donne un très beau roman, alternant les passages émouvants et ceux subtilement angoissants. Brillant !

coup de coeur, auteur : stefan zweig, rec : roman

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