The Musketeers fanfiction - Un complot de crétins - chapitre 2

May 04, 2019 18:54

Titre : Un complot de crétins
Auteur : Arakasi
Base : The Musketeers (BBC)
Personnages : Mazarin, Athos, Porthos, Aramis, d’Artagnan, Anne d'Autriche, le dauphin, le duc de Beaufort, la duchesse de Chevreuse, le cardinal de Retz
Résumé : “Je plains le sort de la Reine, son rang la contraint en tout. La pauvre femme ose à peine remuer quand on la fout...” Des pamphlets orduriers courent les rues de Paris. Aux mousquetaires d’intervenir pour mettre fin à ces scandaleuses rumeurs !

Blabla : Aha, je me suis remise à lire du Terry Pratchett, ces dernières semaines, et je me rends compte, a posteriori, qu’il y a peut-être une petite influence…^ ^ À part ça, je ne sais toujours pas où je vais, mais je finirai bien par le découvrir un jour, hein ? Sur ce, bonne lecture !

Un complot de crétins

Liens vers les autres chapitres : Chapitre 1

...
Chapitre 2

“Ma maman, elle est reine.

- C’est bien, ça.

- Et ta maman ?

- Reine aussi.

- C’est vrai ?”

Le petit dauphin levait la tête vers Porthos. Son col était si surchargé de dentelle que seuls en émergeaient un petit nez tout froncé et deux yeux marrons perplexes. Il ignorait visiblement s’il devait se montrer enchanté ou contrarié de cette étonnante similitude. Le mousquetaire lui rendit gravement son regard. Puis s’accroupissant sur ses talons pour mettre son large visage brun au niveau de celui du bambin :

“Vrai, confirma-t-il. Elle me l’a jamais dit, mais je le savais quand même, vous voyez ? On sait ces choses-là. Elle était reine dans un pays très lointain sur un autre continent. Vous connaissez l’Afrique ? Les éléphants, les lions, les girafes ? Ben, c’était en Afrique. Paraît que c’est très beau, l’Afrique, donc ça devait être un sacrément beau royaume, mais j’y suis jamais allé, moi. Un jour peut-être.”

L’enfant parut un peu troublé. Il avait l’air éveillé et s’exprimait très clairement pour son âge, mais ces nouvelles informations dépassaient ses capacités d’assimilation. Ce n’était peut-être pas tout à fait le langage qu’un mousquetaire devait tenir à un dauphin, mais Porthos avait été pris au dépourvu. Il était en train de somnoler debout, appuyé près de la porte du cabinet du cardinal Mazarin - une capacité qu’acquérait naturellement tout soldat après un certain nombre de gardes fastidieuses - quand le petit s’était matérialisé sous son nez. Ou en avait donné l’impression. Sur le moment, il s’était senti gêné mais cet embarras initial s’était vite dissipé. Bien sûr, être surpris par un moutard de deux ans et demi manquait de sérieux pour un militaire chevronné. D’un autre côté, si des assassins parvenaient miraculeusement à se glisser jusqu’au bureau du premier ministre, il y avait peu de chance qu’ils mesurent moins de quatre-vingt-dix centimètres, non ?

“Vous voulez savoir un secret, Altesse ?”

L’enfant hocha la tête.

“Les mamans, c’est toutes des reines.” l’informa solennellement Porthos.

Le petit dauphin trouva sans doute un fond de vérité à cette déclaration, car il adressa un sourire édenté au mousquetaire. Porthos lui sourit en retour. Se faisant, il jeta un coup d’oeil discret au dessus de la tête blonde du petit. Il était mignon, ce gosse, et manifestement désireux de discuter le bout de gras, mais est-ce qu’il n’était pas censé être gardé par quelqu’un ? Des nourrices, des précepteurs ou d’autres clampins dans ce goût-là ?

Après, ce n’était pas non plus comme s‘il avait autre chose à faire que de tailler une bavette avec un bambin royal... Un sale coup qu’Athos lui avait fait là. Si Porthos ne l’avait su l’homme le moins mesquin du monde, il aurait cru à une revanche sournoise contre une quelconque offense involontaire. Faire le planton dans une antichambre du Louvre au dallage trop bien astiqué n’était pas sa définition du bon temps. Parcourir au galop les rues de Paris pour dénicher des suspects et les molester jusqu’à qu’ils avouent leur félonie était bien plus amusant. Bon, d’accord, quelqu’un devait bien veiller sur la personne menacée du - second ? - plus puissant personnage de France, mais n’importe qui doté d’un bras vigoureux et d’un cerveau en état de marche aurait pu s’en charger. D’Artagnan ou Aramis, par exemple.

Enfin, non. Peut-être pas Aramis.

La seule justification qu’Athos avait consentie à lui donner était un “Il t’aime bien, je ne sais pas pourquoi...” Les deux hommes se trouvaient dans le bureau du capitaine des mousquetaires gris, deux ou trois heures avant l’aube. Porthos n’avait pas fermé l’oeil de la nuit. Un mousquetaire mal réveillé venait de le ramener de la taverne où il buvait tranquillement sa paie de la semaine. Le grand mulâtre avait conservé un visage soigneusement innocent sous l’oeil soupçonneux de son ami. Dans le doute, mieux valait toujours jouer les imbéciles. Peu probable qu’Athos ait entendu parler de la malheureuse partie de cartes qui l’avait opposé au premier ministre. Le petit Philippe n’était pas du genre à cafter et, même s’il l’avait été, il n’aurait jamais osé exciter la colère de Porthos. Quand on pesait vingt kilos et mesurait quinze centimètres de plus que l’intégralité de ses frères d’armes, on parvenait généralement à se faire respecter.

Mais peut-être le mousquetaire aurait-il dû l’ouvrir finalement. Sept heures qu’il piétinait devant cette foutue porte. Encore sept supplémentaires et il était certain de crever d’ennui. Alors si le moutard tenait absolument à parler de mamans et de royauté…

“C’est où, l’Afrique ?” demanda le gamin.

Porthos réfléchissait à cette épineuse question quand la porte du cabinet s’ouvrit et que le roi la franchit.

Le grand mulâtre se redressa en hâte et parvint à esquisser un garde-à-vous à peu près réglementaire sans lâcher son mousquet. En pure perte puisque Louis XIII ne lui adressa pas un regard. Pas plus qu’au petit dauphin d’ailleurs. Sa Majesté avait le visage empourpré et la bouche pincée, mais moins que quand il était entré dans l'antichambre du ministre deux heures plus tôt. Il était alors accompagné de la reine. Porthos avait éprouvé un élan de compassion pour la pauvre femme. Son teint livide contrastait violemment avec celui presque violacé de son époux et elle avait les yeux rougis par les larmes. Le petit cardinal les avait accueillis avec une gravité inaccoutumée, ignorant stoïquement les regards furieux du monarque. Une fois le battant refermé sur eux, Porthos avait enduré la tentation pendant cinq bonnes minutes avant de coller précautionneusement son oreille au loquet. Sans résultat. Ces maudites portes étaient sacrément épaisses.

Louis XIII s'éloigna à grands pas dans le corridor. L'enfant le suivit d'un oeil déconfit, visiblement chagriné de ne pas avoir été remarqué. Porthos lui tapota l'épaule pour attirer son attention.

“Eh, Altesse ? Vous voulez voir un tour de magie ?”

Le petit voulait bien.

Dix minutes et quatre pistoles escamotées plus tard, la porte s'ouvrait à nouveau, laissant passage à la reine et à Mazarin.

L'enfant se désintéressa aussitôt du mousquetaire pour courir se pendre aux jupes de sa mère. Anne d'Autriche se pencha pour le serrer dans ses bras. Elle releva la tête, vit Porthos et lui adressa un sourire reconnaissant. Ses joues étaient encore humides de pleurs mais elle semblait plus calme, une lueur douce et triste au fond du regard, plus émouvante que les cris déchirants d'une martyre. Son compagnon s'inclina pour lui pour lui parler à l'oreille et elle lui répondit dans un murmure inaudibles. Ils échangèrent ainsi plusieurs confidences à voix basse. Jugeant qu'on ne lui prêtait pas assez attention, le petit dauphin se cramponna aux robes du cardinal avec une familiarité qui aurait fait verdir Aramis et lui chuchota énergiquement quelque chose. Mazarin l'écouta avec sérieux puis hocha la tête à plusieurs reprises.

Enfin, la reine se retira avec son fils. Juste avant de quitter l'antichambre, elle se tourna vers le ministre de son époux et, saisissant ses mains entre les siennes, les étreignit avec une gratitude fervente. Porthos détourna les yeux. Foutre.

Une bonne chose, finalement, qu'Aramis ne soit pas là…

Le petit cardinal revint à pas lents à son cabinet. Il n'avait pas l'air aussi inquiet que le justifiaient les circonstances. Plutôt distrait et légèrement contrarié, pareil un joueur d'échecs absorbé par une combinaison particulièrement retorse. Il passa sans un mot devant Porthos dont le garde-à-vous commençait à mollir. Au moment de réintégrer son bureau, il se ravisa. Et se tournant vers le mousquetaire :

“Ma mère à moi était marchande de tissus. Les chemins de la destinée sont surprenants, ne trouvez-vous pas ?”

Puis il passa la porte et la ferma.

Immobile à son poste, Porthos fronçait les sourcils en tentant de déterminer si on venait de lui servir du lard ou du cochon.


Si ce matamore consanguin répète encore les mots “Je ne vois pas de quoi vous voulez parler”, je vais lui écraser la crosse de mon pistolet sur la gueule, pensa Aramis.

Une mauvaise idée. Malgré l'état de rage froide dans lequel il baignait, le mousquetaire le savait. Le duc de Beaufort avait beau être un fat orgueilleux, doté en sus de l’agaçante manie d'enchaîner les poncifs, on ne pouvait le tabasser comme n'importe quel quidam. Pas dans le monde dans lequel vivait le mousquetaire. Pour le moment, en tout cas. Depuis l'aube, Aramis avait développé des idées férocement anti-nobiliaires. Tous d'arrogants salopards au sang bleu ! À l'exception d'Athos. Et encore, ça dépendait des jours.

“Votre grâce, votre carrosse a été reconnu, répéta patiemment d'Artagnan. L'imprimeur a été formel. À moins que l'un de vos gens ne l'ait emprunté…

- Ils n'oseraient pas !”

L'idée offusquait tant le duc qu'il en bondit sur ses pieds, manquant de renverser le copieux déjeuner qu'il était en train d'engloutir quand les deux mousquetaires s'étaient présentés à la porte de son hôtel. C'était un solide gaillard que le duc de Beaufort, aussi grand que Porthos et presque aussi large d'épaules. Avec cela, un beau visage régulier et volontaire, hélas dépareillé par un nez un peu fort et des yeux trop écartés. Dressé au milieu de sa salle à manger comme un général sur un champ de bataille, il rayonnait d'assurance, de santé et de crétinerie épanouie. Pas assez bête pourtant pour ne pas réaliser qu’il venait de saborder un alibi potentiel. Il fronça les sourcils, qu'il avait noirs et très touffus, et tenta poussivement de rectifier le tir :

“Votre imprimeur se sera trompé. Ou il aura menti. Vous connaissez ces manants, des envieux cupides prêts à tout pour salir la réputation de leurs supérieurs… Moi, François de Vendôme, je me serais présenté chez un petit typographe sans nom, ni fortune ! En personne ! Et même si cette présomption n’avait été si absurde, jamais je n'aurais pu me rendre à ce supposé entretien. La goutte m'a retenu au lit toute la semaine passée. Demandez à n’importe lequel de mes serviteurs.”

D'Artagnan abaissa des yeux incrédules sur les reliefs du repas du duc. Cochonnailles, pâtés de lièvre, cuissots de venaison, saucisses luisantes de graisse…

“Je vais mieux.” lâcha abruptement le prince.

Le gascon tourna un regard implorant vers Aramis. Celui-ci haussa les épaules mais se garda de desserrer les dents. Il n'était pas certain de pouvoir contrôler ce qui pourrait en sortir.

En temps normal, il se serait chargé d'entretenir le duc, mais les deux hommes avaient sagement décidé qu'il était préférable, pour cette fois, que d’Artagnan mène les interrogatoires. De l'avis d'Aramis, il ne s'en tirait pas trop mal, mais même l'inquisiteur le plus chevronné se serait cassé les dents sur le duc de Beaufort. Il ne se donnait même pas la peine d'inventer un mensonge crédible ! Il n'en avait sans doute pas la capacité - François de Vendôme avait probablement hérité de certaines qualités de son illustre aïeul mais l'ingéniosité n'en faisait pas partie - mais n'en avait surtout nul besoin. Qui oserait l'accuser de mensonge ? Interroger le duc équivalait à lapider un nuage. Beaucoup de temps et d'énergie gaspillés, ainsi qu'une forte chance de se prendre un de ses propres cailloux sur le crâne.

Ce fut à cet instant que le duc de Beaufort commit une erreur.

Pas la première, ni la dernière, mais la plus grave. D'Artagnan venait de sortir de son pourpoint l'un des cinq milles tracts éparpillés dans Paris le matin même. Sa grâce avait consenti à prendre le feuillet entre ses mains et en lisait le contenu avec une satisfaction évidente. En relevant les yeux, il croisa ceux d'Aramis. Le mousquetaire était resté silencieux depuis leur arrivée à l'hôtel, aussi le duc ne lui avait-il guère consacré d'intérêt jusque-là. Mais Beaufort était homme à rechercher un public. Le gascon ne lui suffisant pas, il eut l'inconscience de secouer le torchon en direction d'Aramis.

“Et même si cela était…” persifla-t-il.

Un rire gras.

“ Y a-t-il quoique ce soit là-dedans qui ne soit véridique ? Les reines, ah ! Rien que des bonnes femmes comme les autres. Sous prétexte que leur mari est eunuque, les voilà toujours prêtes à se faire fourrer le con par n'importe qui ! Toutes le feu au cul dès qu'il s'agit de...

- Je suppose que vous en savez long sur le sujet, votre grâce.” grinça le mousquetaire.

Le duc parvint à avoir l'air à la fois embarrassé et outrecuidant.

“Je ne vois pas de quoi vous voulez parler.” dit-il.

Et voilà. Ce n'était pas la faute d'Aramis. Le ciel était témoin qu'il avait enduré tout ce qu'un dieu raisonnable pouvait attendre de lui en la circonstance et davantage encore. Il fit un pas en avant et prit une profonde inspiration.

D'Artagnan le devança.

Avant que son ami n'ait pu même ouvrir la bouche, le gascon avait franchi la courte distance qui le séparait du prince. Son dos obstruait la vue d'Aramis, mais celui-ci le vit lever le bras. Un mouvement vif. Suivi d'un craquement sonore et humide. Le fauteuil du duc s'abattit avec fracas sur le sol dallé quand sa grâce François de Vendôme, petit-fils du bon roi Henri, recula en piaillant, les deux mains plaquées sur son auguste visage.

Le mousquetaire basané fixait la scène, bouche béante. À l'autre bout de la salle, un serviteur médusé en laissa échapper le plateau surchargé de desserts crémeux qu’il portait. D'Artagnan lui-même paraissait légèrement étonné et abaissait un regard surpris sur son gantelet comme si celui-ci venait d'agir de sa propre initiative. Aramis laissa doucement échapper l'air de ses poumons. Du coin de l'oeil, il vit le serviteur détaler à toutes jambes, claquant la porte de la salle à manger sur ses talons.

Pas de doute, Athos allait adorer.


“Je pensais que tu approuverais.

- Ah bon ?”

A posteriori, d'Artagnan avait un peu de mal à se rappeler d'où lui était venue cette idée. Sur le moment, frapper le duc lui avait paru être la chose à faire. Et pas seulement parce que celui-ci semblait brandir en permanence une pancarte “Cognez-moi, s'il vous plaît.” C'était le cas de beaucoup de gens et le gascon parvenait généralement à s'abstenir de leur rendre ce douloureux service.

“Mais pourquoi ?” demanda Athos.

Penché au dessus de son bureau, les yeux écarquillés, il n'aurait pas paru plus stupéfait si le jeune homme s'était soudainement vu doté d'une seconde tête. Il en oubliait d'être furieux, mais d'Artagnan savait que cette omission serait vite réparée. Il voulait aussi une explication et bien que le gascon en ait une excellente à proposer - ou du moins lui avait-elle paru telle, deux heures plus tôt - il n’était pas certain que son ami l’apprécierait à sa juste valeur. Le jeune homme jeta un regard incertain en direction d’Aramis. Appuyé contre la porte, celui-ci attendait avec un intérêt manifeste la suite de l’entretien. La scène chez le duc l’avait partiellement vidé de sa colère. Sans être d’humeur rayonnante, il ne semblait plus sur le point de sauter à la gorge du premier importun venu. Une indéniable amélioration. Hélas, Athos n’y semblait guère sensible.

“J’ai cru… J’ai pensé qu’Aramis allait le frapper. Ou le provoquer en duel. Ou les deux. Qu’il tuerait sûrement le duc et ce n’est pas ce que nous voulons, non ? Je me suis dit que si j’agissais en premier, peut-être que...”

À bien y réfléchir, c’était finalement une très mauvaise explication.

“Navré.”

Athos ferma les yeux. Il appuya un coude sur la table et pinça l’arrête de son nez entre son pouce et son index.

“Non, non, c’est très bien, marmonna-t-il. Content d’apprendre que ta décision de casser le nez à un prince de sang était le fruit d’un raisonnement rationnel et approfondi.

- Je ne voulais pas lui casser le nez.

- C’est bon à savoir.

- Et je n’avais pas l’intention de le tuer, précisa Aramis. Je lui aurais juste enfoncé son bâton de maréchal dans le rectum. Il aurait appris ce que signifiaient vraiment les mots avoir le feu au cul, ce cuistre impudent.

- Ça aussi, c’est bon à savoir.”

Un court silence suivit, uniquement rompu par le tintamarre familier qui montait de la cour de la caserne en contrebas. Les trois hommes se dévisageaient en chiens de faïence. La nuit avait été mauvaise, la matinée franchement médiocre et l’après-midi encore pire. Tout laissait à prévoir que la situation continuerait à se dégrader les jours suivants. D’Artagnan regrettait l’absence de Porthos. Avec son bon sens et son égalité d’humeur inébranlables, le colosse aurait aisément trouvé un moyen de désamorcer la tension. Il chercha une plaisanterie, un bon mot, n’importe quel expédient susceptible d’arracher un sourire aux deux autres hommes… N’en trouvant aucun, il opta pour un piteux :

“Qu’est-ce qu’on va faire ?

- On remercie le ciel que Beaufort ne soit descendant de roi que par la main gauche, répliqua sèchement Athos. Et on prie pour que sa bourse soit aussi vide que le prétend le premier ministre.

- Tu fais confiance à l’italien ?” demanda Aramis d'une voix tendue.

Athos lui décocha un coup d'oeil inexpressif.

“Pour défendre ses intérêts ? Oui. Pour encaisser nos idioties ? Je n'en sais rien.”

D'Artagnan nota le nos et se détendit un peu. Quelles que soient les retombées de son soufflet malavisé, leur ami et officier les couvrirait de son influence. Il n'en avait jamais vraiment douté mais éprouvait un certain réconfort à en avoir confirmation. Un peu de honte aussi. Athos, que Dame Nature n'avait pas doté d'un tempérament particulièrement guilleret par défaut, affichait la morosité blasée de qui a été tiré de son lit au coeur de la nuit pour s'entendre annoncer que la capitale allait lui exploser à la figure au petit matin.

Cette prédiction alarmiste ne s'était pas encore réalisée - béni soit l'illettrisme de la majorité des parisiens ! - mais la rumeur courait vite, propagée par les beaux esprits des faubourgs, dont certains vraisemblablement rémunérés par une cour haineuse et assoiffée de fiel. Contrairement au petit cardinal que sa qualité d’étranger désignait naturellement à la vindict populaire, la reine était aimée et cette affection la protégerait un temps. Mais d’autres pamphlets suivraient bientôt, plus méchants, plus corrosifs, plus obscènes... Même l’attachement le plus solide ne résisterait pas longtemps à la tentation d’un mot cruel. Et après les mots, viendraient les actes. Les courtisans étaient prévisibles, le peuple ne l’était pas.

“Pour ce que cela vaut, dit maladroitement le gascon, je ne crois pas le duc impliqué. Pas dans la diffusion de cette seconde vague de pamphlets en tout cas. Il m’a paru un peu... limité.

- Con comme une pelle, traduisit Aramis.

- J’avais compris.” grogna Athos.

Ses épaules se voutèrent et il s’affaissa un peu sur sa chaise.

“Ce qui est fait est fait, soupira-t-il. Nous nous débrouillerons avec. Et je pense que vous avez raison. Beaufort suinte la malveillance, mais une malveillance incompétente. Ces feuillets n’ont pas été imprimés par Mounier.”

Il feuilleta d’une main découragée la pile de tracts qu’une bonne âme avait déposée sur son bureau. En tira un et le déplia devant lui.

“Quelqu’un se sert du duc et de l’imprimeur comme bouclier pour dissimuler ses propres manigances. Quelqu’un de plus malin et de beaucoup plus discret. Il a sous-estimé leur bêtise, cependant. Regardez. Mêmes vers, même dessin hideux, même plume surement, mais cette ridicule marque d’imprimerie manque. Beaufort est une mauvaise piste, mais c’est la seule que nous ayons.

- Il y en a peut-être une autre.” avança d’Artagnan.

Ses deux amis tournèrent vivement la tête vers lui. Athos avait l’air sceptique, Aramis avide. Le gascon déglutit et se racla prudemment la gorge.

Pas question de gaffer sur ce coup-là.


La journée de Porthos avait été interminable. À l’exception de la brève discussion avec le petit dauphin en début d’après-midi, il avait passé la majorité de sa garde à compter les fleurs de lys sur le plafond à dorures en tentant de ne pas piquer du nez trop ouvertement. Presque trente-six heures s’étaient écoulées depuis qu’il avait quitté son lit pour la dernière fois. C’était long, même pour une constitution aussi solide que la sienne. Dieu merci, son calvaire touchait à sa fin. Par une des hautes fenêtres de l’antichambre, il pouvait voir le soleil se couchait sur les toits irréguliers de la ville. Quand il aurait totalement disparu, Porthos serait relevé et pourrait enfin rentrer chez lui et se pieuter - non sans avoir préalablement asticoté Aramis sur le bon déroulement de son enquête et ses affaires de coeur inavouables. On avait le sens des priorités ou on ne l’avait pas !

Le porte du bureau s’ouvrit et Mazarin en sortit. Il resta un instant immobile sur le seuil de son cabinet, les mains enfouies dans les plis de ses robes rouges. Porthos lui trouva les traits un peu tirés, les yeux vacants… Puis le premier ministre croisa le regard du grand mulâtre et toute préoccupation disparut aussitôt de ses traits.

“Ah, signore Porthos ! s’exclama-t-il gaiement. Rude journée ?

- Longue, éminence.

- La mienne aussi, la mienne aussi...”

Le petit cardinal caressa sa moustache bien taillée et esquissa son fin sourire de renard.

“Une petite partie de cartes ?” proposa-t-il.

Porthos haussa un sourcil.

“Pour l’honneur ?

- Bien entendu.”

Le colosse lui rendit son sourire.

“Alors, ce sera pas de refus, éminence.”

theme : cape et d'épée, fanfic : the musketeers

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