Je pense que vous êtes un certain nombre à avoir entendu parler de l'ACTA, l'accord commercial anti-contrefaçon qui vient d'être signé à Tokyo par l'Union européenne et 22 de ses États Membres, dont la France (
lien).
On en dit beaucoup de choses :
un député européenLa quadrature du netUn site créé sur mesure pour s'y opposerUn article qui dément quand même quelques rumeurs alarmistes Comme j'ai fini par trouver un peu suspect les propos alarmistes (dont certains se répètent beaucoup), j'ai fouiné pour trouver la source, c'est à dire le vrai texte de l'accord.
On peut le lire
ici.
(L'accord proprement dit commence après les mots "ANNEXE")
Voici le plan du texte :
Chapitre I: Dispositions initiales et définitions générales
Section 1: Dispositions initiales
Section 2: Définitions générales
Chapitre II: Cadre juridique pour faire respecter les droits de propriété intellectuelle
Section 1: Obligations générales
Section 2: Mesures civiles
Section 3: Mesures à la frontière
Section 4: Mesures pénales
Section 5: Moyens de faire respecter les droits de propriété intellectuelle dans l’environnement numérique
Chapitre III: Pratiques en matière de respect des droits
Chapitre IV : Coopération internationale
Chapitre V : Arrangements institutionnels
Chapitre VI: Dispositions finales
Comme sur internet, on parle surtout de l'impact sur internet (^^)...
Section 5: Moyens de faire respecter les droits de propriété intellectuelle dans l’environnement numérique
Article 27 : Moyens de faire respecter les droits de propriété intellectuelle dans l’environnement numérique
1. Chaque Partie fait en sorte que sa législation comporte des procédures destinées à faire respecter les droits de propriété intellectuelle, telles que celles qui sont énoncées à la section 2 (Mesures civiles) et à la section 4 (Mesures pénales) , de manière à permettre une action efficace contre tout acte portant atteinte aux droits de propriété intellectuelle qui se produit dans l’environnement numérique, y compris des mesures correctives rapides destinées à prévenir toute atteinte et des mesures correctives qui constituent un moyen de dissuasion contre toute atteinte ultérieure.
2. Outre ce qui est prévu au paragraphe 1, les procédures de chaque Partie qui sont destinées à faire respecter les droits s’appliquent aux atteintes portées au droit d’auteur ou à des droits connexes sur des réseaux numériques, ce qui peut comprendre l’utilisation illicite de moyens de diffusion à grande échelle en vue de porter atteinte à de tels droits. Ces procédures sont appliquées de manière à éviter la création d’obstacles aux activités légitimes, y compris au commerce électronique, et qui, en conformité avec la législation de cette Partie, préserve des principes fondamentaux comme la liberté d’expression, les procédures équitables et le respect de la vie privée[17].
3. Chaque Partie s’efforce de promouvoir, au sein des milieux d’affaires, des efforts de coopération destinés à contrer les atteintes portées aux marques de fabrique ou de commerce et au droit d’auteur ou à des droits connexes tout en préservant la concurrence légitime et, en accord avec la législation de cette Partie, les principes fondamentaux comme la liberté d’expression, les procédures équitables et le respect de la vie privée.
4. Une Partie peut prévoir que ses autorités compétentes seront habilitées, en conformité avec ses lois et réglementations, à ordonner à un fournisseur de services en ligne de divulguer rapidement au détenteur du droit des renseignements suffisants pour lui permettre d’identifier un abonné dont il est allégué que le compte aurait été utilisé en vue de porter atteinte à des droits, lorsque le détenteur du droit a présenté des allégations suffisantes sur le plan juridique, relativement à une atteinte à une marque de fabrique ou de commerce ou au droit d’auteur ou à des droits connexes, et lorsque ces renseignements sont demandés aux fins de la protection ou du respect de ces droits. Ces procédures sont mises en œuvre d’une manière qui évite la création d’obstacles aux activités légitimes, y compris au commerce électronique, et qui, en conformité avec la législation de cette Partie, préserve les principes fondamentaux comme la liberté d’expression, les procédures équitables et le respect de la vie privée.
5. Chaque Partie prévoit une protection juridique appropriée et des sanctions juridiques efficaces contre la neutralisation des mesures techniques efficaces[18] qui sont mises en œuvre par les auteurs, les artistes interprètes ou exécutants ou les producteurs de phonogrammes dans le cadre de l’exercice de leurs droits à l’égard de leurs œuvres, de leurs interprétations ou exécutions et de leurs phonogrammes et qui restreignent l’accomplissement d’actes à cet égard qui ne sont pas autorisés par les auteurs, les artistes interprètes ou exécutants ou les producteurs de phonogrammes concernés ou permis par la loi.
6. Dans le but de prévoir la protection juridique appropriée et les sanctions juridiques efficaces visées au paragraphe 5, chaque Partie prévoit au moins une protection contre:
a) dans la mesure où sa législation le prévoit:
i) la neutralisation non autorisée d’une mesure technique efficace exécutée en le sachant ou en ayant des motifs raisonnables de savoir; et
ii) l’offre au public par voie de commercialisation d’un dispositif ou d’un produit, y compris des logiciels, ou encore d’un service comme moyen de contourner une mesure technique efficace; et
b) la fabrication, l’importation ou la distribution d’un dispositif ou d’un produit, y compris des logiciels, ou la prestation d’un service qui:
i) est conçu ou produit principalement en vue de contourner une mesure technique efficace; ou
ii) n’a aucune application importante du point de vue commercial si ce n’est la neutralisation d’une mesure technique efficace[19].
7. Pour protéger l’information sur le régime des droits sous forme électronique[20], chaque Partie prévoit une protection juridique appropriée et des sanctions juridiques efficaces contre toute personne commettant de façon délibérée et sans autorisation l’un des actes suivants en sachant ou en ce qui concerne les mesures correctives civiles en ayant des motifs raisonnables de savoir que cet acte aura pour effet d’inciter, de permettre, de faciliter ou de dissimuler une atteinte à un droit d’auteur ou à des droits connexes:
a) supprimer ou modifier l’information sur le régime des droits sous forme électronique;
b) distribuer, importer pour distribution, diffuser, communiquer, ou mettre à la disposition du public des exemplaires de l’œuvre, des interprétations ou des exécutions, ou des phonogrammes, en sachant que l’information sur le régime des droits sous forme électronique a été supprimée ou modifiée sans autorisation.
8. Lorsqu’elle prévoit une protection juridique appropriée et des sanctions juridiques efficaces en vertu des dispositions des paragraphes 5 et 7, une Partie peut adopter ou maintenir des limitations ou des exceptions appropriées aux mesures mettant en œuvre les dispositions des paragraphes 5, 6 et 7. Les obligations énoncées aux paragraphes 5, 6 et 7 sont sous réserve des droits, limitations, exceptions ou moyens de défense relatifs aux atteintes portées au droit d’auteur ou à des droits connexes prévus par la législation d’une Partie.
[17] Par exemple, sous réserve de la législation d’une Partie, par l’adoption ou le maintien d’un régime prévoyant des limitations de la responsabilité des fournisseurs de service en ligne ou des mesures correctives contre eux, tout en préservant les intérêts légitimes du détenteur du droit.
[18] Pour l’application du présent article, mesure technique s’entend de toute technologie ou de tout dispositif ou composant qui, dans le cadre normal de son fonctionnement, est conçu pour prévenir ou restreindre l’accomplissement, à l’égard d’œuvres, d’interprétations ou d’exécutions ou de phonogrammes, d’actes qui ne sont pas autorisés par les auteurs, les artistes interprètes ou exécutants ou les producteurs de phonogrammes, conformément à ce que prévoit la législation d’une Partie. Sous réserve de la portée du droit d’auteur ou des droits connexes prévue par la législation d’une Partie, des mesures techniques sont réputées efficaces lorsque l’utilisation d’œuvres, d’interprétations ou d’exécutions ou de phonogrammes protégés est contrôlée par les auteurs, les artistes interprètes ou exécutants ou les producteurs de phonogrammes grâce à l’application d’un contrôle de l’accès ou d’un processus de protection tel le chiffrement ou l’embrouillage, ou un mécanisme de contrôle de la copie, qui permet de réaliser l’objectif de protection.
[19] Lors de la mise en œuvre des paragraphes 5 et 6, une Partie n’est pas tenue d’exiger que la conception d’un produit électronique de consommation, d’un produit de télécommunication ou d’un produit informatique, ou la conception et le choix des parties et composants d’un tel produit, prévoie une réponse à une mesure technique particulière, pourvu que le produit ne contrevienne pas d’une autre manière aux mesures de mise en œuvre de ces paragraphes.
[20] Pour l’application du présent article, information sur le régime des droits s’entend:
a) de l’information qui identifie l’œuvre, l’interprétation ou l’exécution, le phonogramme, l’auteur de l’œuvre, l’artiste interprète ou l’exécutant, le producteur du phonogramme ou tout autre titulaire d’un droit sur l’œuvre, l’interprétation ou l’exécution, ou le phonogramme;
b) de l’information sur les modalités de l’utilisation de l’œuvre, de l’interprétation ou de l’exécution, ou du phonogramme; ou
c) de tout numéro ou code représentant l’information décrite aux alinéas a) et b) ci-dessus,lorsque l’un quelconque de ces éléments est joint ou à un exemplaire de l’œuvre, de l’interprétation ou de l’exécution, ou du phonogramme ou apparaît en relation avec leur communication ou la mise à disposition du public d’une œuvre, d’une interprétation ou d’une exécution, ou d’un phonogramme.
Bon, le texte est dense, alors je ne l'ai pas encore analysé à fond (ai-je d'ailleurs les compétences pour le faire, je n'en suis pas sure). Par contre, certaines allégations lues sur le net me paraissent nettement exagérées.
La responsabilité des FAI
On affirme que cela va rendre les FAI responsables de ce qu'elles font transiter et qu'elles devront tout contrôler (
dans ce film, par exemple).
Moi, dans le texte de l'accord, je vois : (je fais des coupures j'ajoute des précisions et je graisse pour aider à la compréhension) :
"Ces procédures [destinées à faire respecter les droits ] sont appliquées de manière à éviter la création d’obstacles aux activités légitimes, y compris au commerce électronique, et qui, en conformité avec la législation de cette Partie, préserve des principes fondamentaux comme la liberté d’expression, les procédures équitables et le respect de la vie privée[ renvoi vers la note 17].
[17] Par exemple, sous réserve de la législation d’une Partie, par l’adoption ou le maintien d’un régime prévoyant des limitations de la responsabilité des fournisseurs de service en ligne ou des mesures correctives contre eux, tout en préservant les intérêts légitimes du détenteur du droit."
Pour moi cela veut dire que les procédures mises en place doivent préserver la vie privée et la liberté d'expression, par exemple en limitant la responsabilité des fournisseurs de service en ligne, ainsi que les mesures correctives menées contre eux.
On peut rétorquer que la limitation de la responsabilité des fournisseurs est simplement présentée comme un exemple, pas obligatoire. Certes, mais un pays veut responsabiliser les FAI, il n'a pas besoin de l'ACTA pour le faire. Et par ailleurs, il se trouve qu'on a une loi, en France, qui dispose que la responsabilité du FAI n'est engagée que si le fournisseur n'a pas mis hors ligne un contenu illégal précis qu'on lui a signalé ou dont il aurait eu connaissance. C'est dans la loi pour la confiance dans l'activité numérique, la
LCEN (analyse de la LCEN par un avocat).
Or la plupart du temps, les FAI peuvent prouver qu'ils n'ont pas connaissance de ce qu'ils hébergent (et ils retirent les contenus qu'on leur signale expressément).
Les obligations des Founisseurs de service
Une Partie peut prévoir que ses autorités compétentes seront habilitées, en conformité avec ses lois et réglementations, à ordonner à un fournisseur de services en ligne de divulguer rapidement au détenteur du droit des renseignements suffisants pour lui permettre d’identifier un abonné dont il est allégué que le compte aurait été utilisé en vue de porter atteinte à des droits, lorsque le détenteur du droit a présenté des allégations suffisantes sur le plan juridique
En gros, une fois qu'il est prouvé qu'un l'IP a porté atteinte à des droits, le FAI doit indiquer à qui l'IP correspond.
En fait, cela existe déjà. C'est une obligation qui pèse aussi sur les fournisseurs de lignes téléphoniques. Quelque part, je ne vois pas comment la police pourrait faire son boulot si ce n'était pas le cas. Par contre, cela doit être encadré pour qu'on ne puisse pas espionner la ligne de n'importe qui (c'est comme les écoutes téléphoniques. Cela doit être sous le contrôle d'un juge, justifié par les besoins d'une enquête, sinon, c'est illégal).
D'ailleurs HADOPI a prouvé que notre droit ne tolère pas qu'on coupe une ligne sans la décision d'un juge. Cette disposition a été retirée après le contrôle du Conseil Constitutionnel. (passage modifié le 7/2/12)
Pour en revenir à l'ACTA, le fait que l'on exige des allégations suffisantes sur le plan juridique que le compte a été utilisé pour porter atteinte à de droits est le contraire du "on considère tout le monde comme coupable et on surveille toutes les transactions internet" qui est soutenu sur certains sites.
La pénalisation de l'utilisation et transmission des outils pour contourner la loi
Chaque Partie prévoit une protection juridique appropriée et des sanctions juridiques efficaces contre la neutralisation des mesures techniques efficaces qui sont mises en œuvre par les auteurs
Ouais, là c'est vrai, la France s'engage à rendre illégale l'utilisation d'un logiciel pour craquer les DRM par exemple et de mettre en place des sanctions efficaces. Bon, c'est pas que ça me plait, mais c'est assez logique avec l'interdiction.
Les sanctions
Il est aussi dit sur internet que le problème de ce texte, c'est les sanctions, qui ne sont pas graduées (en gros, on traite le quidam qui télécharge un film comme les traficants de faux sacs Vitton).
J'admets, j'ai pas lu en détail la partie des sanctions pénales et civiles.
Par contre, je sais qu'en France, il faut qu'une infraction pénale soit définie, qu'on y ait attaché une peine particulière et que ce soit paru au journal officiel pour qu'on puisse vous infliger une sanction. Il faut que ce soit voté au Parlement (oui, vos députés que vous votez pour).
En tout cas, en lecture rapide, il n'y a aucune sanctions précises prévues par le texte, on ne peut rien appliquer avant que les députés votent des sanctions précises pour des actes précis. Oui, nous vivons malgré tout dans un état de droit.
Conclusion
Ne me faites pas dire ce que je n'ai pas dit.
Je trouve anormal qu'on ne mette pas davantage les produits culturel à disposition sur internet à des prix qui permettent de les acheter. Je trouve révoltant qu'on reverse en règle général aussi peu de recette aux artistes. Tout le système est à revoir, c'est certain.
Ce serait super si on mettait en place une sorte de mégaupload légal, générant des bénéfices par la pub et les abonnements pour télécharger plus vite, et qui serait reversé aux auteurs au prorata de ce qui est téléchargé.
Ce serait bien aussi que les états arrêtent de diaboliser internet et tentent de trouver un vrai équilibre entre la liberté d'expression et de création, et la necessité de limiter certains comportements malhonêtes et criminels.
(Non, je ne suis pas pour la liberté totale. La liberté totale, c'est la négation de l'autre. Je suis pour autant de liberté possible pour que celle des autres soient préservées.)
Concernant l'ACTA, la manière dont l'accord a été écrit semble assez bizarre (secret, personnes consultées pas assez pluralistes) et la façon dont cela a été voté sans permettre de débat populaire éveille la suspicion.
Par contre, il ne faut pas faire dire à ce texte ce qu'il ne dit pas.
Si je me trompe et qu'il est liberticide, je veux bien le reconnaitre, mais seulement si on me montre quel passage précis pose problème et peut entrainer des applications dangereuses. Et je le lirai pour me faire ma propre opinion.
Parce que autant je veux défendre l'Internet que j'aime, celui qui permet le partage, la liberté de parole (dans la limite du respect des autres), et la création, autant je refuse de me laisser manipuler. Même par les défenseur d'internet.
Moi, ce que j'en tire, c'est que le danger, il est dans notre Parlement, pas dans un texte international. La plupart du temps, quand le gouvernement dit qu'il vote un texte impopulaire parce qu'il est "obligé par Bruxelles" c'est du pipeau. Soit c'est carrément faux (il va bien au delà du texte), soit c'est lui qui a proposé et signé le texte européen (des fois les deux, même).
Là, ça sera pareil. Ce sera pas le texte qui obligera à quoique ce soit, mais simplement votre gouvernement qui le proposera et vos députés qui le voteront.
Si on doit défiler, c'est contre les lois liberticides qui ont été votées et qui sont sur le point de l'être au niveau national. Alors, je ne sais pas encore si j'irai à la manif contre l'ACTA. Ça mérite réflexion.
Et vous ?