Personnages : Brian Kinney, principalement, un peu de Michael, de Justin et de Debbie.
Fandom : Queer as Folk US
Thème : 1. Cinq nuances de blanc
Rating : PG-13 pour le langage et une scène de sexe, pas vraiment décrite ...
Disclaimer : Je ne touche rien, rien ne m'appartient, tout appartient à Cowlip, etc.
Note : Pas de spoiler pour cette fic, ni de référence précise à un ou des épisodes. Je me base sur certains événements qui sont mentionnés dans la série mais qui n'ont jamais été détaillés. Pas la peine non plus d'avoir vu lesdits épisodes où ils sont mentionnés, ça n'aide en rien à la compréhension !
Sinon, le titre est vraiment nul, mais la fic raconte cinq histoires différentes qui n'ont pas vraiment de lien entre elles, à part montrer que Brian a de gros problèmes affectifs *rires*, donc je n'ai rien trouvé de mieux.
Je tiens à préciser qu'au départ, je devais faire un fic extrêmement courte, de cinq paragraphes. Non voilà, c'est juste pour dire que je suis vraiment incapable d'écrire des drabbles. Celui qui arrivera à tout lire aura un susucre ! ^^
CINQ FOIS BRIAN KINNEY
1. Une robe blanche.
A Pittsburgh, il y avait des quartiers résidentiels, ni luxueux, ni insalubres, juste des alignements de maisons ni belles ni laides, habitées par des gens moyens. La route n'était pas très cabossée, mais elle n'était pas non plus fraîchement bitumée. Toutes les demeures avaient le même style, la même hauteur, la même largeur de terrain à l'avant et à l'arrière. Les couleurs variaient parfois, ou étaient plus ou moins prononcées, selon si les habitants avaient les moyens et la motivation d'entretenir la façade. Toutes étaient délimitées par de jolies barrières blanches, qui avaient tout juste la hauteur des bosquets, pour ceux en ayant.
Il y avait le numéro 611. Une maison parfaitement identique aux autres. Sa façade était d'un blanc éclatant, car elle venait d'être achetée par un couple, avec deux enfants. L'homme était représentant en assurances, ou quelque chose comme ça, et voyageait beaucoup, à bord d'une grosse Dodge. La femme ne travaillait pas, et élevait ses enfants. Elle sortait peu, si ce n'était le dimanche, pour aller à l'Eglise, quelque fois en semaine pour prier avec ferveur, pour chercher ses enfants à l'école et pour faire les courses, toujours le mardi, parce que c'était le mardi que les deux enfants vaquaient à leurs activités extra-scolaires. Elle sortait bien peu autrement, et on ne lui connaissait pas d'amies.
La fille aînée, Claire, avait quatorze ans, le visage peu expressif, et les traits grossiers. Elle parlait trop fort, faisait beaucoup de caprices, et faisait tout pour avoir l'attention des autres, surtout celle de son père. Elle pratiquait la peinture sur soie, le mardi, après les cours, mais elle n'était pas très adroite, et risquait d'abandonner très vite. Elle abandonnait régulièrement les activités qu'elle entreprenait, et souffrait d'inconstance. Elle n'était pas non plus très douée à l'école. Finalement, c'était peut-être à cause de sa stupidité et de son manque de grâce, qu'elle faisait tout pour attirer l'attention, écrasant souvent son plus jeune frère au passage.
Le garçon avait lui dix ans. Contrairement à Claire, il parlait peu, et ne faisait généralement rien pour se faire remarquer. C'était un beau garçon, au teint légèrement hâlé, qui pourtant ne tenait ça, ni de son père, ni de sa mère. Ses cheveux châtains étaient perpétuellement ébouriffés, malgré les efforts de sa mère pour les coiffer dignement. Ses yeux sombres semblaient toujours en colère. Il était très bon élève, à l'école, mais ses professeurs se plaignaient de son attitude. Il s'asseyait au fond de la salle de classe, ne semblait écouter qu'à moitié les leçons, participait rarement aux activités de groupe, répondait avec insolence aux remarques des adultes et cherchait la bagarre avec les autres garçons de son âge. Il n'avait pas d'ami. Mais il était sportif, beau et intelligent, alors on n'arrivait pas à lui reprocher grand-chose. Et personne ne savait ce qu'il avait au juste.
Un mardi, il était rentré plus tard qu'habituellement de son entraînement de foot. Il n'aimait pas particulièrement faire du sport, mais en faisait quand même, peut-être parce que c'était ce que tous les garçons de son âge faisaient, peut-être parce qu'il avait entendu son père dire une fois que les vrais hommes en faisaient, peut-être parce qu'il s'ennuyait. Ou qu'il n'aimait pas rentrer à la maison directement après l'école. Il se battait souvent avec deux ou trois garçons de l'entraînement, toujours les même, mais on le gardait dans l'équipe, parce qu'il était bon. Il ne prenait pas de plaisir à jouer, mais ça le défoulait, et il ne pensait à rien tant qu'il courait. Et même si aucun des garçons n'était son ami, quand il était parmi eux, cette sensation de froid et d'étouffement qui le gênait sans cesse, s'atténuait légèrement.
Ce mardi-là, après avoir quitté les vestiaires, il n'avait pas trouvé sa mère, qui généralement l'attendait, avec impatience, lui intimant sévèrement de se dépêcher. Elle l'emmenait alors à la voiture, sans mot dire ni lui demander comment ça s'était passé, à moins de chercher à savoir s'il s'était encore battu. Sur la banquette arrière, Claire l'attendait, et commençait aussitôt à le titiller ou à se moquer, n'importe quoi pourvu que ça se termine en bagarre entre le frère et la soeur. Leur mère les laissait se battre, et ne finissait par intervenir qu'au moment où la voiture s'engageait dans l'allée de leur maison, avec un ton si glacial que plus aucun des enfants ne daignait prononcer un mot de plus, de leur repas du soir au moment d'aller se coucher.
Il était très rare que sa mère ne vienne pas. Cela n'arrivait que ponctuellement, quand son père n'était pas en voyage. Généralement, il ne lui restait qu'à prendre le bus, et s'il avait manqué le dernier, à rentrer à pied. C'était ainsi que le garçon rentra particulièrement tard, ce soir-là, après avoir traversé en se dépêchant une partie de la ville. Il vit la Dodge d'un vert pomme passé de son père, garée à la suite de la voiture de sa mère, sur l'allée. A l'étage, la lumière brillait de la chambre de Claire et il apercevait sa silhouette, assise devant sa fenêtre, immobile. Au rez-de-chaussée, pas de lumière, si ce n'était la lampe de bureau de son père.
Il rentra silencieusement, prenant garde à ne pas claquer la porte. En traversant le vestibule, il regarda craintivement dans la direction du bureau de son père. La lumière filtrait du jour de la porte, mais aucun bruit n'en émanait, à part le cliquetis d'une verre et d'une bouteille s'entrechoquant. Il retint son souffle et se dirigea vers les escaliers, tentant d'être à la fois rapide et silencieux, et essayant de ne pas prêter attention aux battements affolés de son coeur. Avec un frémissement, ses mains effleurèrent le bois glacé de la rampe d'escaliers, et pendant un instant, il se crut hors de portée. La voix rauque et légèrement brisée de sa mère l'arrêta dans son mouvement.
"Tu as une excuse pour rentrer aussi tard, Brian ?"
Il tourna la tête et distingua vaguement la silhouette de sa mère, échevelée, et portant une robe blanche. Elle se tenait debout dans le salon, toutes lumière éteintes, et son teint pâle paraissait cadavérique sous la lumière artificielle des reverbères de la rue, qui atteignaient l'obscure salle de séjour par les fenêtres. Elle n'avait pas l'air en colère, mais il ne pouvait réellement lire son visage. Il tenta de se calmer et déglutit difficilement avant de répondre.
"J'étais au foot. Tu as oublié de venir me chercher ... Je ... J'ai manqué le bus.
- Ah oui, c'était aujourd'hui ... dit-elle d'une voix distraite. Ta soeur a déjà mangé. Elle est partie faire ses devoirs. Tu devrais monter te changer et poser tes affaires pendant que je te prépare quelque chose."
Brian hocha la tête mais ne fit aucun mouvement. Sa mère ne prêta plus attention à lui, et rejoignit lentement la cuisine. En allumant la lumière vive, elle eut un mouvement de recul, et cligna des yeux plusieurs fois, pour s'habituer. Son oeil était poché. Sa lèvre inférieure fêlée. Machinalement, elle ouvrit le réfrigérateur, mais au moment d'y saisir quelque chose, elle se retint soudain et se retourna totalement vers son fils, qui n'avait pas bougé. Sa robe blanche normalement immaculée était tâchée de sang.
"Au fait, ne fais pas de bruit. Ton père travaille."
2. Une serviette humide
Mr Henry avait la trentaine, et c'était l'un des plus jeunes professeurs du Collège Hardis, de Pittsburgh. C'était aussi le plus séduisant. En plus d'avoir le corps athlétique d'un professeur de gym, il arborait un sourire charmeur et des yeux très noirs, comme deux billes d'ébène, dans lesquels on n'aurait su lire ni contentement, ni mécontentement. L'une des raisons de son succès auprès des femmes du corps enseignant de Hardis, mais également auprès des jeunes filles fréquentant ses cours, ce n'était pas seulement sa beauté et sa séduction. Il dégageait en plus tout un mystère et donnait l'impression d'être inaccessible. Le plus étonnant était qu'il n'avait pas une réputation de tombeur, au contraire. Il déclinait généralement toutes les avances, même les plus généreuses, que lui faisaient les femmes, et on ne lui connaissait aucune épouse ni fiancée.
Brian savait pourquoi. Un dimanche, Michael et lui s'étaient introduits dans l'enceinte de leur établissement pour voler dans le bureau de Mr Cuddihy, leur professeur d'Histoire, les sujets de leur prochaine interrogation sur la Guerre d'Indépendance. Le samedi, Brian avait voulu forcer Michael à l'accompagner à une fête de lycéens puis à picoler une bouteille de Jim Beam qu'il avait chapardée à son père. Pour convaincre son ami, qui voulait réviser le contrôle pendant le week-end, il lui avait promis de lui passer les sujets, omettant bien sûr de préciser qu'il ne les avait pas. Les deux garçons, à peine remis de leur cuite de la veille, se retrouvaient alors un dimanche matin à s'introduire dans les couloirs de leur collège, cherchant à ouvrir la porte du bureau de Cuddihy.
Michael n'arrêtait pas de pester et de gémir, répétant sans cesse qu'ils allaient se faire prendre et se faire virer et aller en prison et devenir des délinquants et qu'il finirait par se faire renier par sa mère et par mourir dans un règlement de comptes entre dealers de drogues. Pour qu'il la ferme et pour qu'il puisse se concentrer sur l'ouverture de la porte, Brian avait fini par lui ordonner vertement de sortir, et d'essayer d'entrer dans le bureau de l'extérieur, en ouvrant la fenêtre.
En réalité, Brian n'avait pas mis beaucoup de temps à crocheter la serrure. Il était habitué à l'exercice, à force de crocheter l'armoire de son père dans son bureau, pour trouver des cigares ou de l'alcool. Parfois, quand il craignait que le vieux Jack ne le découvre, il entrait par effraction dans des maisons voisines pour y piquer de l'alcool, ou voler des merdes qu'il pourrait revendre pour s'acheter de l'herbe. Quand le fils de la vieille Perkins était dans les parages, il se contentait de passer par la fenêtre, pour lui en voler. Toujours était-il qu'il avait une certaine habileté pour ouvrir les portes récalcitrantes.
En quelques minutes, il était parvenu à ses fins, et pénétrait dans le bureau sentant la naphtaline de Cuddihy. Et c'était arrivé à ce moment-là, il fouillait dans ses affaires, et venait de mettre la main sur les sujets quand il avait entendu des voix. Pendant un moment, il avait cru que Mikey s'était fait prendre, mais les voix se rapprochaient et il s'agissait de deux voix jeunes d'hommes, qui riaient. L'un était son professeur de gym, Mr Henry, et il n'avait jamais vu l'autre, un homme plus jeune, mince et aux cheveux longs. Le plus jeune avait dit "T'es sûr qu'on ne se fera pas prendre ? Inutile de te causer des emmerdes pour rien ..." et Henry avait répondu avec assurance "Aucun risque, c'est vide le dimanche. Et t'es pas le premier mec qui a envie de le faire dans une salle de classe : un fantasme courant. Sûrement parce qu'on avait trop peur de sortir du placard à l'époque du lycée ...".
Et c'était ainsi, sous le regard à la fois excité et incrédule de Brian, qu'il avait observé depuis la porte entrouverte du bureau de Cuddihy, son professeur de sport défoncer un autre type. Le spectacle le plus fascinant qu'il ait vu de toute sa vie. Une image qui resterait gravée dans sa mémoire jusqu'à sa mort. Malheureusement, il n'avait pas pu tout regarder, interrompu par Michael qui frappait à la fenêtre du bureau de Cuddihy. Persuadé que son ami ne saurait rester discret, il ne lui avait rien dit, et ils étaient tous les deux partis discrètement, les sujets en poche. Brian ne les regarda pas, de toute façon il était brillant et certain de réussir, alors il les avait donnés à Michael puis était rentré directment chez lui, sans rien mentionner de ce qu'il avait vu.
Cette nuit-là, il n'avait cessé d'y penser, de se repasser le film dans sa tête. Ca l'excitait tellement qu'il s'était masturbé deux fois dans son lit, se redessinant sans cesse les mouvements de son professeur, la façon dont son corps se courbait, et réagissait. Il était persuadé qu'il n'existait rien de plus beau au monde. Brian savait qu'il était gay. Il le savait depuis longtemps et avait commencé à se branler en pensant à d'autres garçons plus d'un an auparavant. Mais quelque chose l'avait toujours empêché de passer à l'acte. Peut-être l'idée que le vieux Jack l'apprenne, et cette fois-ci, ce ne serait plus sur sa mère qu'il cognerait.
Il l'avait dit à Michael. Pas vraiment parce qu'il avait confiance en lui, mais parce qu'il savait, avec une absolue certitude, qu'il en était. Il ne pouvait pas en être autrement. Ou si Michael n'était pas gay, il était au moins Brianophile, parce qu'il l'admirait avec une dévotion qui n'avait rien de platonique, ni d'amical. Brian le sentait, qu'il le regardait toujours, quand il se changeait devant lui, ou dans les vestiaires après le sport. Et Michael le cachait très mal, en plus de ne pas savoir mentir. Alors il lui avait dit comme ça, une fois, "Je suis homo, Mikey.", mais ce n'était pas un aveu, ni une révélation, il voulait juste voir sa réaction, son trouble. Comme il l'avait suspecté, Michael en avait été plus que troublé, et ses regards en coin admiratifs n'avaient fait que redoubler depuis ce moment-là.
Comme il savait qu'il faisait de l'effet à Michael, il avait pensé plusieurs fois à essayer avec lui, pour voir comment c'était, ce qu'on ressentait. Au bout d'un an, il en avait assez de s'astiquer le manche, et voulait que ce soit réel, sans tout à fait oser aller au bout. Le problème était qu'il n'avait pas envie d'apprendre en même temps que Michael. Il n'avait pas envie qu'ils soient sur un pied d'égalité. En réalité, il voulait continuer à le troubler et à se faire admirer. Il se sentait plus fort de cette façon, quand il avait les choses en main. Alors il laissait le temps passer, se disant que son moment viendrait un jour ou l'autre. Et il est venu.
Michael lui avait proposé de déjeuner avec lui au Dinner où travaillait sa mère, entre deux cours. Brian lui avait dit de partir devant, parce qu'il avait oublié son sac dans les vestiaires, après les cours de sports. Et c'était arrivé. Mr Henry, le professeur de gym pédé comme un foc et à qui Brian pensait presque toutes les nuits depuis trois semaines, était là, et prenait sa douche, juste à côté. Il regarda sa silhouette se savonner avec une envie furieuse qui lui monta à la tête, fit battre son coeur à une vitesse survoltée et pris d'une montée d'adrénaline, il ne réfléchit pas, retira tous ses vêtements et le rejoignit sous la douche.
Mr Henry prononça son nom avec calme, comme s'il n'était pas surpris. Brian regarda son corps musculeux si attirant et parfait, qu'il avait aperçut brièvement ce jour-là, caché dans le bureau de Cuddihy, et puis qu'il s'était imaginé des dizaines de nuits. Il le revoyait enfin, goûtant chaque détail, et le toucha, son abdomen, sa descente de reins, ses fesses. Le professeur ne disait rien mais le laissait faire. Brian n'aurait su dire à quoi il pensait, puisque de toute façon il n'avait pas levé les yeux vers son visage une seule fois, se contentant d'admirer son corps. Il n'avait pas peur. Il frôla d'une main son érection, et c'est en entendant son professeur pousser un gémissement étouffé, qu'il sut exactement ce qu'il devait faire. Il s'agenouilla et le suça, d'abord lentement, puis goûlument.
Après, Brian sourit longuement. Un sourire de satisfaction. Il venait de comprendre deux choses qui allaient devenir capitales dans sa vie : d'abord, il aimait ça et ensuite, il en voulait plus, encore plus, toujours plus et ne se sentirait probablement jamais rassasié. Avec un sang-froid pour lequel il s'était admiré des semaines encore après ce jour, il avait quitté la cabine de douche et s'était rhabillé. Henry en avait fait de même, en silence, au début. Il avait saisi cette serviette blanche et l'avait nouée autour de ses hanches. Et puis, Brian s'en souviendrait toujours, il s'était mis dans cette posture si familère, celle avec laquelle il faisait ses cours généralement, les bras croisés et le dos bien droit. Il avait juste dit ceci :
" C'est la première et dernière fois que ça arrive, Kinney. Tu es trop jeune pour moi. Tu es un élève. N'y vois rien de spécial, d'accord ? Je sais qu'à ton âge, ce n'est pas facile, on a envie de beaucoup de choses et on ne peut pas toutes les avoir. On ne devient pas un homme si facilement. Dis-toi que c'était la première leçon d'un cours sans fin. Ne t'en fais pas : t'as du cran et tu es beau garçon. Tu en trouveras des tas d'autres, de ton âge."
Brian se contenta de le remercier, et puis partit en courant, pour rejoindre Michael. Il lui raconta tout aussitôt, et les deux garçons ne parlèrent que de ça pendant des semaines. Brian ne rêve que de ça pendant des semaines. Il rêva de ce corps qu'il avait touché, caressé, goûté, ce corps qu'il se remémorait dans tous les détails, enserré dans cette serviette blanche. Des semaines, jusqu'à ce qu'il y en ait un autre. Et puis encore un autre. Et infiniment. Et quelques semaines de plus après ce jour-là, il oublia le corps du professeur de gym, ne se souvenant plus que vaguement de cette serviette blanche nouée autour de sa taille et de quelques mots "Tu en trouveras d'autres". Il en trouva un nombre infini.
3. Un mouchoir et des lemon bars *
"Reviens ici, petit con !"
La voix autoritaire de Debbie l'avait arrêté au moment où il franchissait la porte. Il s'arrêta net. Brian n'obéissait que rarement aux autres, il n'en voyait pas l'intérêt. Mais il était très difficile de dire non à la mère de Michael. Pas parce qu'elle faisait peur _ même si de toute évidence elle faisait souvent peur, au moins à son fils en tout cas _ mais parce qu'elle avait cette façon unique de continuer à être affectueuse et et chaleureuse, y compris lorsqu'elle tempêtait et grommelait. Tout était maternel chez Debbie Novotny. Tout était débordant de vie. La mère de Brian ressemblait à un cadavre ambulant à côté d'elle. Et surtout, Debbie aimait les gens. Quoiqu'elle fasse, qu'elle force à engloutir des tonnes de pates, qu'elle crie, qu'elle fasse la morale ou qu'elle embrasse, chacun de ses gestes étaient motivés par de l'affection. Alors sans pourvoir s'en empêcher, Brian écoutait.
"Maman ... C'est pas la faute de Brian ... tenta maladroitement Michael, la tête penchée en arrière pour empêcher ses saignements de nez.
- Putain de Marie Joseph ! MON FILS qui cherche à protéger BRIAN KINNEY. Comme c'est étonnant. Avec toi, rien n'est jamais de sa faute ! DIS-MOI TU TE JETERAIS DU HAUT D'UN PONT S'IL TE LE DEMANDAIT ?
- Mais maman ... C'est pas ça ... C'est juste qu'on était au mauvais endroit au mauvais mo ...
- Oh la ferme ! Une chose est sûre, ce n'est pas cette petite cervelle qui va me devenir avocat, parce que laisse-moi te dire que les arguments de la défense laissent à désirer. Surtout quand on les a déjà entendu vingt fois. Alors maintenant, vas te laver le visage et monte dans ta chambre en attendant que je décide de ta punition !"
Michael hésita, tremblant devant la colère de sa mère, mais regardant en même temps le visage insolent et en sang de Brian. Il ne voulait pas abandonner son ami. Brian soupira et haussa les épaules avant de détourner la tête. Finalement, sous le regard sévère et implacable de sa mère, Michael finit par obéir et grimpa les escaliers à toute vitesse. Une fois seule avec Brian, Debbie soupira et lui tendit un mouchoir blanc. L'adolescent le saisit avec stupeur, se demandant pourquoi elle faisait ça au début, puis se souvint de la sensation désagréable du sang coulant de son arcade sourcillière. Il tamponna sa blessure mais n'était pas dupe devant le gentil geste de Debbie. Elle se contenait, mais restait furieuse.
" A nous deux, Kinney. Tu te rends compte dans quoi tu as impliqué mon Michael ? C'était inconscient ! Vous auriez pu finir à l'hôpital tous les deux ! Tu es irrécupérable !
- Ca surprend quelqu'un ?"
Debbie le dévisagea sans mot dire un long moment, se demandant probablement si elle devait crier ou faire tout le contraire. Brian avait beau lui taper sur le système, elle l'aimait, à sa façon. Puis, tout en pestant et marmonnant, elle se dirigea vers sa cuisine et en ressortit avec un plat de lemon bars, le forçant à en manger, soi disant qu'il avait besoin de reprendre des forces. Quand il s'agissait de nourriture, il préférait ne pas discuter avec elle, certain de perdre, alors il mangea, en silence.
" Au fait, dit-il en finissant la dernière bouchée, probablement.
- De quoi tu parles ?
- Mikey. Si je lui demandais de se jeter du haut d'un pont, il le ferait probablement.
- Oh merde. T'es vraiment une petite raclure, toi ! Et tu te crois malin ?"
Brian ne put s'empêcher d'éclater de rire, mais il ne savait pas si c'était par satisfaction ou pour l'expression de Debbie, à la fois outrée et blasée.
"Pourtant vous savez que j'ai raison !
- Et ça te plaît, hein ? Ouais, sûrement, t'as probablement raison ... Petit con. J'ai toujours su, dès le début, que tu attirerais des ennuis à Michael, mauvaise graine !
- Hum les arguments du procureur laissent également à désirer, surtout quand on les a déjà entendus vingt fois.
- Incroyable, c'est que t'es un petit con et un petit malin à la fois. Qu'est-ce que je vais faire de toi, sale gosse ?
- Vous n'avez rien à faire Debbie. Vous n'êtes pas ma mère.
- Pourtant t'es un gosse intelligent, poursuivit-elle, sans relever. J'aime mon Michael, tu sais, je l'aime plus que ma vie, c'est un gosse qui a un coeur gros comme ça, mais il n'est pas très brillant, je sais qu'il ne fera pas de grandes études. Pourtant je suis presque sûre qu'il va mieux tourner que toi. Tu n'as pas peur de gâcher ta vie comme ça, à faire n'importe quoi et à chercher tout le temps la bagarre ? Ca ne t'a pas suffi de te faire renvoyer du lycée à cause de ce pauvre garçon à qui tu as brisé les doigts ?
- Il l'avait cherché. D'ailleurs je ne lui ai rien brisé du tout, ce n'est pas de ma faute si la porte de son casier s'est violemment refermée sur ses doigts.
- Oh mon dieu, Brian."
Debbie se laissa tomber sur un fauteil, et lui intima d'un ton qui ne souffrait aucune discussion, de s'asseoir également.
"Comment ça se passe dans ton nouveau lycée ?
- Ils se ressemblent tous. C'est moins marrant, sans Michael.
- Vous passez déjà trop de temps fourrés ensemble à mon goût ... J'ai vu ta mère, récemment.
- Ma mère ? Les seules fois où elle sort de la maison c'est pour aller ... Qu'est-ce que vous foutiez à l'Eglise ?"
Concentré et ennuyé à l'idée que Debbie ait parlé à sa mère, il n'avait pas vu venir la grosse taloche qu'elle lui flanqua derrière le crâne, ce qui n'était pas rare.
"Surveille ton langage avec moi, tête de con ! Et à ton avis, pourquoi j'étais à l'Eglise ? Pour prier, tiens ! Pour Michael, mon frère et ma soeur, ma mère ... Même pour toi parfois, sale gosse. Je suis une bonne catholique moi.
- Vous aimez peut-être Dieu, mais comme vous travaillez dans le quartier pédé de la ville, je doute qu'Il vous garde une place au Paradis.
- Oh tu sais, entre ce que disent ces enfoirés qui interprètent à leur sauce la Bible, et ce que veut vraiment Notre Seigneur ... T'en fais pas, va, il y a de la place pour tout le monde au Paradis. S'Il t'a fait comme tu es, c'est qu'Il t'aime ainsi.
- Qu'Il m'aime ou pas, qu'est-ce que ça peut me faire ?
- A toi, rien, mais moi ça m'aide à dormir sur mes deux oreilles. Ta mère aussi, d'ailleurs.
- C'est qu'une vieille bigote."
Cette fois-ci, il l'avait vue venir, mais il ne broncha pas quand Debbie le frappa.
"Un peu de respect pour ta mère. Elle n'est pas parfaite, mais elle t'aime.
- Elle aime personne. Et puis je m'en fous de toute façon.
- Ecoute, sale gosse, je sais que tu es en colère, surtout contre tes parents, mais ça n'y changera rien d'aller chercher la bagarre avec des enfoirés de skinheads.
- Ils ont commencé. Ils nous ont traités Michael et moi de pédales.
- Ouais, ben c'est ce que vous êtes.
- Vous savez ce que je veux dire.
- Ouais je sais. Mais dis-toi bien que des enfoirés comme ça, il y en a des tas, des pires et des moins pires. Je pense même, ayant vécu un certain nombres d'années de plus que toi, qu'il y en a dans le monde sûrement plus que de gens bien. Alors si tu as l'intention de tous leur défoncer la tête, tu risques de mourir d'épuisement avant tes dix-huit ans, petit con. Si tu veux vraiment le leur mettre profond, pense plutôt à arrêter tes conneries et à faire quelque chose de ta vie. Tu peux aller loin, et leur montrer à tous ce qu'un pédé peut faire."
Brian ne répondit rien. Elle avait raison, mais il ne pouvait jamais s'empêcher de devenir dingue, quand on le traitait comme une merde. C'était ça, être un homme. Et puis contrairement à tous, il ne se faisait pas de soucis pour son avenir. Il ignorait de quoi il était fait, mais il était certain qu'il ne croupirait pas dans un job à la con, avec un salaire minable, comme son père. Il ne ferait jamais rien comme ses parents, ces enfoirés hypocrites. Ses parents ...
"Vous allez prévenir mes parents ? demanda-t-il, irrité.
- Je devrais. Mais j'imagine que ça leur ferait poser trop de questions, pas vrai ?
- De toute façon vue ma tête, ils vont comprendre que je me suis battu.
- Eh bien tu n'auras qu'à leur raconter le bobard que tu veux. Tu refuses toujours de leur dire ?
- Ce ne sont pas leurs affaires.
- Un jour ou l'autre il faudra que tu leur dises. Mais t'es encore mineur, j'imagine que tu n'as pas envie d'être foutu à la porte, pas vrai ? ... Moi j'ai toujours su pour Michael. Ca n'a jamais été un problème pour moi. Enfin, sauf la première fois qu'il t'a ramené ici : un fils gay c'est bien tant qu'il ne s'entiche pas d'une tête à claques dans ton genre. Mais ce n'est pas facile pour tous les parents. Ma mère a cru mourir quand elle a su pour mon frère Vic. Surtout une italienne, catholique. Depuis ce jour, pour Mama Grassi, elle n'a plus que des filles. Le plus important, sale gosse, c'est que tu sois honnête avec toi-même je suppose. En tout cas, ils n'ont pas l'air de se douter de quoi que ce soit. Ta mère m'a dit l'autre jour que tu sortais avec une fille. Lindsay, c'est ça ? Si c'est une pauvre fille que tu embobines pour avoir une couverture je ...
- C'est une lesbo. Famille riche, protestante, etc. Elle a peur que papa et maman ne l'aiment plus si jamais ils l'apprenaient ... On se rend mutuellement service. C'est pas que j'aie besoin d'une couverture, mais depuis ça m'évite les conseils graveleux du vieux Jack sur la façon d'attraper les nanas. Et puis la fille est sympa. Coincée, mais ... C'est toujours mieux que tous ces snobs dans cette foutue école privée.
- Petit con ..." répéta-t-elle dans un dernier soupir.
Debbie ne rajouta rien de plus, lui fourra deux autres lemon bars dans la poche avant de le renvoyer chez lui. Il rentra à pied, les mains dans les poches. Les skinheads avaient défoncé sa moto, qui lui avait coûté la moitié de son salaire dans cet idiot de vidéo club. Il dirait à son père que c'était une bagarre de bar, et le vieux Jack lui répondrait qu'au moins il se battait comme un mec, à défaut de valoir quelque chose. Sa mère ne dirait rien. Elle ne disait plus grand-chose en fait. Sale garce frigide. Glaciale. Même pour se mettre en colère elle était incapable de la moindre passion, du moindre sentiment. C'était tous des morts-vivants.
Il se tourna vers la maison des Novotny. Dans le salon, Debbie se tenait près de la fenêtre et le regardait partir. Il pouvait parier qu'elle était morte d'inquiétude pour lui. A l'étage, Mikey faisait de même et le salua. Il détourna les yeux et courut le plus vite possible pour s'éloigner de cette maison. Ce n'était que lorsqu'il fut hors de vue qu'il fouilla dans sa poche pour retrouver le mouchoir blanc de Debbie, légèrement tâché de son sang, et dans lequel il avait enveloppé les deux lemon bars.
4. Un biberon de lait
Brian se demandait ce qu'il faisait. C'était la première fois depuis longtemps qu'il se posait des questions, ou qu'il se remettait en cause, se demandant "Et après ?". Il avait choisi d'éviter soigneusement tout contact prolongé avec quiconque. Ca ne servait à rien de s'attacher aux gens, parce qu'ils finissaient tous par en attendre bien trop de lui. Or Brian ne voulait être responsable de personne. C'était plus facile de hausser les épaules et de se détourner des gens. Il avait appris très jeune qu'on ne pouvait pas trop en demander, même à ses proches, et qu'il valait mieux y renoncer au risque d'être inévitablement déçu.
Il était passé entre les gouttes. Il vivait et pensait seul. Et puis tout s'était basculé soudain. Il y avait cet ado qu'il avait dépucelé, comme ça, sans y penser ni songer un instant qu'il le reverrait. Mais six mois plus tard il était toujours là et ne semblait pas pressé de s'en aller. Brian ne savait pas comment le faire partir et avait plus ou moins renoncé. Le gamin finirait par se casser les dents en voulant de lui ce qu'il ne donnait à personne. Ce n'était qu'une question de temps. Mais s'il n'y avait que lui ...
Gus remua légèrement dans ses bras. Il regarda ce gosse, son gosse, et comme à chaque fois qu'il posait son regard sur lui, il sentait tout lui échapper. L'instant d'avant il contrôlait tout, et savait tout et rien ne pouvait l'atteindre. Et puis il tenait son fils, le regardait, et devenait le plus parfait des ignorants. Il ne s'attendait pas à ça. Comment aurait-il pu imaginer ça ? Il était assis dans son loft, avec un putain de bébé dans les bras, que Lindsay lui avait confié pendant qu'elle partait en week-end afin de raviver la flamme avec sa chère et tendre, et lui, il donnait du putain de lait à son putain de fils dans un putain de biberon. Il restait muet devant cet être qui avait besoin de lui, et qui était tellement minuscule et à la fois tellement plein de vie. Il n'arrivait pas à expliquer ce sentiment.
Presque deux ans auparavant, il avait été pris dans un piège que lui avaient tendu Lindsay et Melanie. Les camionneuses savaient y faire, c'était certain. Elles voulaient un gosse ? Tant mieux pour elles. Une nouvelle âme innocente qui allait naître dans un monde de merde. Elles avaient besoin d'un donneur pour la conception ? Sans rire, lui qui pensait que Lindsay était la putain de Vierge Marie. Elles voulaient qu'il soit le donneur ? Merde, arrêt sur image. "Allez vous faire foutre". C'était en substance ce qu'il leur avait répondu, et en y repensant, il aurait dû en rester là.
Mais Lindsay avait insisté, et l'avait harcelé, oui il était beau, oui il était brillant, oui elle l'aimait et ce serait un magnifique bébé. Il n'aurait jamais dû céder, mais ce n'était pas facile de résister face aux assauts perpétuels de deux lesbiennes obstinées. Même Melanie, qui pourtant ne pouvait pas le blairer, et avait dû piquer une centaine de crises pour que Lindsay change d'avis sur le nom du donneur, était un jour venue le voir, le suppliant, presque en larmes, parce que Lindsay ne voulait personne d'autre, et qu'elles en voulaient tellement de cet enfant.
Et il avait lâché l'affaire. Pour lui, faire des bébés, fonder une famille, c'était une connerie sans nom. Pour ce qu'il avait vu et connu du monde dans lequel il vivait, il pensait qu'il valait mieux après y naître, y vivre vite et fort, se brûler, et crever jeune avant de se donner envie de vomir. Mais c'était pas facile de dire non à Lindsay. Peter a-t-il jamais refusé quoi que ce soit à Wendy ? Et puis après tout, s'était-il dit, ce n'était pas ses affaires. Il se contenterait d'aider Lindsay et le reste ne le regarderait plus, mais elle et Melanie. Lindsay était géniale avec les gosses. Et Melanie avait beau être une conne, elle débordait sûrement de ce putain d'instinct maternel.
Alors ok. Peu importait. Il n'y avait pas du tout réfléchi au début, n'avait jamais pensé à la personne qui allait naître de cette décision. Il ne s'était rien passé de spécial. C'était un soir où il avait échoué dans la backroom du Babylon, comme presque tous les soirs. Un type dont il ne connaissait pas le nom et ne se rappelait plus du visage l'avait sucé. Ce n'était pas si mal, d'après ses vagues souvenirs, mais pas non plus exceptionnel. Au moment de jouir, il l'avait repoussé, et sans plus le regarder ni se soucier de lui, il avait giclé dans ce bocal à la con que lui avait refilé Lindsay.
Il était passé vite fait chez les lesbiennes, pour leur donner le fruit de son dur labeur, et était reparti aussitôt, parce qu'un australien bien monté et ramassé à l'extérieur du Babylon l'attendait dans sa Jeep. Des semaines après, Lindsay lui avait annoncé la nouvelle, folle de joie, et il pouvait encore revoir ses yeux briller, son sourire plus large que jamais, et ses joues légèrement rougies sur son visage habituellement pâle. Il s'en était plus ou moins foutu, c'était ce qu'elle voulait, pas lui. C'était la mère, il n'était rien. Il estimait avoir juste rendu service à une amie, et le reste ne le concernait plus.
Et puis les mois avaient passé, la vie du gamin avait grandi en elle. Melanie, cette garce de mauvaise foi, était méconnaissable, presque douce et Lindsay semblait très heureuse. Il ne s'en préoccupait pas. Un jour, il était passé chez elles, sans raison, pour une connerie, et avait trouvé Lindsay en pleurs parce qu'elle était épuisée, et qu'elle n'était pas sûre d'y arriver, et qu'un gosse élevé par deux lesbiennes dans le monde tel qu'ils le connaissaient aurait plus de difficultés, et qu'elle n'était pas certaine de devenir une bonne mère, etc. Elle s'était défoulée, et avait exprimé sa trouille immense d'un seul coup, sans s'arrêter, parce qu'elle s'était retenue devant Melanie pendant des semaines.
Brian n'était pas doué pour ça, il préférait ne pas être responsable des autres, les laisser dans leur merde et s'occuper de gérer la sienne. Mais il détestait voir sa Wendy pleurer. Alors il avait essayé de la calmer, à sa façon, de lui dire qu'elle s'en sortirait bien, que si des hétéros à la con réussissaient à élever des gosses, des lesbos pouvaient le faire aussi bien, ou aussi mal, mais que ce n'était pas la question. A court d'arguments, et se sentant mal à l'aise dans ce rôle, il avait conclu, avec ironie :
"Si tu merdes, ton mari est avocat de toute façon, t'arrachera la garde du gosse et tu n'auras plus à t'en faire.
- Tu vois, avait-elle crié, redoublant de pleurs, en plus tu détestes Mel ! Deux des parents de cet enfant ne s'entendent même pas ! On n'y arrivera jamais.
- Mais je suis pas son père moi. C'est ton enfant. Et celui de Melanie, pauvre gamin. Si tu arrives à la supporter jour après jour, tu peux tout faire. Vous ne serez pas pires que d'autres parents."
Et puis Lindsay avait fini par se calmer, et s'était sentie assez soulagée d'avoir vidé son sac. Elle lui avait dit, comme ça, sans trop insister pour ne pas l'effrayer, que si elle l'avait choisi lui plutôt qu'un autre, c'était parce qu'elle voulait qu'il ait un rôle dans la vie de son fils. Il l'avait envoyée balader, comme d'habitude, mais malgré ce qu'il avait dit, quelque chose avait changé ce jour-là. Il s'en faisait un peu plus pour Lindsay, irritait Melanie en lui disant de cesser de faire sa conne égoïste pour la ménager. Il leur avait même dit une fois ou deux que si elles avaient besoin d'aide financière après la naissance, il leur filerait un coup de main. Après tout, il avait réussi et s'apprêtait à passer d'ici un an ou deux associé dans une des plus grosses agences du pub de la ville. Autant que son fric lui serve à quelque chose.
Quand Lindsay arriverait à terme, il lui avait même dit de l'appeler. Pas vraiment pour lui, mais pour elle. Et puis une nuit Gus était né. C'était devenu réel, et finalement, il était plus qu'impliqué. Tout était différent. La première fois qu'il avait vu son fils, il avait pensé à la fois avec amertume et avec stupéfaction, que tout était noir désormais. Il avait l'impression de n'avoir rien accompli avant.
Et oui, qui aurait cru qu'il aimerait ce gamin, et qu'il deviendrait un père, un vrai ? Un père qui allait tout merder, parce qu'honnêtement, les Kinney font de très mauvais pères et ne savent pas faire de bons fils. Gus allait sans doute bien tourner, après tout c'était Lindsay et Melanie qui allaient élever. Un duo de lesbos souvent irritantes, mais qui semblaient douées pour ça. Et puis un jour Gus se rendrait compte, en grandissant, que son père n'était rien d'autre qu'un enfoiré.
"Ne compte pas trop sur tes vieux, Sonny Boy** ... lui murmura-t-il avec lassitude. On ne peut compter sur personne. N'attends pas trop de moi ..."
Le bébé resta calme, réagissant à la voix de son père avec un gazouillis satisfait. Brian se sentait dépassé, et frustré, aurait voulu hurler que ce n'était pas sa place, qu'il ne pouvait pas prendre de responsabilité sur cet enfant, qu'il n'était capable que de le démolir. Mais il était minuscule, se nourrissait de ce putain de lait et avait irrémadiablement besoin de lui. Il ne comprenait pas à qui il avait à faire. Mais dans quelques années, lui aussi le haïrait.
5. Sa peau
Justin avait le sommeil lourd, et ce n'était pas plus mal parce que Brian aurait détesté qu'il se réveille et le voit comme ça. Il détestait quand il baissait sa garde et faisait ce genre de choses, comme le regarder dormir. Il ne savait même pas pourquoi il faisait ça, et commençait à se trouver ridicule. Il n'aurait jamais fait ça avant. Mais depuis quelques temps, il ne pouvait s'en empêcher. Depuis que Justin était revenu, quand il se réveillait la nuit ou qu'il n'arrivait pas à dormir, il restait là un moment, et se contentait de ça. Et c'était ça le plus effrayant. Il lui suffisait d'un rien, du néant, de le voir près de lui, et il se sentait complet, comme s'il n'existait rien d'autre qu'il puisse voir ou faire, rien qui n'arriverait à le faire se sentir plus à sa place, ou plus entier. C'était agaçant.
Il était complètement incapable de l'admettre, ou de le montrer d'une façon ou d'un autre. Ou plutôt il le refusait. Mais ça ne comptait pas parce qu'il était transparent. Où était passé son "Je ne crois pas en l'amour, je ne crois qu'en la baise ?". Justin avait-il tout fait disparaître dans son sillage ? C'était assez décevant, de constater que c'était ce type-là qui avait réussi à briser sa devise, sa philosophie de vie. De l'extérieur il ne semblait rien y avoir de spécial en lui. Pourtant il y avait tout. Peut-être qu'il ne croyait toujours pas en l'amour, mais seulement en Justin.
Son visage pâle semblait empli de paix quand il dormait, mais il n'était pas non plus très exalté éveillé. Il se dégageait de lui une maturité et une compréhension constante de son monde qui le rendaient presque sage. Presque. Brian se réinstalla plus confortablement sur le côté, et l'observa encore, l'écoutant respirer, et se retenant de frôler sa peau si pâle qu'elle était presque blanche. Il ne se fatiguait jamais de sa peau, et aurait voulu encore, pour la millième fois, la toucher, se l'approprier, mais ne voulait pas le réveiller. Surtout pas comme ça.
Il ne devrait pas être en train de faire ça. Il ne devrait pas s'exposer comme ça. Pourtant il ne pouvait pas s'empêcher de le regarder. A chaque fois ses tripes se retournaient, il ne se sentait plus sur terre, ni nulle part ailleurs, il se sentait différent. C'était violent. Parfois il lui suffisait de regarder et il en éprouvait tant d'adoration que ça lui donnait envie de hurler et de tout casser. Et puis d'autre fois, quand tout l'emmerdait, et que rien n'allait, poser ses yeux sur lui ou l'entendre lui parler avec calme lui suffisait à reprendre contrôle de lui-même. Il ne comprenait pas ce que Justin avait de spécial, tout ce qu'il savait, c'était qu'il avait besoin de lui tout le temps, de le regarder, de l'entendre et de le toucher, inlassablement.
Il se demandait parfois ce que Justin faisait là. Pourquoi il était resté. Pourquoi il n'avait pas fui, ou renoncé, comme n'importe qui l'aurait fait, comme Michael avait fini par le faire. C'était vrai qu'il était bon au lit, et beau, et riche. Mais ce n'était pas que ça. Justin voyait quelque chose en lui qui le faisait toujours revenir, mais il ne savait pas quoi. Il n'arrivait pas à comprendre son regard, cette façon qu'il avait de voir les choses d'une façon totalement différente de celle des autres. Justin n'était pas rêveur ni fantasque. C'était peut-être l'être créatif en lui qui redessinait tout selon ses désirs, et c'était ça qui le faisait avancer jour après jour dans ce monde où il était à la fois étranger et intégré.
Un artiste pose souvent regard différent. Il parlait des choses à sa manière, et elle était unique. Quand il dessinait ou qu'il peignait, tout changeait. Brian ne comprenait pas ce que le regard d'artiste de Justin voyait, tout ce qu'il savait c'était que d'une façon étrange il rendait les choses qu'il esquissait ou posait sur une toile plus belles. Comme pour tout le reste, Justin posait son regard sur lui, et de sa manière unique et étrange, il y voyait quelque chose qui n'existait probablement pas, mais qui lui suffisait. Et il restait près de lui. Parfois, quand il le regardait, ou l'embrassait, ou lui faisait l'amour, il se sentait fini, se disait qu'il pourrait en mourir. Mais il avait une meilleure idée finalement. Il pourrait ne plus jamais le laisser partir, et vivre, peut-être.
Fin.
*lemon bars : en fait je ne sais pas comment traduire ça, ce doit être typiquement américain donc j'ignore si ça a un nom en français
** sonny boy : la façon dont Brian appelle son fils dans la série, là encore je n'ai été satisfaite par aucune traduction donc j'ai laissé tel quel.