May 28, 2007 14:23
La ville où résident les Sôma n’est pas parmi les plus grandes ou les plus réputées, mais elle met un point d’honneur à célébrer, une fois par an, la littérature et la culture en organisant son propre Salon du Livre. Ainsi chaque année, au mois d’octobre, se réunissent les auteurs de la région pour célébrer comme il se doit la rentrée littéraire. Et ici comme ailleurs, les saisons culturelles se suivent, mais ne se ressemblent pas. Sinon, Shigure ne se donnerait pas la peine d’y aller, même en qualité d’auteur invité. Mais comme cela lui donne une nouvelle occasion de faire enrager son éditrice - et aussi de manger à l’œil - il attend généralement cet évènement avec impatience.
Une chose ne change pas par contre : Ayame et Hatori viennent toujours le voir, la plupart du temps témoins impuissants de ses frasques. Le Serpent ne manque pas un rendez-vous car il trouve tout cela très drôle, et le Dragon le fait plutôt pour essayer de limiter les dégâts (et ne pas avoir le suicide de l’éditrice de son cousin sur la conscience). Ils arrivent donc en fin d’après-midi, quand la foule est moins importante et que le risque de transformation est minimisé. Ayame déplie le programme des évènements du salon qu’une hôtesse vient de lui offrir, et il cherche la localisation la plus probable de l’auteur canin.
« D’après ce qui est écrit, Shigure a une séance de dédicace dans dix minutes au stand B5…
- Donc on sait où il ne faut pas chercher
- Tu lis dans mes pensées, Tori-chan. On le trouvera sans doute…
- … Au stand des mangas pour adulte.
- Encore une fois tu m’ôtes les mots de la bouche ! »
Ils traversent donc rapidement la plus grande partie du hall, évitant soigneusement le stand B5 où une file d’attente conséquente commence à se former. Un peu à l’écart, ils trouvent sans peine le rayon sur lequel leurs soupçons s’étaient portés. Mais aucune trace de ce vieux pervers de Shigure. Légèrement interloqués - quoi ! Cette année, leur cousin aurait mis en place une véritable stratégie pour échapper à tout type de poursuivant ! Décidemment, il n’y avait vraiment que pour contrarier les gens qu’il était doué de réflexion - les deux hommes élargissent leur champ de recherche.
C’est Hatori qui le débusque non loin, retranché près de la machine à café, visiblement très occupé à draguer une jeune et jolie lycéenne. Le satyre comprend bien vite qu’il est coincé et pourtant salue avec un sourire décontracté le médecin qui vient d’être rejoint par Ayame.
« Alors Tori-chan, Aya-chan, vous vous amusez bien ?
- Shigure… se contenta de soupirer Hatori, légèrement désespéré.
- Ah, mais vous tombez bien ! J’étais en train de discuter avec Ma-chan, enchaîna-t-il en désignant la lycéenne qui rougit jusqu’à la racine des cheveux, à propos de cette machine à café.
- Oh, vraiment ?
- Ne soit pas si sceptique Tori-chan, enfin ! Je disais donc que nous parlions de cette machine à café, car elle est en panne. Je ne sais pas ce qu’elle a, on dirait que quelque chose est coincé. C’est embêtant, j’avais vraiment besoin d’un bon expresso pour recharger mes batteries.
- Mon pauvre Shigure, si tu étais à ce point noyé dans ta détresse, pourquoi ne m’as-tu point appelé ? Tu sais bien que je serais toujours là pour te secourir !
- Ayame, tu joues son jeu…
- Oh, Aya-chan ! l’interrompit Shigure, des étoiles plein les yeux, si tu savais combien ton attention me touche ! Si seulement tu pouvais mettre au profit de l’ensemble de notre communauté dépendante à la caféine tes doigts de fée. Je suis sûr que tu es le seul capable ici de nous sauver d’une affreuse et redoutable crise de manque.
- Ne t’en fais pas Shigure, répondit le nouvellement promus super héros, visiblement ému, je vous sauverai tous ! Dussé-je y laisser la vie, je ne pourrais jamais abandonner mes semblables dans la détresse du manque de caféine ! Je ne me le pardonnerais jamais ! »
Joignant le geste à la parole, il bondit jusqu’à la cruelle machine à café refusant de délivrer le sacro-saint breuvage, meilleur ami des auteurs en perdition et/ou censés être en pleine séance de dédicace. Hatori, après avoir poussé un énième soupir désapprobateur, s’approche à son tour. Après tout, il doit bien avouer qu’il est intrigué par cette panne plus qu’énigmatique. Et puis il vaut sans doute mieux éviter de laisser Ayame toucher à cette pauvre machine sans une étroite surveillance. Shigure s’écarte gracieusement pour laisser un champ d’action suffisamment large à ses cousins. Toujours avec classe, il en profite également pour s’enfuir sans demander son reste.
*****
Une bonne vingtaine de minutes plus tard, Ayame et Hatori ont finalement rouvert la chasse au Shigure démissionnaire. Après s’être acharnés pendant dix bonnes minutes à examiner sous tous les angles la machine à café soi-disant défectueuse, les deux cousins ont fini par tenter de faire fonctionner l’appareil pour tenter d’obtenir plus de détail sur la nature de la défaillance. Apparemment, elle était simplement inexistante puisqu’Ayame eut le droit à un délicieux petit café serré, sucré à point. Hatori s’était maudit, comme si une malédiction à la fois ne suffisait pas, de ne pas avoir pensé à vérifier d’abord si la machine était effectivement en panne. Encore une fois, Shigure les avait eus. Mais ils auraient leur vengeance !
C’est donc en ruminant maintes promesses de tortures plus ou moins sadiques et douloureuses que Hatori parcoure la tente principale. Ayame prend plutôt les choses du bon côté et semble ravi de pouvoir visiter ce haut lieu de la culture littéraire. Même si cela fait au moins trois fois qu’il repasse devant le coin enfant. Le Serpent s’extasie d’ailleurs sur la grosse peluche de Mogeta qui est actuellement en train de raconter une histoire à tout un parterre de mômes visiblement subjugués. Alors que le grand blond commence à s’installer sur une chaise trois ou quatre fois trop petite pour lui, Hatori, qui commencerait presque à perdre patience, le tire par le bras pour l’emmener plus loin. Visiblement Shigure n’est pas là, alors il ne sert à rien de s’attarder ici ! Ce n’est pas comme si c’était lui à l’intérieur du costume de Mogeta !
Et là, un doute. Un peu dans le registre « horrible pressentiment qu’on espère de tout cœur être faux, parce que vraiment, ce serait trop bête ». Hatori fait marche arrière en courant, Ayame sur les talons. Leurs soupçons se révèlent justes cette fois-ci : le costume de Mogeta gît à terre, abandonné au milieu des enfants interloqués et qui se demandent qui c’était, ce grand monsieur en kimono gris qui est parti en courant. Les deux poursuivants ont un instant de découragement devant la nouvelle victoire de leur cousin. Shigure : 2 - Hatori et Ayame : 0.
*****
Une bonne dizaine de minutes s’étaient encore écoulées, et toujours aucune piste quant à la nouvelle cachette que s’était dégoté Shigure. Hatori est de plus en plus inquiet pour la pauvre éditrice de son cousin, songeant qu’à chaque minute qui passe son espérance de vie diminue encore un peu. Il espère que, si jamais elle tente de se suicider, il y aura au moins une personne assez sensée pour l’aider et détacher la corde. Enfin, il vaut tout de même mieux retrouver l’écrivain fuyard avant qu’elle en arrive à ce genre d’extrémités. C’est plus sûr.
Ayame, lui, commence à se lasser de cette course poursuite. Un vrai gamin, qui se désintéresse d’un jeu aussi vite que celui-ci lui a plu. Son regard ne s’accroche plus à chaque étalage coloré, puisqu’il les a déjà vus dix fois. De toute façon, ils n’ont pas le temps de s’y attarder, alors c’est légèrement frustrant. Il pousse un soupir et s’arrête finalement, fatigué d’avoir tant marché. Hatori se retourne, un sourcil levé. Mais il laisse le blond parler, bien qu’il ne s’attende pas à quelque chose de constructif de sa part.
« Hatori ! Pourquoi on repasse encore par là ? C’est au moins la cinquième fois. Ma nature princière ne me permet point de tels efforts : mes pieds sont endoloris, ma peau moite, mes…
- J’ai compris. Qu’est-ce que tu veux ?
- Je désire aller me rafraichir aux toilettes. Et puis c’est le seul endroit où on n’a pas encore cherché. »
Le médecin n’a pas d’autre choix que d’accepter. Et puis la remarque est loin d’être idiote : Shigure ne peux pas s’être évaporé, et pourtant il n’est nulle part. Il emboite donc le pas à Ayame qui est déjà parti, d’un pas beaucoup plus allègre du coup, en direction des sanitaires. De toute façon, au point où ils en sont, ils n’ont pas grand-chose à perdre. La chance allait peut être enfin tourner en leur faveur ? Et puis ce n’est pas loin après tout. D’ailleurs, ils y sont déjà.
Ayame fait la moue en voyant que l’unique cabine est occupée, mais il prend, pour une fois, son mal en patience en s’appuyant avec grâce contre le mur vert amande des toilettes. Hatori jette un coup d’œil sous l’évier pour vérifier que Shigure ne se cache pas là-dessous. Et puis soudain un rire caractéristique s’élève depuis l’autre côté de la cloison des WC. Ayame bondit, et Hatori manque de se cogner la tête contre le lavabo. Ce rire… ils le reconnaitraient entre mille ! C’est celui de Shigure !
Sans bruit, le blond tire de sa poche une longue aiguille et s’approche de la porte. Hatori se colle à son tour contre la mince cloison et approuve silencieusement la démarche de son cousin. Tous deux se tendent vers cette satanée serrure. Elle ne tardera pas à sauter ! Le dernier rempart entre eux et leur proie. Proie qui n’a cessé de leur échapper, et qui maintenant se retrouve coincée. Aucune issue ne lui est laissée. Enfin ! La fin d’une longue et épuisante traque ! La main d’Ayame tremble un peu, il repasse une mèche derrière son oreille.
Le loquet cède. D’un geste triomphale, Ayame repousse avec violence l’innocent battant qui claque avec fracas contre l’autre cloison constituant les toilettes. Hatori lui aussi affiche un sourire vainqueur - carnassier ? Shigure les regarde un instant, visiblement surpris d’être ainsi découvert dans ce qui semble être devenu son QG. Hypothèse impliquée par le fait qu’il soit toujours habillé - ce qui n’est pas particulièrement conseillé pour une utilisation courante des toilettes - et la pile de mangas à ses pieds. Dans ses mains, le dernier volume du Paradis du Batifolage, preuve qu’ils avaient finalement bien fait de le chercher au rayon des mangas pour adultes. C’est le Serpent qui prend la parole le premier :
« Ah Shigure ! Enfin nous découvrons ta cachette grâce à mon sens inné de la déduction et de l’enquête policière ! Mais cette fois tu ne pourras pas t’échapper. Ne crois pas pouvoir encore une fois abuser de ma bienveillante et aveugle confiance à ton égard !
- Comment peux-tu penser une telle chose de moi, Ayame ! Jamais je n’oserais faire une telle chose enfin...
- Shigure… C’est fini cette fois. »
La voix de Hatori sonne comme un glas pour le fuyard. Il a beau protester encore un peu, pour la forme surtout, il sait qu’il ne pourra plus échapper à la séance de dédicace qu’il s’est tant acharné à éviter. Positif, il se dit qu’il a quand même réussi à faire courir ses cousins pendant une bonne demi-heure et que son éditrice a dû encore faire quelques crises de nerfs mémorables. Il aurait bien aimé voir cela…
De toute façon, il en sera bientôt témoin : il a beau trainer des pieds au maximum, le stand B5 se rapproche inexorablement. Signer des autographes, au début, il aimait bien cela : c’était excellent pour l’égo. Mais au bout de quelques salons, signer des bouts de papier, il trouve cela plus que lassant. Avec la résignation du condamné se rendant à l’échafaud, il contemple le lieu de son prochain supplice. Et là, ce qu’il voit dépasse de loin ses pires craintes et ses plus hautes espérances. La file d’attente devant le petit bureau semble interminable, et surtout remplie de jeunes et jolies lycéennes. Et Shigure de partir en courant s’assoir à sa place, trop heureux de pouvoir draguer de fraiches jeunes filles déjà conquises par son charme inné. Et Ayame et Hatori de rester plantés là, les bras ballants, partagés entre l’envie de meurtre et la tentative de suicide.
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10:10 les saisons