La version initiale de ma réponse au défi Music de
kumfuLa finale est sur fictionpress,
ici.
Je l'ai modifiée car cette version est centrée sur un triangle amoureux et me semblait trop largement inspirée de Drive. Il y a de grandes similitudes entre les deux textes même si l'histoire est différente. Je remets la vidéo du morceau, le temps de lecture devrait correspondre à celui d'écoute :
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Et sous cut', le texte :
Les gouttes d'eau lui fouettent le visage et s'insinuent sournoisement sous ses vêtements. Le tissu est lourd de cette humidité, lui colle à la peau. Il est habitué à courir mais les conditions ne sont pas idéales. Sa respiration est courte et sa vision gênée par la bruine. Pourtant, ses foulées restent régulières et son rythme s'imprime dans les flaques à chaque pas. Il sait qu'il ne devrait pas être ici en ce moment, qu'il devrait faire demi-tour et patienter tranquillement comme c'était prévu. Mais il a besoin de la voir maintenant. Peu importe ce qu'en disent les autres, peu importe que sa tenue ne soit plus qu'un bout de chiffon, sa conviction n'est pas raisonnable. Son cœur bat plus fort dans sa poitrine, ses pulsations lui battent les tempes, lui imposent une cadence encore plus soutenue. Il n'a plus beaucoup de temps et il ne veut surtout pas la manquer.
Elle est encore trop loin de lui et il sent son angoisse devenir oppressante. Une pause lui serait nécessaire. Pour reprendre son souffle. Pour réaliser la folie de son geste. Mais ses jambes et sa volonté semblent ignorer les pensées sensées qui le traversent. Il aura bien le temps de songer à sa stupidité ou aux conséquences de sa fuite plus tard. Plus que quelques minutes d'efforts et il pourra constater de ses propres yeux la réalité.
Sitôt qu'il passe l'angle de la rue, il voit son ombre par la fenêtre et sourit, ému. Quel homme ne le serait pas le jour de son mariage ? A l'heure qu'il est, elle devrait avoir terminé de se préparer et peaufiner les détails, ou même être déjà en route, mais son agitation lui prouve qu'elle est loin d'être prête. Il n'est pas vraiment étonné de ce retard bien que ce ne soit pas dans ses habitudes. Elle est toujours prévoyante et parée à toutes les éventualités mais l'excitation de la journée lui fait probablement perdre ses moyens. Lui-même n'agit pas selon son tempérament. D'ailleurs, se trouver face à son appartement alors que la cérémonie est censée démarrer bientôt prouve combien il est perturbé. Il a envoyé au diable son témoin et tous ceux qui ont tenté de le retenir. Les promesses de malheur ne l'effraient pas, il ne se sent pas superstitieux. Et puis, la pluie qui l'a trempé peut suffire à conjurer le sort, il en est certain.
A présent qu'il s'est arrêté, il sent la brûlure dans ses poumons et dans ses muscles. Ses mollets le tirent cruellement et toute sa force semble s'être échappée de son corps. Il rejoint tranquillement le parc face à leur immeuble puis s'écroule sur un banc. Pas une once de sa peau n'est sèche. Son costume, ses chaussures et même jusqu'à ses sous-vêtements, tout est imbibé mais cela ne le gêne pas tant que ça. La pluie devrait le glacer, pourtant une douce chaleur se propage en lui. L'ombre dans l'appartement marque une pause, se rapproche de la fenêtre. Elle écarte le rideau et il l'aperçoit brièvement. Il est trop éloigné pour deviner son expression mais il remarque qu'elle ne porte pas encore de robe blanche. En réalité, il n'a pas la moindre idée de la façon dont elle doit s'habiller mais il se l'est imaginée de nombreuses fois s'avançant dans une tenue traditionnelle. Magnifique. Elle disparaît de nouveau de sa vue. Son départ ne saurait tarder.
Il bascule la tête en arrière. Les yeux fermés, il se concentre sur la sensation de la pluie sur son visage. Ses cheveux gouttent dans sa nuque. Il commence à frissonner, la morsure froide de l'eau n'est plus compensée par l'euphorie de sa course. Il pense à elle. Comme toujours. Comme à chaque instant depuis le début. Tous ses choix ne se sont faits que pour tendre davantage vers elle. Il se rappelle la nuit précédente. Leur dernière nuit avant le mariage. Elle était sublime. La pénombre ne faisait que rehausser les courbes de son corps. La sueur sur sa peau faisait écho à la moiteur de la pièce. Ses gémissements l'ont enflammé. Il avait admiré les traits de son visage crispés par le plaisir. Une fois la tension retombée, la plénitude qu'elle affichait lui avait serré le cœur.
Il serre les poings contre le bois du banc. Encore maintenant, il a envie de goûter son corps, d'enfouir sa tête dans le creux de son cou et de savourer son parfum jusqu'à l'ivresse. Il n'a que quelques mètres à traverser et il pourrait satisfaire sa pulsion. Elle ne le repousserait certainement pas. Bien sûr, ils seraient définitivement en retard et peu présentables mais personne ne leur en tiendrait rigueur. Quelques mètres et deux étages et il pourrait confirmer qu'ils étaient tout ce dont l'un et l'autre avaient besoin. Toutefois, il ne peut pas se résoudre à bouger. Pas quand il sait que tout n'est qu'une illusion. Il a promis. Promis de l'aimer sans condition. Promis d'être présent. Promis de faire abstraction des doutes. Il est prêt à le promettre encore, devant témoins cette fois. Mais ce ne sont que des paroles. Cette nuit, son cœur a rompu toutes ces promesses. Il a compris combien ce serait difficile pour lui. Il se demande pourquoi elle a accepté de l'épouser. Peut-être parce qu'il est une épaule solide pour la réconforter. Peut-être parce qu'il est capable de la faire sourire. Peut-être parce qu'il n'aspire qu'à faire son bonheur. Toujours est-il que, malgré la tendresse des gestes qu'elle lui porte, il est persuadé qu'il ne s'agit pas d'amour. Plus depuis qu'il a aperçu les caresses et les expressions qu'elle a offertes à cet homme.
Quand elle était dans les bras de cet autre, elle était vivante et entière. Il n'est pas censé l'avoir découverte mais ce souvenir le hantera toute sa vie. Jamais il ne l'avait vue si comblée. Il savait pourtant qu'elle serait avec lui. Il l'avait même implicitement encouragée à s'assurer de son choix. Il connaissait sa faiblesse pour l'homme. Mais être conscient de n'être qu'un substitut et le constater de manière aussi intime, la différence est énorme. Tous ses principes, toute la générosité dont il avait fait preuve semblaient réduits à néant. L'image l'avait frappé et il savait qu'il ne pourrait pas jouer cette comédie des sentiments.
Il se redresse quand elle sort de l'immeuble. Elle est protégée de l'averse tant bien que mal par l'autre. Il a le souffle coupé en les voyant ensemble. Elle est aussi rayonnante qu'il l'avait deviné mais il n'arrive pas à définir si sa joie est due à son mariage imminent ou à la présence de cet autre homme. Ils se séparent rapidement et elle monte dans la voiture qui l'attend tandis que son amant s'éclipse dans la direction opposée.
Le chauffeur manœuvre et elle tourne la tête vers le parc. Leurs regards se croisent un instant. Sur ses joues, il ne distingue plus ses larmes des gouttes de pluie mais il sait qu'elle a compris. Il n'accepte pas d'être choisi parce que c'est plus simple. Il n'accepte pas de vivre dans la peur d'être abandonné pour un fantôme capable de ressurgir à tout moment. Elle tape l'épaule de son chauffeur pour qu'il arrête la voiture. Elle descend, se tient face à lui pendant un instant interminable. Elle est si proche et déjà si loin. Il lui rend son sourire triste et la regarde partir en courant à la poursuite du seul qu'elle aime. Il s'en veut d'être faible. D'avoir échoué. De ne pas être un vrai héros.