Andalousie - Grenade. Petit matin à l'Alhambra en compagnie d'Irving et de Dumas.

Mar 24, 2018 13:42

Pour visiter l'Alhambra dans les meilleures conditions possibles, il faut réserver son billet plus d'un mois à l'avance et le jour venu, se lever de bonne heure pour arriver avant le flot des touristes.
Ce dimanche d'octobre, il fait encore presque nuit lorsque nous quittons notre appartement pour partir à la conquête de la vieille citadelle arabe. Du centre-ville, l'accès piéton se fait par la cuesta de Gomerez, une petite rue pleine de jolies boutiques et de pensions aux façades pittoresques qui, passée la puerta de las Granadas, se transforme en une rampe d'accès plus pentue et sauvage, s'élevant au milieu des arbres vers le pied des murailles.





Sous les arbres, dans la lumière dorée des lampadaires, un filet d'eau murmure. Puis la large cuesta se divise en plusieurs routes, un escalier serpente vers une vieille fontaine où un chat tigré vient nous rendre visite.



A peine un peu plus haut, nous voici devant la Puerta de la Justicia, qui fut longtemps la principale porte d'entrée de la forteresse mais que les touristes, aujourd'hui, ne passent plus.
Depuis notre quartier aux allures de souk oriental jusqu'à cet endroit précis, nos pas ont assez fidèlement suivi ceux de Washington Irving, venu ici en 1829. Si nous lui laissions la parole pour découvrir sa propre version du parcours, issue des Contes de l'Alhambra ?

...nous prîmes le Zacatin, la rue principale de ce qui, du temps des Maures, était le Grand Bazar : ses échoppes et ses ruelles en ont conservé un cachet oriental. Puis, après avoir traversé une grande place en face du palais du capitaine général, nous montâmes par une venelle tortueuse dont le nom nous rappela l'époque chevaleresque de Grenade. Elle s'appelle la calle (ou rue) de Gomeres, du nom d'une célèbre famille mauresque, citée dans les chroniques et les romances. Cette venelle nous fit déboucher sur une porte massive, construite dans le style grec, par Charles Quint et par où l'on entre dans le domaine de l'Alhambra.
A quelques pas de là, deux ou trois vétérans loqueteux somnolaient sur un banc de pierre : c'étaient là les successeurs de Zegris et des Abencérages. [...]

Nous nous trouvions alors dans une vallée profonde et resserrée, peuplée d'arbres magnifiques avec une avenue montante et divers sentiers capricieux, des bancs de pierre et des fontaines. A notre gauche, nous pouvions voir les tours de l'Alhambra qui nous surplombaient [...] Parvenus au haut de cette avenue ombragée, nous arrivâmes au pied d'une énorme tour carrée, formant une sorte de barbacane, par laquelle s'ouvrait la principale entrée de la forteresse. Là, nous tombâmes sur un autre groupe de vétérans ; l'un d'eux montait la garde devant la porte, tandis que les autres, enveloppés dans leurs capes trouées, dormaient sur les bancs de pierre. Cette entrée se nomme la Porte de la Justice, à cause du tribunal qui s'y tenait pendant la domination musulmane, pour examen des procès courants : coutume familière aux peuples de l'Orient et citée plus d'une fois dans les Ecritures.

Le grand vestibule, ou porche d'entrée, est formé par un immense arc en fer à cheval, qui s'élève à mi-hauteur de la tour et sur la clef duquel est gravée une main énorme. A l'intérieur, sur un arc plus petit, est sculptée de la même manière une clé gigantesque. Ceux qui prétendent avoir une certaine connaissance des symboles mahométans affirment que la main est l'emblème de la doctrine, et la clé, celle de la foi ; cette dernière, selon eux, aurait été peinte, à la manière arabe, lorsque les Musulmans soumirent l'Andalousie, en opposition à la croix des chrétiens. Mais le fils légitime de l'Alhambra [le vétéran qu'ils ont pris pour guide à la puerta de las Granadas] nous en donné une explication différente, et plus conforme aux croyances populaires qui attribuent du mystère et de la magie à tout ce qui est musulman et qui associent toutes sortes de superstitions à la vieille forteresse musulmane.
Selon Mateo, la tradition, qui s'était transmise depuis l'origine et qu'il tenait de son père et de son grand-père, voulait que la main et la clé eussent une valeur symbolique dont dépendait la destinée de l'Alhambra. Le roi maure qui l'avait bâti était un grand magicien (certains prétendaient même qu'il avait vendu son âme au diable) et il avait placé toute la forteresse sous un charme magique. C'est pour cette raison qu'elle avait tenu tant de siècles, défiant orages et tremblements de terre, alors que presque tous les autres bâtiments des Maures étaient tombés en ruine et avaient disparu. Ce charme, selon cette même tradition, continuerait à agir jusqu'au jour où la main de l'arc extérieur descendrait saisir la clé : alors tout le monument s'écroulerait en poussière et les trésors enfouis par les Maures apparaîtraient au jour.
Malgré cette inquiétante prédiction, nous nous aventurâmes sous la porte, quelque peu rassurés contre tous ces artifices magiques par la Vierge dont l'image décorait l'entrée.



En 1846, c'est Alexandre Dumas qui se balade dans le coin
Voici l'évocation qu'il fait du lieu dans son Voyage de Paris à Cadix !

Nous nous acheminâmes vers l'Alhambra par une pente douce et par un chemin délicieux.
Une porte borne ce chemin. Cette porte, ouverte en ogive cintrée en forme de coeur, a été bâtie par Yusef Abdul Hagiag, qui régnait vers l'an 1348 de Jésus-Christ. Deux symboles signalent cette porte à l'attention des croyants et à la curiosité des étrangers. Sur l'arcade extérieure est gravée une main aux doigts étendus, mais non écartés ; sur l'arcade intérieure est gravée une clef. La main est là comme elle est partout chez les Arabes pour conjurer le mauvais oeil. La clef est là pour rappeler le verset du Coran qui commence par ces mots : Il a ouvert... Ces deux sens étaient ou trop simples ou trop profonds pour le peuple, qui a donné aux deux symboles une autre explication : "Quand la main prendra la clef, a-t-il dit, Grenade sera conquise."

La main n'a pas pris la clef, madame, et cependant les Maures, à mon grand désespoir, ont été chassés de Grenade ; donc nous nous en tiendrons, si vous le voulez bien, à la première explication. Sous cette porte est un autel dédié à la Vierge. C'est devant cet autel que la première messe a été dite, après la conquête de Ferdinand, et cela juste au moment où le roi Boabdil poussait au haut de la montagne ce soupir qui a fait donner à la montagne le nom de Soupir du Maure. C'est à ce soupir et aux larmes qui l'accompagnaient que sa mère répondit : "Pleure Grenade comme une femme, puisque tu n'as pas su la défendre comme un homme."

Nous retrouverons sans doute plus tard Alexandre et Washington, suivons pour l'instant le chemin moderne des touristes qui nous mène beaucoup plus haut, jusqu'à l'étroite vallée verdoyante séparant les collines de l'Alhambra et du Generalife. Par dessus un petit torrent encaissé, à travers les arbres et les vergers, une jolie vue s'offre vers la ville et les hauteurs de l'Albaicin.





Enfin, nous voici pour de bon dans la place. Il est huit heures et demie du matin et les caisses affichent déjà complet pour les billets du jour - les nôtres sont valables pour entrer à 9h30 dans les palais nasrides, ce qui nous laisse une petite heure de balade à travers l'immense forteresse. L'atmosphère est exquise, avec le jour qui se lève, rose pâle, derrière les montagnes, les jardins encore baignés d'ombre où chantent des fontaines, et de grands vols d'oiseaux par-dessus les murailles - là où en un autre temps, Irving raconte avoir vu pêcher les hirondelles à la ligne...







Derrière ce mot unique, Alhambra, se révèlent mille choses. Les vestiges d'anciens bâtiments détruits, un hôtel de luxe, une forteresse militaire, des maisons privées, une église, des bains arabes, des palais mauresques et chrétiens... le tout entrelacé de jardins merveilleux que nous découvrirons mieux cet après-midi.

Coup d'oeil au Baño de la Mezquita, conservée aux côtés de la maison-musée du musicien Angel Barrios.







A l'emplacement de l'ancienne mosquée, se dresse depuis le XVIIe siècle l'église de Santa Maria de la Alhambra, qui marque en quelque sorte le début de la zone chrétienne.



Juste derrière, voici le grand palais de Charles Quint...



...dont Dumas parle en des termes assez mitigés !

Lorsqu'on a franchi cette porte, on se trouve dans l'enceinte de l'Alhambra, et l'on aperçoit, non pas le palais mauresque - les Maures, madame, cachent leurs femmes et leurs trésors - mais un affreux palais bâti par Charles V ; peut-être viens-je de proférer un abominable blasphème, et les architectes, les purs bien entendu, préfèrent-ils l'oeuvre du vainqueur de Pavie à celle des vainqueurs de Guadalete. Mais Charles Quint, vous en conviendrez madame, Charles V, qui avait l'ennui de ne point voir le soleil se coucher sur ses Etats, pouvait choisir, dans cette moitié du monde dont il était possesseur, un tout autre endroit pour bâtir son palais que celui qui avait été choisi par les Maures pour bâtir le leur. Il n'eût point eu besoin alors de détruire la moitié de l'Alhambra, ce qui lui a porté malheur, ou du moins à son palais, lequel n'a jamais été achevé et, Dieu merci ! ne le sera jamais.

Avec la meilleure volonté du monde, il faut bien convenir que c'est un peu mastoc, que ça arrive là au milieu comme un cheveu sur la soupe et que ça rendrait beaucoup mieux... à peu près n'importe où ailleurs.



Mais déjà, le soleil se lève sur les plus hautes murailles. Nous nous posons pour un café sur le grand parvis aménagé entre le palais et les murailles de l'Alcazaba (oui, ici aussi il y a une Alcazaba, en position défensive tout au bout de la colline)...





...puis l'heure est venue de prendre position pour les palais Nasrides.
Elle est toute simple, austère même, la petite porte par laquelle nous nous apprêtons à entrer. Et pourtant, c'est un enchantement sans cesse renouvelé qui derrière elle attend le visiteur.
A découvrir au prochain épisode, ce premier post jouant le rôle de mise en bouche !



lieux : andalousie, auteur : dumas, voyages, châteaux, photos

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