E.M. Forster -
Route des Indes (1924 - 10/18, 1999)
(381 pages, soit 75 x2 = 150 km pour le challenge Tour du Monde (défi de juin). Total : 11 900 km et 47 934 pages pour 129 livres.
10e titre pour le challenge 1914-1918.)
Années 1920, au temps de l'Inde britannique. Deux Anglaises arrivent à Chandrapore - deux Anglaises bien banales en apparence, dont on ne saurait croire qu'elles s'apprêtent à bouleverser le fragile équilibre établi entre les différentes communautés de la petite ville.
Mrs Moore est la mère d'un magistrat local que sa plus jeune amie, Miss Quested, envisage d'épouser. L'humanisme bienveillant de l'une, la curiosité intellectuelle de l'autre, leur absence de préjugés vis à vis des Hindous qu'elles s'apprêtent à découvrir, les placent d'emblée un peu en décalage avec le petit monde très fermé des Anglo-Indiens, pour qui toute tentative de rapprochement avec les populations locales ne peut entraîner que troubles et désillusions. Et malgré l'arrogance déstestable de leur attitude, peut-être n'ont-ils pas entièrement tort sur le fond. Car il faut bien plus que de la simple curiosité intellectuelle pour dépasser l'incompréhension des cultures, pour ne pas raviver malgré soi, par une erreur, une maladresse, les rancunes et les méfiances que plus d'un siècle d'occupation insensible ont créé. Il faut une authentique sympathie pour cela - et encore, le véritable élan du coeur risque lui-même parfois de s'y briser.
L'élan du coeur ici, c'est celui, quasi filial, qui pousse vers Mrs Moore le Dr. Aziz, jeune médecin musulman rencontré dans la pénombre d'une mosquée. Celui, aussi, amical et plus complexe, qui ne tarde pas à lier le même Dr. Aziz et Cyril Fielding, le directeur du collège local, l'un des rares Anglo-Indiens à témoigner d'une réelle générosité d'esprit à l'égard des autochtones. Mais lorsque Miss Quested se fait agresser dans une des grottes de Marabar, lors d'une visite organisée par le Dr. Aziz pour satisfaire son envie de "voir l'Inde vraie", c'est ce dernier que tout accuse - malgré la certitude intime de Fielding que cet homme-là ne saurait, ne pourrait avoir commis pareille ignominie. Et bientôt le procès s'ouvre, exacerbant les tensions...
Dernier roman de Forster, Route des Indes ne restera pas parmi mes préférés malgré ses indéniables qualités. On y retrouve pourtant ce qui fait la qualité de l'auteur : la finesse de l'analyse psychologique, la confrontation entre l'élan humaniste et les lois des clivages sociaux, durement ressenties mais parfois plus intégrées qu'on ne le désirerait pour soi-même, et doublées ici d'une dimension culturelle et politique des plus intéressantes. En aucun cas la confrontation à l'autre n'est facile, chez Forster. Ce roman-là met particulièrement bien en valeur les différentes nuances que peut revêtir cette difficulté, à travers des personnages mis comme au pied du mur par une situation conflictuelle ou déstabilisante qui met à l'épreuve leur volonté, fait vaciller leurs certitudes, aiguise à l'extrême leur sensibilité.
Déstabilisante, l'Inde l'est particulièrement pour ces occidentaux qui peinent à la comprendre, dont elle bouscule tous les repères, jusqu'à ceux de la religion. En ressort une sensation de vertige, plus présente encore que l'analyse, qui n'épargne personne et dans laquelle finissent plus ou moins par se dissoudre les éléments de l'intrigue. De là est peut-être venue, en partie, ma difficulté à accrocher réellement à l'affaire. Mais aussi, d'une écriture parfois pénible à suivre, trop allusive - un défaut que j'ai déjà trouvé à certains textes de l'auteur mais ici particulièrement sensible, et que la traduction sans doute n'arrange pas.
Une lecture intéressante, donc, mais je préfère le Forster plus intime, plus personnel et plus entraînant, de ses textes plus anciens.