Challenge ABC : S comme Simmons

Jul 10, 2015 13:25


Dan Simmons - L'échiquier du mal (1989 / Denoël, 1992)
(1230 pages pour le challenge pavés)

Dracula n'a qu'à bien se tenir. Le Mal ne se nourrit pas de sang : ce qui l'intéresse est l'esprit même de ses victimes. Esprits dont il festoie et se repaît, puisant dans leur variété un plaisir et une vigueur sans cesse renouvelés. Esprits qu'il brise ou module à son gré, transformant les êtres en simples pions à manipuler.
Mais les vampires psychiques ne sont pas égaux entre eux. Certains ne sont guère que des salauds ordinaires, trouvant dans un talent médiocre de quoi assouvir leurs pulsions. D'autres, plus brillants, goûtent à bien plus grande échelle un jeu bien plus dangereux, et n'hésitent pas à manipuler jusqu'à leurs semblables pour corser la partie.
Saul, psychiatre juif vieillissant, a rencontré l'un d'eux autrefois, un jeune officier SS puisant dans les camps de la mort nazis les pions d'une partie d'échec cauchemardesque. Quarante ans plus tard, une série de meurtres aussi violents qu'inexplicables dans le vieux centre de Charleston va le remettre sur la piste de son ancien bourreau et le pousser, de fil en aiguille, à en devenir à son tour le chasseur. Mais ce gibier-là est beaucoup, beaucoup plus gros qu'il n'aurait pu le croire au premier abord, et la partie va être aussi complexe que riche en rebondissements.

Enthousiasmée par les superbes Drood et Terror, du même auteur, j'attendais beaucoup de ce roman aux thèmes intéressants et souvent présenté comme son chef d'oeuvre. Hélas ! J'ai souffert pour atteindre le bout de ses quelque 1200 pages, dont je ressors déçue à plusieurs égards.
Les longueurs, indéniablement, semblent inhérentes au style de l'auteur - mais quand les longueurs décrivant les divagations d'un écrivain opiomane dans le Londres victorien, ou la vie à bord d'un grand voilier pris dans les glaces restaient assez captivantes, les longueurs décrivant le quotidien banal d'américains sans relief tournent à l'ennui pur. Ce qui nous amène au choix des personnages.
D'un côté, des méchants très méchants, travaillés de manière assez intéressante et, pour certains, assez fascinants, mais aux traits un poil trop poussés, voire un peu trop uniformes sous leur apparente disparité. Tous sont à peu près également narcissiques, manipulateurs, cruels et racistes - avec option pleutre et minable pour quelques uns. Face à cela, des gentils beaucoup trop gentils, que la confrontation au mal va évidemment confronter à leur propre potentiel de violence et de cruauté, mais dépourvus de véritables aspérités et qu'on a l'impression d'avoir déjà croisé cent fois dans cent thrillers américains.
Certes, l'idée est de confronter la banalité de M. Tout-le-Monde au Mal - la capacité de résistance de l'un à l'autre et au désespoir qu'il peut engendrer. Mais le résultat aurait été bien plus intéressant, bien plus captivant, en offrant une personnalité plus complexe, plus ambiguë, à M. Tout-le-Monde, un visage un peu plus subtil au Mal.

Le visage du Mal. Elle est peut-être là, ma principale critique de fond à l'égard de ce livre. Le Mal, ici, s'incarne en une poignée de personnages, résumé à un même principe : moins un Talent psychique que le mépris de l'autre, considéré comme simple objet utilisable, la négation de son individualité intelligente et sensible. Cela est juste, sans doute, mais ce n'est pas suffisant. Ni au regard du mal en tant que phénomène psychologique et social, ni regard de son inscription dans l'Histoire. Certes, ma lecture est peut-être en partie influencée par le titre français - le titre américain, Carrion Comfort (Putride Réconfort, référence à un poème évoquant la lutte contre la tentation du désespoir), met l'accent sur autre chose. N'empêche, les thèmes sont là. L'auteur brasse des idées et des concepts intéressants, et ne réussit guère qu'à en faire quelque chose de banal. Un thriller comme tant d'autres, avec des conspirations, des sociétés secrètes, des milliardaires tout (trop) puissants et des nazis. Parce que le nazi, on n'a quand même jamais trouvé mieux pour incarner la crème du bad guy très méchant qui fait peur.
N'empèche que s'intéresser un chouïa au contexte du nazisme, inscrire son propos dans la logique de l'Histoire plutôt que l'utiliser pour son seul potentiel horrifique, aurait été nettement plus intéressant.

Il y a du bon, dans ce roman. D'excellentes idées, des scènes très réussies, des méchants au moins partiellement très réussis, et un final plus nerveux, plus accrocheur, que la première partie. Mais ces idées étaient justement, à mon goût, trop intéressantes pour le résultat assez peu subtil et banal auquel elles aboutissent. 

lecture : sf - fantasy - fantastique, auteur : dan simmons, bouquins, challenge abc, challenge pavés

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