Où l'auteure de ce blog fait une pause dans son Bingo Livres, pour satisfaire ses devoirs suite au dernier Masse Critique Babélio.
Joyeux, fais ton fourbi (Seule, la vie... tome 2) - Julien Blanc (1947 / Libretto, 2014)
Les listes proposées par l'opération Masse critique étant devenues assez monstrueuses, j'avoue que je ne lis pas toujours les résumés en détail : un éditeur que j'aime, quelques phrases qui m'accrochent, et la case est cochée. En l'occurrence, je n'avais pas remarqué que ce livre est en fait le deuxième tome d'une trilogie autobiographique, dont le premier volume,
Confusion des peines, est reparu l'année dernière aux éditions Libretto. Un peu dommage, car j'ai du coup manqué pas mal d'allusions au passé de l'auteur, mais rien de dramatique - plutôt une sorte d'effet de suspens à l'envers, qui me donne d'autant plus envie de découvrir comment il en est arrivé là.
Là, ce sont les Bat d'Af, les bataillons d'infanterie légère d'Afrique, formations disciplinaires où étaient envoyés après leur sortie de prison des soldats condamnés pour divers crimes et délits. Vol et désertion, en l'occurrence, pour Julien Blanc, qui s'y retrouve à l'âge de 22 ans et y gâchera, sous l'implacable soleil marocain, ce que l'on considère généralement comme les plus belles années d'une vie.
Pas de réel misérabilisme pour autant, dans son récit : de la rancœur, de la colère, du désespoir face à cet univers sans pitié où la force seule fait loi -, la force hiérarchique des officiers et sous-officiers sur les soldats, la force physique et psychologique des forts sur les faibles -, où règne à chaque étage l'asservissement de l'homme par l'homme et l’avilissement le plus bas.
De la haine, parfois, violente, face à certains abus odieux - tels cet homme vendu par son ancien protecteur à un sous-off brutal qui le conduira au pire.
Mais une réelle tendresse, aussi - pour les opprimés, pour les rebelles, pour ceux dont la force alimente la bonté, et même pour ceux dont la faiblesse justifie certaines lâchetés. Une volonté de comprendre les ressorts des uns et des autres, de ne pas juger, un besoin viscéral de trouver l'humanité dans la fange, et d'aimer malgré tout.
Cette sensibilité exacerbée, curieuse des autres autant que de soi-même, qui n'épargne ni le meilleur ni le pire, fait de ce texte un témoignage particulièrement percutant, beau et horrible à la fois, servi par une langue qui sait habilement aller du plus poétique au plus cru. Sans fausse pudeur, sans artifices.
Plus encore que le destin de l'auteur, c'est le destin de tous ces hommes croisés dans le malheur, ressuscités le temps de quelques pages, donnés à voir, à entendre, à sentir, avec truculence et sensibilité, qui m'a le plus accrochée - le plus touchée. Julien Blanc parle des autres peut-être encore mieux que de lui-même, peuplant le récit de sa vie de seconds rôles fugitifs à la force remarquable.
Une très belle découverte.