Encore une jolie découverte au musée d'Orsay, en août, avec
l'expo consacrée à Félicie de Fauveau.
Si son œuvre m'a beaucoup plu - des sculptures inspirées aux complexes symboles, puisant dans l'art du Moyen-Âge finissant et des premiers temps de la Renaissance italienne -, c'est le personnage, surtout, qui m'a fascinée.
Aristocrate et femme, elle choisit en pleine époque romantique de vivre de son travail - ce travail rude et physique, ce travail d'homme, qu'est la sculpture. Éprise jusqu'à la passion d'un idéal monarchique et chrétien emprunté au passé, elle s'engagea corps et âme dans la cause légitimiste, après la révolution de 1830, fit le coup de feu en Bretagne pour la duchesse de Berry. Emprisonnée puis relâchée, elle recommença la lutte. Exilée puis graciée, elle s'installa à Florence et refusa de jamais revenir vivre en France tant que le roi légitime n'y régnait pas.
Elle ne se maria pas, mais conserva précieusement le souvenir d'un de ses compagnons d'armes, qui l'aimait et fut tué à vingt ans. Elle vécut, surtout, une amitié passionnée avec une autre femme, Félicie de La Rochejacquelein, belle-sœur du grand héros de la guerre de Vendée, qu'elle appelait son Maître et dont elle se disait l'écuyer.
D'une érudition exceptionnelle, d'une imagination immense, elle contribua à remettre le Moyen-Âge au goût du jour, marqua profondément le romantisme tout en annonçant, déjà, les préraphaélites. Elizabeth Barrett Browning fut une amie proche, Stendhal l'admirait, Théophile Gautier et Balzac glissèrent ses œuvres dans leurs romans, Alexandre Dumas lui confia sa fille Marie pour des cours de dessin.
Elle fascina, dérangea, puis elle fut oubliée. Presque entièrement, et longtemps. Aujourd'hui encore, une bonne partie de ses œuvres reste à retrouver, et qui a déjà entendu parler d'elle ?
Même si ses idéaux, très imprégnés de mysticisme chrétien, me restent assez fondamentalement étrangers, son caractère hors normes, son refus des concessions, son goût pour une certaine violence exaltée, son rapport fusionnel avec le passé me la rendent infiniment attirante, et assez admirable.
Emmanuel de Waresquiel a écrit sur elle un très beau petit livre :
Félicie de Fauveau, portrait d'une artiste romantique (Robert Laffont - documento, 2010 / 2013). Un essai plus qu'une biographie, qui s'attache à l'esprit du personnage, dialogue avec lui comme avec son temps et l'analyse avec beaucoup de subtilité. Son érudition, parfois assez allusive, le rend surtout accessible à ceux qui ont déjà eu l'occasion de se pencher sur cette époque, et connaissent au moins dans les grandes lignes la révolution de 1830, ses acteurs, ses origines et ses conséquences.
L'auteur, en tout cas, possède beaucoup de style - un style qui se coule à merveille dans l'esthétique de son sujet, et rend la lecture très plaisante, en plus d'intéressante.
L'essayiste est à l'historien ce que le voyageur romantique était au voyageur des Lumières, au XVIIIe siècle. La vision des Lumières est panoramique. A chacune des villes de son voyage en Italie, le président de Brosses choisissait toujours un point haut pour s'y poster et jouir d'une vue d'ensemble de ce qu'il allait bientôt visiter dans le détail.
Pour les romantiques, c'est d'abord le détail qui compte. Le voyageur romantique ne se repère ni ne s'oriente, il se perd, à la recherche de l'insolite, il veut être surpris. L'essayiste est un peu comme ce voyageur-là. Il dialogue avec son personnage plus qu'il ne le domine. Inévitablement sa voix se mêle à la sienne. C'est lui qui crée le climat et décide des saisons. Félicie de Fauveau vivait en automne, même au temps de sa jeunesse.