Jun 06, 2008 10:55
Mardi, 15h42: Diane est heureuse. Oui, ce n'est pas une blague, Diane est réellement heureuse, et elle a envie de le crier au monde entier. Diane est heureuse, car elle a enfin réussi à ouvrir son salon de barbière à Fleet Street. Au rez-de-chaussée, on entend le ronronnement du feu dans le four, et une délicieuse odeur de viande cuite s'élève dans la maison. Diane sourit, le front appuyé contre la fenêtre. Soudain, la clochette de la porte retentit. Diane se retourne, et aperçoit sa prof de russe sous le porche.
-Ca alors, quelle plaisir de vous voir madame! s'écrit Diane Lucifera-Todd tandis que sa prof prend place dans le fauteuil. Si je m'attendais! On vient pour le rasage?
Là-dessus, elle déploie ses rasoirs, le sourire aux lèvres, prête à se lancer dans une nouvelle recette, le carpaccio mode moscovite. Elle approche sa lame du cou de sa prof, quand soudain cette dernière la saisit par le bras, la jette au sol et lui hurle:
-DIANE! VOUS DORMEZ ENCORE!
15h43: Diane ouvre brusquement les yeux, ou plutôt, ouvre brusquement son esprit car elle a dû se résoudre depuis longtemps à dormir les yeux ouverts. Devant elle se tient la Généralissime Mortnik, rigide comme un plan de tomates dans ses bottes montantes et son pantalon en culotte-de-cheval, les mains croisées derrière le dos. La Généralissime Mortnik. Pour Diane, ces initiales sonnent comme Guerre Mondiale. Diane hait le mardi. Pour Diane, c'est un jour de punition, de rédemption des péchés qu'elle n'a pas commis, une punition injuste et injustifiée qu'elle subit chaque semaine à la même heure, enfermée dans les profondeurs d'une pièce souterraine aux allures de salle de tortures médiévale. Diane laisse errer son regard sur les murs dont la charmante peinture bleu ciel évoque davantage la couleur d'un hôpital sordide. Rien dans ce bunker de la mort ne rappelle à Diane qu'il reste une existence humaine quelque part dans le monde. Il n'y a là qu'une généralissime despotique et hystérique, des cadavres d'élèves dont on ne sait pas si la pâleur est due à la lumière ou à la décomposition, et pas une seule, PAS une seule fenêtre pour abréger ses souffrances. Non, dans ce monde où tout n'est que peine et désolation, Diane n'a qu'une seule chose à laquelle penser, survivre. Telle une Russe blanche égarée dans l'Enfer soviétique, Diane fait tout pour se dérober à l'attention de la Généralissime. Mais ce n'est pas évident quand le terrain fait 10m² au sol, et 1,50 de hauteur. La Généralissime surveille tout. Elle est l'Oeil de la salle SAV02. Ici, Diane ne peut rien faire pour garder contact avec l'humanité, ni lire, ni écrire, ni même rêver maintenant que sa prof a découvert qu'elle dormait les yeux ouverts. Elle ne peut que contempler les corps des cinq élèves restées en cours avec elle, les dix autres ayant eu la sagesse de déserter le front avant de se retrouver face à un tel cataclysme. Pour Diane, la Généralissime Mortnik est comme un éclat d'obus soviétique qui a atteri à Fénelonland lors de l'explosion de l'URSS; mais l'éclat d'un obus fabriqué en France, parce que naturellement la Généralissime Mortnik est tout à fait française, une française de la pire espèce qui ne fait que renier ses origines et qui pourtant reste accrochée à la France comme la misère sur le miséreux, comme la pourriture sur un camembert pas frais, comme une prof de russe sur le dos de Diane. Mais comme Diane a malgré tout un bond fond, hérité des humanistes du XVIe siècle qui se faisaient des abats jour en peau d'Indiens, Diane voudrait pouvoir enfermer Mortnik dans une fusée et l'envoyer s'écraser à Vladivostok, là où la Généralissime Mortnik pourra enseigner le russe en toute sérénité à des élèves qui parlent déjà russe, puisqu'elle ne supporte manifestement pas les erreurs que font les sales petits capitalistes français qui apprennent le russe.
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