Mary Svevo

Oct 03, 2009 21:47

Fanfiction, Eternal Sunshine of the Spotless Mind

Mary Svevo

Elle n’avait pas besoin de se regarder dans le miroir pour savoir qu’elle était moche. Elle était moche tous les matins depuis des semaines. Elle était moche de l’intérieur, son cœur était laid, ses poumons visqueux, ses tripes répugnantes. Tout en elle était hideux. De l’extérieur elle était toujours la même, la grande et jolie blonde qu’on regarde comme une ravissante idiote. Bien sûr elle avait le teint moins frais qu’avant, ses yeux bleus étaient moins brillants et gonflés d’avoir trop pleuré. Son visage légèrement boursouflé, parce qu’elle buvait trop. Elle ne se maquillait plus, ne faisait plus attention ni à ses cheveux, ni à ses vêtements. Elle avait un peu perdu de sa grâce, et quant à sa joie de vivre elle avait disparu sans laisser de trace. Mais on la regardait toujours dans la rue, et les commerçants lui souriaient toujours, comme si rien n’avait changé.

Alors que tout avait changé. Finies la charmante petite fille qui gagnait des concours de beauté, l’insolente pom-pom girl qui faisait rêver les lycéens et la blonde sexy qui claquait des doigts pour avoir tous les hommes qu’elle voulait. Presque tous. Tout ça se devait de se finir depuis qu’elle était devenue si laide. C’était désespérant de voir les hommes continuer à la regarder et à la désirer alors qu’elle n’avait plus rien de regardable ni de désirable. Alors c’était ça la vie. Dans un bel emballage n’importe quelle hideuse personne continuait à briller comme un joyau aveuglant. Elle ne supportait plus ça. Avant elle aimait être jolie et plaire. Maintenant elle voudrait juste qu’on la laisse tranquille. C’était de plus en plus dur pour elle de se regarder en face. Alors que d’autres l’admirent sans cesse ne l’aidait pas vraiment.

Elle n’y avait jamais vraiment pensé. Ce n’était qu’un job au départ. Rien qui ne l’intéressait vraiment ou qui comptait, juste un moyen d’assurer sa subsistance. Un boulot un peu minable pour une société un peu minable dont elle n’avait pas tout de suite compris la raison d’être. Les seules choses qui comptaient dans sa vie c’était son joli visage, son joli sourire et ses jolis vêtements. Les seules questions qu’elle se posait jamais c’était « Avec qui vais-je rentrer ce soir ? » ou « Est-ce que je rappelle Peter demain ? » ou « Pourquoi ces trous de cul me prennent tous pour un bout de viande ? ». Et puis elle avait rencontré Howie. Il était différent de tous les autres. Il ne la regardait même pas, enfin pas vraiment. Il était bien plus intelligent qu’elle mais il ne le lui montrait pas. Il était gentil. Pour lui elle avait voulu devenir meilleure.

Alors c’est ce qu’elle s’était échinée à faire, du moins l’avait-elle cru au début. Elle s’était passionnée à ce qu’il faisait, mais seulement par passion pour lui, sans vraiment y réfléchir. Howard était un idéaliste à sa façon, ça on pouvait en être certain, et aujourd‘hui encore elle le croyait. Il voulait aider les gens, sans vraiment comprendre qu‘il s‘y prenait très mal. D‘où lui était venue l‘idée qu‘effacer les souvenirs douloureux des gens les rendraient plus heureux ? Juste comme ça, une idée au départ anodine qui lui était venue quand il était absorbé par ses travaux ? Quelque chose qu‘on lui avait suggéré ? Ou une envie personnelle ? Si c‘était le cas, qu‘avait-il pu se passer dans sa vie pour qu‘il se mette à poursuivre l‘insensé but de détruire la souffrance des gens ? Lui avait-il jamais dit ? Lui avait-elle jamais demandé ? Ou bien n‘y avait-il aucune réponse parce qu‘il avait pris la peine de s‘effacer lui-même ?

Elle l‘avait connu plus intimement que quiconque, peut-être même sa femme, et pourtant elle se retrouvait incapable de répondre à cette question. C‘était tellement pathétique, après tout ce qu‘elle avait fait pour lui, au point de s‘aveugler. Se mettre à aimer ses expériences de Frankenstein à défaut de pouvoir l‘aimer lui ouvertement. S‘impliquer, observer, rassurer les clients, leur sourire (oh oui son sourire avait beaucoup de pouvoir) puis s‘extasier, parce qu‘il avait encore rendu une personne heureuse. Elle repensait avec aigreur à tout ce qu’elle avait fait pour lui plaire, pour attirer son attention. Elle avait voulu qu’il la trouve gentille et intelligente. Elle avait voulu être quelqu’un de différent, pensant qu’elle n’était pas assez bien pour lui. Elle voulait être parfaite, pas cette fille égoïste et superficielle qui se shootait, buvait et couchait trop. Comme son Howie, Mary Svevo avait voulu devenir une altruiste aidant les gens. Elle l’admirait tellement.

Et c’était comme ça qu’elle était devenue quelqu’un de moche. Howard l’aveuglait tellement qu’elle était devenue de son avis quelqu’un de mauvais, qui détruisait la vie des gens. Avant elle ne pouvait pas imaginer que ce qu’ils faisaient était mal. Elle ne voyait que l’idéalisme d’Howard qui tout comme Howard ne pouvait qu’être merveilleux. Avant, elle était vierge, comme une page blanche, et elle ne s’était doutée de rien. En découvrant la vérité cette nuit-là, elle avait été frappée par la violence et la cruauté de ce qu’ils faisaient. On n’aide personne en leur effaçant des souvenirs. On tue à petit feu, parce qu’ils cherchent, ils se creusent la tête, ils deviennent fous à réprimer des désirs dont ils ignorent la provenance. Et si jamais la vérité leur est révélée c’est comme si la plus parfaite des horreurs était déroulée sous leurs yeux.

Le pire, c’est que les voleurs n’en sont pas. C’est juste un vieil homme mélancolique, qui a le regard hanté par un souvenir qu’il s’est forcé à oublier et qui a déclenché tous ses travaux. Un vieil homme dont la voix est douce et amère et aussi pragmatique parce qu’elle ne comprend pas pourquoi elle est habitée par ce sentiment doux-amer. Un vieil idéaliste entouré de jeunes gens maladroits qui ne savent pas ce qu’ils font, qui sont paumés ou qu’ils l’aiment, comme elle. Qui peut haïr ces voleurs-là qui n’ont commis que le seul crime de vouloir rendre la vie des gens meilleure ? Ils n’ont même pas conscience de ce qu’ils font, sauf Howard peut-être. Et elle. Ce qu’elle pense maintenant sur le fait de voler une part de leur vie aux gens ? Ca n‘a peut-être pas d‘importance puisqu‘elle n‘a jamais été importante, mais elle sait maintenant qu‘une vie on en a qu’une. On a même que ça, y compris quand on perd tout. Alors même si on souffre, on ne peut pas nous la voler.

Les gens qui venaient les voir étaient peut-être sûrs d’eux, conscients, et volontaires, mais ils étaient surtout désespérés. Qui ne saisirait pas l’occasion de cesser de souffrir quand on lui en donne l’opportunité ? Est-ce vraiment leur laisser choix que de leur dire « Je peux calmer vos peines, faire cesser vos cauchemars et vous faire oublier vos craintes. » ? Ce n’est pas un choix, c’est un vol. Elle avait grignoté avec Howard et avec Stan et avec Patrick des tas de bouts de vie à des tas de gens malheureux, et elle était devenue laide d’avoir ingurgité tout ces bouts de vie ne lui appartenant pas. Et toujours avec désinvolture, et avec égocentrisme, ne pensant qu’à Howard, à se rapprocher de lui, à ce qu‘il pensait d‘elle. Elle les manipulait aussi, les désespérés, les clients, avec son sourire charmant de blonde idiote mais ravissante à laquelle on aurait donné le bon Dieu sans confession. Oh oui elle se sentait coupable.

Elle se sentait coupable et monstrueuse, ne cessant de se demander « Comment ai-je pu faire ça ? ». Pas « Pourquoi ? », mais « Comment ? », toujours. Elle y pensait à chaque fois que le vide béant dans sa mémoire se rappelait à elle, et qu’elle était prise de vertiges devant cet inconnu. Sa mémoire qui lui avait été prise, par celui qu’elle aimait. Le vide et la peur qu’elle avait ressenti quand elle avait compris. Le regard d’Howard était navré. Mais ça ne changeait rien. Il lui avait volé un petit bout de vie, et pas n’importe lequel, son préféré, son plus précieux, son petit bout de vie avec lui. Elle avait alors réalisé à quel point ce qu’ils leur prenaient était énorme. Dès lors personne n’avait été mieux placé qu’elle pour tout casser. C’était pour ça qu’elle l’avait fait, qu‘elle avait prévenu tous leurs anciens clients et restitué leurs souvenirs.

Mais elle ne s’était pourtant pas sentie mieux. Elle ne savait pas si c’était parce qu’elle se sentait mal pour leurs clients, ou si son malaise ne disparaissait pas parce qu’elle ne se souvenait plus d’avoir eu Howie, et d’avoir été enceinte. Ce n‘était sûrement pas il y a si longtemps … Quelques semaines ? Quelques mois ? Une année ? Elle ne pouvait plus s’en souvenir. Elle savait, mais ce n’était plus à elle, on lui avait tout arraché. Comme s’il y avait un trou béant dans ses entrailles. Elle grimaça de douleur, et serra sa tête entre ses doigts crispés comme des serres d’oiseau de proie. Il fallait qu’elle arrête. Pas de journée supplémentaire commencée en larmes, elle devait s’en empêcher maintenant si elle ne voulait pas pleurer toute sa vie. Elle se força avec toute sa détermination et ravala ses sanglots, quittant son lit et se levant tête haute, comme une guerrière prête à partir au combat.

Dans sa salle de bain exposé plein est, le soleil tapait fort et intensément. C’était un soleil blanc et froid d’hiver, à la lumière aveuglante. Elle se dépêcha de s’habiller sommairement et retourna dans son salon en désordre, parsemé de cartons remplis à ras-bord. En se frayant un chemin vers sa cuisine, son visage rencontra un miroir accroché au mur. Elle se regarda un bref instant. Quelle laideur. Elle chercha une bouteille dans ses placards et pour seul petit-déjeuner prit un verre de vodka. Avant de déserter son appartement, elle ramassa les derniers dossiers d’anciens clients qu’elle devait encore expédier. Elle se glissa entre ses cartons. Elle voulait déménager parce qu’elle savait qu’il s’était passé dans cet appartement des choses dont elle ne se souvenait pas et dont elle ne se souviendrait jamais. Alors elle avait décidé d’aller dans un endroit où elle n’avait aucun souvenir, un endroit vierge, comme sa mémoire tronquée et manipulée.

En enfilant son manteau, elle bouscula un livre posé en équilibre sur un des cartons et le ramassa. Ce stupide livre de citations. Elle l’ouvra à la page qu’elle avait marquée et lue et relue pour apprendre le poème. Aujourd’hui elle n’avait plus besoin de lire la citation pour la réciter par cœur, mais elle avait envie de la revoir. « How happy is the blameless Vestal's lot ! The world forgetting, by the world forgot. Eternal sunshine of the spotless mind ! Each pray'r accepted, and each wish resign'd. ». Pope, Alexander. Elle éclata en sanglots et décida de se débarrasser du livre.

***

Elle sortit de la poste avec une impression mitigée. Elle n’était pas spécialement contente d’elle, ni soulagée. Au début elle avait renvoyé leurs dossiers à tous les patients par colère et par tristesse, et parce qu’elle se disait qu’elle devait le faire. Maintenant, c’était plus pour en finir avec tout ça. Et elle n’en était pas heureuse. Même si c’était fait et qu’il n’y avait plus à revenir dessus, qu’elle allait refaire sa vie, il demeurerait pour toujours un trou dans son passé. Un trou sans lui. Elle se rappelait de presque chaque client à qui elle avait renvoyé son. Elle se rappelait d’eux parce que ce n’était jamais banal, et parce qu’ils étaient toujours tellement désespérés. Elle s’imaginait qu’ils allaient peut-être pouvoir pour certains recoller les morceaux ou s’apaiser. Ce ne serait jamais le cas pour elle. Elle, elle n’avait que la sensation fantôme d’Howard et plus jamais de seconde chance. Elle se demandait constamment dans le vide comment c’était avec lui. Elle ne se souvenait même pas de son odeur sur la sienne.

C’est là que c’était arrivé. Elle les vit. Ils avaient été les premiers à qui elle avait renvoyé leurs dossiers. Joel Barish et Clementine Kruczynski. Ils se promenaient dans la rue, en se tenant par la main. Ils passèrent près d’elle, en la frôlant, mais il n’y avait aucune chance pour qu’ils la remarquent ou la reconnaissent puisqu’elle avait été effacée de leur mémoire en même temps que les souvenirs de leur relation. Elle les regarda sans pudeur. Leur amour irradiait tellement d’eux que l’insistance de son regard ne pouvait les atteindre. Ils discutaient ensemble, et riaient, comme si rien ne s’était passé. Joel avait l’air plutôt frileux et désignait à sa compagne un café où ils pourraient se réchauffer, mais elle le tira par le bras pour lui montrer une vitrine d’un magasin d’antiquités. Elle disait qu’il n’avait besoin que d’elle pour se réchauffer. Il sourit timidement.

Mary était assez proche pour voir leurs yeux. Ils brillaient, assez joyeux, mais elle y voyait aussi autre chose, quelque chose de plus familier, qu’elle pouvait lire dans les siens en se regardant dans la glace le matin. Quelque chose de triste et de perdu. Mais aussi une certaine confiance, parce que quoiqu’ils aient perdu, ils étaient mains dans la main et ils savaient qu’ils étaient en train de le reprendre. Les cheveux de Clementine étaient bleus et elle demandait à Joel dans quelle couleur il aimerait la voir, parce qu’elle avait envie d’en changer. La première fois que Mary l’avait vue, sa crinière était orange vif, et elle avait débarqué avec fracas dans les locaux de Lacuna, à la fois en colère et en larmes, souhaitant au plus vite se débarrasser du souvenir de Joel Barish. Joel était lui venu plusieurs fois, d’abord pour découvrir que celle qu’il aimait l’avait effacé, puis pour l’effacer à son tour. Elle se rappelait avoir pensé qu’elle aurait aimé que Howard l’aime lui aussi à ce point-là.

Elle avait aussi pensé « Pauvre type ». Elle avait vraiment eu de la peine pour lui, et avait vraiment cru qu’il serait plus heureux grâce à la procédure. Mais cette nuit-là, tout avait changé. Grâce au « Pauvre type » elle avait découvert toute la vérité, et était devenue la « Pauvre fille » à sa place. D’une certaine façon elle pouvait les remercier, et elle l’avait fait en leur envoyant leurs dossiers dès le lendemain, en priorité. Et les voilà s’enlaçant dans la rue. Elle les trouvait courageux de tout recommencer après s’être fait souffrir assez pour vouloir s’oublier. Elle préférait tout recommencer à zéro, mais les choses étaient sûrement différentes pour eux. Peut-être qu’ils n’étaient pas faits pour être séparés, et peut-être qu’ils s’étaient trouvés. Ils se seraient sans doute réconciliés s‘ils n‘avaient pas subi la procédure. Ou peut-être que ça devait leur arriver, pour recommencer à zéro, et être heureux. Oh sans doute avaient-ils peur d’échouer de nouveau, mais ils préféraient ne pas y penser, parce qu’ils voulaient essayer d’être heureux ensemble, même si ça devait se finir un jour.

Elle les vit s’embrasser. Elle ne se souvenait plus vraiment de la façon dont Howie l’embrassait. Elle avait le souvenir d’un premier baiser, cette nuit-là, chez Joel Barish, avant que tout lui explose à la figure. Mais ce n’était pas un premier baiser, c’était un mensonge. Joel et Clementine s’embrassaient et s’aimaient alors qu’elle n’avait même plus le souvenir d’un seul vrai baiser. Pas un. Les deux amants se détachèrent lentement l’un de l’autre, et traversèrent la rue, pour se réfugier au chaud dans un café.

Mary Svevo était seule.

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