Promenons-nous dans les bois, pendant que le loup n'y est pas...

Oct 17, 2022 00:17


Deuxième participation à l'échange d'Halloween d'Anders, avec un texte pour... eh bah Anders ! Sur le thème "quiproquo et confusion d'identité". Avec bien sûr nos chers et adorables Jean-Marie, Malo et Virgil parce que c'est toujours drôle de leur faire du mal, hin hin hin.

C'était une idée stupide de venir à cette soirée, Virgil l'avait su dès qu'il avait franchi la porte de la grande maison qui semblait ne pas parvenir à contenir toute la foule qui dégoulinait sur les pelouses et s'agglutinait autour de la piscine. Idée stupide puisqu'on était en novembre et que l'eau ne devrait certainement pas dépasser cinq degrés, et encore plus stupide puisqu'un de ces abrutis alcoolisés finirait probablement la tête la première dedans. Les pulsations qui tentaient de se faire passer pour de la musique jaillissaient des fenêtres ; elles étaient assez fortes pour renverser une voiture de moyenne stature. Il aurait fallu être fou pour entrer de son plein gré dans cet endroit. C'est ce que Virgil se répétait en boucle en franchissant la porte.



Il faisait plus sombre à l'intérieur qu'il ne l'aurait pensé. Des projecteurs improvisés à l'aide de papiers colorés plongeaient les différentes pièces dans une atmosphère d'aquarium où les reflets de la boule à miroirs figuraient les chapelets de bulles et les silhouettes ondulant de manière presque hypnotique figuraient des sirènes très convaincantes. N'eut été la musique qui jaillissait de manière continue, noyant les conversations et les cris, Virgil se serait volontiers joint à eux.

Au lieu de cela, il se fraya un chemin à travers le couloir encombré, louvoyant entre les costumes d'anges, de démons, de sorcières ou visiblement de strip-teasers, essayant de repérer celui qui l'avait invité ici. On aurait pu croire que quelqu'un qui réussissait à faire venir un youtubeur modérément connu se serait fait une joie de venir l'accueillir à la porte. Virgil jeta un coup d'oeil en arrière, vers l'endroit où sa voiture était garée au bord du trottoir. Il pouvait encore la voir, si proche... il ne faudrait que quelques pas pour la rejoindre, se mettre au volant et repartir comme il était venu. Mais non. Il ne pouvait pas se le permettre. Enfin si, il aurait pu, techniquement, mais cela aurait certainement fait du mal à sa carrière qui démarrait à peine. Tout le monde répéterait que Virgil O'Hara, l'aventurier de l'extrême, n'était qu'un pétochard sans parole qui ne respectait même pas ses engagements. Il remonta le col de la cape qu'il avait cru intelligent de porter et reprit ses recherches.

Il finit par trouver le responsable de tout cela dans la cuisine, en train de mélanger divers produits aux couleurs étranges en un résultat qui n'avait rien de bien attrayant, mais Virgil n'était pas là pour ça. Au moins l'étudiant en question (pas moyen de se rappeler son nom) l'accueillit-il avec l'enthousiasme qui convenait, manquant les arroser tous les deux à ce qui semblait être du sirop de menthe.

- Virgil O'Hara lui-même !

Virgil se composa l'expression modeste qui convenait. Pour être happé une seconde plus tard par des doigts collants de sirop. A peine le temps de se dire que cet abruti allait lui ruiner la manche de sa chemise en soie, qu'il fut traîné dans le couloir, puis dans la grande pièce qui avait dû être un salon encore le matin même. Il tourna deux boutons, et la musique s'arrêta pour le plus grand plaisir de Virgil. L'étudiant - Steve ? Eddie ? - attrapa un micro qui traînait sur une table.

- Gens d'Omega Alpha Rho ! annonça-t-il, sa voix tombant des bafles comme celle de Dieu sur la foule aquatique réunie. Regardez qui est là parmi nous ! C'est l'aventurier de l'extrême lui-même, Virgil O'Hara ! Montrez-lui qu'on est contents de le voir !

La clameur fut assourdissante, à tel point que Virgil leva brièvement les yeux vers le plafond, s'attendant à voir le plâtre en tomber. Il sourit, leva la main pour les saluer. Il ne se serait pas attendu à une telle réaction ; après tout, il commençait dans le métier, et s'il avait déjà un petit groupe de fans, il n'avait encore jamais été applaudi par toute une foule. Ou du moins un groupe de cette importance, qui faisait autant de bruit qu'un troupeau de rhinocéros en pleine charge.

Il fut happé par la foule, tiré de ci et de là, bombardé de questions auquel il se fit un plaisir de répondre, s'étendant avec joie sur ses exploits. Et s'il en gonfla légèrement quelques-uns, eh bien, personne ne pourrait lui en tenir rigueur. Tout au plus, cela contribuerait à sa légende. On lui tendit des photos qu'il signa, et même quelques poitrines à peine cachées par des costumes qui semblaient tous avoir rétréci au lavage.

L'attention finit par retomber, et Steveddie relança la musique à plein volume, soumettant à nouveau la maison à des secousses sismiques qui risquait fort de la mettre à mal. Virgil s'éloigna vers la cuisine avec un mélange de déception et de soulagement. Son quart d'heure de gloire était fini, du moins pour le moment, mais c'était plutôt suffisant pour le moment. Point trop n'en fallait. Pour être tout à fait honnête... Ca donnait un peu le vertige, d'être au centre de cette tornade. Enivrant, mais pour le moment, il n'avait qu'une envie, c'était de se trouver quelque chose à boire dans un endroit où son coeur ne donnait pas l'impression de faire des sauts périlleux au rythme de la musique.

Ses pas le conduisirent à nouveau dans la cuisine, là où le son était supportable et où il serait à peu près assuré de ne pas tomber sur un couple très impliqué. Encore qu'on ne savait jamais. Mais non, l'endroit était libre, à part une seule personne occupée à verser dans un verre une quantité de grenadine qui n'étiat pas très bonne pour la santé. Elle leva la tête quand Virgil entra, avec un sourire qui lui fit battre le coeur un peu plus vite. Si on lui avait posé la question, il aurait nié des heures durant qu'il avait une préférence, parlant de choix, de sourires, de regards et toutes sortes de choses, mais une petite partie de lui-même aurait toujours un gros faible pour les demoiselles rousses.

Et cette jeune fille était plus rousse que rousse. Même sous la lumière électrique pleurant d'une ampoule en fin de vie, les longues mèches qu'elle avait tiré en arrière avaient la couleur du cuivre. Elles devaient être lisses sous la main, et douces, aussi. Elle n'était pas jolie de la même manière que certaines des filles qui s'étaient pressées contre lui un peu plus tôt, les yeux brillants et admiratifs, mais elle avait du charme, avec son petit nez retroussé et toutes ses taches de rousseur. Son costume n'était pas exactement flatteur, assez étonnant pour une fille qu'on retrouvait dans une soirée d'étudiants où la quantité moyenne de costume laissait à penser que le tissu valait plus cher que le pétrole. Au moins, il avait le mérite d'être original, même s'il ne s'agissait de rien de plus qu'une sorte de bleu de travail sur un t-shirt blanc, d'une queue et d'oreilles en peluche noire, et d'un peu de maquillage sur son visage, qui avait légèrement coulé.

Elle finit de préparer son verre, admira un instant le résultat, et l'inclina légèrement vers Virgil en une sorte de toast. Le jeune homme s'accouda sur le comptoir pour la regarder boire, spectacle qui vaudrait sûrement le coup, mais elle lui rendit son regard sans bouger.

- Alors, dit-il à défaut de trouver mieux pour entamer la conversation, c'est dans les cuisines qu'on trouve le Grand Méchant Loup ? Loup y es-tu ? Que fais-tu ?

- Je suis pas un grand méchant loup, répliqua-t-elle immédiatement, je suis quelqu'un quise transforme en une créature terrifiante une fois par mois.

Virgil fit un effort rien moins qu'admirable pour retenir la plaisanterie misogyne qui lui venait tout naturellement (non pas qu'il ait été misogyne, mais il était sûr que c'était exactement ce qu'elle attendait et pourquoi elle l'avait dit ainsi).

- Pourtant, la pleine lune n'est pas encore levée. Ce qui explique peut-être la confusion.

- Tu es confus, monsieur l'aventurier ?

- Intrigué, plutôt. J'ai déjà rencontré bien des créatures, mais des louves-garoutes... Quel est le féminin de loup-garou, au fait ?

- Je te laisse réfléchir à la question.

Et sur ces mots, elle s'esquiva par la porte-fenêtre derrière elle, verre toujours en main. Virgil bien sûr lui embraya le pas, mais elle avait de l'avance. Le temps qu'il revienne dans le couloir, elle avait disparu. Pas même l'ombre d'une oreille pelucheuse. Virgil revint dans la cuisine, se servit un verre de ce qui ressemblait à du whisky pas trop bas de gamme, et décida de partir en exploration.

L'intérêt pour Virgil O'Hara le youtubeur semblait être un peu retombé, au profit de celui de Virgil O'Hara le joli garçon (ce qu'il était, il n'y avait pas de honte à le reconnaître), et il perdit très vite le compte des filles qui essayèrent de l'entraîner dans la danse. Dans n'importe quelle autre situation, il se serait laissé entraîner avec complaisance, et cette soirée se serait certainement finie sous les meilleures auspices. Mais son esprit restait curieusement fixé sur la louve-garoute au verre de grenadine. Sa curiosité avait été piquée, et il se contenta de repousser les avances avec un mot gentil et une promesse qu'il reviendrait rapidement.

Mais de la jeune fille, plus aucune trace. A croire qu'elle s'était volatilisée dans l'air. Ou évaporée à l'approche de la table à pizza. Ou même dissoute dans la piscine où certains persistaient à se tremper les pieds voire plus. Plus une trace d'elle. Et cela commençait à frustrer Virgil. Il n'allait pas se vanter de n'avoir jamais eu à poursuivre une femme, mais la situation n'était pas habituelle, loin de là. Enfin, il n'allait pas se laisser arrêter par la première difficulté !

Il était sur le point de se dire qu'il faudrait peut-être arrêter les frais avant de passer pour un harceleur de la pire espèce, quand il repéra enfin, derrière deux demoiselles portant des robes bleues identiques, le bleu de travail qu'il cherchait, et la louve-garoute dedans. Il s'empressa de se frayer un chemin jusqu'à elle, distribuant des mots d'excuse à ceux qu'il bousculait. Enfin, il put se glisser dans son champ de vision avec un sourire. Qui ne lui fut absolument pas rendu. Le regard qu'elle posa sur lui était... non pas glacial, mais indifférent. Voiloà qui était inattendu. Mais n'allait certainement pas l'arrêter.

- Tu n'es pas si facile à attraper, dit-il aussi légèrement que possible.

La jeune fille baissa les yeux sur les mains de Virgil, les leva tout aussi vite.

- Me touche pas, dit-elle seulement.

Virgil cligna des yeux sous la surprise, et également le ton soudain beaucoup plus agressif.

- Je n'en ai pas l'intention, l'assura-t-il. Parole d'aventurier !

Elle le regarda, et lui tourna simplement le dos. Cette fois, Virgil en resta coi un moment. Pour qui est-ce qu'elle se prenait, au juste ? D'accord, il ne demandait pas qu'elle lui saute au cou, ou qu'elle se prosterne devant la grandeur de Virgil O'Hara, mais tout de même, qu'est-ce qui lui prenait, alors qu'elle avait été si... pas vraiment gentille, ils avaient échangé une vingtaine de mots tout au plus, mais pas comme ça, pas aussi agressif ! Fichues gamines, se dit-il en retournant vers l'intérieur. Il devait y avoir autre chose que de l'eau dans sa grenadine, c'était la seule raison valable.

Pour la troisième fois au moins de la soirée, Virgil se fraya un chemin à travers le salon, faisant de son mieux pour avoir l'air de remuer en rythme, même s'il commençait tout doucement à en avoir assez. Il ne pouvait pas encore décemment partir, en tant qu'invité légèrement de marque, mais l'idée était de plus en plus tentante. Une demi-heure à tenir encore, au maximum et il pourrait partir sans qu'on murmure sur son compte. Il pouvait le faire.

Un petit coup sur l'épaule ne le fit pas sursauter, parce qu'il avait des nerfs d'acier comme tous les aventuriers, mais il se retourna vivement, faisant de son mieux pour se composer un sourire avenant. Et elle était là, la louve, ses cheveux brillant comme du métal sous les projecteurs, plus argent que cuivre. Elle souriait, et Virgil sourit en retour sans pouvoir s'en empêcher.

- Alors, monsieur l'aventurier, tu n'as pas vraiment l'air de t'amuser.

- J'ai tendance à trouver ce genre d'animations quelque peu... compliqués à gérer, parfois. Je préfère moins de monde, un cadre un peu plus calme...

- Quelque chose de plus intimiste, peut-être ?

Le ton restait taquin, et Virgil n'était pas sûr qu'elle n'était pas en train de se moquer de lui. Dans ce genre de situation, mieux valait continuer de jouer ses cartes et de ne pas douter.

- Ma foi, j'aime bien pouvoir avoir une conversation avec quelqu'un sans devoir hurler par-dessus la musique, ou me demander à quel moment quelqu'un va décider de jeter quelqu'un dans la piscine et que les choses vont devenir tragiques.

- Oh, je dirais, dans une heure ou deux, pas avant.

- C'est supposé me rassurer ?

- Quoi, tu n'es pas partant pour un petit bain de minuit ? demanda-t-elle avec un clin d'oeil.

Cette fois-ci, pas d'hésitation possible, elle était bien en train de flirter aveec lui. Bon à savoir qu'il n'avait pas encore perdu la main. Il s'apprêtait à lui proposer de s'éloigner quelque peu pour continuer cette conversation, la progression normale dans ce genre de situations, mais elle regarda son verre, qui était maintenant complètement vide, et s'exclama :

- Panne de carburant, je reviens !

Et elle disparut dans la foule. Encore. A croire que c'était son hobby. Si ça continuait, Virgil allait devoir l'attacher, ou quelque chose comme ça. Non pas que... Il arrêta net ce cheminement de pensée avant qu'il ne l'entraîne sur des voies détournées. En attendant, la donzelle lui avait à nouveau faussé compagnie, mais cette fois, il n'allait pas la laisser faire ! Et cette fois, il savait où il allait pouvoir la trouver.

La chance semblait être de son côté, cette fois, parce qu'il avait à peine fait quelques pas dans le couloir qu'il tomba à nouveau sur elle. Très littérallement, puisqu'il la percuta et manqua s'affaler sur le tapis en l'entraînant avec lui. Ce n'est que grâce à ses réflexes qu'il réussit à les maintenir tous les deux sur leurs pieds. Pour être immédiatement repoussé et basculer en arrière d'une manière bien peu élégante.

- Tu me touches pas !

Le geste et l'invective surprirent Virgil, mais cette fois-ci, il n'allait certainement pas se laisser marcher sur les pieds. Il se releva d'un bond et se campa devant elle, poings sur les hanches.

- Dis donc, tu ne trouves pas que ça commence à bien faire, à souffler le chaud et le froid ? Je te trouvais plutôt sympathique, et voilà que tu m'envoies balader comme si j'étais le dernier des...

- T'es le dernier des abrutis. Fous-moi la paix.

- Parce que tu t'imagines que tu peux souffler le chaud et le froid comme ça ? You little tease !

Cette fois-ci, elle fronça les sourcils, et il pensa qu'il avait réussi à la déstabiliser. Mais elle se planta face à lui, imitant sa posture.

- Parle pas anglais, je comprends pas !

- Petite provocatrice, alors, si tu préfères !

- Je comprends rien à ce que tu racontes ! Je t'ai même pas parlé, c'est toi qui me suis !

- Ah vraiment ? Et dans la cuisine ? Qu'est-ce que c'était ?

La fille fronça les sourcils, clairement confuse. Puis le contact eut l'air de se faire. Au lieu de répondre, elle l'attrapa par son col et partit vers le salon, en le traînant derrière lui. Virgil fut bien obligé de suivre le mouvement, ne serait-ce que pour ne pas qu'elle déchire sa chemise.

- Qu'est-ce que tu fais ? demanda-t-il. Je croyais que tu voulais te chercher une boisson, pas jouer à.... à quoi tu joues, exactement

Elle ne répondit pas, mais obliqua vers la cuisine, soumettant les boutons de Virgil à rude épreuve. Ils y entrèrent au pas de charge, faisant fuir les occupants de la pièce. A l'exception d'une personne. Une rouquine déguisée en loup. La même rouquine qui l'avait traîné jusqu'ici et qui maintenant rejoignait l'autre.

Le regard de Virgil alla de l'une à l'autre, essayant de comprendre ce qu'il voyait. C'était simple, pourtant, mais son cerveau refusait d'accepter la vérité toute simple, s'obstinant à se demander s'il ne voyait pas double. Mais non, il y avait bien deux rouquines déguisées en louves-garoutes avec bleus de travail tout à fait identiques. Maintenant qu'il les voyait côte à côte, il pouvait se rendre compte qu'elles étaient légèrement différentes, mais à des détails minimes, la forme des yeux, les taches de rousseur éparpillées sur les joues et le front, mais la ressemblance était extraordinaire.

La louve-qui-tenait-sa-chemise rejoignit la louve-au-verre-de-grenadine, et elles échangèrent quelques mots à voix basse. Puis Grenadine renversa la tête en arrière et éclata de rire. Virgil et Non-Grenadine la regardèrent, certainement aussi surpris l'un que l'autre. Non-Grenadine décida de la ramener parmi eux d'un coup sur le bras, et gronda :

- Y'a rien de drôle.

- Oh que si, répondit Grenadine en s'essuyant les yeux. Tu pensais pas que ça allait arriver, à mettre le même costume ?

- Je pensais pas que quelqu'un serait assez crétin pour pas se rendre compte de quelque chose.

Virgil décida qu'il était bien temps de défendre son honneur.

- Excusez-moi, dit-il aussi dignement que possible, mais serait-il possible d'avoir une explication, ou il vous faut simplement un public pour votre petite blague personnelle ?

- Expliquer quoi ? demanda Non-Grenadine. T'as pas compris qu'on était jumeaux ? T'es vraiment...

- Jumeaux ? répéta Virgil.

Jumeaux ? Comme dans "un garçon, une fille" ? Il s'était bien dit qu'elles (ils ?) avaient une voix un peu rauque, mais il s'était dit que c'était un effet de la musique qui recouvrait tout. Même en les observant de près, c'était difficile de voir la différence... comme de déterminer lequel des deux était le garçon. Ou peut-être qu'ils étaient tous les deux des garçons ? A ce stade, Virgil n'en avait plus aucune idée.

Grenadine dut avoir pitié de lui, parce qu'elle décida d'expliquer :

- Je m'appelle Marie-Louise, mais tout le monde dit Malo, même mes ennemis, parce que j'ai pas un nom de cadre de tableau. Et ça, c'est mon frère Jean-Marie. On peut dire JM s'il est d'accord...

- Il est pas d'accord, coupa le Jean-Marie en question.

- ... Mais pas Jim, ni Jimmy, ni Jiminy. Pas si tu tiens à garder ta tête entre tes deux oreilles.

Virgil regarda Jean-Marie, qui gardait les yeux fixés sur le comptoir de la cuisine où il traçait des courbes du bout du doigt. La ressemblance entre les deux était frappante. Un visage délicat pour tous les deux, androgyne. Peut-être des pommettes un tout petit peu plus accusées chez Jean-Marie ? Des lèvres un peu plus fines ? Pas vilain, dans tous les cas, comme Malo ne lui avait pas paru vilaine, bien au contraire. Mais là où Malo s'était montrée ouverte et sympathique, Jean-Marie restait distant et froid, refusant de rencontrer son regard. Etait-il vraiment vexé d'avoir été pris pour sa soeur, alors même qu'il portait le même costume ? Etait-il juste timide ? Ou peut-être distant avec tout le monde ? Si c'était le cas, il aurait pu partir et les laisser en plan, et pourtant, il restait là sans rien dire. Voilà qui attisait la curiosité de Virgil.

- Je vous abandonne, les mecs ! annonça Malo en prenant son verre.

Elle s'enfuit par la porte-fenêtre, les laissant tous les deux en plan. Virgil s'attendait à ce que Jean-Marie la suive, ou quitte lui aussi la pièce, mais étrangement, il resta là, les yeux toujours fixés sur le bois devant lui. Voilà qui était intéressant. Très intéressant. Y avait-il plus que du mépris derrière ces jolis yeux ? Y aurait-il un moyen de faire sortir Jean-Marie de sa réserve ? De passer outre son mépris ou sa timidité ? Ce ne serait sûrement pas facile, mais ce n'était pas ça qui allait arrêter Virgil O'Hara ! Il s'accouda sur le comptoir, prenant soin de laisser une distance raisonnable entre eux pour ne pas l'effrayer, et lui vota son sourire charmant-mais-pas-prétentieux.

- Alors, Jean-Marie, demanda-t-il en désignant la clé à molette, c'est une vraie ?

- A ton avis ?

- Passionné de mécanique, hein ?

- Et alors ?

- Et alors, est-ce que tu aimerais voir une Buick vintage ?

Cette fois, Jean-Marie leva les yeux vers lui, avec ce qui semblait être une pointe de curiosité, même s'il tentait de la dissimuler.

- Si c'est juste une Regal qui est pas trop amochée, tu peux te la garder.

- Une Century. 1938, répondit Virgil avec une satisfaction non dissimulée.

Le regard de Jean-Marie brilla de convoitise. Il s'éloigna du comptoir et fit un pas vers Virgil.

- T'as une Buick Century ? Ici ?

- Ici même.

Jean-Marie fila vers la porte sans même attendre Virgil, qui le suivit avec un sourire. Il faudrait qu'il pense à remercier Steve-Eddie de l'avoir invité à cette soirée ; elle avait peut-être commencé de manière bancale, mais elle promettait de finir sous des auspices plus que réjouissantes. Après tout, y avait-il quelque chose de plus romantique qu'une promenade sous les étoiles, au volant d'une Buick vintage ? Cela ne le mènerait peut-être pas très loin, mais il avait bien l'intention d'en profiter au maximum. Il pêcha ses clés au fond de sa poche et rejoignit Jean-Marie qui admirait déjà la voiture sous toutes les coutures, lui adressa un sourire auquel le jeune homme répondit distraitement. Le coeur de Virgil marqua un petit coup. Bon... Après tout, pourquoi pas ? Un aventurier devait prendre toutes les routes qui s'offraient à lui. Et si l'une de ces routes conduisait à un mécanicien grognon... eh bien, pourquoi pas ?

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