[Fic] Michelle - Chapitre 1

Jan 14, 2007 16:02


Titre : Michelle ; chapitre 1
Auteure : Amber
Traduction : Krystalyne
Rating : PG-13... possiblement PG-16 étant donné les références abondantes sur le transexualisme :P
Disclaimers : Éditions Dupuis
Notes : Fic original par Amber. Traduction de Krystalyne.

Parfois j'ai l'impression que je suis un aimant à problèmes.

Souvent, mon travail de journaliste me met dans la gueule du loup. C’est quelque chose de logique. Une bonne photo, un scoop ou un repportage de choc requiert des fois un flair implacable pour les nouvelles, une certaine habileté et beaucoup, beaucoup de chance. Mais aussi tu risques de mal t’en tirer. Et en s'agissant de moi, qui prend presque toujours toutes les baffes, je pourrais me considérer chanceux de continuer en un morceau. En avoir vu tellement d’autres, que déjà je pensais que rien ne pourrait me surprendre…

Toutefois, aucune des aventures par lesquelles je suis passé jusqu'à présent ne pourrait m'avoir préparé à ceci.

Tout a commencé lundi matin, quand j'ai reçu un message d'une des secrétaires de la rédaction : un certain Michel avait appelé ce même matin en me demandant pour « une affaire de grande importance ».  À ce moment j’étais occupé avec la remise du dernier repportage et je ne lui ai pas prêté trop d'attention. Mais l'individu a appelé à nouveau une demi-heure plus tard, en insistant sur le fait qu'il voulait parler avec moi personnellement. La diligente secrétaire l'a informé que j’étais en réunion (en réalité, je me battais avec l'imprimante) et que par conséquent cela m’ était impossible lui répondre. Tout au long de la matinée, toutefois, les appels se sont succédés et après les tiraillements avec la secrétaire, Michel lui a finalement dit qu'il avait une information très précieuse, mais que seulement il me la dirait en privé. Lorsque, avec grand embarras la secrétaire m’informé de la situation, j'ai eu un pressentiment. Cette sorte de pressentiment que j'ai quand je sens un sacré scoop. Et j'ai finalement décidé de répondre à l'appel.

De l'autre bout de la ligne retenta une voix grave avec un certain ton séduisant :

- Êtes-vous M. Fantasio ? - a-t-il demandé anxieusement.
- En effet, je suis celui-là… - lui ai-je dis pendant que j’allumais ma pipe - Et vous devez être Michel, je suppose…
- Michelle. Avec un « e » à la fin, s’il ne vous en importe pas…
- Oui, oui, évidemment, excusez… Michelle - ai-je rectifié en souriant. Évidemment, j'ai pensé, en cet instant, que la secrétaire a dû prendre mal le nom et a pensé qu'il s'agissait d'un homme, confusion facilement justifiable par la gravité du ton de voix de la dame - Ma secrétaire m’a dit que vous vouliez me voir en privé…
- C’est ça. - a-t-elle confirmé - J'ai une information à vous donner, M. Fantasio. Une information qui peut évidemment vous représenter un grand bénéfice… si vous acceptez mes conditions, pour être clair…

La chose commençait à devenir intéressante. En répendant une bouffée de la pipe et en m’inclinant sur mon siège, j'ai formulé la question à un million :

- Où et quand ?

Café Trihochet, à dix heures et demie, a été sa réponse concise avant de raccrocher définitivement le téléphone.

En faisant bon compte du ristret qui m’a été servi, je me suis mis à observer la faune qui se réunissait autour de moi en ce local à peine une paire de pâtés du bureau. La plupart des présents étaient des chefs d'entreprise fringués avec portefeuille incluant que parlaient de la bourse et des finances avec le même empressement avec lequel ils consommaient leur café. À une table à l’écart il y avait un groupe de pensionnaires qui passaient le moment en jouant au domino, juste à côté d’un couple qui se disputait chaudement. À la table face à la mienne, une étudiante universitaire gribouillait sur quelques papiers répartis sur la surface de façon désordonnée, pendant qu’elle avalait de temps en temps son capuccino sans se séparer d’une seconde de la vue de ses croquis.

Juste à ce moment-là, cinq minutes après l'heure convenue, j’ai entendu le tintillement de la cloche accrochée à la porte du café et elle apparut.

Ou plutôt, il.

Parce que malgré les traits doux de son visage, malgré les longs cheveux marron foncés qu'elle avait rassemblés en une queue de cheval à la hauteur de la nuque et, malgré la paire de boucles d’oreilles qui suspendaient gracilement aux lobes de ses oreilles, la silouhette ne correspondait en aucune manière aux courbes féminines, car elle était mince et majoritairement rectiligne, de coupe évidemment masculine. Et sa tenue ne correspondait absolument non plus à son sexe : pull-over sans manches, avec col roulé de couleur verte pistache, avec l'inscription « SHINE » brodée en pierrerie, pantalons noirs à pattes d’éléphant à mon avis trop ajustés, et chaussant des sandales dorées à talons hauts, en plus d'un sac à main « Moccino » accroché à son épaule et une manicure faite par des professionnels.

J’étais resté trop transporté devant cette vision. Si longtemps que quand elle s'est approchée, je n'ai pas pu faire autre chose que balbutier avec une certaine incrédulité :

- Euh… Michelle ??
- En personne - sourit-t-elle avec un certain air amusant, comme si ma propre stupeur lui était incroyablement comique (et probablement ainsi l'était) - Bien que dans mon état civil figure encore le nom de « Michel Descartiers »… la bureaucratie est terriblement lente en ce sens… - elle m’a tendu la main pour me saluer et elle a eu la grâce de rire en voyant que je tardais à réagir - Vous pouvez être tranquille, M. Fantasio : je vous assure que les transexuels ne mordent pas…
- Aaah… oui, excusez - ai-je trouvé à dire finalement, tandis qu'elle serrait ma main - Enchanté de vous connaître, mons… je veux dire, de vous connaître, madame ! Je veux dire, hum…
- Ce n’est rien - me rassura-t-elle en s’assoyant délicatement sur la chaise face à la mienne et en accrochant son sac à main au dossier - Déjà je suis habituée à cela, ce ne serait pas la première fois… En outre, ils m’ont fait de pires choses, comme quand les gens me diront que je suis un travesti. Quoi de plus humiliant pour un homme qui se sent femme d’être pris pour un homme qui aime s’habiller avec des vêtements de femme ? Dieu, les gens sont parfois tellement simplistes… !

Ce qui est certain c’est que les deux concepts échappaient de ma compréhension. Je m’étais déguisé en femme pour faire quelque blague à un certain ami… mais cela ne signifiait pas que j'aimais habiller en femme ! Parce que je suis un homme, bon sang! Et s'il me semblait déjà choquant de savoir qu'il y avait des hommes qui préféraient les talons hauts à la cravate, l'idée d'un homme qui voudrait changer complètement de sexe me semblait difficile à assimiler… au moins tout d’un coup.

Pour essayer de sortir de cette situation inconfortable, je lui ai demandé si elle voulait prendre quelque chose.

- Un café avec un nuage de lait, ce sera suffisant. - a-t-elle répondu.
- Bien… eeeh, serveur ! Apportez un café au lait pour lui… pour elle !  Je veux dire, pour lui ! Non, je veux dire… ! - j’ai lancé un soupir, dérouté, en me frappant la main sur le front - Pourriez-vous apporter un café au lait, s'il vous plaît ?
- Tout de suite, monsieur.

La chose est restée ainsi les vingt minutes suivantes, pendant lesquelles Michelle et moi conversions sur notre vie. J'ai su par la suite de ce bavadarge que Michel a commencé à se sentir Michelle tardivement dans son adolescence, mais qu’elle n'a pas sérieusement commencé s’être posée la question du changement de sexe jusqu'à ce qu'elle ait déjà terminé sa carrière de Publicité et qu’elle ait trouvé son premier emploi. Le coût important de l'opération l'a obligée toutefois à ajourner le projet pendant les trois années suivantes, qui ont été consacrés à économiser une partie du salaire qu'elle gagnait dans l'entreprise où ils l'avaient engagée en qualité de conseillère en marketing. Quelques mois auparavant, après avoir fait assez d’argent, elle décida de cesser de dissimuler sa condition à ses compagnons et commença à se comporter, à s’habiller et à agir en accord avec ce qu’elle ressentait.

-… évidemment, cela n'a pas bien convenu à ceux d'en haut - finit-t-elle par me raconter - et il y a trois jours que j'ai reçu la lettre de renvoi. Voyez-vous, M. Fantasio, la politique de mon entreprise est très stricte : ni mères célibataires, ni divorcés, ni homosexuels… rien qui n'est pas sorti du schéma de « marié et avec des enfants » ou à son défaut « célibataire et sans compromis » est vu d’un bon oeil dans l'entreprise. On a toujours voulu donner l'image de Compagnie Familiale…
- … et son entreprise est consacré à… ? - je me suis-je risqué à demander non sans une certaine crainte.
- À la distribution de jouets.

Un silence profond s’est instauré.
- Ça vous paraît choquant ? - me demanda-t-elle avec un demi - sourire.
- Non, non, pas du tout! - ai-je essayé de déguiser en riant nerveusement - enfin, ces choses passent…

Michelle s'est limité à sourire, en me surveillant avec un certain air malicieux.

- Il est évident que ne vous ne savez pas mentir, M. Fantasio… - a-t-elle dit - Mais je vous pardonne, pour cette fois… - ajouta, en sortant une cigarette de son sac à main. Avec un geste elle me demanda du feu et, après avoir cherché dans mes poches avec un peu de nervosité,  je lui ai tendu mon briquet. Une flambée, deux bouffées, elle a rejeté la fumée vers le haut et me l'a rendu avec un « merci » concis.  Après ceci, son regard, tandis qu'elle soutenait la cigarette dans sa main droite, changea complètement, montrant un air sérieux et confidentiel - enfin, comme vous comprendrez, il n'y a déjà rien ni personne qui me retient, donc je peux vous dire ce que je sais sans trace de repentir.

Enfin, nous entrions en matière. Et ma curiosité professionnelle, ainsi que la promesse de scoop, deviennent plus fortes que ma méfiance et j’ai approché mon oreille à sa bouche. Je savais peu alors que les mots qu'elle prononça en ce moment allaient changer ma vie dans les jours suivants :

- L'entreprise pour laquelle je travaillais blanchit de l'argent.

Pendant un moment je suis resté sans voix. Cela étaient déjà des grands mots… et l'expérience que j’avais acquise à travers tant d'années m'a mené vers une pointe de scepticisme ce que Michelle affirmait si catégoriquement. Qu'est-ce qui pouvait assurer, en fin de compte, que ce n’était pas un stratagème pour se venger de l'entreprise qui l’avait renvoyée d'une manière qui pourrait être considérée injuste ? Je devais être prudent ; plus une fois j’avais été déçu pour moins que cela.

- Avez-vous des preuves ? - ai-je voulu savoir.
- Pas encore. - a-t-elle admis - Mais je peux les obtenir. J'ai deux jours de sursis pour rassembler mes choses du bureau…
- Je vois… - ce n'était pas la réponse que j’attendais et mon désintérêt a dû se manifester, parce qu'elle m’a dit :
- Vous n’en croyez pas un mot, n’est-ce pas ? - soupira-t-elle résignée - Écoutez, je sais qu'il paraît difficile à croire - a-t-elle essayé de me convaincre - mais j'ai eu accès aux comptes de l'entreprise, et il y a des choses qui ne tombent simplement pas juste… tout expert en finances vous en confirmera… mais j’ai besoin de votre collaboration pour faire la lumière sur ces faits…
- C’est cela qui m’étonne le plus. - ai-je répliqué sans me laisser convaincre - le journal pour lequel je travaille n'est pas consacré à découvrir des fraudes financières.  Alors pourquoi avoir voulu recourir à moi précisément ?
- Précisément pour cela - a-t-elle répondu - parce que votre journal n'est pas normalement consacré à ces choses, le nouvelle ne passera pas inaperçue. De plus - ajouta-t-elle - votre honnêteté et celle de votre compagnon, ce que j’ai pu comprendre, est presque légendaire dans une corporation dominée par des parasites capables de sortir un scoop jusqu'en dessous des pierres, sans importer de sa véracité ou du manque de cette dernière…

Je reconnais que je me suis senti flatté par ces mots: même si c’était Spirou, la personne chargée de diffuser nos repportages grâce aux conférences, il était toujours bon de savoir que quelqu'un estimait tant votre travail…
Et, d'autre part, il est bien certain qu'il y avait beaucoup de vautours dans la profession. Je ne veux accuser personne, mais sans aller plus loin, je connais une certaine blondinette, collègue de ma rédaction, qui m'a déjà chipé quelques scoops devant mes propres yeux…

- J'ai aussi essayé de contacter votre compagnon - a-t-elle ajouté en soupirant, un peu contrariée - mais ils ne faisaient que se débarasser de moi, disant qu'il était en voyage…
- Hem, en fait - ai-je clarifié - en effet il était en voyage. Il a pris quelques jours de vacances pour visiter sa famille… apparament, son père était tombé malade.
-… Oh. - a-t-elle murmuré, véritablement surprise et rougissant en se rendant compte de son erreur - Mince, c’est parce que… je-je vous demande des excuses, M. Fantasio, mais c’est que j'ai pensé que votre secrétaire aussi voulait se débarasser de moi… c'est pourquoi j’ai insisté tant et…
- Vous ne me dérangez pas. - ai-je dit, et en vérité, elle ne m'avait pas dérangée; le bureau était assez chaotique ces jours-ci et mes nerfs demandaient en criant une excuse pour sortir de cet asil qui s’était métamorphosé. L'entrevue avec mon inattendue informatrice était une excuse parfaite…

Bien que d'autre part, il était encore incertain que cette entrevue, allait me rapporter quelque chose de bénéfique. Il n'y avait pas de preuves, ni de possibilité d'effectuer une recherche pour mon compte, puisque le seul contact que j’avais avec cette entreprise était devant moi et venait de recevoir un renvoi ferme. Encore dans le cas hypothétique qu'ils daignent à me recevoir, ils ne me donneraient pas l'information dont j'ai besoin (ou ils me la donneraient convenablement maquillée, pour que tout paraisse normal) et il était hors de question de faire une incursion nocturne, comme de mon temps chez le Moustique ; j’étais déjà trop vieux pour cela.

- Mais… de toute façon, n’est-il pas mieux de recourir à un journal spécialisé ? - ai-je continué à la tâter - Ou avoir recours à Le Monde, je connais des gens travaillant dans la section des finances qui sont très honnêtes…
- Trop honnêtes. - mon interlocatrice agita la tête avec dédain - Je connais plus que pleinement la réputation de ces gens, M. Fantasio, j’ai travaillé pour eux comme stagiaire avant d’avoir mon diplôme. - elle donna une bouffée de sa cigarette avant de continuer - Ils vérifient les nouvelles qui leur arrivent mille et une fois avant de publier rien… et pour quand ils auront vérifié mes informations, les autorités de l'entreprise se chargeront « de nettoyer » les preuves…
- Dans ce cas, il vaut peut-être mieux d'aller d'abord à la police… Mais enfin, s'agissant d'une affaire si sérieuse, ne devraient-ils faire des recherches d'abord ?!

Devant cette dernière proposition, Michelle ouvrit les yeux, alarmée. Ça a été un bref moment avant qu'elle baisse le regard, mais j'ai clairement aperçu dans son visage un semblant de préoccupation.

- Qu'est-ce qui s’est passé ? - ai-je voulu savoir. Elle douta en répondre. Elle jeta un coup d’oeil aux alentours, comme en s'assurant qu’ils ne nous prêtaient pas attention et elle se dirigea à moi de nouveau dans le ton confidentiel d'avant.
- Je ne peux pas aller à la police. C’est dangereux. - a-t-elle simplement dit.
- Dans quel sens ?
- Disons que mes chefs ont des méthodes très persuasives pour faire taire des scandales semblables…
- Corruptions ? - l'ai-je interrogée. Elle nia avec la tête - Extorsion, peut-être ? - elle a continué à se taire pour réponse - Avez-vous été menacé… menacée… euh… avez-vous reçu une certaine forme de menace de vos chefs ?
- Vous ne voudriez pas le savoir. - répondit-elle.
- Mais je dois le savoir - ai-je insisté.
- La derniére chose que je veux est de vous mettre dans des problèmes, M. Fantasio. - cela fut toute son explication.
- Dans quelle sorte de problèmes pourrait-… ?
- Faites-moi cas! - a-t-elle presque crié dans l’aigu, en me prenant les mains, dans un geste qui m’a troublé, pas tant par le fait en soi-même, comme plutôt par le  ton affligé de sa voix - Je sais que c’est difficile pour vous de faire confiance à quelqu'un comme moi… mais, s'il vous plaît, je vous en prie, ne me demandez pas à propos de cela. - avant que je puisse répliquer, elle m’interrompit en disant :
- Seulement je vous demande de me donner du temps pour réunir les documents qui me manquent. Je vous assure que je ne mens pas.

Maintenant que je vois ce moment si éloigné, je me repentis de ne pas l'avoir crue quand elle m'a dit cela. Mais alors, dans la seule chose dans laquelle je pensais était au compormettant de cette situation… et au fait que l'horloge accrochée au mur face à moi m'indiquait que ça faisait déjà vingt minutes que je devais être retourné au travail si je ne voulais qu’on remarque mon absence. De manière que j’ai essayé de quitter Michelle le plus diplomatiquement possible.

- Bon, écoutez … j'ai besoin de méditer là-dessus, voyez-vous ? Je dois en parler avec mon collègue… parce qu'il s'agit de de quelque chose sérieux, très, très sérieux, hum… - avec chaque mot qui se détachait, j’avais l'impression que mes mensonges étaient marqués en feu sur son visage, les rendant trop évidents à ses yeux -- Vous comprenez ce que je veux dire, n’est-ce pas ?

Michelle n'a pas répondu. Le sourire qui m'a été consacré en ce moment paraissait plus de résignation que de soulagement.

- Si vous changez d'avis - a-t-elle dit en s’étant leve et en sortant une carte de son sac à main - appelez-moi sur mon portable… il est inscrit sur le recto - a-t-elle expliqué, et j’ai vérifié qu'il était ainsi - Ça a été un plaisir de parler avec vous, M. Fantasio. - elle me dit au revoir, en me tendant la main, sans perdre le sourire.
- Euuuuh, oui, également… - ai-je balbutié en répondant au geste.

Et elle s'en est allée ainsi, comme elle était venue, dépassant la porte coquètement devant les regards à moitié surpris de quelques clients.
En ce qui me concerne, quand je suis retourné au bureau, il m’attendait le même chaos que j’avais laissé en arrière. Mais mon esprit s’était retourné à l'affaire le reste de l'après-midi et une partie de la nuit, jusqu'à ce que le sommeil m'ait vaincu. Au jour suivant, avec l’embrouillement d'aller reprendre Spirou à la gare de train et tout ce qu’il m'a raconté sur son séjour en son village natal (son père se trouvait déjà un peu mieux, mais au prix duquel le médecin lui interdirait les repas gras afin qu’il ne s’emporterait pas sur le cholestérol), le reportage que Michelle m'avait promis est passé à un second plan. Et dans les jours suivants, le chaos qui régnait dans le bureau a triplé, en partie par l'effort généralisé que produisait la pression de mettre au point le prochain numéro que nous devions rapidement sortir, en partie pour les habituelles « gaferies » de Gaston, qui avaient porté le pauvre Prunelle à presque me supplier à l'aider, aussi en crise de nerfs qu'il était ; cela m’entraîna à concentrer mon attention sur mon travail immédiat, ce pourquoi j'ai fini par oublier complètement Michelle et son supposé scoop.

Cependant, trois jours après, tandis que nous voyions les nouvelles dans leur édition de nuit, un appel nous a surpris. Spirou s’était levé pour s'occuper d’elle, tant furieux devant ma passivité. Au bout de quelques minutes, il est retourné au salon, avec un demi-sourire au visage.

- Quoi ? - ai-je demandé, en sachant qu'il me connaissait déjà suffisamment pour savoir que cette sorte de regard en lui me piquait la curiosité.
- Tu as un appel - dit-t-il - Quelqu'un qui insiste pour parler avec toi en privé… une certaine Michelle, ça te dit quelque chose ?

Ça m’a mis cinq secondes pour me rappeler à qui il se référait. Et quand on m'a éclairé enfin la lanterne, j'ai fait un tel saut en me levant du sofa que j'ai jeté le pauvre Spip de mon giron, le faisant lâcher un tel chapelet de cris fâchés, qui auraient signifié sûrement une petite morsure au tibia si je n'avais pas été si rapide pour m'occuper de l'appel.

- Michelle ! Merde, je l'avais oubliée complètement ! - ronchonnais-je, peut-être trop haut pour des oreilles aussi indiscrètes que ceux de mon ami, qui me suivait à une distance prudente sans laisser ce sourire stupide - Putain, et elle doit appeler à l’heure qu’il est… comment a-t-elle obtenu notre numéro… ?
- Hihihi… on dirait que tu as profité pour draguer quelqu’un pendant mon absence, Casanova. - s’est moqué Spirou - Enfin, je te laisse pour que tu puisses parler tranquille avec ta « petite amie », à voir quand tu l’amèneras à la maison pour me la présenter, héhé…

Je l’ai envoyé promener avec un geste pas du tout élégant. Spirou est mon meilleur ami et il sait bien combien je l'apprécie, mais pour mon malheur il sait comment me sortir de mes gonds…

- Eeem… Fantasio à l'appareil - ai-je parlé à travers l'écouteur du téléphone - En quoi puis-je vous aider, Michel... euh Mi… ?
- M. Fantasio, - m'a coupé Michelle à l'autre bout de la ligne - Je l’ai.

Je suis resté dans le silence pendant quelques secondes, sans comprendre.

- Que vous l’avez? À quoi est-ce que vous faites référence… ?
- Les preuves, M. Fantasio - parla à nouveau mon interlocutatrice, exactement avec le même ton d'urgence qu'avant - l'information que je vous avais promise… et un peu plus que j'ai découvert récemment, quelque chose que vous pourriez considérez comme une bombe.

Le journaliste professionnel à la recherche d'un scoop a émergé de nouveau à la surface. Une de mes mains était déjà à la recherche de l'agenda et de quelque chose avec quoi écrire, quand j'ai parlé à nouveau :

- Quand pouvez-vous me rencontrer pour me le remettre ?
- Ce soir.
- Quoi ?! Ce soir… ? - j'ai regardé ma montre - Mais il déjà… !
- On se donne rendez-vous à 10:30, dans une demi-heure… Connaissez-vous la rue Arbatétriers ?
- Euh… oui, je crois…
- Juste après avoir entré dans la rue, à votre droite il y a une ruelle qui porte vers une petite place. Il y a une cabine téléphonique, je vous attendrai là.

Avant que je puisse répliquer, elle me raccrocha.

Rapidement je suis allé chercher mon veston qui était sur le portemanteau à l'entrée, et vérifier qu'il y avait les clés et le portable dans mes poches. Mes mouvements furent suivis par mon colocataire, qui restait sur le sofa en caressant distraitement l'échine de Spip, qui restait endormi dans son giron.

- Hé, qu’est-ce que c’est, ces urgences ? - me demanda-t-il tandis que je prenais l’imperméable et ouvrait la porte pour sortir. Il m’a suivi jusqu'au garage, portant Spip dans ses bras. - Fantasio où vas-tu à cette heure ?
- J’ai une entrevue avec quelqu'un - ai-je dit en me plaçant dans la voiture - C’est… une affaire professionnelle… - ai-je clarifié alors que je démarrait le moteur, ce à quoi Spirou a répondu avec une phrase qui m'a fait arrêter brusquement :
- Dois-je alors comprendre que je ne dois pas t’attendre ?
- Qu’est-ce que tu insinues avec cela ? - ai-je enquéris.
- Hum… voyons voir… - énuméra mon ami - Une certaine Michelle appelle à une heure impossible de la nuit, elle insiste pour parler d’urgence avec toi et peu après avoir parlé avec elle, tout à coup tu sors, avec je ne sais quelle sorte d’urgence, pour aller rapidement à un rendez-vous avec quelqu'un, dont je n’en sais rien à propos, donc je déduis qu’il n'a pas été planifié… - il s'est penché vers moi, en s'appuyant sur le toit de la voiture - Ou je me trompe beaucoup ou ta mystérieuse personne à interviewer et cette fille sont la même personne.
- Bon, oui, c’est lui… elle, raaahh, oui, c’est Michelle ! - ai-je admis en criant d’impatience - Et quoi ?! Ça te pose un problème ?

Spirou a souri et a levé les bras en signe d'innocence.

- Je ne me mêle pas de tes dragues, tu le sais.
- Hé, n’exagère pas, ce n’est pas une drague ! - l'ai-je contredit - je te l'ai déjà dit, c'est une relation simplement professionnelle… Aaaargh, maudit sois-tu, Spirou, je n'ai pas le temps pour me mettre à me disputer avec toi ; fais-moi le plaisir de t’écarter, il faut que je sorte la voiture !
- Bon, bon… - a-t-il accepté en accomplissant mes désirs. J'ai cru qu'il aurait déjà mis un terme à ses plaisanteries, mais comme je descendait dans la rue il m'a crié : - Mais sois prudent, ne vas pas t’amouracher trop à elle ! Hein ? Tu sais déjà qu'il n'est pas bon de mélanger ce qui est personnel avec ce qui est professionnel !

De nouveau j'ai répondu avec un mauvais geste à ses allusions. Et de nouveau j'ai décidé de les ignorer.
Ou au moins j'ai cru cela, que je pourrais les ignorer. Mais comme le temps passait et je parcourais des rues, ce commentaire me revenait à l’esprit maintes et maintes fois, de manière inconsciente mais délibéréement répétitive, comme si une partie de moi prétendait m'informer que ces mots, peut-être au fond, n'étaient pas si erronnés…
Et je ne sais pas très bien parce que j'ai commencé à avoir des doutes. Ma toujours très charmante (dans le sens sarcastique, bien sûr) collègue Seccotine dirait que ma fierté de mâle avec excès de testostérone avait dominé sur ma raison et mon sens commun. Quelque que ce fut, le fait est que de chemin est vers là, j'ai commencé à me demander : Et si c'était vrai ce qu'avait dit mon ami en plaisanterie ? Et si je me laissais trop entraîner ? Et si j’étais amouraché à un transexuel ?

***

Une demi-heure après, je restais dans ma voiture, à peine quelques mètres d'où Michelle attendait mon arrivée. Il est inutile de dire que j'avais garé dans une partie de l'allée qui faisait un coin, de telle façon qu'elle ne puisse pas me voir, mais moi oui, à travers le miroir rétroviseur. Appuyée contre la cabine téléphonique, elle avait les cheveux détachés et était habillée avec un long manteau et des bottes à talon haut. Une de ses mains soutenait une enveloppe marron ; dans la main opposée, une petite montre qu’elle regardait toutes les trente secondes, pour ensuite regarder de tous les côtés et, voyant que je n'arrivais pas, regarder la tête basse au sol, en espérant me voir apparaître d'un moment à l’autre.
Et moi, lâche que je suis, sans me décider à sortir pour aller à sa rencontre.

- Bon et alors ? - je me suis dit - peu importe si je la fais attendre une ou deux heures de plus, pas vrai? Est-ce si important d’arriver à temps ? En fin de compte, je ne crois pas non plus qu'il est tellement urgent qu'elle me livre ces papiers… bon, cela en supposant qu'ils soient authentiques Peut-être m'a-t-elle appelé avec urgence seulement pour me voir ! Oui, ça doit être ça, hahahaha ! Mais noooon, mon ami, ce serait trop beau… Fantasio ne se laissera pas séduire par un transexuel, non monsieur !… Bien que… - ai-je murmuré, peu sûr de moi, après avoir jeté un coup d’oeil de nouveau - la vérité c’est qu'elle paraît très préoccupée… la ferais-je trop attendre… ? Aaaah, mais qu’est-ce tu dis !! - me suis-je exclamé en me frappant la tête - C’est un mec, Fantasio, un mec !  Ne la traites pas au féminin, ne te laisse pas tromper par son apparence ! Oui, c’est ca… Je ne dois pas m’en préoccuper si je n’y vais pas à la fin, pas vrai ? En fin de compte, si elle m’appelle en me demandant des explications, je peux toujours lui dire que j’ai eu de la fièvre ou quelque chose comme ça, elle comprendra… Elle ne va pas être offensée pour cela, pas vrai ?…

Passées 10 minutes après mon monologue, Michelle restait là, en m'attendant, étreignant cette enveloppe marron, le regard perdu en un certain point du sol et avec le visage triste. Pour achever l'atmosphère, juste alors il a commencé à pleuvoir. Elle a mis l’enveloppe dans son manteau, pour protéger les documents et son contenu de la pluie, restant là sans se déplacer pas le moins du monde de l'emplacement, rétrécie par le froid.
J’ai dévié le regard à ma gauche, tombant sur mon propre reflet sur la vitre de ma fenêtre. Me regardant froncer les sourcils, je dirais même avec un air accusateur :

- Quoi ?! - m’enquéris-je à mon moi reflété - Écoute, ne me regardes pas ainsi ! Crois-tu que cela résoudrait quelque chose si j’allais là? Ceci est totalement absurde ! - l'air inquisiteur de moi-même restait encore là, désarmant toutes mes excuses - Oh, et puis merde !! - ai-je finalement cédé, descendant de la voiture.

J'ai ajusté le col de mon imperméable pour me protéger du froid qui régnait dans l'atmosphère, tandis que la pluie commençait à redoubler. Dans la distance, Michelle m'avait reconnu, sourit, mélange de soulagement et de joie, et alla à ma rencontre.
Juste à ce moment même, une voiture noire avec vitres teintées fit son apparition.
Je sais que ça fait trop cliché si je disais que ce qui est arrivé ensuite s'est produit très rapidement et en même temps très lentement, comme au ralenti. Comme je suis aussi conscient que ce que je vais dire paraît plus comme une scène sortie d'un thriller américain typique.
Mais mes lecteurs savent bien que je compte toujours les choses comme ils ont été.
La voiture ralentit la vitesse et freina juste derrière Michelle. Elle s’est virée en se rendant compte de sa présence et, en la voyant, commença à courir vers moi, effrayée. Une des vitres de la voiture s’ouvrit et de celle-ci pointa le canon d'un pistolet. Même si cela je ne l'aie pas su jusqu'à ce que j'ai entendu les deux tirs.
L’un manqua son coup, l'autre non.
Et Michelle tomba au sol comme un lourd ballot.

fantasio

Previous post Next post
Up