Titre : Le jardin
Auteur :
soleil_ambrienFandom : Original (one-shot indépendant)
Personnage : Adèle
Rating : PG-13
Disclaimer : La nouvelle en question m’appartient, mais l’inspiration me vient d’
un clip de Within Temptation que je vous conseille de regarder après, car il vous spoilera probablement un peu l’histoire.
Notes : Aujourd’hui, c’est la saint-Adèle, et comme j’avais écrit une originale avec un personnage de ce nom début novembre, je me suis dit que je la posterais ce jour-là (même si ce n'est pas DU TOUT dans l'esprit de Noël, mdr). ^^
Le jardin
Parfois, je ne sais plus où je suis. Les lieux changent autour de moi, sans que je sache comment, ni pourquoi. Parfois, tout part d’un simple détail. Puis c’est l’univers tout entier qui bascule, et moi avec lui.
Ce matin, je me suis réveillée au chant des oiseaux, dans ma belle chambre aux murs d’un blanc éclatant. J’avais la langue pâteuse. Je me suis levée d’un pas hésitant, et j’ai ouvert la porte. Le verrou avait été retiré, et j’ai pu aller dans le jardin.
Ma chemise de nuit en flanelle s’accrochait aux herbes folles, mais j’aimais tant sentir la rosée sous mes pieds nus que j’ai continué à marcher. Les fleurs s’épanouissaient, sereines. Je me suis arrêtée un instant, afin de sentir leur parfum. Le printemps était là depuis peu de temps, et c’était agréable d’enfin pouvoir recevoir la lumière du soleil, sur la peau nue de mes bras. J’ai salué les arbres, leurs vénérables branches, leur présence apaisante.
Mon enfant était là, elle aussi. Elle serrait sa poupée dans ses bras, comme si c’était un véritable bébé. Elle avançait à grandes enjambées enthousiastes. Ses cheveux blonds lançaient des reflets dorés au soleil, et elle souriait de toutes ses dents. Léa avait toujours été ainsi, joyeuse et pleine de vie.
« Maman ! » m’appela-t-elle dans un éclat de rire. Je lui adressai un petit signe de la main, sans l’approcher tout de suite. Je préférais savourer sa présence paisible, le rayon de lumière qu’elle incarnait dans ma vie. Lorsqu’elle vit que je ne la rejoindrais pas immédiatement, elle repartir jouer gaiement.
Un papillon voleta à mes côtés, un monarque aux couleurs orangées. Radieuse, je l’accueillis dans ma main tendue. Il battit des ailes un instant, puis vint se poser au creux de ma paume.
Mais soudain, l’insecte se distordit, se métamorphosa et devint un scorpion. Un scorpion !
Le ciel si bleu se couvrit brusquement de nuages sordides. Autour de moi, le jardin changea, tomba en poussière, dans l’espace de quelques instants. Ce n’était plus qu’une décharge abandonnée. Un lieu lugubre, parcouru de ruines, hanté par les corbeaux. Ma robe se transforma, elle aussi, et se mua en haillons sales et déchirés. Bouleversée, je considérai l’arachnide que je tenais encore, et je le jetai au loin. L’animal fit un arc de cercle à la fois gracieux et redoutable, le dard levé.
Ma fille, ma petite Léa, avait également changé. C’était maintenant une gamine aux yeux hâves et aux cheveux emmêlés, parsemés de paille et de saleté. Ses joues se couvraient désormais de crasse et de cendres. Elle me fixa sévèrement, puis se détourna de moi.
Je la considérai plus attentivement. Comme une enfant des rues, elle fouillait la décharge qu’était devenu le jardin, à l’aide d’un bâton crotté. Elle ne répondit pas à mes appels désespérés. Au contraire, elle me tourna le dos et laissa tomber son baigneur dans la boue. Le scorpion grimpa sur sa tête de plastique. Je ne pouvais détacher mes yeux de ce spectacle morbide, fascinée. Mais je sentais également que mes larmes étaient prêtes à couler, alors je me couvris le visage de mes mains. Lorsque je les retirai doucement, le jardin était revenu.
Mais sans ma Léa.
Je crus entendre son rire, et je courus jusqu’aux balançoires, dans l’espoir de la voir en train de joueur paisiblement. Elle n’était pas là. Il n’existait même aucune trace de balançoire sur l’arbre. Tout ce qui se rattachait à ma fille avait disparu de ce monde.
Cette fois, mes larmes ont coulé pour de bon. Sans chercher à les essuyer, j’ai crié son nom de toute la force de mes poumons, j’ai couru. Mes vêtements aussi étaient redevenus normaux, et ma chemise de nuit se déchirait aux ronces du jardin.
Finalement, j’ai atteint le portail qui fermait le jardin. C’était étrange. Il ne me semblait pas qu’il était fermé par une véritable porte, auparavant. Je m’étais plutôt attendue à voir un petit portillon de bois. Mais non. Le passage entrouvert était semblable à une porte de maison.
Lorsque j’en poussai le battant, il s’ouvrit sur l’autre monde, cet univers de cauchemar où régnaient la crasse et la puanteur. Mon enfant me regarda à travers la porte, l’air accusateur. Elle tenait ce nouveau sa poupée, mais celle-ci n’était plus qu’un poupon informe. Une épave de jouet. Elle avait toujours à la main son bâton dégoûtant, et ses ballerines blanches étaient souillées de boue, de même que ses bas et sa petite robe d’été. Léa était méconnaissable, le regard hanté, comme une ombre.
Pourtant, j’ai traversé le portail sans hésiter. Il fallait que je la rejoigne. Tous les printemps du monde ne valaient pas une seule seconde passée avec elle. Une fois de plus, je subis la transformation propre à ce monde. J’oubliai les rires et le parfum des fleurs, pour chercher ma Léa, perdue dans la fange et les déchets.
Cette fois-ci, j’observai un peu mieux ce monde. Il m’était familier. Depuis près d’un an, je m’y retrouvais de manière totalement aléatoire, et mon enfant m’y attendait toujours. C’était toujours la même petite silhouette pâle et décharnée, cette gamine aux cheveux en broussaille, totalement dépenaillée. Mais elle restait ma fille, et je devais la sauver de cet enfer, la ramener.
Léa serrait sa poupée dans ses bras, l’air bien plus grave que lorsqu’elle jouait avec elle dans le jardin. On eut dit qu’elle était sa seule confidente dans ce monde de malheur. Je la vis traverser la décharge nauséabonde, aussi fugitive qu’une apparition, silencieuse comme un fantôme. Elle ne me prêta pas attention.
Je me mis à sa poursuite, mais je ne parvenais pas à l’atteindre. D’une manière inexplicable, elle se trouvait toujours trop loin de moi. Je hurlai son nom, encore et encore. Elle ne m’entendit pas, ou alors, elle m’ignorait. À un moment donné, elle s’arrêta même pour regarder les corbeaux qui planaient dans le ciel, mais pas pour moi. Je répétai mes appels.
Ce ne fut que lorsque je m’arrêtai de crier, la voix brisée, que je me rendis compte que quelqu’un d’autre répétait mon prénom.
« Adèle ! Adèle ? »
C’était une femme toute menue, l’air gentil. Elle avait posé son bras sur le mien depuis longtemps, sans doute. Captivée par Léa, je ne m’en étais pas rendu compte.
« Adèle, inutile de l’appeler, me murmura-t-elle avec douceur. Elle n’est pas là. »
Je l’ai regardée comme si elle était folle.
« Bien sûr que si, regardez ! » lui ai-je déclaré. Je lui ai montré la petite fille triste, qui fouillait les ordures de son bout de bois.
« Ma Léa est là-bas, fis-je d’un ton plaintif. Et elle a laissé tomber sa poupée.
-Non, Adèle, affirma posément la dame. Votre fille est morte, depuis presque un an, maintenant.
-Elle est là-bas… » répétai-je machinalement.
« Allez, revenez dans votre chambre, me contra la femme, en me ramenant à l’intérieur. Oh, vous êtes sortie pieds nus ! Quelle folie, nous sommes en plein hiver, voyons… »
Je l’ai considérée, le regard hagard. Je n’entendais pas un mot de ce qu’elle disait.