On entend plein de conneries ces derniers temps pour justifier l'échec d'une institution qui pourtant a du mal à crever - le couple. Mais depuis qu'il s'est un peu émancipé des pressions religieuses, familiales et sociétales, il faut bien finir par admettre qu'il y a une couille dans le potage. Alors on met ça sur le compte d'une supposée différence entre les sexes, et on fait d'une simple question de tuyauterie un problème planétaire, rien que ça. Mais si l'origine de tous les problèmes de couple était aussi simpliste que l'affirmation débile selon laquelle les hommes viendrait de Mars et les femmes de Vénus, l'idéal serait le couple homosexuel. Est-ce que ce modèle-là fonctionne mieux? A vrai dire, je n'en connais pas, donc je ne peux pas vraiment m'exprimer là-dessus, mais j'ai comme un doute... Je pense qu'un couple homosexuel connaît exactement les mêmes difficultés qu'un couple hétéro, parce que ces difficultés viennent non pas d'une soi-disant différence fondamentale entre les deux partenaires, mais de la notion de couple en général.
De nos jours, le couple se base avant tout sur la notion de possessivité. Pour la plupart des gens, la pire chose qui puisse arriver est l'infidélité de son conjoint. Alors on passe son temps à essayer de restreindre la liberté de l'autre, de manière assez subtile pour qu'il ne le ressente pas en tant que tel, mais souvent on est pas aussi subtil qu'on le croit, et là... c'est le drame. On voudrait contrôler chaque expérience de l'autre, vérifier au préalable que celle-ci ne nous menace pas, et surtout l'empêcher de prendre trop de plaisir sans nous car on se dit que sinon, forcément, il nous échappe. S'il n'a plus besoin de nous pour passer un bon moment, c'est obligatoirement une défaillance de notre part puisqu'on ne peut pas tout lui apporter... Et là, en plus de devoir faire face à nos propres angoisses, on doit affronter les moqueries de nos congénères aux yeux desquels on passe déjà pour un futur cocu. Heureusement, dans la majorité des cas, il y a la parade ultime des planètes, approuvée et estampillée par la société : il (elle) est parti(e) avec ses copains(-ines) faire des trucs de mec(fille). Et lorsque le conjoint passe le plus clair de son temps à faire des trucs de mec/de fille, on peut toujours relire Les Hommes viennent de Mars, les Femmes de Vénus pour se sentir moins seul... Ce qui n'empêchera nullement de lui faire une scène à son retour, en toute bonne conscience cette fois : une telle théorie foireuse implique une espèce de fatalité de la mésentente conjugale qui nous dispenserait du même coup d'avoir à prendre LA décision qui fait peur. Oui, on n'est pas heureux en couple, mais on reste ensemble parce que de toutes façons ce serait pareil avec un(e) autre. Le précieux petit confort est sauvegardé, et les apparences aussi. On n'est pas responsable de son malheur, c'est la faute des chromosomes. L'autre devient une sorte d'animal de compagnie, on ne sait pas très bien comment il fonctionne (et inutile d'essayer de le comprendre, la barrière des espèces nous en empêche), des fois il salit le tapis ou s'étale sur le canapé en laissant des poils partout, mais il faut s'en accommoder sinon on se sent trop seul et en plus on passe pour un looser...
Dans la même veine, le mythe du Prince Charmant, qui introduit la 2ème notion de base : la dépendance. Depuis le plus jeune âge, on baigne dans la croyance qu'un jour viendra une personne qui répondra à toutes nos attentes, palliera à toutes nos carences et nous sauvera. Il sera le seul, l'unique, l'alpha et l'omega et bien entendu il faut impérativement que ça soit réciproque, que l'on soit his first, his last, his everything. La dépendance et la possessivité son intimement liées. C'est pour ça que la plupart des gens ne supportent pas l'évocation des exs de son partenaire.
Mais est-ce qu'une seule personne peut vraiment être tout pour quelqu'un d'autre? Si je réfléchis avec mon coeur, j'aimerais vraiment y croire, et j'attends encore celui qui me sauvera; mais intellectuellement, je sais que ça ne tient pas la route 3 secondes. Contrairement à ce qu'affiche mon OTP, on ne peut pas tout partager avec quelqu'un, on aura forcément des centres d'intérêts divergents sur certains points, des carences que l'autre ne pourra, ne saura ou ne voudra pas combler, des rôles qu'on (ou que l'autre) ne voudra pas jouer. Et même si tout semble correspondre à merveille au début, le but de chaque individu est d'évoluer, et cette évolution ne peut pas se faire en vase clos ni dans le même sens pour deux personnes différentes. Martin a assez bien souligné les limites d'un twincest fusionnel... Comme le corps, l'affectif a besoin de nourritures variées pour s'épanouir. Ce n'est pas aimer quelqu'un que de contrôler les expériences qu'il peut vivre pour les limiter à celles qui semblent sans danger pour notre hégémonie sentimentale. Vivre, c'est faire le maximum d'expériences pour en retirer ce dont on a besoin pour évoluer, changer, s'épanouir, se réaliser.
Je ne cherche pas particulièrement à faire l'apologie du polyamour, que je n'ai jamais testé. J'ai longtemps cru que j'étais un coeur d'artichaut à cause de ma capacité à rester hypersensible au charme des autres tout en étant en couple. J'en ai déduit qu'avoir un seul partenaire pour toute la vie était contre-nature, et pourtant je voulais être fidèle, je rêvais de cet état de fusion qui durerait pour toujours. Et le concept d'échangisme me rebutait. Maintenant j'ai compris pourquoi. Il est basé sur cette notion de possession - prête-moi ton robot et je te laisserait jouer avec ma voiture téléguidée - et sur le fait de pouvoir contrôler les expériences de l'autre. Et quand je dis que je suis sensible au charme des autres, mon intérêt n'est pas uniquement sexuel. J'ai envie de connaître d'autres univers, d'autres façons de penser, d'aimer, de toucher... D'enrichir par là mon propre monde, je pense. Mais jamais de faire souffrir l'autre, et c'est là que le bât blesse.