Une scène que j'avais envie d'écrire depuis un moment, et ça m'a donné l'occasion de faire la description d'une région un peu particulière du Royaume d'Ersan ^^
La région des Milles Flaques
1193 mots
Univers :
les_immortelsChronologie : quelques années avant la quatrième partie (faudrait que je fasse des calculs pour être plus précise, j'ai la flemme... Tugdual doit avoir dans les 1000 ans et Nassim dans les 700, à vu de nez...)
La région des Milles Flaques, dans le Comptoir des Rives, avait ceci de particulier qu'on ne savait pas trop si c'était la mer qui envahissait la terre ou l'inverse, d'autant plus que trois fleuves venaient se joindre à la fête. La côte n'était pas découpée, elle était déchiquetée. Séquelles des combats titanesques entre les puissances du monde ou petit coup de folie de la Mère lorsqu'elle avait créé l'endroit, nul ne s'en souvenait - ni ne s'en souciait, à vrai dire.
L'homme s'était depuis longtemps installé dans cette région du continent et avait appris à supporter stoïquement les marées, les crues des fleuves et les humeurs plutôt changeantes du sol sous ses pieds - qui était pourvu, par-dessus le marché, d'une certaine instabilité sismique. Ailleurs dans le monde, les Milles Flaques seraient qualifiées de delta. L'ennui c'est que le terme de delta avait pour connotation la tranquillité d'un fleuve méandreux se jetant dans une mer ou un océan, en se séparant en plusieurs bras dont la position changeait au rythme des saisons et des dépôts de limon.
Rien n'était tranquille aux Milles Flaques et certainement pas les trois fleuves. Dans le reste du Royaume d'Ersan et sur toutes les cartes officielles ils portaient les noms d'Oniga, Leranis et Centaro. Dans le langage courant des Milles Flaques, c'était le Merdeux, le Con et le Touillé (ou le Mais Putain Arrête De Changer De Lit Tous Les Cinq Jours Y'En A Qui Bossent, ce qui était un nom bien pratique, quoique long, car il pouvait désigner les trois fleuves à la fois).
Quelque soit la manière dont on nommait les trois fleuves, on était la plupart du temps bien en peine de dire auquel on avait vraiment affaire. L'Oniga et le Leranis se rencontraient pour la première fois à l'extrémité du Comptoir des Rives, mais ne faisaient pas vraiment lit commun pour autant. Et lorsque le Centaro les rejoignait un demi millier de lieues plus loin, leur ménage à trois se faisait houleux et susceptible. Une certaine superstition avait régné dans la région, avant qu'on se rende compte que quoi qu'on fasse, quelque soit la manière dont on priait, quel que soit le dieu qu'on inventait et quelle que soit l'importance du sacrifice que l'on offrait aux fleuves, ceux-ci ignoraient toute tentative de corruption et n'obéissaient qu'à une seule loi : celle de l'emmerdement maximum.
Ils changeaient de place régulièrement, laissant derrière eux bras moribonds, étangs provisoires et flaques poissonneuses. La mer se glissait dans les canaux ainsi abandonnés par les fleuves pour remonter dans les terres et se glisser à peu près partout où elle le pouvait - et restait coincée lorsque la marée redescendait sans elle. De fait, il était de coutume de goûter l'eau avant de boire afin de vérifier qu'elle n'était pas plus salée qu'elle n'aurait dû l'être.
Il y avait peu de bâtiment à la dure, dans la région. Les rares qui tenaient encore debout dix ans après leur construction étaient qualifiés d'anciens, et ceux qui résistaient à vingt années aux efforts conjoints des fleuves, de la mer et du sol pour les flanquer par terre méritaient carrément le titre de monument historique. La plupart des maisons étaient montées sur pilotis et équipées de ballast en cas d'attaque surprise de la mer - les raz de marée étaient assez courant. On préférait de loin se déplacer en barque ou en radeau qu'à cheval, l'animal supportant assez mal un mode de vie semi-aquatique. Il était de plus pour ainsi dire impossible de faire du foin dans les Milles Flaques et, si en importer n'était pas un problème en soi, le stocker sans qu'il moisisse dans la semaine relevait du défi.
Tugdual aimait bien la région. L'aspect changeant du paysage et le fait que les villages changeaient de place et d'apparence en continu lui donnaient toujours l'impression de visiter des lieux inconnus - du moins, jusqu'à ce que quelqu'un les reconnaisse et les interpelle. Il était difficile de passer inaperçu : Nassim attirait le regard d'autant plus que depuis quelques années, l'interdiction d'avoir des esclaves venant des Essaims de Mor avait provoqué une migration massive des Moriens vers leurs îles d'origines - l'ennui étant que nombre d'entre eux n'avaient jamais vu les îles en question. D'un seul coup, croiser une personne à la peau noire en Ersan était devenu rare.
Tugdual et Nassim n'étaient pas encore allé voir la situation dans les archipels des Essaims de Mor. D'une part tous les Immortels historien de la Cité étaient certainement déjà sur place pour suivre en direct cette page de l'histoire et d'autre part Tugdual doutait que son faciès d'ersannien serait bien accueilli par là-bas. Il serait toujours temps d'y aller quand de l'eau aurait coulé sous les ponts.
En attendant, l'eau coulait sous ses pieds. Le muret sur lequel ils étaient assis devait bien être vieux de deux ou trois ans et avait le confort de la pierre chauffée par le soleil - et sèche, denrée rare s'il en est. L'après-midi était déjà bien entamé et la faim les avait dirigé vers la barque d'un vendeur de prêt-à-manger. Les habitants du coin n'étaient pas difficiles. La perspective de voir son repas inondé par la mer ou un fleuve, ou encore tomber au sol quand celui-ci se mettait en tête de danser la gigue avait de quoi rendre pragmatique et pratique. La vaisselle était déconseillée, ce qui expliquait que manger avec ses doigts ou une paire de baguette était monnaie courante, même pour les plus fortunés et les nobles.
Contre quelques pièces, le vendeur avait refilé à Nassim et Tugdual deux pains fourrés. Le contenu restait une surprise tant qu'on ne passait pas l'épaisseur de la croûte, généralement à l'épreuve de l'eau. Tugdual avait sorti du sien ce qui ressemblait à un tentacule de poulpe et l'avait porté à sa bouche sans trop y réfléchir. Il le repêcha du bout de ses baguettes et l'inspecta minutieusement, tout en se passant la langue sur les dents - quelque chose dans la sauce était assez astringent.
« Il a bougé, annonça-t-il avec autant de stoïcisme que possible.
- Ça prouve au moins qu'il est frais, lança joyeusement Nassim.
- Un peu trop frais à mon goût... » soupira Tugdual en jetant un coup d’œil circonspect au reste du contenu de son pain.
Quelque part au milieu de la sauce, un petit tentacule lui fit coucou et il jura voir un œil essayer de se cacher dans un coin.
« Il y a quoi dans le tien ? demanda-t-il en voyant que Nassim arrivait enfin à faire sauter la gangue de la croûte.
- Hmmm... un champignon... un autre champignon, fit-il en farfouillant à l'aide de ses baguettes. Encore un champignon, un truc bleu indéterminé, un champignon... j'ai dis qu'il y a des champignons ? »
Il releva la tête avec un grand sourire qui s'accentua lorsqu'il vit l'expression de Tugdual.
« Tu veux qu'on échange ? » proposa-t-il.
Nassim n'eut pas besoin d'attendre la réponse. Il prit le pain de Tugdual et lui tendit le sien à la place, tout en attrapant des dents le tentacule de poulpe qui gigotait toujours au bout de ses baguettes.
Une autre raison expliquant que Nassim et Tugdual apprécient le Comptoir des Rives, c'est que c'est sans doute le seul endroit au monde où ils peuvent se rouler une pelle au milieu de la rue sans attirer le regard plus que ça (l'homosexualité comme pratique sexuelle est relativement bien acceptée dans le reste du monde (à part en Dorwel - exception des magiciens et des druides - et dans une partie d'Ick), mais le Comptoir des Rives est leur seul endroit où il est possible de vivre ouvertement avec une personne du même sexe, ou de faire un double mariage, avec une femme et un homme e même temps).