J'écris pas vraiment sur les Héritiers ces derniers jours. J'ai écris plusieurs pages racontant la rencontre entre Horatio et Romaric et la formation des Chasseurs (je publierai ça entre janvier et mars) pi là je viens de me replonger dans le monde... du Cycle de la Mort.
Dragonwing, on va dire que ce qui suit est pour toi! Je n'avais pas réussi à répondre à ton prompt d'il y a un moment (Tango, si ma mémoire ne me trompe pas) mais à force d'essayer d'en faire quelque chose c'est ça qui est sorti quand j'ai entendu la chanson à la radio tout à l'heure ;p
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(Cycle de la Mort, se passe plusieurs dizaines voir centaines d'années après "On ne joue pas avec la Mort")
« Ah, je crois que je tiens quelque chose... »
Je lève le nez de mon écran, le temps de voir Roméo brandir une petite boite rectangulaire et peu épaisse. Ça fait un moment qu'il farfouille dans ce grand carton trouvé derrière une console avec l'air affairé.
« Un dévédé ? » je demande.
Il hausse les épaules et l'ouvre. Il a un air déçu.
« Nan, encore ces petites disquettes bizarres, fait-il en en prenant une entre deux doigts. Et on n'a toujours pas le moindre lecteur pour ces machins.
- Je croyais que Juju avait dégotté un truc...
- C'était pour les cartes SD. Ça c'est autre chose comme format. »
Je lui adresse une moue désolée et retourne à mon écran.
Ah, mais pardon, vous devez vous demander ce que c'est que ce bordel ? Je vais vous rafraichir la mémoire : moi, c'est Clément. Serviteur de la Mort elle-même - qui a l'apparence d'un adolescent acnéique de dix-sept ans, mais chut, il est susceptible. Pendant des siècles j'ai accompli mon travail relativement convenablement, sous l'apparence d'un adorable gamin de sept ans - et moi je ne me vexait pas si on me trouvait mignon !
Mais à la suite d'une expérience tarabiscotée des mortels, sur terre, qui ont commencé à se prendre pour des dieux, j'ai été contraint d'abandonner ce qui faisait de moi un enfant.
L'innocence.
Foutez-vous de ma gueule, oui, allez-y, je l'entends déjà la remarque sarcastique à la Yacine... « Toi, innocent ? » qu'il a dit. « Tu étais le plus insupportable mouflet de la création doublé d'un entourloupeur de première. Maintenant ferme ta gueule et viens ramasser les âmes, elles vont pas rappliquer toutes seules ! »
Bon, j'avoue, j'exagère un peu. C'est pas exactement ce qu'il a dit, mais le fond est là. Et puis, d'accord, il n'avait pas l'air très moqueur quand il a dit ça, plutôt assez gêné. Mais le fait est que je ne suis plus un enfant. J'ai bien essayé de retrouver mon apparence de gamin mais ça n'a pas marché. Je soupçonne Mort de ne pas vouloir, pensant sans doute qu'avoir une apparence adulte me donnerai un comportement d'adulte.
Raté.
Enfin, presque.
D'accord, d'accord, il a vu juste, je suis moins chiant, moins enclin à discuter les ordres et j'ai moins tendance à jouer de sales tours à tout le monde, surtout aux serviteurs dépourvus de libres arbitres.
Oui, parce que moi je suis un serviteur spécial, ha ! Moi je pense, je me sers de ma cervelle, je prends des décisions. Enfin, j'en ai la capacité. Yacine aussi, et Roméo et Juliette également. Ces deux-là, c'était apparemment un trait d'humour de la part de Mort : une histoire d'amour éternel, de poison, de suicide, ce genre de connerie. Ça a eu le mérite de faire rire Yacine. Et puis, quand tout le bordel avec les mortels qui ressuscitaient les morts s'est terminé, Mort a voulu renvoyer les deux amants maudis au rang de simples serviteurs.
Ils voulaient pas trop, vous pouvez l'imaginer. Yacine a alors menacé de se foutre en grève et de lui pourrir l'éternité. J'ai renchéri par-dessus parce que n'importe quel puissant sain d'esprit ne voudrait pas avoir Clément et Yacine sur le dos pour l'éternité.
Du coup, maintenant, on est quatre serviteurs a avoir le libre arbitre. Enfin, dans le cas de Yacine c'est un peu plus spécial que ça. Moi, Juju et Roméo, on pourra mourir, un jour. On pourra rejoindre le Cycle des réincarnations.
Pas Yacine. Mort l'a trop bidouillé. Peut-être qu'un jour il trouvera une solution mais c'est pas pour demain.
Revenons à nos moutons. Je sais pas exactement ce qu'est un mouton, mais les trois autres utilisent régulièrement cette expression et elle me plait bien. Plusieurs siècles ont passé depuis que les mortels faisaient joujou avec la mort et la vie, et donc depuis l'accord passé entre les mortels et les puissants. La face de la terre a bien changé. Moi je m'en fous, c'est toujours mieux que ce monde sombre et peuplé de zombis que j'ai connu, mais les trois autres sont parfois mélancoliques.
Il y a toute une partie du monde qui n'est plus du tout peuplée par les mortels à cause de bouleversements climatiques, et du coup de très vieux bâtiments enterrés et ensevelis depuis la grande catastrophe sont restés en l'état. Les mortels gérant bien leur part du contrat, on a moins de travail en temps que serviteurs et du coup on s'est tous les quatre offerts des vacances.
Si on peut parler de vacances le fait de fouiller dans des ordinateurs, des cartons et des banques de données immenses à la recherche d'infos sur la grande catastrophe. Surtout dans un bunker glacial et mal éclairé.
Ok, on voit dans le noir et la température ne nous affecte pas. Mais pour autant que je sache, ce n'est pas exactement la définition que je donnerai au mot ''vacances''.
Ça fait plusieurs jours qu'on est là et même Yacine commence à en avoir marre de ne rien trouver de concret. L'origine de la grande catastrophe, ça fait partie des choses qu'il crève d'envie d'apprendre (sauf qu'il ne peut pas crever... hem, je l'ai dit, que mon humour était parfois pourris ?) et il espérait sans doute trouver des réponses à ses questions. Ben raté, moi j'ai bien l'impression que c'est pas ici qu'on en trouvera. Tout ce qu'il y a ici c'est des tonnes et des tonnes d'informations analogiques et numériques relativement bien conservées. On dirait qu'il y a tout le savoir que l'on pouvait trouver dans l'ancien monde, mais rien expliquant pourquoi tout a soudain basculé pour sombrer dans les ténèbres.
Et non, les puissants n'ont pas la réponse non plus... parce que à ce moment-là une créature d'une autre dimension s'est perdue sur terre et les empêchait de voir quoi que ce soit dans le monde. Yacine refuse de croire que la présence de cette chose est seule responsable. Pour lui, il y avait plusieurs causes.
L'ordinateur sur lequel je suis est un des rares encore en état. Ou tout du moins, qui accepte de s'allumer après bidouillage dans ses entrailles par Juliette et Yacine. On dirait pas comme ça, en voyant cette jolie jeune femme, mais elle était informaticienne, grande bidouilleuse devant l'éternel, et si on la laisse faire elle se met à parler de monde libre, d'algorithmes, de schémas heuristiques et d'autres trucs parfaitement incompréhensibles.
Le pire c'est que Yacine, même s'il a pas l'air de tout comprendre, en comprend quand même assez pour engager la conversation. Ces deux-là s'entendent bien. Il faut dire qu'ils ont vécu plus ou moins à la même époque, ils ont les mêmes références et ont aussi en commun le fait d'avoir vécu longtemps et d'être morts de vieillesse dans leurs lits.
C'est pas le cas de Roméo, qui s'est farci un arbre dans la figure à l'âge de dix-neuf ans, bourré au volant de sa voiture. Du coup, niveau mentalité, c'est pas la même chose que nos deux vieux.
« Hé, mamie ! gueule-t-il par la porte, justement, sa boite pleine de petites disquettes en main.
- Quoi ? répond Juju sur le même ton de l'étage d'en-dessous.
- T'as toujours rien pour lire ces petites cartes qui ressemblent à des SD et n'en sont pas ?
- Et si tu cherchais un peu de ton côté au lieu d'attendre qu'un autre fasse le boulot, hein ? »
Et toc. C'est toujours comme ça en général, les discussions entre eux deux. On a la grand-mère démerde et bidouilleuse d'un côté, le p'tit jeune pas dégourdi pour deux ronds de l'autre. Moi ça me fait marrer. Mais leurs disputes journalières portent sur le système de Yacine.
Roméo m'adresse un regard de chien battu. Je ricane.
« Faux frère », qu'il marmonne.
Puis il file, allant sans doute chercher son bonheur ailleurs.
Moi je soupire devant mon écran. Il y a toute une bande sur sa droite qui ne s'allume plus, du coup c'est parfois gênant pour lire. Mais je me débrouille quand même pour fouiner dans les bases de données, sans rien trouver d'utile pour le moment. En même temps, on ne sait pas exactement ce qu'on cherche, du coup on n'est pas très efficace à avancer au hasard.
Ah, oui, je sais lire. Je sais me servir d'un ordinateur. Je suis peut-être né dans un monde plein de zombis, j'en suis pas débile pour autant et j'apprends vite. Mais là ça commence à me gonfler.
Je me lève et sort, devant pour cela enjamber le carton que Roméo a laissé en plein passage.
Le bâtiment dans lequel on se trouve devait être un immeuble de huit ou dix étages, mais comme toute la ville autour il s'est affaissé et le temps l'a enseveli. On est sous terre, les étages supérieurs sont complètement effondrés et Yacine aimerait visiter les caves mais il n'a pas encore trouvé de chemin sûr pour y aller.
C'est pas tellement pour nous, hein, on ne craint pas de se faire écraser sous des tonnes de gravats... mais si toute la structure s'effondre, on peut dire adieu à toutes les connaissances qui sont ici. Et peut-être bien qu'un jour, les générations futures de ce monde en auront besoin.
Le bâtiment penche un peu et je me retrouve à faire quelques pas dans un couloir qui monte pour ensuite prendre l'escalier qui descend. Juliette est là, juste en face de la cage d'escalier, les mains plongées dans les entrailles débordantes de fils de grandes boîtes qu'elle appelle des serveurs.
« T'as trouvé quelque chose ? demande-t-elle immédiatement, mais avec un sourire.
- Bof. J'ai pas trouvé de dates allant au-delà de l'an 2057. L'autre jour on avait des données plus récentes.
- En 2057, Yacine et moi étions encore en vie.
- C'était comment ? » je demande, par brusque curiosité.
Elle me lance un regard par en-dessous. Je n'ai pas pour habitude de poser des questions sur leurs vies.
« Pas si mal je suppose. Pollution, trop de monde sur la planète, mais on a eu trois présidentes formidables à la suite à l'Élysée dans la deuxième partie du vingt-et-unième et il y avait de moins en moins de guerres. »
Je hausse les épaules. Pour moi c'est des mots, des noms, des notions, des dates... mais ça ne signifie rien. Je retiens juste qu'elle avait l'air d'aimer ce monde. Ou tout du moins, de s'y sentir à sa place.
« Yacine est par là ?
- En bas, il cherche toujours à atteindre les sous-sols. Il a décidé de passer par les cages d'ascenseurs si tu veux le voir.
- Et demander à Mort et Espace de déplacer son corps en bas, il y a pas pensé ?
- Je crois... qu'il a pas envie de leur demander. Il a sa fierté, tu sais...
- Mouais, je fais, pas convaincu.
- Clément, des comme lui j'en ai rencontré des tonnes : il fait partie de ces mecs qui déteste demander quelque chose à quelqu'un, qui veut prouver qu'il peut tout faire tout seul. Ça lui passera, il finira par se résoudre à les appeler mais en attendant mieux vaut le laisser faire. »
Je souris, prêt à répondre quelque chose, mais Yacine apparaît justement au bout du couloir. Il vient vers nous appuyé contre le mur qui penche.
« Je viens de croiser Roméo la tête et les épaules dans un placard, par là-bas...
- Rien qui ne change de ces derniers jours, fait Juliette avec un sourire.
- Il cherche un truc pour lire les petites cartes machins choses, là », je précise.
Yacine me lance un regard du genre qui veut pas savoir.
Il fait noir comme dans un four ici ; en haut j'avais l'écran de l'ordinateur pour éclairer mais Juliette ne prend même pas la peine de s'embêter avec une lampe torche dans son trifouillis de câbles. Ça ne dérange aucun d'entre nous et Yacine s'appuie contre son mur avec son air de chien battu.
« Tu cherchais un passage pour en bas ? je demande, surtout parce que je n'aime pas le silence.
- Les conduits d'ascenseurs sont remplies de gravats. Tu serais encore en format nain je t'enverrai bien par les canalisations de la climatisation pour vérifier, mais... »
Il ne termine pas sa phrase, se contentant de sourire. Je réponds à sa provocation par un geste très mature : je lui tire la langue.
Il va pour rétorquer quelque chose mais se fige, brusquement. Après un instant de surprise, j'entends ce qui le fait réagir ainsi et Juliette sort même ses bras de ses câbles. On reste plantés là comme trois statues, à écouter.
« C'est de la musique ? finit par faire Juliette.
- Oui », répond Yacine.
Puis il se retourne et repart par où il était arrivé. Juliette et moi le suivons après un instant de flottement. A mesure que l'on approche, la musique se fait plus forte et bientôt je distingue même les paroles.
Je veux vivre toutes les joies de la terre
Je veux vivre et parcourir les mers
Je veux vivre pour sonner la planète
Sans en laisser une miette, je veux voir toutes les villes
Plonger de toutes les îles que leur ciel me délivre
Yacine s'arrête devant une porte. Juliette se glisse à l'intérieur et je reste près de lui ; il a le regard dans le vague, soudain. Ce regard, je l'ai rarement vu mais je sais ce qu'il signifie. Yacine est chez lui, il est mortel, dans son monde, entouré de sa famille. En quelques notes, en quelques mots, la chanson a effacé toutes ses souffrances de serviteur et de mort qui ne peut pas mourir.
Et on reste plantés là, tous les quatre, Roméo hilare devant son trophée, un petit appareil qui lit ses cartes et qui restitue de la musique par ses haut-parleurs. Le son crache un peu, mais l'engin est bien conservé pour son âge. Juliette a un grand sourire qui lui mange le visage.
Yacine a l'air au bord des larmes.
Et la chanson continue, elle parle de vivre, de la volonté de vivre, pour voir et apprendre tout ce qu'il y a à voir et à apprendre sur le monde, pour tout connaître, pour être, pour exister. Et je sens comme cette chanson dévore les entrailles de Yacine, lui qui ne vit plus, qui a vécu mais n'est plus, qui ne peut même pas s'endormir pour recommencer.
Pour que lorsque la mort viendra me faire, un sort
Elle ne puisse jamais, jamais déraciner tout ce que j'ai planté
Tout ce que j'ai semé qui me fera survivre
Et là, soudain, Yacine fait volte-face et disparaît dans le couloir. J'hésite une seconde, fusille Roméo et l'appareil du regard et file à sa suite. Il court vite le bougre et je ne le rattrape pas avant l'extérieur, six ou sept étages plus haut. Il fait nuit dehors. Le sol est recouvert de glace et de neige figée et dure. Respirer l'air frais me fait du bien et je me rends compte qu'on était là-dedans depuis trop de temps.
« Ça va ? » je lance, plus pour signaler ma présence qu'autre chose.
Il me tourne le dos et a enfilé ses mains dans ses poches. Ça n'est jamais très bon signe.
« Oui, fait-il, mais d'une voix si faible que je l'entends à peine.
- Tu connaissais cette chanson...
- Ma fille l'écoutait en continu, pendant son adolescence. Elle et toutes celles des albums de Faudel.
- Qui ?
- Le chanteur.
- Ha... »
Je me tais. Quoi dire d'autre ? Ça la remué, c'est sûr. Il connaissait la chanson et ce qu'elle raconte c'est exactement ce qu'il veut. Il a vécu, il a existé, il a visité des tas de choses et absorbé des tas de savoirs. Il veut mourir. Il veut dormir. Mais il ne peut pas.
En somme, il est bloqué au dernier couplet.
« Elle a pas tort, la chanson, tu sais », je lance, finalement.
Il me retourne un regard interrogatif. Bon, au moins il est pas en train de chialer et de se lamenter. Ça fait longtemps qu'il a compris que ça ne servait à rien.
« A la fin. Tout ce que tu as semé et qui te fera survivre. Tu as eu des enfants, des petits-enfants, etc... ta descendance peuple en partie ce monde. Et toi tu es toujours là pour veiller sur eux.
- Je ne devrais pas être là, Clément. C'est sur ce point que ça pèche.
- Ouais, je sais, mon raisonnement est pourri », j'admets en me passant une main dans les cheveux.
Il sourit et lève la tête vers le ciel. La lune n'est pas levée et les étoiles brillent fort. De l'autre côté du monde les descendants de Yacine et Juliette, parmi d'autres, vivent et essaient de faire de cette planète un endroit fréquentable.
« Tu vas rester longtemps comme ça à te geler les fesses, le nez en l'air ? » je finis par demander, l'air de rien.
Cette fois il a un petit rire. Il baissa la tête et me regarde. Je fais une bonne tête de moins que lui et j'ai beau être plus grand que quand j'étais dans le corps d'un enfant, pour moi il est toujours aussi impressionnant, aussi immense. Comme un roc inébranlable. Si un jour Mort trouve un moyen de le renvoyer dans le Cycle, je demanderai à y retourner moi aussi. L'éternité sans Yacine, ça ne ressemblerait à rien.
Il passe un bras autour de mes épaules et m'étrangle à moitié en m'entrainant.
« Allons voir s'il y a quelque chose de plus intéressant que du Faudel sur les cartes qu'a trouvé Roméo...
- Arghoui, chef ! »
(Vous n'avez pas le droit de ne pas connaître la chanson ;p mais on peut la réécouter ici ^^
http://www.youtube.com/watch?v=hOSqs90UARs