Ce matin j’ai pris le train à 8 heures.
J’aime bien prendre le train parce que ça a un effet bénéfique sur ma concentration, et Dieu sait que j’ai du mal à me concentrer en temps normal. Mais dans le train, je peux traduire jusqu’à 4 000 mots en trois heures, là où d’habitude c’est le temps qu’il me faut pour en faire 2 500, et encore, en étant optimiste. Le fait qu’il soit tôt est tout aussi bénéfique, parce que je suis doublement efficace le matin ; malheureusement j’ai un mal de chien à éteindre le soir, du coup souvent je me réveille tard, et le temps de me motiver à me mettre au boulot, j’ai largement dépassé ma période d’efficacité.
En général, j’arrive dans le train, je finis mon café le temps que l’ordi se lance, je commence à traduire, ça grippe pendant une petite vingtaine de minutes parce que je ne suis pas réveillée et que je fonctionne au diesel, puis vroum, ça démarre et quand je lève le nez à l’arrivée, j’ai bossé pour deux jours et demi, yeah moi !
Aujourd’hui, il me restait 2 200 mots à peu près avant de finir cette traduction, je me suis dit : « Parfait, je te boucle ça tranquillou, et à moi le week-end zen et la semaine de pause bien tassée avant de commencer ma relecture, yeah moi bis ! »
Seulement, ce que j’avais oublié, c’est que sur ces 2 200 mots, il y en a un peu plus de 1 000 de scène de cul.
La scène de cul en public, c’est ma malédiction : quand je fais une beta de fic ou une correction de traduction, elle arrive toujours quand je suis dans le train ! À côté de quelqu’un qui est là dès le début et qui n’a rien à faire et s’intéresse beaucoup à ce que je tape comme ça !
Beta de Blind Date(s) + train + voisin curieux ? (là Brisby ressent un soudain sentiment de culpabilité, ouvre Word sans comprendre vraiment pourquoi et regarde d’un air angoissé autour d’elle)
PAF ! Scène de cul !
Beta de Retrouvailles + train + voisin curieux ? (là, Meanne a une terrible sensation de démangeaison, l’estomac qui se retourne vaguement et l’envie brutale de faire un exorcisme)
PAF ! Scène de cul !
Traduction longue où il n’y a que deux scènes de cul sur 100 000 mots + train + voisin curieux ?
PAF ! Scène de cul !
Dans le cas des traductions (comme, genre, la dernière fois que j’ai pris le train, qui était aussi l’une des deux scènes de cul précédentes de cette traduction), je saute purement et simplement la scène, passe à la suivante et j’y reviens quand je suis plus tranquille.
Mais là, je suis à la fin. Il n’y a pas d’autre scène, c’est celle-ci la dernière.
Mortification !
J’ai bien envisagé de m’y mettre quand même, tant pis pour lui, ce voisin, il n’avait qu’à pas regarder mon écran de son œil intrigué s’il ne voulait pas surprendre mes divers synonymes pour « pénis » et autres « testicules » !
Mais voilà : je n’arrive pas à écrire en public et j’ai du mal à traduire en public. Ça m’intimide, j’ai envie de crier : « Ce n’est que le premier jet ! Ne me jugez pas sur cet anglicisme affreux que je ne vois sûrement pas ! AAAAAH ! »
(J’ai des crises d’angoisse sur les petits bouts de fics que Luna veut que je lui traduise, alors imaginez ce que ça donne quand il s’agit de mes contrats officiels en tant que traductrice professionnelle.)
Quand c’est de la narration de base, je prends mon courage à deux mains et je fais semblant que je suis dans une bulle, pour la bonne cause : la tranquillité de mon week-end.
Mais alors, les scènes de cul, c’est ma croix. Je les redoute toujours. Je parcours fiévreusement mes nouvelles traductions pour voir s’il y en a beaucoup (comprendre : plus d’une) et combien de mots elles font, et si les positions sont complexes.
Pour moi il n’y a rien de plus dur à traduire. Dieu sait ce que je déteste les scènes d’action, mais je préfèrerais écrire une scène de combat complète plutôt que traduire une moitié de scène de cul.
Il y a toujours des jambes et des bras partout ! Des pronoms foireux où on ne sait pas à qui appartient cette langue qui se balade ! Des phrases passables en anglais qui deviennent le contraire absolu de sexy en français !
Et cette traduction est particulièrement difficile, je me suis retrouvée face à mon premier 69, EH BAH C’EST PIRE QUE TOUT, et oui, j’ose : pire que de trouver des alternatives à « pénétrer » et « caresser » !
J’ai envie de pleurer rien que d’y penser.
Bref.
Tout ça pour dire : le traumatisme serait probablement plus grand pour moi que pour mon voisin, et ce même s’il se rend compte qu’il y a deux pénis dans cette scène, et pas un seul vagin.
Je descends de ce train sans avoir fini ma traduction, allez vous faire foutre, voisin trop curieux et auteur ayant pensé que terminer sur une partie de jambes en l’air, c’était une bonne idée.