Un autre rec post mastoc rédigé pour la communauté
amour_de_fans Je ne suis pas sûre que ce soit tout à fait une rec parce que je n'imagine pas que vous soyez passées à côté, disons que c'est plutôt à la fois un chant d'amour, des bouts de réflexion désordonnés et une espèce de tentative de discussion mais dont je n'ai pas vraiment formulé les problématiques (je vous promets que ce sera intéressant quand même, restez avec moi).
C'est l'histoire de moi dans une salle de cinéma, juste avant que ne soit projeté Age of Ultron, face à la bande annonce de Mad Max: Fury Road sur fond de "Dies Irae". Les yeux scintillants, je me tourne vers ma comparse et décrète: "Ça a l'air DÉBILE, je vais aller le voir EN COURANT, je vais CAMPER DEVANT LA SALLE en attendant que ça sorte!!!" Je suis suis fan inconditionnelle (et fine connaisseuse) de films d'action des années 80-90, et de grandes fresques de série B (Riddick je t'aime), ce film a l'air déjà taillé pour moi. Et après la séance, il s'est finalement avéré que le meilleur moment de Avengers: Age of Ultron pour moi a été la bande-annonce de Mad Max: Fury Road.
C'est l'histoire d'un hold-up cinématographique par un papy australien à moitié cinglé, qui a aussi réalisé un des meilleurs films d'animation au monde (ceux qui disent que Happy Feet n'a rien à voir thématiquement avec Mad Max n'ont pas vraiment vu Happy Feet. C'est peut-être un post pour une autre fois, mais Happy Feet est une comédie musicale avec des pingouins, mais aussi un film de science-fiction, une odyssée épique, et une fable écolo, avec des beaux mouvements de caméra maîtrisés qui trahissent le vrai bon réalisateur derrière -- et pas juste un enchaînement de plans caméra fixes dans lesquels des bestioles hystériques qui parlent ne font que s'agiter, à la Madagascar).
C'est l'histoire d'un chef-d'œuvre, mais aussi d'une impossibilité. C'est l'histoire d'un genre qui se meurt, de Hollywood qui fait constamment de la merde avec son pillage nostalgique et sa course à la licence, et d'un renouveau au singulier, qui ne changera sans doute pas la donne et qui nous rappelle surtout ce qu'on a perdu. Ou peut-être est-ce effectivement une pousse verte porteuse d'espoir dans un grand désert radioactif et stérile. Allez savoir.
C'est l'histoire d'un personnage féminin, héroïne d'un film d'action post-apo, chose tristement inimaginable de nos jours, planquée en scred sous une grosse licence avec un nom d'homme.
C'est l'histoire de quelques crétins misogynes sur Internet, qui se plaignent justement de la trop grande "féminisation", à leur goût, du film de dudebros qu'ils attendaient, alors que le film n'est même pas encore sorti. L'info est relayée et fait tache d'huile, et voilà que des femmes qui n'avaient aucune intention d'aller voir Mad Max s'y intéressent soudain. Puis c'est l'histoire d'interminables articles et débats sur internet occultant presque la qualité du film en lui-même, oui Mad Max est féministe, non Mad Max n'est pas féministe, Mad Max est un peu féministe mais pas trop, si, non, on s'en fout.
Enfin, c'est l'histoire de moi, encore, de retour dans une salle obscure, nerveuse comme jamais, m'attendant à tout moment à être déçue, et d'une déception qui n'arrive miraculeusement pas. Moi qui m'en prends plein la tête, avec de vraies belles explosions même que j'avais oublié comment ça faisait, moi qui avais failli annuler mon abonnement à la carte UGC tellement 2014 avait été vide en bons films et qui ne croyais plus du tout au cinéma. Moi, à nouveau cinéphile, les larmes aux yeux quand a défilé le générique de fin.
Je ne vais pas recommencer ici toute la discussion sur Mad Max et le féminisme, je trouve qu'il y a eu déjà suffisamment d'encre qui a coulé sur le sujet (ceci dit, si ça vous intéresse quand même ou que vous êtes passées à côté je vous mettrais quelques liens d'articles dessus que j'ai trouvés intéressants à la fin de ce post), j'aimerais plutôt qu'on discute, si vous le voulez bien, de pourquoi Mad Max est ressorti à ce point dans le paysage filmique cette année.
Selon moi, il y a plusieurs facteurs. Comme je le disais en intro, je constate que le cinéma de genre s'appauvrit de plus en plus; on n'est plus dans une logique de blockbusters à la "Nouvel Hollywood", à savoir des films à moyen budget avec des réalisateurs qui en tirent le maximum avec intelligence, de bonnes histoires empruntées au cinéma indé et mises au service du mainstream, et qui triplent leur investissement initial avec leurs recettes. On est dans une logique globale, où le budget d'un film mainstream n'inclut plus seulement sa fabrication, mais désormais aussi son budget marketing *mondial*, ce qui fait une addition sacrément salée au bout. Pour amortir cette addition, surtout en période de crise, les studios ne prennent plus de risques. D'où reboots de vieux films (justement issus de la vague Nouvel Hollywood), exploitations de licences jusqu'à plus soif, et tirage de ficelle nostalgique pour fanboys prêts à donner tout leur fric comme des pigeons tant qu'il s'agit de quelque chose qu'ils connaissent déjà.
Les scénarii finissent aussi tous par se ressembler, courses au
macguffin en quatre actes en veux-tu en voilà (
je te juge très fort, Marvel), et autres scripts rythmés à la minute près selon la théorie de Blake Snyder (je vous enjoins céans à lire
cet article de Slate intéressant et très complet qui explique par le menu pourquoi les scénarii de film grand public de nos jours sont très littéralement tous les mêmes).
Et enfin il faut aussi des histoires suffisamment passe-partout pour être vendues partout sans paumer ni vexer personne, et surtout pas les Chinois (désormais premier vivier mondial de spectateurs de films hollywoodiens à gros budget).
En quoi Fury Road ne s'inscrirait-il pas dans cette lignée, cependant? C'est pourtant bien une remise au goût du jour de grosse licence, donc en quoi ce film n'est-il pas non plus un énième tirage de la corde nostalgique, et qu'on s'empressera d'oublier dès que Marvel nous balancera son prochain fond de tiroir?
Premièrement, parce que Miller avait une totale licence artistique sur ce film. Le bruit veut qu'il aurait échangé à la Warner les droits de la Justice League qu'il détenait, contre ceux de Mad Max, s'arrogeant ainsi une plus grande liberté artistique et n'ayant pas à subir de pression des studios et de marketteux pourris qui n'y connaissent rien de mettre plus de ci ou de ça dans son histoire afin que le film soit "rentable".
Je ne suis pas voyante et j'ai juste un minimum de connaissances sur la question des méthodes de production hollywoodiennes, mais je peux imaginer sans mal et avec vivacité ce qu'aurait donné Mad Max: Fury Road si c'était les studios qui s'en étaient chargés, avec une armada de yes-men dans l'équipe de réalisation. Déjà le film n'aurait pas été une suite à la saga (il est aussi connu comme "Mad Max 4"), parce que ça fait trop longtemps que Mad Max: Beyond Thunderdome est sorti, donc les studios auraient voulu absolument un film "origins", pour commencer une nouvelle licence, donner un coup de neuf à du vieux et attirer un nouveau public. Je ne peux pas vous exprimer à quel point j'en ai soupé des films "origins": une histoire d'origines, c'est vraiment la pire des solutions de facilité et leur profusion a fini par me dégoûter (il y a une raison pour laquelle on nous en ressert à tour de bras ces derniers temps, et quand on a fini une saga, hop un petit coup d'origins, on prend les mêmes en très légèrement pas tout à fait pareil et on recommence. D'où les énièmes reboots de Batman et Spiderman. Un petit truc marketing emprunté à l'industrie comics américaine -- et on sait où ça l'a menée). Si possible avec deux ou trois méchants falots pour un maximum de confusion dans l'intrigue, parce qu'un seul méchant dans une histoire de nos jours ça ne peut plus suffire.
Ensuite il aurait fallu faire plaisir aux fanboys (j'entends par ce mot, les fétichistes et les collectionneurs, les donneurs automatiques d'argent aux licences) et aussi juste aux gens du grand public qui connaissent vaguement et/ou qui ont entendu parler des films originaux de Mad Max, donc truffage de références vaseuses en dépit du bon sens et du scénario (méthode dite "de J.J. Abrams"): l'Interceptor, la voiture iconique de Max, aurait été beaucoup plus mise en avant, voire aurait été un élément essentiel du scénario (au lieu de quoi dans Fury Road elle apparaît en clin d'œil puis se fait exploser assez rapidement). Max aurait obligatoirement dû avoir un chien (en référence à Road Warrior où, pour l'imagerie populaire, Max a un chien; même pas besoin de connaître le film, sur toutes les affiches c'est Max et son chien). Et surtout, un caméo de Mel Gibson aux trois-quarts du film, avant le quatrième acte, qui n'aurait rien eu à foutre là mais ce serait juste pour que les gens fassent "ooooh" dans la salle en le voyant, sans autre résonance que "ah j'ai reconnu machin" comme des vieilles Niçoises sur leurs escabeaux qui viennent mater la montée des marches à Cannes, et éventuellement pour jouer un peu la carte nostalgie.
Et pour finir, Max aurait effectivement été au centre de l'histoire,
dans une débauche de testostérone et de masculinité en péril, et Furiosa aurait souffert du "syndrome Trinity", à savoir un personnage féminin mille fois plus qualifié et avec plus d'enjeux dans l'histoire que le héros, mais qui aurait inexplicablement cédé sa place de protagoniste au profit du héros pour être relégué à l'arrière-plan et revenir au dernier acte en tant que love interest et donc récompense no homo du héros.
Ah, et aussi il aurait fallu un subplot merdique totalement déplacé qui serait tombé comme un cheveu sur la soupe, juste pour préparer la suite (besoin de licence on vous dit! Il faut que le public revienne absolument, et que chaque film ne soit qu'une bande-annonce étirée comme un chewing-gum pour le suivant)(JE TE HAIS, MARVEL!).
Je fais peut-être un procès d'intention très méchant et injuste aux studios hollywoodiens et si ça se trouve ça ne se serait pas du tout passé comme ça si ça n'avait pas été Miller aux commandes du projet, mais jusqu'ici j'attends encore d'être contredite par la tendance générale à produire des bouses et à saccager mes amours d'enfance (et d'adolescence).
En attendant, au lieu d'une profanation en règle d'une saga légendaire, on a eu droit à une histoire originale, contenue en elle-même sans préparation d'un deuxième volet rentrée au chausse-pied (même s'il y en aura bien un, de second volet, ce qui est une excellente nouvelle), que Miller a intitulée "Mad Max" comme le reste de sa saga mais qui donne incontestablement le premier rôle à un personnage féminin original joué par une actrice quadragénaire et des rôles totalement secondaires attribués aux persos masculins; avec des petits clins d'œil que si effectivement tu clignes des yeux tu les loupes; une histoire simple, carrée, sans chichis, à la narration limpide et excitante au tout premier degré, à l'action in medias res sans pavés de dialogues explicatifs pourris (tout passe par la mise en scène et le jeu d'acteur! C'est magique!), réalisée de main de maître avec des effets spéciaux à papa, des vrais qui font boum-boum; quasiment pas d'écrans vert ni de 3D baguette magique. FUCK YEAH!
Deuxièmement, parce que Miller ne gâtouille pas, et contrairement à d'autres réalisateurs vieux qui sont revenus sur les sagas qui les ont fait connaître et qui les ont massacrées (*tousse* Ridley Scott *toussetousse*), il n'a fait aucune concession. Fury Road a mis une dizaine d'années à se faire, le tournage a été un cauchemar et Miller tellement maniaque et démesuré dans sa vision que même les acteurs impliqués se sont mis à se demander s'il ne sucrait pas un peu les fraises (Tom Hardy notamment a dit avoir eu beaucoup de mal, jusqu'à ce qu'il voit le cut final du film et a immédiatement demandé pardon à Miller d'avoir douté de lui).
Cet excellent article met en parallèle Michelange revenant à la Chapelle Sixtine pour peindre le Jugement Dernier et Miller revenant sur Mad Max pour faire Fury Road, avec une conclusion sans appel: c'est en général une mauvaise idée de revenir sur une œuvre de jeunesse alors que tu as vieilli, mais si tu le fais... "Go hard, or go home" (à traduire peut-être par "vas-y à fond, ou casse-toi pauv con"). Et effectivement, il n'y est pas allé de main morte, l'Australien fou, et dans ma tête, Fury Road c'est lui qui met ses énormes roubignoles fripées sur la table, sous le nez des Spielberg et des Lucas et des Cameron, pour leur dire qu'ils sont tous de sales vendus à la solde du capital et qu'ils peuvent ramasser leurs dentiers. Ce mec a 70 balais, et c'est le dernier des punks. Bravo monsieur.
En conclusion: ce sont des circonstances exceptionnelles, ainsi qu'un créateur exceptionnel, qui ont permis à Fury Road d'exister. Dans la grande époque où les studios lâchaient la grappe aux réalisateurs et n'essayaient pas non plus activement de tuer la profession (je reviendrai dessus dans un autre post), il n'aurait pas dépareillé. Mais de nos jours, il est considéré comme un OVNI. Certaines personnes n'ont pas compris l'engouement qu'a suscité ce film, mais ces personnes ne comprennent sans doute pas le contexte dans lequel il a vu le jour. Pour ma part, Fury Road m'a redonné goût au cinéma grand public. Je sais qu'une telle anomalie ne pourra pas se reproduire tous les quatre matins. L'autre film d'action sympa que j'ai vu cette année était Kingsman, et il a été entièrement produit avec les fonds personnels du réalisateur, Matthew Vaughn.
Le constat peut être déprimant: ça veut dire que pour échapper à l'influence et la pression maléfiques des studios, il faut soit être très riche, soit avoir d'énormes couilles, soit les deux. Mais j'espère d'un espoir fou que Miller ne restera pas le seul à porter sa vision jusqu'au bout et à faire des films d'action qui comptent. J'espère que, comme il a été à l'origine d'une grande vague d'émulation de son œuvre de grand malade (si vous maîtrisez l'anglais il vous faut absolument voir
cette vidéo -- assez courte, de 10 minutes -- qui récapitule les conditions de tournage du premier Mad Max, et le contexte dans lequel il est sorti), George Miller inspirera d'autres jeunes réalisateurs à s'imposer et à ne pas se laisser faire.
Je vous laisse sur ces bonnes paroles avec des liens intéressants, et des conneries.
D'abord, les conneries:
Mad Max Fury Road + tumblr text posts (ou: "je m'identifie vraiment beaucoup au personnage de Max Rockatansky"):
Mad Max: Fury Road Honest Trailer (très honnête)
Click to view
Une review de Mad Max dans un ton très "FUCK YEAH" aussi:
http://thebestpageintheuniverse.net/c.cgi?u=mad_max_hell_yeah Un cosplay d'Immortan Joe fusion Donald Trump, totalement d'actualité:
La meilleure fanvid de Fury Road que j'aie vue à ce jour:
Click to view
Et
le strip le plus drôle jamais produit par le fandom, "MAGIC MAX XXL", soit Mad Max stripper AU:
Florilège de liens meta sur Mad Max, le féminisme, et le reste:
(source:
Feminist Mad Max)
"Mad Max" As Hell: The Masterful, Maniacal, Surprisingly Feminist "Fury Road"
http://grantland.com/hollywood-prospectus/mad-max-as-hell-the-masterful-maniacal-surprisingly-feminist-fury-road/ Wives, Warlords and Refugees: the People Economy of Mad Max
http://www.kameronhurley.com/wives-warlords-and-refugees-the-people-economy-of-mad-max/ Mad Max: How MRAs Killed The World
http://www.thedailybeast.com/articles/2015/05/20/mad-max-how-mras-killed-the-world.html Male Gaze: une analyse en parallèle de Fury Road et de Age of Ultron à travers ses compositions et ses choix de plans
1.
http://bonehandledknife.tumblr.com/post/120963908840/things-in-jars-bonehandledknife2.
http://bonehandledknife.tumblr.com/post/120801943690/male-gaze-composition-choices-and-mad Pour ceux qui disent que les "Femmes" d'Immortan Joe n'étaient pas des personnages très développés, lire comment chacune de leurs interprètes se sont appropriées les personnages et expliquent leurs particularités et leur psychologie:
http://re-crudescence.tumblr.com/post/120370823837/cast-interviews-the-wives Tom Hardy, le héros qu'on mérite:
http://kinghardy.tumblr.com/post/118974888927/charleishunnam-as-you-were-reading-the-script Et enfin A War Rig of One's Own: en défense d'un Mad Max féministe
http://wellntruly.tumblr.com/post/120468879068/a-war-rig-of-ones-own-a-very-long-post-on-fury (dessin de
modokiblack)