Dans une boite en bois - Shono

Dec 10, 2006 23:54


Titre : Dans une boite en bois

Auteur : isil-chan

Personnages : Shono

Rating : G

Disclaimer : Si le concept de base est à un ami, l'histoire et le caractère des personnages m'appartient.


Il fait si froid, dans ce Temple… Un édifice solitaire dressé au milieu de la neige et du vent, fait de pierres et de larmes, d'espoirs et de craintes. Dehors, la tempête fait perpétuellement rage, douloureux écho à la peine qui rugit dans leurs cœurs. Six Lames orphelines, six au lieu des Sept qui faisaient trembler les ennemis d'un Empire désormais en ruines.

Discrètement, Shono se glisse dehors. Il va bientôt faire nuit, et la Princesse sait que ce crépuscule sera pour elle le dernier. Pour eux tous. Alors elle bande sa Volonté comme autrefois, guidée par les mains expertes de Chagatai, elle bandait la corde de son arc et elle attend le bon moment. Du coin de l'œil, elle observe ses compagnons d'armes, ses frères et ses sœurs s'affairer une dernière fois.

Emmitouflée dans son châle aux couleurs d'océan, Akisawa parcourt le Temple pour parachever ce qui sera sa plus belle et sa dernière œuvre de Magicienne. Le rythme régulier de son bâton sur le sol dallé a quelque chose de rassurant, et un instant, Shono ferme les yeux et se permet de rêver. Elle rêve à ces promenades qu'elles faisaient toutes les deux dans les rues de la Cité Impériale, cachées sous des ombrelles aux couleurs chatoyantes. Elle rêve à cette insouciance qu'elles ont un jour toutes les deux connu, et qui s'est envolée aussi sûrement qu'un cerf-volant empreint de liberté. La Vision, désormais, semble bien seule dans sa tâche, bien seule sous ses paupières trop souvent baissées.

Matsu se tient devant sa lourde armure, qu'il a ôtée presque à contrecoeur et qui trône désormais comme les autres le long d'un mur de la salle. Il la caresse du bout des doigts, avec une douceur contrastant avec sa haute stature et ses muscles puissants. La Princesse regarde son plus proche ami, ce guerrier si impulsif et pourtant si attachant qu'elle n'aurait jamais cru aimer. La Détermination, pourtant, a pris sa place dans son cœur, comme tous les autres, et aujourd'hui, pour elle, il ne pourrait en être autrement.

Kayu se dresse à ses côtés, lui aussi observant ses armes à présent exposées aux yeux d'un visiteur qui ne viendra peut-être jamais les délivrer. Ses yeux sont tristes, lui dont la Force n'avait d'égale que la gentillesse, si tendre paradoxe qu'est ce guerrier au regard doux. Dans son cœur, certainement, comme dans celui de Shono, la perte de Chagatai, son frère pèse lourd, comme si chaque coup porté à ce corps tant aimé les avait à leur tour fait ployer.

A l'autre bout de la salle, postée près du Miroir, Daïgotsu veille. Shono pose ses yeux violets sur la farouche Championne impériale, sa si chère cousine, et ses lèvres se plient en un sourire amer. La Perfection n'a plus si fière allure, sans son armure de bleu et d'ivoire. Et pourtant dans son maintien et dans la façon dont elle regarde le Miroir, rien n'a changé. Daïgotsu veille toujours sur les siens la lame au poing, donnant chaque jour un sens à sa vie en l'offrant pour protéger les autres. Aussi ce Miroir qui renferme l'âme de son Empereur, de leur Empereur à tous, est-il aujourd'hui plus important que tout.

Et, contre un pilier, sa pipe pourtant éteinte au coin des lèvres, à demi caché dans la pénombre est assis Baïsetsu. Pour lui, Shono n'a ni sourire, ni soupir de regret. Elle n'a aucune émotion qui pourrait se décrire avec des mots, car il est le Contrôle. Il est celui qui veille, celui qui conseille, celui qui sourit et celui qui trouble. Le Conseiller aux mains fines, plus habituées à manier les pierres du Go ou du Shôgi que cette épée d'ombre qu'il a créée de sa Magie a sur le visage une expression paisible. Et c'est dans ces traits que la Princesse trouve le calme qui lui fait défaut.

Cette scène presque familière se déroule sous ses yeux, et dans son esprit, elle comble les vides laissés par les absents. Dans son cœur, Chagatai traverse la pièce à grands pas, et de sa voix de Tonnerre, il interpelle les Lames, avec pour chacun le mot qu'il faut, le sourire juste et rassurant de celui qui sait mener ses hommes. Et derrière ses paupières baissées, Tôtouri, son frère tant aimé sourit en regardant cela, le front plissé par la défaite mais soulagé néanmoins d'avoir autour de lui ceux qui lui ont dédié leurs vies, ceux pour lesquels il a toujours eu une pensée, le soir au coucher, ceux qui dans ses prières lui survivaient pour qu'il ne connaisse pas la peine de la perte et la crainte de l'échec.

Cette illusion si douce, si rassurante s'effrite peu à peu quand Shono rouvre les yeux. Aucune fière silhouette, aucun calme impérial face à elle, juste l'absence et le manque d'une partie de sa vie. La Princesse regarde le miroir et pour la première fois, elle en vient à y voir un réconfort. Bientôt, bientôt, ils seront réunis… Bientôt, elle reverra son frère. Bientôt.

Shono se détourne et observe la plaine enneigée et maltraitée par les vents. Puis elle baisse les yeux et tire de sous le lourd manteau que lui a donné Matsu lors de leur arrivée en ces lieux une jolie boite en bois, finement ouvragée. Sur le couvercle sont gravés des symboles qui à ses yeux trouvent toute leur signification. Des volutes de fumée pour cette pipe qu'il ne quitte jamais, des pièces de Shôgi, pour ce jeu que son esprit vif a inventé, un pinceau pour ces heures qu'il pouvait passer à calligraphier et au milieu, dans un cercle parfait, ce kanji du Contrôle que Shono pourrait tracer dans le noir. Elle caresse l'inscription d'un doigt presque tremblant, puis elle ouvre la boite tout doucement.

Ses doigts rencontrent une étoffe foncée et elle reconnaît le haori que Baïsetsu affectionne tant. Le tissu noir est frais sous ses doigts, mais l'odeur légère qu'il dégage réchauffe la Princesse à tel point que les larmes lui montent aux yeux, comme si ce parfum avait dégelé son cœur. Puis, sous le vêtement, elle trouve une pipe en ébène qui paraît étrangement lourde entre ses doigts. Un rapide coup d'œil et Shono réalise que le Conseiller n'a qu'une pipe de facture moyenne aux lèvres. Elle tient dans ses mains un objet infiniment précieux, et le serre contre sa poitrine une seconde, avant de se reprendre. Elle repose la pipe soigneusement et tire de sa manche une feuille de papier de riz pliée. Sans la moindre hésitation, cette fois, elle la glisse dans les plis de l'haori qu'elle repose dans la boite, avant de la refermer.

Une nouvelle fois, ses doigts s'égarent sur le kanji qui en orne le couvercle tandis que ses pensées volent vers les mots tracés sur le papier qu'elle vient d'y glisser. Elle n'a nulle honte, nulle hésitation. Chacun de ces mots, elle les a pensés si longtemps et si souvent que les inscrire enfin sur papier leur a donné une valeur inestimable à ses yeux. Et même si elle sait que cette lettre ne sera jamais lue, ou alors dans très longtemps, elle est en paix avec elle-même. De toute façon, dans son cœur, elle sait très bien que Baïsetsu sait déjà tout ce qu'elle lui a écrit.

Shono se lève gracieusement et va reposer la boîte avec les autres reliques qu'ils laisseront derrière eux. Elle sent sur elle le regard de Daïgotsu, et quand elle se retourne vers sa cousine, elles échangent un sourire complice. Elles partagent le même espoir, le même amour interdit pour un homme trop souvent proches d'elles. Et elles partagent aussi un Destin commun.

Mon cher, si cher Baïsetsu,

Combien de fois ai-je rêvé pouvoir vous appeler ainsi, ouvrir mes lèvres sur ces sentiments muets? Trop souvent, j'en ai peur, et encore une fois, mes lèvres sont closes et ce sont mes doigts qui se font le messager de mon cœur. Je voudrais tant avoir le temps de tout vous dire, le temps de profiter de notre simulacre de liberté! Mais nous savons tous deux que ces trop brefs moments seraient amers, et j'en ai trop rêvé pour voir nos doigts se toucher avec empressement au lieu de cette paix que nous avons tant souhaitée.

Ce n'est pas encore le moment. C'est ce que vous me diriez, n'est-ce pas? Baïsetsu, savez-vous seulement si ce sera un jour le bon moment, ou si nos cœurs devront à jamais se contenter de ce qui aurait pu être? Espérez vous comme moi qu'un jour, dans deux corps étrangers, nos esprits se retrouveront enfin?

Nul ne sait de quoi sera fait cet avenir dans lequel nous projetons nos espoirs insensés. Nul ne sait seulement si nous aurons un avenir. Mais si ce jour vient, alors, alors… Je prie. Je prie pour que le sort fasse de nous des alliés, des amis, et que ni vous ni moi ne soyons entravés quand nous nous reconnaîtrons.

Mon nom est Shono, et je suis la Volonté. Je suis une Lame de mon Empereur, mon frère. Il a régné en Seigneur sur mon bras et sur mon esprit, mais mon cœur de femme n'a jamais connu qu'un seul maître, et ça a toujours été vous, Baïsetsu. Il n'y a jamais eu personne d'autre, car mon cœur n'a jamais voulu connaître personne d'autre. Et j'ai si souvent lu dans vos yeux le reflet de cette passion… Avez-vous souffert d'être le Contrôle? Avez-vous souffert de votre sens du devoir? Avez-vous souhaité oublier votre honneur, votre loyauté et n'être qu'un homme amoureux? Ou bien avez-vous comme moi repoussé ces pensées ingrates, cette trahison de qui vous êtes, de qui je suis et de qui nous avons été tous les Sept?

Le Destin aura été cruel avec nous, mon Seigneur, mais vous savoir avec moi n'aura fait que renforcer mes sentiments, et savoir qu'un jour, peut-être, nous serons libres me donne la force d'écrire ces mots.

Je vous aime, Baïsetsu, et dans cette vie et dans une autre, je vous supplie de ne jamais l'oublier.

Shono.

Quand quelques heures plus tard, le silence sera tombé sur le Temple, autour du Miroir, on ne trouvera plus aucune trace du corps mortel de ces hommes et femmes. Le long des murs, des armures, des katanas et d'autres objets trôneront en souvenir d'eux.

Un jour, ils viendront à trois, et ils prendront le Miroir. Et ce jour là, une main ouvrira cette jolie boite en bois et des yeux liront une lettre, et ce jour là aussi, un cœur se mettra à battre et des lèvres murmureront une promesse.

FIN.

1ere generation, shono

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