Borderline - .5.
BORDERLINE
.5.
JaeJoong tira la dernière bouffée de sa cigarette et souffla, oubliant de savourer la chaleur éphémère qu'elle offrait. Il écrasa son mégot sur la marche d'escaliers, et le jeta, rejoignant celui qu'avait abandonné Kazuya un peu plus tôt.
JaeJoong avait quitté le restaurant par précaution, attendant contre tout bon sens que l'adolescent en sorte. Il l'avait laissé prendre de l'avance avant de le suivre, sans vraiment savoir pourquoi. Cette fois-ci, lorsqu'ils se rencontrèrent de nouveau, dans le parc, ce n'était nullement dû au hasard.
Kazuya était assis sur les marches d'une reproduction d'hémicycle grec. L'endroit, plongé dans l'obscurité d'une nuit chargée de nuages, n'était absolument pas inquiétant. Un lieu charmant, comme ceux qu'affectionneraient des tueurs fous furieux.
“T'es majeur au moins ? lança-t-il en le voyant cigarette au bec.”
Ce à quoi le lycéen répondit d'un haussement d'épaules.
“Dénonce-moi, fit-il, railleur.”
JaeJoong s'installa sur une marche, plus haut, à distance raisonnable de cet aimant à problèmes.
“Pour quelqu'un qui en a marre de me retrouver dans ses pattes, je trouve que tu tombes très souvent sur moi.
- Crois moi, c'est indépendant de ma volonté.”
Kazuya ricana. L'espace d'une seconde, JaeJoong se demanda si ce garçon savait rire, réellement ou juste sourire, comme tous les gosses de son âge. Le lycéen tendit sa main vers lui. Un paquet de cigarettes.
“C'était dans sa veste, crut-il bon de préciser. Elles sont pas dégueux, il les fait venir de l'étranger.”
JaeJoong l'en délesta de quelques unes, en garda une et cacha le reste dans ses poches.
“Une raison à cet échange social et civilisé ?
- Je fête un évènement spécial.”
Kazuya lui lança un briquet sans aucun doute lui aussi subtilisé dans les poches de son beau-père.
“En dehors de l'anniversaire de ma mère, rectifia-t-il. Le jour où ce nuisible a reçu ce qu'il méritait.
- F***, si j'avais su que ça te rendrait service à ce point, marmonna JaeJoong.
- A un point tel que je t'en serai éternellement reconnaissant, renchérit-il, moqueur.”
JaeJoong roula des yeux et lui renvoya son briquet.
Ils n'avaient plus parlé depuis.
Le jeune homme se trouvait particulièrement idiot à rester sur les marches, en silence, en compagnie d'un ado en crise existentielle. Il voulait rentrer et passer une nuit blanche à faire quelque chose de productif. Trouver l'emploi du temps de ce flic, par exemple.
La voix de Kazuya brisa le silence.
“Sérieusement, qu'est-ce que tu faisais dans ce resto ?
- Sérieusement, mêle-toi de ce qui te regarde.
- Ca va, je vais pas le gueuler sur tous les toits, râla Kazuya.
- Un seul toit suffit…”
L'adolescent soupira lourdement.
“Tu es allé chercher ta prochaine cible ? tenta-t-il.”
Le regard noir dont JaeJoong le darda, fut éloquent.
“C'est bon, je suis pas con, c'est facile à deviner une fois qu'on sait ce que tu fais, marmonna le lycéen. C'est pas si différent des films en fait…
- Tu sais que tu es le stéréotype parfait de l'adolescent en crise qui fait tout pour s'attirer des ennuis et l'attention des autres ?”
Kazuya se renfrogna. JaeJoong goûta au calme quelques trop courtes secondes.
“Donc t'acceptes des contrats ? relança Kazuya.
- Pour la énième fois, mêle-toi de tes oignons…
- Si je t'en propose un, tu accepterais ? insista-t-il.”
JaeJoong le fixa d'un air particulièrement bovin, étonnant l'adolescent qui ne lui connaissait jusque là que regard meurtrier ou glacial de créature de l'ombre.
“Tu veux bien être sérieux un moment ?
- Je suis mortellement sérieux, assura-t-il. J'ai de quoi te payer, j'ai le fric.
- Arrête tes conneries…”
La conversation, si tant est que c'en était une, prenait une étrange dimension, qui ne plaisait que très moyennement à JaeJoong.
“T'as peut-être les moyens, bien content pour toi, mais on ne peut pas tout acheter. Si tu veux te débarrasser de ton *gigolo* de beau-père, fais-le toi même, marmonna-t-il.
- Qu'est-ce qui te dit que c'est lui ?”
JaeJoong le fixa, blasé.
“Pas besoin d'être devin… d'ailleurs, je te conseille de t'activer avant qu'il ne se charge de te rendre la vie impossible.”
Kazuya grimaça. Il resta silencieux de longues minutes, profitant pour allumer une autre cigarette.
“T'as un nom ? s'enquit-il soudain, sans se retourner.
- Qu'est-ce que ça peut te faire, soupira JaeJoong.
- T'as peut être envie que je t'appelle *Hey !* la prochaine fois ?
- Je préfère que tu ne m'appelles pas, trancha-t-il. En espérant qu'il n'y aura pas de prochaine fois.
- Tu rêves.”
L'adolescent semblait avoir lui aussi compris qu'ils n'étaient que des jouets entre les mains du hasard, ou du karma, peu importe quelle force sadique était à l'œuvre.
“Hero, fit-il finalement”
Le garçon haussa les sourcils.
“C'est un vrai nom ça ?
- Tu vas t'en contenter, déclara JaeJoong.”
L'autre leva les mains en signe de paix.
“Kamenashi… Kazuya, donna-t-il en retour. Mais tu dois déjà le connaître…”
JaeJoong acquiesça d'un geste de la tête, peu sûr de ce qu'il faisait. Il avait l'impression d'avoir signé un pacte ou tout autre contrat qui stipulerait qu'ils soient collés l'un à l'autre pour le restant de leur existence.
“Kame j'ai une vie merdique alors j'emmerde mon monde…?”
Kazuya plissa les yeux. Etait-ce une insulte ou un trait d'humour vache commun à tous les glaçons du même acabit ?
“Tu sais qu'il y a des existences pire que la tienne ?
- Et alors ? C'est pas mon problème. Je m'en fous de leur vie !”
JaeJoong ne sut quoi répondre. Il ne pouvait que lui concéder ce point. Se débarrasser de cet ado semblait un problème mille fois plus complexe et inextricable que la faim ou la guerre dans le monde.
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01/2013