[Un nouvel Hypnosis rejoindra nos rangs.] J’avais toujours cru - naïvement je dois l’avouer - que le monde de la musique dans l’univers qu’était le show-business, bien que cruel à l’extrême, avait tout de même ses règles. Au moins une petite liste des choses proscrites, illégales ou juste déconseillées de faire. Je me fourvoyais. J’avais intégré une maison de disque sérieuse, correcte, à peu près honnête… Nous y avions de très bons amis, une amitié solide - si ce n’était plus - resserrait étroitement les liens qui s’étaient instaurés au sein de notre groupe. Nous étions sous la tutelle d’une manager hystérique, douée pourtant d’un sens aigu de l’honneur. Nous étions protégés.
Les malversations, les escroqueries, les coups bas nous étaient lointains et étrangers. Il nous était tout simplement impensable de transposer ces évènements au sein même de notre entourage. L’adversité, la compétition, la concurrence avaient un goût de fair-play - quoique entaché par quelques de tricheries sans véritable gravité - qu’il était de plus en plus difficile de trouver.
Aussi, personne ne s’était attendu à ce que le coup le plus fort qui fut porté à l’encontre de notre groupe, vint de notre entourage le plus proche.
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Le marteau frappa une dizaine de fois sur son socle, assourdissant, autoritaire, intimant férocement au silence alors que l’hémicycle semblait prêt à s’effondrer sous les disputes de ses occupants.
« L’ordre ! JE DEMANDE L’ORDRE ! hurla celle qui présidait l’assemblée. »
Sa coiffe ornée de plumes de paon, frémissait sous la colère. La femme se redressa, digne, lorsque tout le monde se fut calmé.
« Nous ne sommes pas réunis pour polémiquer sur notre parfait système juridique. »
Un grondement de protestations s’éleva aussitôt.
« SILENCE, hurla-t-elle hors d’elle. »
L’assistance se glaça, peu habituée aux colères de leur honorable et noble dirigeante.
« Notre parfait système repose sur des êtres mortels à qui nous offrons les plus précieux dons octroyés aux créatures ici-bas. Nous avons d’ores et déjà choisi le don et son réceptacle. Son nom vous sera dévoilé d’ici quelques instants. Un nouvel Hypnosis rejoindra nos rangs. Puisse-t-il honorer son don et nous jurer fidélité. »
Elle parcourut l’assemblée d’un regard ocre perçant. Les deux personnes qui l’encadraient, affichaient la même expression féroce ; défiant quiconque de ce cercle de bureaucrates de s’opposer à eux. Après plusieurs chuchotements précipités, quelqu’un trouva le courage de se lever. La permission de parler lui fut donnée.
« Qu’en sera-t-il de la précédente Hypnosis ? »
La femme tendit la main vers une personne debout près de leur table. Elle s’avança.
« Elle a explicitement choisi de déshonorer son rang et briser son serment. Si le don est toujours en elle, elle n’est désormais plus Hypnosis mais un imposteur et un voleur. Toutes les protection contre les chasseurs ont été levées. Sa disparition n’est plus qu’une question de temps. »
L’homme qui s’était levé ne se rassit pas tout de suite.
« Et pour le Maître Marionnettiste ? N’avons aucune prise sur l’unique représentant de cette classe, dans tout le continent ! - Son cas requiert l’attention de personnes compétentes et non du premier venu, siffla le voisin de droite de la présidente. Mais s’il ne faut que cela pour vous rassurer, sachez que quelqu’un se charge déjà de maintenir notre influence sur lui. »
L’hémicycle austère de pierre noire volcanique s’illumina brusquement. Le brasier central s’agita et les flammes s’élevèrent jusqu’à toucher le plateau de cuivre qui rougeoyait sous leurs caresses brulantes. Un silence pesant s’abattit sur la salle. Dans un sifflement suraigu, des courbes lumineuses tracèrent leur chemin sur le métal, s’entremêlant, s’entrecroisant… quelques secondes plus tard, un mot apparut.
{YoungWoong}
« Puisse-t-il faire honneur à son statut, déclarèrent solennellement et en chœur les trois personnes. - Faites en sortes que toutes les preuves disparaissent, ajouta la femme aux plumes de paon. »
Sous le silence contemplatif, quelqu’un parvint à se faufiler discrètement hors de l’hémicycle.
Elle arrangea son bonnet blanc en crochet, piquetés de strass bleus et verts, une moue écœurée déformant ses lèvres fines. Elle soupira en se remémorant les mots du secrétaire. L’ancienne Hypnosis était bien en vie. Ce qui en faisait deux de la même génération désormais. Quel genre d’amateurs pouvaient-il bien être ? Ils semblaient si certains que les chasseurs de dons parviendraient à faire place nette ! Elle sourit finalement, moqueuse et fière… personne ne pourrait la tuer.
« Bien mon cher YoungWoong… allons faire connaissance tous les deux… »
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Une certaine routine s'était installée quelques jours après l'accident, quand les choses se furent quelque peu tassées… du moins pour les membres de COLORS et les deux rescapés de STRIKE.
A travers les médias de toutes sortes, la presse, le public et le show-business s'étaient déchaînés, littéralement. Il n'était pratiquement plus question d'autre chose que de l'implication des trois membres de STRIKE dans le malaise et l'état jugé « critique » du lead vocal du groupe le plus en vogue de l'année. On voulait que l'affaire fût traitée en priorité et dans les plus brefs délais. Il fallait donner l'exemple, disait-on.
Beaucoup de débats étaient lancés, à la télévision, la radio, sur internet dans des forums ou des sites de discussion en ligne… comment la concurrence dans le monde de la musique pouvait amener à de telles extrémités, et une telle violence ? Pour la majorité, ce n'était qu'une preuve de plus qu'il s'agissait d'un univers bien mal connu de toute personne extérieure, grossissant sa longue liste des mauvais points qu'il accumulait avec les ans et les scandales.
Bien loin de cette cacophonie, YunHo, YooChun et Harmonie - de moins en moins sollicités par la presse, vaincue par leur refus systématique de prononcer le moindre mot sur cette affaire - s'étaient doucement organisés. Leurs journées se construisaient autour des « quarts » de veillée à l'hôpital.
Trois jours après la nouvelle de l'incident à la clôture du Festival d'été, ils avaient annoncé la suspension officielle de toutes leurs activités. Aucun d'eux ne s’était étonné de la décision de l’agence, l'accueillant plutôt avec soulagement. Le festival devait marquer la fin de leur promotion, aussi avaient-ils déjà prévu de prendre des vacances, après de longues semaines à courir à travers le pays et outre-mer. Il semblait que la fatigue accumulée jusqu'à lors, avait été un des facteurs ayant conduit JaeJoong à un état aussi sérieux. Les journées entières et libres de toute activité étaient passées à l'hôpital, ou dans l'appartement… lire, dormir, discuter à demi-voix, ou simplement ne rien faire et rester assis de longues heures dans la chambre d'hôpital. Les médecins avaient conseillé aux trois jeunes gens de ne pas avoir peur de discuter entre eux à haute voix lorsqu'ils se trouvaient près du chanteur. Il n'y avait rien de mieux qu'un stimulus de la vie quotidienne selon leurs dires.
D'abord réticents, ils ne pouvaient se résoudre à faire comme si tout allait pour le mieux… finalement, YooChun céda le premier. L'un après l'autre, ils finirent par se lancer dans de longues conversations. Deux semaines plus tard, ils se permirent quelques rires, un peu gênés, puis des plaisanteries légères. Harmonie trouvait cela étrange que les médecins fussent aussi optimistes quant à l'état de leur ami lorsqu'il se réveillerait. De tout ce qu'elle avait pu apprendre lors de ses recherches, même quelques heures de coma pouvaient entraîner des dégâts irréversibles au cerveau. Les réveils « miraculeux » après des mois, des années, se comptaient sur les doigts d'une main. A bien y réfléchir, un seul médecin était d'un tel optimisme… les autres réservaient leur jugement, mais restaient persuadés que le réveil ne tarderait plus.
La violoniste laissa de côté ce détail, rapidement contaminée par les paroles positives du spécialiste. Après tout, il savait ce qu'il faisait et disait, il n'allait pas risquer de les bercer de douces utopies et chimères. Avec le temps, Harmonie avait appris à différencier les beaux parleurs des cœurs sincères… la mélodie de leur voix les trahissaient à leur insu. Tout sonnait faux, discordant et écœurant. Si elle ne pouvait être sensible aux sourires éclatants qu'ils se construisaient pour piéger leurs interlocuteurs, elle devinait leurs intentions au simple son de leurs belles paroles vides d'intérêt.
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JunSu et ChangMin, sur les consignes de leur manager, s'étaient presque confinés chez SunAe. Ils limitaient au maximum leurs déplacements aux seuls allers-retours entre l'appartement de la jeune fille et le siège du label constamment pris d'assaut par des journalistes de tous bords… et les fans.
À la fin de la seconde semaine, JunSu craqua et rentra chez lui, une petite ville à l'est de Seoul, ne supportant plus d'être enfermé et éloigné de sa famille dans une telle situation. La Police le laissa quitter le territoire, à la condition sine qua none de revenir pour témoigner lorsque le procès serait ouvert.
Le départ du jeune homme avait laissé un vide dans l'appartement… ChangMin se retrouva encore plus seul qu'auparavant, SunAe n'ayant, elle, pas suspendu ses activités. Désignée pour faire partie des danseurs d'une nouvelle artiste de leur label commun, faisant ses débuts sur scène, la jeune fille suivait des horaires chaotiques, qui ne lui laissaient que peu d'heures de sommeil. Les rares occasions où ChangMin passait au siège pour diverses raisons (réaménagement du planning, réunions plus qu'inutiles sur le nouvel avenir de STRIKE - quel avenir ? songeait-il, railleur et ironique), il ne la croisait que quelques secondes lorsqu'il feignait d'arpenter le bâtiment, et ils n'échangeait que deux ou trois mots et un regard. La promotion de cette nouvelle artiste touchait bientôt à sa fin, mais le jeune homme craignait que SunAe ne cédât bien avant. Il ne voulait même pas imaginer la pression monstrueuse que la nouvelle coqueluche du label devait supporter seule et sans se plaindre.
ChangMin menaçait de devenir dangereusement pantouflard. Assigné à résidence, il n'avait que très peu d'options. Il détestait la télévision ; il avait rapidement entamé et terminé trois livres qui l'attendaient depuis des mois, et commençait à piocher dans la bibliothèque de SunAe ; et il avait abandonné l'idée même d'aller sur Internet… ses boîtes de messagerie étaient assaillies de mails, et chaque fois son regard tombait immanquablement sur une brève ou un article traitant du tout prochain procès. De temps à autres, accompagné du manager, il allait prendre des nouvelles de JaeJoong, passant rapidement à l'hôpital. Il y trouvait systématiquement un des trois amis s'occupant chacun à sa façon, de jour comme de nuit.
JunSu donnait très peu de nouvelles, laissant l'impression de vouloir couper les ponts avec tout le monde. ChangMin ne lui en voulut pas, songeant qu'il en aurait très certainement fait de même, s'il avait décidé avant lui de partir, rentrer chez lui. Il savait juste le principal… il s'occupait, tout simplement. L'esprit et les mains. Trop réfléchir plongeait le jeune homme dans un était d'esprit presque dépressif. Il aidait son père à la pizzeria, s'encombrait de corvée à la maison, ou s'isolait dans la cours arrière et reprenait quelques pas de danse… chose qu'il n'avait plus eu l'occasion de faire depuis qu'il avait intégré le groupe. Et cela lui manquait cruellement. Cette pause intégrale, bien que soudaine, lui faisait plus de bien que n'importe quelle journée de repos. Certains méditaient pour se vider l'esprit de toute pensée parasite, lui restait actif par des tâches rébarbatives pour beaucoup. Son frère aurait beau s'évertuer à lui démontrer par A plus B qu'il avait eu le mal du pays, JunSu savait très bien qu'il en était autrement. Il aurait pu rester en Corée, les choses auraient été de même s'il avait été tenu éloigné de sa famille. Mais son jumeau semblait aimer lui prouver à quel point la Corée du Sud était mieux que l'Australie. JunSu le laissait faire ; en bien des points, son frère n'avait pas tort.
Au bout d'une semaine, son frère avait réussi à le traîner sur le terrain de baseball. Ceci aussi lui avait manqué… la seconde fois, JunSu resta jusqu'à une heure avancée de la nuit, frappant de toutes ses forces sur les balles que l'appareil d'entraînement lui lançait. A chaque balle qu'il percutait de sa batte, il avait l'impression qu'il faisait exploser un souci, une sombre ou mauvaise pensée, les réduisant en cendres. Il s'appliqua à ne rater aucune balle et songer à tout ce qui le retournait au plus profond. À trois heures du matin, inquiétés par son absence prolongée, ses parents envoyèrent son frère le chercher. Ce dernier le trouva prostré, genoux au sol, secoué de lourds et irrépressibles sanglots, la batte échoué non loin, entouré de balles. Sans un mot, le jeune homme s'était agenouillé près de lui et l'avait serré dans ses bras.
Le lendemain, JunSu avait retrouvé le sourire, quoiqu'un peu timide et craintif.
Trois semaines après l'incident, JunSu se sentait presque prêt à aborder de nouveau le sujet de la trahison de leurs trois collègues. Ce ne fut qu'à ce moment là qu'il se risqua à prendre connaissance de ce qui circulait sur le Net. La panique ne s'était pas tarie, et commençait à contaminer d'autres pays. Japon, Corée, Chine… il ne se passait pas un jour sans qu'il n'y eut une mise à jour du dossier spécial dont ils faisaient l'objet. Submergé par la quantité faramineuse d'informations, JunSu laissa tomber, et préféra reprendre contact avec leur manager et ChangMin. Contre toute attente, rien n'avait sensiblement bougé. Hayao, TaeHo et YoungIl étaient toujours incarcérés en attendant l'ouverture du procès ; et l'on n'avait pas véritablement avancés dans l'enquête. Bien que les preuves fussent irréfutables, il manquait un élément important : le mobile.
JunSu avait méchamment ricané au téléphone - ce qui indiqua au manager qu'il était à peu près remis moralement - à l'évocation de ce détail. Le motif était clair, ce qui clochait se situait plutôt sur les raisons qui les avaient conduit à en arriver à une solution aussi radicale. Définitivement muets, leurs anciens collègues refusaient obstinément d'expliquer leur geste. JunSu craignit un moment apprendre qu'ils plaideraient la folie… cependant, il semblait que même sur ce point, ils s'étaient murés dans leur silence.
Quelques jours plus tard on lui conseilla de revenir, pour être entendu par les officiers chargés de l'enquête. Malgré les demandes du manager, il était important qu'ils écoutent ce qu'il savait. Il leur fallait en plus déménager leurs affaires du loft lorsqu'ils trouveraient un appartement plus adapté pour eux. ChangMin avait apparemment emménagé chez sa copine, le temps de trouver un appartement. La nouvelle le surprit… le label voulait absolument que leur collaboration se poursuivit ainsi que leur cohabitation. On avait des projets pour eux, selon le manager. JunSu haussa les épaules, et prévint qu'il prendrait l'avion le surlendemain. Ils avaient le temps pour vider les lieux, il pouvait occuper le loft entre temps.
À son retour, il passa la soirée avec ChangMin, à parler de tout et de rien, de ses deux semaines en Corée, de l'ennui profond qu'avait dû subir ChangMin… finalement de ce qui les attendait dans les jours qui suivraient. JunSu apprit sans surprise que le manager n'avait cessé de courir à droite et à gauche, aidé parfois de la manager des COLORS quand celle-ci n'était pas elle-même prise à la gorge par ses propres responsabilités. Jamais ils n'auraient cru que se mettre en hiatus réclamait autant de démarches… ils ne s'étaient pas non plus rendus compte qu'on avait prévu pour eux de participer à autant d'émissions et d'évènements, sans parler des interviews pour divers magazines. Seules deux interviews individuelles furent maintenues au programme, pour la mi-automne. D'ici ce jour-là, ils espéraient pouvoir revenir sur cette crise sans crainte. Les deux amis s'endormirent très tard, sur les fauteuils du salon, vaincus par le sommeil.
Le lendemain, la sonnerie du téléphone les réveilla aux alentours de onze heures du matin.