La place genevoise aurait perdu plus de 5 milliards dans une fraude
Bernard Madoff, du temps où les banquiers genevois se l’arrachaient. (photo: Keystone)
JUSTICE. Le gérant de hedge funds Bernard Madoff a été arrêté.
Frédéric Lelièvre et Myret Zaki, Collaboration: Yves Genier
Samedi 13 décembre 2008
Un séisme vient d'ébranler la finance genevoise. Vendredi, elle a appris que Bernard Madoff avait été arrêté. Ce gérant de hedge fund new-yorkais, ancien président de la bourse Nasdaq, a reconnu avoir fraudé ses clients pour un montant qui pourrait aller jusqu'à 50 milliards de dollars. Parmi les victimes de ce qui ressemble au plus grand jeu de l'avion de l'histoire figurent en bonne place les banquiers installés à Genève. Plusieurs estimations recueillies par Le Temps laissent penser qu'au moins 5 milliards sont à risque dans la ville du bout du lac.
Parmi les grands établissements concernés figure, selon plusieurs sources, l'Union bancaire privée. La banque, numéro un mondial des fonds de hedge funds, risquerait de perdre au moins un milliard. Sa masse sous gestion était de 127 milliards de francs fin juin. L'établissement de la rue du Rhône ne fait «aucun commentaire». Plusieurs fiches de ses fonds montrent cependant que la banque avait investidans des fonds du gérant new-yorkais. C'est le cas du Dinvest Select III Fund, dont 5,59% des actifs, fin octobre, étaient placés dans le Fairfield Sentry, un véhicule cogéré par Bernard Madoff.
Autre nom dans la gestion alternative, EIM reconnaît que 2% de sa masse sous gestion (11,5 milliards de dollars) sont concernés, soit 230 millions. Les clients ont été avertis, ajoute l'établissement.
Selon nos informations, trois grands établissements étrangers seraient fortement touchés, pour plusieurs milliards. Des spécialistes assurent que la société de gestion Notz & Stucki est également frappée; elle n'a pas répondu à nos questions. La Banque Bénédict Hentsch pourrait de son côté perdre 60 millions de francs (lire ci-dessous).
Mais surtout, de nombreux family offices genevois et tiers gérants sont touchés de plein fouet. «On estime que 90% des sociétés de gestion alternative à Genève avaient une exposition à Madoff», nous confie un vétéran de l'industrie à Genève. Il en va ainsi de Benbassat & Cie, et son fonds Thema, et d'Aurelia Finance, dont le modèle d'affaires reposait presque entièrement sur les fonds Madoff, qui leur payaient des rétrocessions d'environ 2%. Alberto Benbassat, associé de Benbassat & Cie, connaît personnellement Bernard Madoff depuis 16 ans. Son fonds, de juridiction irlandaise, investissait 1,1 milliard de francs chez Madoff, a-t-on appris. Même si ces sociétés tentent de récupérer l'argent des clients par les toutes voies juridiques possibles, il est peu probable que leurs démarches aboutissent.
Rendements impossibles
La banque genevoise Syz & Co indique, elle, ne pas avoir d'exposition dans son unité 3A de fonds alternatifs. En revanche, nous n'avons pas pu obtenir de réponse concernant les placements des clients privés en hedge funds en direct.
Du côté des banquiers privés, Pictet assure n'avoir «jamais sélectionné aucun des fonds associés à Bernard Madoff dans le cadre de notre gestion de fonds de hedge funds». Thierry Lombard, de LODH, déclare que «l'univers Madoff n'a jamais figuré sur nos listes de fonds maison ni sur ceux venant de l'architecture ouverte». Chez Mirabaud, «nous avons une exposition en millions et non en dizaines de millions».
Enfin, Man Group, GAM (Julius Bär), Gottex, et Rothschild s'estiment hors de danger. Julius Bär, l'un des trois plus gros gérants de fonds de fonds avec l'UBP et UBS, assure ne pas avoir «d'exposition directe aux véhicules de Bernard Madoff».
Un gérant prévoit que les clients privés «vont se regrouper en syndicat pour porter plainte auprès de la Commission fédérale des banques pour défaut de gestion». Le fonds Thema est autorisé à la vente par la CFB, qui n'a pu faire aucun commentaire.
«Madoff réalisait 8 à 10% par an, bon an mal an, conclut un de nos interlocuteurs. J'ai toujours dit que c'était impossible, et on me disait que je ne comprenais rien. Or les comptes étaient trafiqués, car l'audit, à New York, était réalisé par un ami de la famille Madoff!»
Bénédict Hentsch empêtré dans Madoff
La banque veut divorcer de Fairfield Greenwich.
Myret Zaki
La Banque Bénédict Hentsch se trouve prise, bien malgré elle, dans l'affaire Madoff. A peine trois mois après s'être associée au gérant alternatif Fairfield Greenwich, la banque privée genevoise doit faire marche arrière et rompre l'accord. L'établissement fondé en 2004 par Bénédict Hentsch et Robert Pennone avait fusionné, le 7 septembre dernier, avec le géant américain de la gestion alternative... qui se trouve avoir la moitié de ses avoirs placés dans Fairfield Sentry Ltd. Ce fonds était cogéré par Bernard Madoff. Cette situation est très délicate pour la banque.
Les deux associés genevois avaient placé une partie des avoirs de leurs clients dans ce véhicule. «Nous avions moins de 5% de la masse sous gestion dans le fonds Sentry, soit 56 millions de francs sur les 1,5 milliard que nous gérons», a précisé vendredi au Temps Robert Pennone. En outre, la banque avait des positions de négoce pour compte propre de 200000 dollars dans le fonds Madoff. Robert Pennone relativise: «C'est pour Fairfield que la situation est réellement difficile.»
Retour à l'indépendance
C'est pourquoi, comme l'a communiqué la banque vendredi, elle prend «toutes les mesures utiles pour la protection des intérêts de sa clientèle ainsi que les intérêts propres de la maison».
Aujourd'hui même, Robert Pennone et Bénédict Hentsch se sont envolés pour New York avec leurs avocats: «Nous allons rediscuter de l'accord avec Fairfield car nous souhaitons reprendre notre indépendance», explique l'associé.
La banque jouissait jusque-là d'une autonomie opérationnelle vis-à-vis de Fairfield, mais non juridique. Elle veut donc s'éviter des risques légaux, les deux associés genevois étant entrés dans le capital de Fairfield Greenwich ainsi que dans son conseil d'administration depuis septembre.
Les deux Genevois dénouent aujourd'hui une transaction à laquelle ils avaient travaillé deux ans durant. Désormais, la Banque Bénédict Hentsch, qui emploie 35 personnes, devra à nouveau revoir entièrement son modèle d'affaires.