Iphigénie

Jan 19, 2009 01:40

Grace, entre autre, à sheepnimrauko qui m'a demandé des tas de chose sur mon histoire "Oméga-viridine" (titre encore provisoire...) j'ai enfin trouvé la motivation pour écrire un peu dessus \o/
Enfin, un peu... un minimum syndical... Je suis encore loin d'un projet de découpage en chapitres et d'écriture structurée ^^U

Non, en fait je me suis juste mis à écrire un petit dialogue sans interet entre Agamemnon et Sylvius, mais je ne trouvais pas ça terrible... Et d'un coup, comme ça, pour voir, je me suis dit "Tiens, et si j'essayais le style théatrale ?" (j'ai lu trois pièces de théatre coup sur coup la semaine dernière, je suis dans le bain...)
J'ai essayé.
Et je me suis complétement laissée emporter \o/

Bon, à le relire (d'ailleurs il doit rester plein de fautes...), je ne sais plus trop si ça me plait, mais au moins je me suis bien éclaté à l'écrire.
Votre avis sur la question ?

Et le style théâtrale, ça déchire sa maman.

PERSONNAGES:

Voix d'AGAMEMNON LIVINGSTONE
SYLVIUS STILMAN, son médecin et ami
UNE FEMME, très belle


Nuit. Une grande chambre, sobre mais luxueuse. Dans un grand lit près du sol, une femme et Sylvius Stilman sont endormis.

Sonnerie de téléphone, soupir de femme, froissement du draps. Stilman tend la main vers le combiné. Il est trop loin pour l'atteindre. Il pousse un grognement, puis se lève.

C'est un bel homme. Il a 56 ans mais pourrait sans peine prétendre en avoir 15 de moins. Il est assez grand. Ses cheveux verts foncés, presque noirs, retombent sur son front en mèches décoiffées. Il est nu.

Il prend ses lunettes, posées sur la table de nuit, puis attrape une robe de chambre, reposant sur une chaise, qu'il enfile.

Enfin il attrape le téléphone, posé à terre.

Il fait un mouvement pour regarder le numéro affiché, mais en réalité n'en a pas besoin. Il sait très bien qui l'appel à cette heure tardive -alors qu'il n'est pas de garde. Il décroche.

Il parle doucement, pour ne pas éveiller la belle femme.

STILMAN: Livingstone, I presum ?

La voix d'Agamemnon Livingstone est grave, caverneuse, mais belle, presque envoutante. Il parle lentement, comme pour s'assurer que les mots qui sortent de sa bouche sont bien ceux qu'il avait l'intention de prononcer. On comprend clairement qu'il a bu

LIVINGSTONE: Bien joué, docteur. "Oui, c'est Agamemnon, c'est ton roi qui t'éveille. Viens, reconnais la voix qui frappe ton oreille."

STILMAN: On se met à la littérature, Livingstone ?

LIVINGSTONE: Oui, que veux-tu, Ivan trouvait scandaleux que j'ose m'appeler Agamemon sans jamais avoir lu Iphigénie, alors...

STILMAN: Alors ?

LIVINGSTONE: Alors j'en suis toujours à l'acte I, et jamais j'ai rien vu de plus chiant à lire que ces putains d'alexandrins...

STILMAN: (aimablement) Livingstone, t'ai-je déjà dit que tu es la personne au monde -et quand je dis monde, je compte également la démocratie indépendante de la Lune, ainsi que les stations orbitales et les colonies martienne- à qui je regrette le plus d'avoir donné mon numéro de téléphone ? Qu'est ce que tu veux ?

LIVINGSTONE: Simplement t'informer de la bonne santé de mes bacilles de Koch. Ils se portent à merveilles, ils ont joués toutes la nuit...

STILMAN: Hémoptysie ?

LIVINGSTONE: Je t'ai déjà demandé de ne pas me dire de gros mots...

STILMAN: Du sang ?

LIVINGSTONE: Un peu. Pas plus que d'habitude...

STILMAN: (soupir) Tu es tuberculeux, Livingstone. Je suis le premier à le regretter, mais si tu m'appelles à chaque fois que tu as une quinte de toux, nos passerions tout notre temps ensemble, au téléphone. Pas que ta conversation soit déplaisante, mais j'apprécie parfois d'autres occupations -comme dormir, par exemple. Il est trois heures du matin, tu sais...

LIVINGSTONE: (après un court silence) Oh, excuse moi. J'ai tendance à perdre la notion du temps quand je suis bourré.

STILMAN: Tu es généralement bourré Livingstone, et autant que je te connaisse, tu n'as jamais réellement eu de notion du temps...

LIVINGSTONE: Très juste, je suis heureux de t'avoir comme conscience...

STILMAN: (amusé) Bon sang, c'est déjà assez difficile d'être ton médecin traitant, si en plus je devais être ta conscience je serai déjà chauve à force de m'arracher les cheveux. Ça ne m'irait pas du tout, d'ailleurs...

LIVINGSTONE: Je ne suis pas d'accord. Même chauve, tu plairais encore aux femmes. J'en connais qui seraient capable de trouver que ça te donne l'air intelligent... A propos, elle est belle ?

STILMAN: Qui donc ?

LIVINGSTONE: La femme, dans ton lit.

STILMAN: Qu'est-ce qu'il te fait croire qu'il y a une femme dans mon lit ?

LIVINGSTONE: Tu t'es vanté toi même de ne jamais dormir sans une femme dans ton lit. J'ai toujours pensé que ça cachait une inavouable peur du noir, ou quelque chose comme ça...

STILMAN: Un complexe d'œdipe mal dégrossis ? C'est ce que me disait ma mère, oui. Elle est très belle.

LIVINGSTONE: Ta mère ?

STILMAN: La femme dans mon lit. (pause) Ma mère était aussi une assez belle femme. Elle a laissé pas mal d'hommes éplorés...
LIVINGSTONE: Oh, désolé...

STILMAN: C'était il y a une trentaine d'année, Livingstone, j'ai eu le temps de faire le deuil...

LIVINGSTONE: Humaine, ou mutante ? - la femme dans ton lit, pas ta mère.

STILMAN: Ça ne te regarde pas. (pause) Humaine, elle a de long cheveux bruns, presque roux, une peau pâle, (avec gourmandise) des tâches de rousseur dans le dos. N'insiste pas, je ne te dirai pas son nom, je ne veux pas de problème avec son mari.

LIVINGSTONE: Je connais son mari ?

STILMAN: Tout le monde le connais, il passe à la télé tout les soir. Mais dit moi Livingstone, je peux comprendre la jalousie légitime du célibataire endurci face au séducteur, mais tu ne m'appelle tout de même pas juste pour m'arracher quelques instant à la peau odorante de ma belle conquête endormie ? Ni pour m'informer qu'il arrive à un tubard de tousser, j'imagine... Qu'est ce que tu veux ?

Silence

LIVINGSTONE: (lisant) "Triste destin des rois ! Esclaves que nous sommes ! Et des rigueurs du sort, et du discours des hommes !" ... Qu'est ce que c'est que cette connerie ? Ça veut rien dire, "Et des rigueur du sort, et du discours des hommes"... Y a même pas de verbe dans cette phrase...

STILMAN: Il n'y a sans doute pas de point non plus à la fin du vers précédent.

LIVINGSTONE: (après avoir vérifié) C'est vrai. Pas de point... Comment tu savais ? Tu le connais par cœur ?

STILMAN: (soupir) Il n'y a généralement pas une phrase par vers, Livingstone.

LIVINGSTONE: Pourtant ils mettent une majuscule à toutes les lignes...

STILMAN: Oui, parce que ce sont des vers, justement...

LIVINGSTONE: (lisant) "Esclaves que nous sommes, et des rigueurs du sort, et du discours des hommes"... D'accord. Ça n'a pas beaucoup plus de sens, mais d'accord... Dis moi, Ulysse -tu permets que je t'appelle Ulysse ?

STILMAN: Je vous en prie, majesté.

LIVINGSTONE: Ulysse, j'aurais un service à te demander. Ce n'est pas grand chose, tu ne pourras pas refuser ça à ton roi...

STILMAN: Je t'écoute.

LIVINGSTONE: Tu l'as lu, cette pièce ?

STILMAN: Il y a longtemps, oui.

LIVINGSTONE: Tu t'en rappelles ?

STILMAN: Les grandes lignes. C'est un mythe célèbre.

LIVINGSTONE: Tu peux m'en faire un résumé ?

STILMAN: Non. Je trouve ridicule et puérile de ta part de vouloir faire croire à Ivan que tu as lu le livre qu'il t'a conseillé si ce n'est pas le cas De toute manière tu te doutes bien qu'il est suffisamment intelligent pour ne pas se faire avoir. Il s'apercevra tout de suite que tu lui mens, et s'en sentira blessé. Et par ailleurs tu m'as réveillé pour rien, donc je n'ai aucune raison de vouloir être conciliant avec toi.

LIVINGSTONE: (gamin) C'est pas que j'ai pas envie, c'est que les alexandrins, j'arrive pas... Et il me l'a pas conseillé, il m'a forcé à le lire...

Stilman rit doucement.

LIVINGSTONE: (légèrement vexé) Qu'est ce qu'y a de si drôle ?

STILMAN: Il t'a forcé. Un sélénite chlorophyllien agresse un ex-membre du commando RAT avec un livre. La scène devait être impayable.

Stilman se remet à rire un court instant. Livingstone reste silencieux.

STILMAN: C'est bon. Je te pardonne de m'avoir réveillé. (anticipant) Mais c'est toujours non pour le résumé.

LIVINGSTONE: (pitoyable) Ivan va m'en vouloir.

STILMAN: Non. Si tu n'arrive pas à lire les alexandrins, dis lui. Et ajoute que tu aimerais quand même connaitre l'histoire, et c'est lui qui t'en fera le résumé. Avec plaisir. Tu n'as toujours pas compris que l'honnêteté est la seule chose qui marche avec ce garçon ?

LIVINGSTONE: C'est vrai. (après une courte pause) C'est harassant.

Silence

LIVINGSTONE: (soupir) Ivan m'épuise !

STILMAN: Qu'est-ce qu'il a fait ?

LIVINGSTONE: C'est un imbécile.

STILMAN: Ce n'est pas le terme que j'emploierai. Un ingénu, sans doute. Qu'est ce qu'il t'a fait - à part t'obliger à lire des tragédies classiques ?

LIVINGSTONE: Il m'aime...

STILMAN: Ce n'est plus nouveau. Il va falloir t'y habituer.

LIVINGSTONE: Je n'arrive pas à le convaincre qu'il à tort...

STILMAN: Il sais très bien qu'il a tort. Mais tu sais aussi que tu as tort de boire, non ?

LIVINGSTONE: Ça n'a aucun rapport.

STILMAN: Il te répondrait que les même neuro-médiateurs sont en jeu.

LIVINGSTONE: (soupir) Foutus intellectuels...

STILMAN: Je suppose qu'il dort à cette heure ?

LIVINGSTONE: Comme une souche. Comme d'habitude. Il est dans mon lit, étalé. L'image de la sérénité. J'ai passé deux heures à le regarder respirer -et puis je me suis mis à tousser... Rien ne le réveille...

STILMAN: Si tu ne veux pas lui donner d'espoir, arrêtes déjà de dormir avec lui...

LIVINGSTONE: Je dors sur le canapé.

STILMAN: Ah. Bien.

Silence

LIVINGSTONE: Qu'est ce que je dois faire ?

STILMAN: (après une brève hésitation) Ce que tu veux. J'arrête de te donner mes conseils: tu ne t'en sers pas.

Silence

LIVINGSTONE: Je veux qu'il reste.

STILMAN: Alors n'essaye pas de prendre tes distances avec lui. S'il a l'impression de te gêner, il partira. Il t'a dit ce qu'il ressentait pour toi simplement pour t'informer. Par politesse. Je ne pense pas qu'il en ait attendu quoi que ce soit. Si rien ne change entre vous, il restera. Ne dors pas avec lui, c'est tout.

LIVINGSTONE: (coupable) Mais je l'ai embrassé...

STILMAN: L'unique avantage de ton alcoolisme, c'est que tu peux arguer que tu étais ivre...

LIVINGSTONE: C'est vrai. J'étais complètement schlass. Y m'a pas pris au bon moment. Je savais pas ce que je faisait...

STILMAN: Et je suis sûr qu'il en ait parfaitement conscient. Il est suffisamment intelligent pour ne pas prendre le baiser baveux d'un ivrogne pour un engagement. Il en aura profité, peut-être. Mais je doute qu'il ai pris ça comme un acte réfléchi de ta part.

LIVINGSTONE: (pour lui même) Je veux qu'il reste.

Silence

LIVINGSTONE: Stilman...

STILMAN: Oui.

LIVINGSTONE: (voulant poser une question, mais ne parvenant pas à lui donner l'intonation interrogative) Toi, tu penses que j'aime Ivan.

STILMAN: Au départ, non. Puis je t'ai accordé le bénéfice du doute. Maintenant, cela dépend aussi de la définition que tu donne à aimer... Que je devrais te ramasser à la petite cuillère si, du jour au lendemain, il décidait de partir, oui. Ça j'en suis convaincu.

LIVINGSTONE: A la petite cuillère ?

STILMAN: Aux antidépresseurs, si tu préfère...

LIVINGSTONE: C'est vrai que c'est des bonbons que je n'ai plus dans ma collection en ce moment...

Silence

STILMAN: Tu dors sur le canapé ?

LIVINGSTONE: Oui. Enfin, seulement quand il est dans ma chambre -des fois c'est lui qui s'endort sur le canapé, j'ai pas le cœur à le réveiller, je vais dans mon lit... C'est dingue comme elle s'accroche, son odeur de chlorophylle, sur les draps...

STILMAN: Ne va pas prendre froid. Je n'ai pas envie de te diagnostiquer une nouvelle pathologie à ta prochaine consultation. Pourquoi tu ne dors pas dans la chambre de ta fille ?

LIVINGSTONE: Là ? Parce qu'elle y est.

STILMAN: (surpris) Héra ? C'est bien la première fois que tu m'appelles à trois heures du matin pour me dire que ta fille est dans sa chambre... Elle est malade, peut-être ?

LIVINGSTONE: Elle s'est faite embarquée. Je l'ai récupéré au poste tout à l'heure. Je l'ai enfermé. J'ai barricadé la porte de sa chambre. Elle a cogné dessus une demi heure puis elle s'est calmée.

STILMAN: Elle dort ?

LIVINGSTONE: Héraclès ? A trois heures du matin ? Tu plaisantes. Non, en fait je crois qu'elle est sortie par la fenêtre, mais je n'ai pas le courage de pousser le canapé pour vérifier...

Silence

LIVINGSTONE: Tu penses que j'ai loupé l'éducation de ma fille ?

STILMAN: Ça ne fait pas le moindre doute.

LIVINGSTONE: (simplement) En plus je suis un mauvais père...

STILMAN: Tu es juste un père maladroit.

Silence

STILMAN: (récapitulant) Tu es ivre, tuberculeux, tu as encore récupéré ta fille au commissariat, tu ne veux pas qu'Ivan t'aimes, mais tu ne veux pas qu'il parte, et tu lis Iphigénie. Bien. Si nous avons fait le tour, je vais te laisser poursuivre ta lecture...

LIVINGSTONE: Je crois que je vais en rester là, je suis trop fatigué, trop imbibé, trop vieux et trop con pour apprécier la poésie de cette tragique histoire... (court silence) Dis moi, il va la tuer ou pas sa fille, ce con ?

STILMAN: Lit.

LIVINGSTONE: (soudainement) Stilman !

STILMAN: (las) Oui ?

LIVINGSTONE: Il me faudrait une ordonnance...

STILMAN: Alors passe me voir demain, j'ai aussi besoin de sommeil, merde.

LIVINGSTONE: (abandonnant la partie) Bien. Ça m'a fait plaisir de te parler.

STILMAN: (sincère) Moi aussi, malgré tout.

LIVINGSTONE: Toutes mes amitiés à la belle rousse.

STILMAN: Je n'y manquerais pas...

Sylvius raccroche.

Il s'assoie sur le bord du lit, tambourinant contre téléphone.

La femme pousse un soupir et se redresse légèrement.

LA FEMME: Qui c'était ?

STILMAN: (avec un sourire) Ma maitresse numéro 8. Je lui manquais.

LA FEMME: Salaud. Je suis quel numéro ?

STILMAN: La numéro 1, bien sûr.

LA FEMME: Bien sûr. (après un court silence) C'était l'hôpital ? Tu vas partir ?

STILMAN: Non. C'était un roi malade qui avait besoin de parler à sa conscience. D'ailleurs il te salue.

-écriture, originale: Oméga-Viridine, théâtre

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