Titre: Chat et souris
Personnages: Emmeline Vance, Regulus Black
Genre: essai
Rating: PG
Disclaimer: HP et son univers appartiennent à JKR. Un petit emprunt en détournant une phrase d’Oscar Wilde : « une femme sans mystère est un sphinx sans secret ». Et une citation de Phèdre, de Racine.
Note: UA sans magie, écrit très en retard pour le défi "Cliché". Cliché n°35, "policier et suspect".
C’était le même endroit que la dernière fois. Tout aussi désert. Un désert de sable fin, presque blanc. Elle brûlait d’envie d’en prendre une pincée et de le laisser filer entre ses doigts, comme pour un sablier- mais elle s’en garda bien. Le temps lui était déjà compté, à quoi bon chercher à saisir une illusion ? Loin de la retenir, elle ne ferait qu’accélérer sa disparition.
Devant elle, la mer, dont elle ne savait plus si elle reflétait le ciel ou se confondait avec lui, tant son bleu limpide se prêtait à toutes les suppositions.
Mirage, mirage que tout cela. Mirage idyllique, qui l’inquiétait pourtant, d’une inquiétude sourde qu’elle ne maitrisait pas.
Ses yeux se fermaient malgré elle, tout son être succombant à l’emprise d’une douce somnolence. Elle entra dans l’eau, sourire aux lèvres, quand elle prit conscience d’une présence derrière elle. Une main se posa sur son épaule…
-Aïe !
Une vive douleur à l’épaule s’étant subitement réveillée, de même que la propriétaire de ladite épaule, ce fut une Emmeline Vance fort irritée de se retrouver à l’hôpital (et d’avoir été tirée de ce rêve récurrent et enchanteur) qui fit face à Fabian Prewett, venu platement présenter ses excuses. Peut-être aurait-il réfléchi à deux fois avant d’entrer dans la fosse aux lions s’il avait été mis au courant des événements ayant précédé son arrivée. Peut-être aurait-il également modifié son plan d’action s’il avait été plus fin psychologue. Cela n’était nullement le cas de Fabian Prewett, jeune homme sympathique en tous points, auquel seule une certaine impétuosité, une certaine fougue étant le propre de la jeunesse imprudente, pouvait être reprochée. Il fit donc irruption dans la chambre de la blessée avec pour seules armes sa contrition de bon aloi et quelques fleurs, l’expérience lui ayant appris que l’association de ces deux éléments pouvaient adoucir les plus farouches représentantes de la gent féminine. Pour tous les collègues d’Emmeline, cela pouvait paraître un peu maigre, Fabian en convenait ; mais la jolie et avenante infirmière lui avait assuré que la patiente avait été mise sous sédatifs, sédatifs suffisamment puissants pour éviter les premiers (et regrettables, il va sans dire) mouvements instinctifs de colère.
-Emmeline ? gazouilla-t-il, car il était d’un naturel guilleret.
Le regard sombre de la jeune femme était mi-clos. Des observateurs aguerris- en particulier les rares privilégiés qui ont eu le privilège de remonter le courant de fleuves amazoniens dans de frêles pirogues-, n’auraient pas manqué de noter des similitudes frappantes avec le regard en veilleuse de l’alligator, habitué à un environnement hostile, qui se demande s’il doit laisser la vie sauve à l’explorateur en goguette qui s’est aventuré jusqu’à lui, ou abandonner sa réserve naturelle et en faire son casse-croûte. Optimiste de nature, le rouquin n’y vit que l’effet des calmants.
-Comment vas-tu ? Tu seras vite sur pied. Mais pas trop vite, n’est-ce pas ? Après tout, ce n’est pas tous les jours que Shacklebot accorde des congés ! Mais le chef a fait une exception pour toi, d’après ce que Gideon m’a rapporté ? Ha, ha ! C’était un coup de veine, finalement- si l’on excepte ton bras en écharpe…
Une grande lassitude envahissait Emmeline. C’était un mélange d’émotions disparates, qu’elle n’était pas certaine de toutes identifier, mais au premier rang desquelles comptait la lassitude d’avoir à travailler avec une bande de collègues de son âge, qui, il lui fallait le reconnaître, n’eussent été leur bon cœur et leur capital sympathie, auraient mérité d’être qualifiés de crétins finis. Dernier exemple en date : lors d’une opération visant à arrêter de petits trafiquants en flagrant délit, Fabian avait « oublié » d’attendre le signal qu’Emmeline devait lancer pour marquer le début des réjouissances. C’était en allant au secours de l’imprudent qu’une balle l’avait atteinte à l’épaule.
Et pourtant, elle l’avait dit et redit à son équipe : réfléchissez, évaluez les risques avant d’agir…
-Tiens, je les ai cueillies pour toi dans le jardin de mes parents.
Tant que Fabian avait maintenu une mine suffisamment penaude, Emmeline n’avait pas pipé. Mais la vue de ce petit bouquet de roses, coupées à la va-vite avec une paire de cisailles, l’expression faussement modeste de Fabian qui croyait le triomphe assuré avec ces fleurs… Tout cela commençait à bien faire.
Fabian se méprit sur son silence :
-Alors, je suis pardonné ? Et notre dîner de ce soir tient toujours ?
Oui. Elle avait fini par accepter de sortir avec Prewett. Cela en disait long sur le désert de sa vie sentimentale.
En sortant de la chambre d’Emmeline, l’arcade sourcilière en sang, Fabian Prewett avait retenu deux leçons fondamentales : toujours penser à ôter les épines des fleurs que l’on offrait à sa bien-aimée (il était trop tard pour cela à présent, et Emmeline avait été claire quant à la fin de leur relation), et lorsqu’il aurait un jardin bien à lui, on n’y trouverait que des roses trémières.
-Kingsley, je vais très bien ! Tu ne peux pas me retirer des affaires que je suis ! En dix-huit mois…
-En dix-huit mois, tu as accompli un travail remarquable…mais tu es aujourd’hui à la limite du burn-out, répliqua calmement son supérieur.
Vous nous faites un peu d’hypertension…Rien de grave, mais il faut nous surveiller ça, avait décrété le docteur.
-Je ne veux pas partir en vacances ! dit Emmeline, tentant de dissimuler l’angoisse que ces mots lui inspiraient.
Pas dupe, Kingsley répondit :
-Parce que tu ne sais plus comment faire pour décrocher.
-Pas du tout !
-Il a raison, tu sais, déclara Marlene McKinnon, sa meilleure amie, alors qu’elle s’installait sur le canapé défraichi de son salon. Tu as changé. Avant, tu étais plus imprévisible, plus disposée à t’amuser, moins…
-Ennuyeuse, acheva Emmeline d’un ton morne. Parfois, c’est à tel point que je m’ennuie moi-même. Mais si personne ne cadre ce qui se passe, qui le fera ?
-Que s’est-il passé, Em ?
Emmeline haussa les épaules :
-Je ne sais pas…Et puis, je fais un drôle de rêve. C’est de plus en plus fréquent. Une plage de sable fin, la mer limpide.
-Ton inconscient veut partir, c’est ça qui est limpide !
Emmeline ne riait pas.
-C’est bizarre, mais ce rêve m’inquiète.
Marlene ne l’écoutait plus :
-Tu te rends dans une station balnéaire à la mode, où les seuls mots d’ordre sont glaces et farniente ! Je t’envie ces vacances forcées ! Et qui sait ? Tu rencontreras peut-être un mystérieux étranger…
-Tu rêves, Marlene, dit Emmeline.
Mais elle se prenait déjà à imaginer cet inconnu.
-Alors comme ça, vous partez en vacances ? Vous allez prendre du bon temps ?
-Mademoiselle Vance y va surtout pour se reposer, Albus, trancha Severus Rogue, le sombre et compétent docteur qui lui avait remis son épaule en place. Son collègue plus âgé, le Professeur Dumbledore, s’était greffé sur leur dernière consultation pour des raisons obscures. Emmeline soupçonnait que le pauvre homme, assoiffé de contact humain, s’ennuyait à mourir dans son imposant bureau depuis qu’on l’avait nommé directeur de l’hôpital et saisissait la moindre occasion pour se mêler au personnel, badiner avec les infirmières ou s’enquérir de l’état de santé des patients.
-Oui, oui, je m’en souviens, Severus. Surmenage, c’est bien ça ! Détendez-vous ! Cette station balnéaire ne manque pas d’activités. Vous n’aurez que l’embarras du choix. Travailler votre crawl, apprendre le badminton…
-Tout à fait, Albus. Quel meilleur moyen pour Mademoiselle Vance de ménager son épaule ? siffla le Professeur Rogue, sarcastique.
-Oh, j’oubliais ! C’est navrant…Mais la saison estivale est propice à d’autres activités très agréables, et charmante comme vous êtes, vous n’aurez aucun mal à flirter. Ah, avoir vingt ans et flirter sans penser au lendemain !
-Pour l’amour du ciel, tâchez d’être un peu plus professionnel, Albus, si cela vous est possible !
-C’est un endroit paisible, tu sais…Il y a bien de la petite délinquance, mais rien de bien méchant. Recevoir des plaintes pour serviettes volées sur la plage, guider des touristes égarés, rappeler à certaines marchands à la sauvette, Mundungus Fletcher en tête, que ce n’est pas correct de vendre des souvenirs typiques estampillés « Made in Hangleton » quand ils ont été fabriqués à la chaîne en Chine…c’est notre quotidien, dit Caradoc Dearborn comme pour s’excuser.
Emmeline l’avait connu à l’école de police. Elle le retrouvait à présent, jeune inspecteur à Hangleton, le teint frais, l’air serein. Il avait bien meilleure mine qu’elle.
-Ecoute, s’il y a quoi que ce soit qui sort de l’ordinaire, je t’en ferais part. Mais sérieusement ? Tu es là pour décompresser, alors profites-en.
-Pas de vagues, Emmeline, s’il-te-plait ! Tu me laisses mener l’interrogatoire, tu te fais discrète comme …
-…une petite souris ? proposa Emmeline, de l’air innocent du chat qui a boulotté le canari.
Les interrogatoires ne donnèrent rien. Classique : personne n’avait rien vu de suspect, personne ne soupçonnait les autres invités de quoi que ce fût…
-Mais enfin, s’exclama un Caradoc frustré après un énième interrogatoire, qui a l’idée de parader un diamant dans une simple vitrine, sans protection particulière, au milieu d’une foule d’invités ? Qui ?
Qui ? Les victimes d’un cambriolage audacieux : les caméras de sécurité n’avaient été désactivées que quelques secondes, les plombs n’avaient sauté (pas tous seuls, le sabotage était évident) que quelques instants…temps suffisant pour le voleur pour dérober ce diamant qu’on présentait comme un second Kohinoor. A cela s’ajoutait un autre mystère, car les invités avaient été soumis à une fouille sommaire avant de quitter les lieux, puis la maison avait été passée au peigne fin : mais le joyau était introuvable.
-Qui nous reste-t-il à voir ?
-La famille Black.
Emmeline stoppa net.
-Pas comme…
-Si. Sirius Black. Mais cela ne signifie rien : sa famille est irréprochable, et ce vol est très différent, de par son modus operandi, de ceux commis par Sirius.
Walburga Black trônait dans son salon tel un gigantesque crapaud. Non, elle n’avait rien vu, rien entendu. Oui, elle s’indignait de ce qu’on la traitât en suspecte potentielle- Caradoc protesta faiblement, il ne faisait que son travail, mais la vieille femme balaya d’un revers de main dédaigneux ses protestations-, qu’on ne vienne pas lui dire le contraire, les erreurs commises par Sirius- elle prononça le nom avec tant de haine que ses interlocuteurs en frémirent-, allait-elle devoir les payer jusqu’à sa mort ?
Sur ce, elle les congédia d’un ton venimeux et se leva. Un jeune homme sortit de l’ombre, se précipita pour lui donner son bras, en fils soumis et respectueux :
-Venez, mère.
C’était un garçon de taille moyenne, aux cheveux noirs, qui n’avaient rien de remarquable, discret jusque dans ses vêtements, élégants mais sobres. Emmeline nota sa capacité à se fondre dans le décor, ses gestes souples et précis. Se sentant observé, il leva les yeux et croisa son regard.
Il avait des yeux d’une couleur indéfinissable, tirant vers le gris. Des yeux faussement indifférents qui vous jaugeaient…des yeux mélancoliques et intelligents.
Le contact ne dura qu’une fraction de seconde, mais ce fut assez pour Emmeline.
Elle ne l’avait jamais vu auparavant…mais elle l’avait reconnu.
Sous ses dehors imperturbables, Regulus se sentait en proie à une étrange émotion. Les événements s’étaient enchaînés à la vitesse de l’éclair et l’avaient pris de court. Aucun accroc, il était resté muet comme une carpe alors que sa mère affrontait le malheureux inspecteur que l’on avait dépêché. Puis, alors qu’il n’attendait plus rien, cette fille l’avait vu.
D’ordinaire, les yeux glissaient sur lui sans le voir. Mais elle…son regard l’avait accroché, sondé…et il avait été le premier à se détourner.
Cela avait été une soirée à thème. Les invités étaient venus déguisés.
Sur les photos, Regulus Black arborait un monocle, une canne au pommeau sculpté à la main, vêtu d’un costume Belle Epoque.
C’était élémentaire, mon cher Caradoc, pensa Emmeline.
La terrasse du café était bondée. Regulus recula sa chaise, se leva et, sourire aux lèvres, se dirigea vers la jeune femme qu’il avait repérée dès son arrivée.
A l’ombre d’un parasol, elle était méconnaissable, cheveux ramenés en chignon sous un grand chapeau de paille à larges bords et yeux dissimulés derrière des lunettes de soleil. Il en aurait fallu davantage pour berner Regulus, doué de dons d’observation hors pair : modifier le modelé de son visage, changer sa démarche.
-Bonjour, Mademoiselle Vance.
S’il espérait la surprendre, il en fut pour ses frais.
-Bonjour, Monsieur Black. Je vous en prie, prenez un siège.
Il admirait son audace, mais n’était pas décidé à la laisser s’en tirer aussi facilement :
-Suis-je suspect ? Vous ai-je surpris en flagrant délit de filature ?
Emmeline sourit :
-Vous ne m’avez pas surprise. Je ne me cachais pas.
-Vous ne niez pas ?
Il marqua une pause. Puis, lentement :
-Si c’est une plaisanterie, elle n’est pas drôle. Si c’est un aveu, permettez-moi de vous informer que ce n’est guère habile de votre part d’alerter votre suspect, badina-t-il.
Il guettait sa réaction. Impassible, elle acheva de siroter son orangeade avant de répondre :
-Je ne vois aucun mal à vous prévenir que je vous suspecte du vol du diamant.
-Voilà qui est direct. Votre collègue partage-t-il votre avis ?
-Vous savez comme moi que l’enquête est déjà bouclée. Les assurances vont couvrir la perte de vos victimes, qui s’en remettent déjà et investiront dans un système de sécurité plus performant pour la prochaine exposition de leurs acquisitions.
-Pourquoi perdre votre temps… ?
-Je suis en vacances, dit Emmeline. J’ai tout mon temps.
-Pourquoi m’avertir ?
-Un jour, un défenseur de la chasse au renard m’a fait remarquer que l’esprit de la chasse était fair-play, puisqu’on laissait au renard pourchassé une chance de sortie…s’il courait suffisamment vite.
-Vous auriez pu vous dispenser de m’alerter. La situation était déjà équitable, remarqua Regulus. Un contre un, ce n’est tout de même pas une meute de chiens et de chasseurs à cheval contre une seule proie.
Emmeline se pencha vers lui :
-Croyez-moi, murmura-t-elle. Je les vaux bien.
Elle régla sa consommation, se leva pour partir :
-Pourquoi me soupçonnez-vous ? interrogea brusquement Regulus (l’idée lui vint qu’il aurait pu poser cette question plus tôt, en honnête citoyen protestant de son innocence).
-Et dévoiler toutes mes cartes en début de partie ? Y pensez-vous, Regulus ? s’indigna-t-elle malicieusement.
Les jours suivants, il tenta sans succès de la semer dans des zones encombrées de touristes, d’emprunter des raccourcis connus de lui seuls. Il finit par cesser de lutter. Elle se lasserait la première de ce petit jeu.
-Je vous offre un verre ? proposa-t-il, défait.
Elle accepta.
Tom le barman prépara devant eux les cocktails, jonglant avec les bouteilles et les verres avec une dextérité de professionnel. Des verres au contenu translucide, rose bonbon, bleu cyan, jonquille…Ces cocktails, dotés de noms obscurs (« goutte du crépuscule », « larmes d’étoiles »), ravissaient et frustraient à la fois Emmeline.
-Mais quels sont leurs ingrédients ?
Regulus refusa de se prononcer :
-Tom seul le sait.
Elle se risqua sur un cocktail de couleur verte que Regulus lui avait conseillé.
-Vous êtes donc décidée à vous attacher à mes pas.
-« C’est Venus toute entière à sa proie attachée », cita Emmeline avec un accent français épouvantable qui fit tiquer Regulus. A propos de la France, très original, votre déguisement de l’autre soir. Parfait pour l’occasion. Arsène Lupin…Sous quel meilleur patronage s’emparer d’un bouchon de cristal ?
-Vous délirez.
-La canne était une touche bien utile. Tenez, je parierai que le pommeau était creux, et que l’on aurait pu y dissimuler un joli caillou.
Regulus ne répliqua pas. Il attendait la suite. Quand celle-ci ne vint pas, il parla :
-Que cherchez-vous ?
-Tom, ce cocktail est délicieux ! Comment s’appelle-t-il ?
-C’est une création de la maison, se rengorgea le barman. Je l’ai nommé « Veritaserum », car j’ai remarqué que ceux qui le boivent s’épanchent plus volontiers…Il délie les langues.
Emmeline regarda Regulus en face, les yeux pétillants :
-Tentative de m’extorquer des renseignements ? Tst, tst, quelles manières. Vous me décevez. Je n’ai rien à cacher, moi.
Regulus la scrutait attentivement, désarçonné. Elle soutenait son regard sans ciller, il aurait dû lire en elle comme dans un livre ouvert, mais elle parait avec grâce chacune de ces attaques :
-Que cherchez-vous ? répéta-t-il.
Elle se leva, se pencha vers lui. Ses lèvres étaient si proches de son oreille qu’il pouvait sentir son souffle sur sa peau.
-Vous aimeriez bien le savoir…
Regulus n’en dormit pas de la nuit.
-Alors ? Raconte-moi tout !
Emmeline écarta le combiné de son oreille. Marlene en quête de potins frais prenait toujours une voix légèrement suraigüe.
-La mer est bonne, j’ai goûté de délicieux cocktails, j’ai trouvé de quoi ne pas m’ennuyer…
-Toi, tu as rencontré quelqu’un ! Inutile de nier ! Je ne t’ai pas vue aussi enjouée depuis longtemps.
Bon, elle avait bien rencontré quelqu’un, mais comment expliquer à son amie ses intentions envers lui ?
-Oui, commença-t-elle avec prudence, on peut dire que…
-Comment s’appelle-t-il ? A quoi ressemble-t-il ?
-Ce n’est pas ce que tu crois. Il s’appelle Regulus Black- oui, de la famille de ce Black, d’ailleurs, c’est son petit frère…
-Le frère de Sirius Black ?
Sirius Black était une légende vivante. Surnommé « le Robin des Bois du XXème siècle », ce beau garçon de bonne famille, rebelle dans l’âme, avait défrayé la chronique en braquant une vingtaine de banques. Sans violence, avec charme et courtoisie, il repartait avec des lingots d’or massif et- mais ce n’était sans doute que des rumeurs- le numéro des caissières. Quelques jours plus tard, des associations caritatives recevaient un chèque à plusieurs zéros de la part de Sirius Black. Jusqu’au jour où un braquage avait mal tourné- Sirius Black avait toujours clamé son innocence, mais le braqueur en cavale avait été arrêté et condamné à une lourde peine dans une prison de haute sécurité- dont il s’était évadé au nez et à la barbe de ses gardiens, alimentant le mythe Sirius Black, pour le plus grand bonheur de ses défenseurs qui croyaient toujours à son innocence.
-S’il est aussi canon que son frère, je te comprends !
-Non, il ne lui ressemble pas du tout.
Sirius avait été flambeur et flamboyant, Regulus était effacé et discret.
Pourtant, bien après avoir raccroché, Emmeline acheva la comparaison entre les deux frères. Objectivement, Sirius Black était sans conteste le plus séduisant des deux, avec son corps d’athlète et ses traits de dieu grec. Emmeline était humaine, elle appréciait donc pleinement cette esthétique…mais ce ne fut pas de Sirius Black qu’elle rêva cette nuit-là.
Elle aurait préféré cette situation. Cela aurait été plus logique, plus compréhensible.
Il n’y avait aucune raison à ce qu’elle rêvât de Regulus Black…ce qui rendait ce rêve d’autant plus inquiétant.
Ce jour-là, ils visitaient un petit musée qui exposait des œuvres impressionnistes. Tous deux étaient mal à l’aise, pressés d’en finir- pour des motifs différents.
Malgré sa nervosité, Regulus sourit de la perplexité d’Emmeline devant les toiles :
-Magnifiques, n’est-ce pas ?
-Dites inexplicables, riposta la jeune femme. Je ne comprends pas comment ce qui, vu de près, n’est qu’un fatras effroyable, peut de loin donner l’illusion presque parfaite de…de signifier quelque chose ! Mais quelque part, ce n’est que de la poudre aux yeux que tout cela.
-Je ne suis pas de votre avis, dit Regulus.
Nonchalamment, il tendit le bras vers l’oreille d’Emmeline, claqua des doigts, et en retira une pièce de monnaie.
-Vous êtes magicien…Cela explique votre habileté à escamoter les objets, murmura-t-elle. Mais est-ce … ?
-Finissez !
-Est-ce un mobile digne de ce nom ? Vous n’avez pas besoin d’argent, vous faites tout pour vous différencier de votre frère, et pourtant, vous avez volé ce bijou ! Pourquoi ?
-Si je vous avoue que je suis kleptomane ?
-Ne vous moquez pas de moi !
Regulus baissa la voix :
-Emmeline, je ne plaisante pas. Vous avez gagné, d’accord ? Oui, c’est moi qui ai escamoté le diamant. Par revanche sur la société, esprit de lucre… faites votre choix. Mais arrêtez de me suivre à présent. La plaisanterie a assez duré. Ce jeu est fini.
-Non, dit lentement Emmeline. Non, il ne l’est pas. Vous allez recommencer, n’est-ce pas ? Vous êtes nerveux depuis quelques jours. Comme si…comme si vous étiez contraint de faire quelque chose que vous ne voulez pas faire.
Regulus retint sa respiration. Trop tard, Emmeline était lancée.
-Vous ne volez pas pour votre propre compte ?
-Vous ne voulez pas savoir.
-Si ! Dites-moi tout.
Acculé, il sut qu’il allait céder.
-C’est en voulant m’entraîner à escamoter les émeraudes à ma cousine, Narcissa Malfoy, que mon…talent est remonté aux oreilles de Lord V.
Lord V., le sombre criminel dont le réseau tentaculaire s’étendait dans toute l’Angleterre.
-Il m’a fait une proposition que je ne pouvais refuser…on ne lui dit pas non. Je devais voler pour lui. Objets inestimables, documents dont je n’ai pu lire le contenu…Laissez-moi à présent, martela-t-il avec conviction. Si Lord V. apprend que vous enquêtez sur moi, vous serez en danger.
Emmeline haussa les épaules, les yeux perdus dans le vague.
-Quel dommage…la résolution est décevante. Je vous imaginais gentleman cambrioleur, cela avait du panache…mais somme toute, vous n’êtes qu’un banal monte-en-l’air…qui plus est, pour le compte d’autrui.
Regulus s’impatienta :
-N’avez-vous pas entendu ce que je viens de dire ? Si Lord V. apprend que vous enquêtez sur moi …
-Qui enquête sur vous ? riposta Emmeline. Je suis en vacances. Je n’ai jamais pris part à l’enquête officielle.
-Mais, l’interrogatoire de ma mère…
-Un ami de la police locale, qui savait que je m’ennuyais, m’a permis d’y assister.
-Que cherchiez-vous ? Que cherchiez-vous lorsque vous me traquiez ? dit Regulus, qui sentait la colère le gagner.
-Cela remonte à mon enfance…
-Laissez Freud en dehors de ça ! grogna Regulus.
Sans paraitre l’entendre, Emmeline poursuivit :
-Enfant, je voulais être détective. Comment pourrais-je vous expliquer l’attraction irrésistible qu’exerce sur moi le mystère ? Une énigme dont on n’a pas la solution, c’est un coffret cadenassé qui vous nargue tant que vous n’avez pas la clé. Ensuite, peu importe ce qu’il contient, trésor ou vide. Mais les joies de l’enquête…tant que vous avancez à tâtons, que vous sentez que le suspect n’a pas livré tous ses secrets…je les avais oubliées, ces derniers temps. Et je vous remercie, Regulus, d’avoir- bien involontairement, j’en suis sûre- contribué à me rappeler ces sensations perdues.
Estomaqué, Regulus en perdit ces mots.
-Soyez tranquille, mes vacances s’achèvent et je ne vous embêterai pas davantage. Je ne soufflerai mot de ce que vous m’avez révélé à personne, pas même l’inspecteur Caradoc. Toutefois, je vous donnerai ce conseil, car vous m’êtes un gibier de potence sympathique, malgré votre état- et la voix d’Emmeline se fit plus grave- quittez l’Angleterre, partez le plus loin possible de Lord V., car d’après ce que je sais de sa réputation, ses serviteurs les plus fidèles peuvent tomber en disgrâce à tout moment…et vous êtes trop gentil pour survivre longtemps dans un tel milieu.
Regulus parvint enfin à parler.
-C’est tout ? Vous me laissez…juste comme ça ?
Ce n’était guère éloquent, mais la vague d’indignation- mêlée de déception- qui le submergeait était trop forte pour qu’il l’ignorât.
Emmeline lui adressa un sourire empli de commisération :
-Regulus, jusqu’à présent, vous étiez nimbé d’une aura de mystère qui m’attirait. Désormais, vous n’êtes plus qu’un sphinx sans secret. Je n’ai aucune raison de m’attarder, non ?
Aucune raison, chantonna-t-elle victorieusement le soir même tout en faisant ses bagages.
-Vous avez une mine superbe, Mademoiselle Vance ! commenta le Professeur Dumbledore alors que le Professeur Rogue examinait son épaule.
Elle lui adressa un clin d’œil :
-J’ai suivi vos recommandations, Professeur. Du badminton, ajouta-t-elle précipitamment sous le regard noir du Professeur Rogue.
Maugrey « Fol-Œil » la convoquait dans son bureau ? Que se passait-il ? Ce n’était pas souvent qu’une inspectrice ordinaire avait l’occasion de rencontrer « Le Vieux ».
Rapidement, elle fut mise au parfum :
-Un témoin veut nous donner des informations sur l’organisation de Lord V. C’est une occasion exceptionnelle d’en apprendre plus sur ce réseau. Tu seras chargée de sa protection, le temps qu’il témoigne contre son patron.
-Pourquoi moi ?
-Il t’a requise spécialement.
-De qui s’agit-il ?
-Regulus Black.
Regulus ! Les questions se bousculaient dans sa tête, mais elle était consciente de l’œil perçant de Maugrey :
-Je ne chercherai pas à savoir pourquoi Black a tenu mordicus à ce que l’inspecteur Vance assure sa protection.
-Monsieur, suis-je la personne la plus qualifiée pour cette tâche ?
-Non, mais Black le pense et ce que Black veut, Black l’aura car je veux son témoignage. Tu assureras donc sa protection rapprochée, et en cas de pépin, une petite équipe te prêtera main-forte. Le mot d’ordre est : discrétion. Lord V. apprendra bien assez tôt que Black cherche à le quitter.
Regulus l’attendait dans son appartement. Il allait rester avec elle « au moins deux bonnes semaines », aavit dit Maugrey. Il lui fit face, sans once de moquerie dans ses yeux gris. Elle savait qu’il venait de signer son arrêt de mort.
Elle était désorientée. Elle ne comprenait pas. Une question s’échappa de ses lèvres :
-Pourquoi ?
Il s’approcha d’elle, se pencha. Ses lèvres étaient si proches de son oreille qu’elle pouvait sentir son souffle sur sa peau.
-Vous aimeriez bien le savoir ?
Il s’éloigna, la démarche féline. Elle le suivit du regard alors qu’il s’en allait occuper la chambre d’amis, partagée entre l’amusement et l’irritation. Pensait-il vraiment qu’elle allait tomber dans le panneau et succomber à la tentation d’une énigme à résoudre ?
Elle se vit dans le miroir. Ses yeux bruns brillaient d’un feu mal contenu, le sang affluait à ses joues, même ses cheveux semblaient voleter dans un nuage électrique.
Zut. C’était reparti.