(no subject)

Apr 24, 2006 23:51



Suis-je le gardien de mon frère ?

A la fin de mon année de première, ma mère a été virée de son travail (son employeur appelait ça un transfert) et nous avons quitté Paris pour nous installer dans une petite ville du milieu de nulle part dans la région de Lille. J’ai toujours détesté le changement et il m’était inconcevable de pouvoir me rebâtir une véritable vie dans un endroit où j’arrivais pour ainsi dire seule, où je ne connaissais personne. Je ne m’imaginais pas survivre loin de mon petit cercle d’amis t je m’étais d’abord mis en tête que je resterais à Paris coûte que coûte. J’avais fait une scène lorsque mes parents avaient refusé de me laisser vivre seule dans un studio dont ils auraient payé le loyer et nous ne nous étions plus adressé la parole pendant une bonne partie des grandes vacances pendant que ma sœur, Camille, avait vaguement tenté de nous réconcilier.
Ma mère était dans le commerce et à dire vrai, je ne me suis jamais assez intéressée à elle pour seulement savoir ce en quoi son travail consistait. Nous la voyions rarement et quand elle était présente, elle parlait peu, faisait des mots croisés ou lisait de mauvais romans. Mon père, lui, était dans un groupe de jazz qui finit par partir en tournée cette année là. Il n’avait pas de véritable emploi à part ça.

Je n’étais évidemment pas enchantée quand nous avons emménagé dans notre coquette petite maison, individuelle et suburbaine ; c’était la première où j’aie jamais vécu : depuis mon enfance, j’étais habituée aux appartements luxueux dont les fenêtres s’ouvraient sur des centres-villes animés. Je me voyais déjà à l’hôpital, persuadée que deux semaines dans cet endroit seraient suffisantes pour me donner des envies de mort. Je dramatisais. En fait, tout se passa de manière banalement normale et sans crises de larmes ; j’étais la nouvelle tête du quartier qu’on aborde avec curiosité, qu’on teste. Je me faisais standard et accessible, déployant des trésors de tolérance et d’observation pour m’adapter aux attentes de mes interlocuteurs que je devinais principalement à ce qu’ils portaient. Je disais toujours écouter les groupes dont les noms avaient été griffonnés sur leurs sacs et, face à d’éventuels manques d’indications, je louvoyais, je restais vague assez longtemps pour grappiller les indices qui me permettraient de m’orienter dans la conversation.
Quand la rentrée arriva, j’étais la parisienne sympa et drôle avec qui tout le monde voulait déjeuner, à laquelle on demandait souvent des conseils en matière de mode car j’étais supposée toujours être au courant des dernières tendances de la capitale. On me nomma déléguée de classe et on me proposa d’intégrer l’équipe de volley-ball, ce que je refusai poliment.

Ma petite sœur eut plus de mal à s’intégrer. Les premières semaines, elle tentait de se joindre au petit groupe qui gravitait autour de moi, essayant maladroitement de prendre part à la conversation, riant faussement des plaisanteries les plus idiotes. Personne ne faisait réellement attention à elle mais Camille n’avait pas l’air d’en souffrir, du moment qu’elle ne se retrouvait pas seule. Moi, je trouvais ce petit manège plutôt mignon mais mes nouveaux amis s’irritèrent et commencèrent à me faire des remarques. "Dis à ta sœur de dégager, Emilie," me demandaient-ils. "Elle est en seconde."
J’avais trop peur de perdre de ma popularité, ce que je n’aurais pas pu supporter dans cet univers lycéen où l’on t’évalue selon le nombre d’entrées dans le répertoire de ton téléphone portable. J’ai donc décidé de parler à Camille. Je lui expliquai qu’il fallait qu’elle prenne ses distances, que mes amis ne l’aimaient pas. Je lui demandai de ne plus me coller comme elle le faisait depuis début septembre.
Elle commença bientôt à porter des lunettes neutres et des pulls à col roulé noirs, à parler sans arrêt de Jack Kerouac et d’anarchie. Elle n’essayait pas de se lier d’amitié avec qui que ce soit à l’école et préférait sortir avec les élèves d’un lycée rival du notre où il y avait une grande majorité de littéraires. C’étaient les gamins qui avaient 16 de moyenne générale même s’ils séchaient régulièrement les cours pour aller montrer leurs grises mines arrogantes au café du coin. Les gamins qui voulaient aller vivre à Lille ou à Paris, les villes avec les salons de thé et les open mics où ils pourraient lire et écouter du spoken word. Les gamins obsédés par l’apathie qui s’asseyaient régulièrement dans une chambre enfumée de cigarette pour écouter des groupes de post-rock obscurs ou du Debussy. J’étais un peu jalouse car certains de ses amis étaient en khâgne.
Encore aujourd’hui, quand j’essaie de recoller les morceaux et d’invoquer mes souvenirs de Camille à cette époque, je n’arrive pas à saisir la logique de sa métamorphose en une espèce de neo beatnik prétentieuse, sa progression continue de m’apparaître comme brutalement absurde. Un soir elle était ma timide petite sœur sur qui personne ne se retournait et le lendemain je prenais mon petit déjeuner avec une autre fille qui avait teint ses cheveux en noir, une grosse couche d’eyeliner sombre sous ses yeux. Elle poussa le vice jusqu’à demander à tout le monde de l’appeler Janis, en référence à Janis Joplin. La rumeur courait que c’était le prénom qu’elle utilisait jusque sur ses copies de composition.

"Allons, Camille, c’est ridicule. Tu n’es pas américaine." lui dis-je un soir alors qu’elle allumait une cigarette à table.

"Shut the fuck up!" elle me répondit méchamment. Je levai les cieux au ciel avant de reporter mon attention sur la banane que je mangeais doucement.

Après ça, les gens oublièrent graduellement que nous étions sœurs et mes amies n’avaient de cesse de parler et de se moquer d’elle, de ses cheveux gras, de ses ongles rongés. Elles répétaient qu’elle mourrait vierge d’un cancer des poumons à 40 ans. Je me contentais de me taire, souriant parfois faiblement. Je faisais de mon mieux pour continuer à aimer Camille tout de même, mais parfois c’était si dur. Une fois, elle a écrit un poème sur moi :

silencieuse elle
sanglote ; dans son
infini silence de
sanglots ; tu étais si
joliesoumise aux doigts
de la société ; idéaliste
et maintenant pauvre
réaliste

Je lui dis que ça n’était pas comme ça qu’on écrivait de la poésie. Et puis j’ai commencé à remarquer des cicatrices sur l’intérieur de ses bras. Quand je lui ai demandé d’où elles venaient, elle m’a répondu

"Dieu se moquait de moi. Dieu est un connard d’élitiste". Et elle a allumé une autre cigarette.

Adam était plutôt mignon. Il se rasait tout les matins mais sa barbe refaisait invariablement surface avant cinq heures de l’après midi. Il piquait toujours un peu quand je lui faisais la bise. Ma sœur et moi le connaissions depuis que nous avions emménagé et il avait travaillé dans le même petit restaurant que moi pendant tout le mois d’août. Tous les jours, il passait nous prendre toutes les deux en voiture et nous reconduisait ensuite chez nous. Camille était trop jeune pour travailler mais elle aimait l’animation modérée du restaurant qui lui épargnait de rester seule à la maison. Elle emportait toujours un de ces romans pour adolescents que l’on trouve à la section
«jeunesse» de la librairie, ou alors elle dessinait un peu. Elle commandait des jus de fruit qu’elle sirotait doucement au fond du coin non-fumeur.
Dans la voiture, je m’asseyais devant et badinait un peu avec Adam pendant que ma sœur regardait la route par l’une des fenêtres arrières, silencieuse. Une fois rentrées, nous gloussions pendant quelques minutes et je lui faisais remarquer la manière qu’Adam avait de me sourire, de me faire des clins d’œil.
A la rentrée, Adam avait continué de travailler au restaurant trois soirées par semaine. J’avais arrêté mais il continuait de passer me prendre chaque fois qu’il y allait parce que je tenais vraiment à le voir en dehors du lycée où nous ne nous croisions que rarement. Je révisais en attendant qu’il ait fini et ensuite nous prenions souvent un verre en discutant. Il ne répondait pas à mes avances.
Une fois, Camille était venue avec nous. Elle m’a dit qu’elle n’avait rien de prévu et ne voulait pas s’ennuyer un vendredi soir. Je pense plutôt que l’idée de rester toute seule à la maison la répugnait.

"Alors à ce qu’il paraît tu aimes le post-rock?" lui avait demandé Adam en la regardant dans le rétroviseur.

"Tu n’es pas obligé de lui adresser la parole, tu sais." Je touchai son bras dans un mouvement de compassion forcée.

"Ouais. Pourquoi?" Camille tenta de paraître indifférente à la question d’Adam, mais je voyais clair dans son jeu.

"Tu as déjà entendu parler d’Automaton Moon? C’est un groupe local. Ou alors des Empty Syringes?"

Une lueur d’intérêt éclaira le visage de ma sœur pour la première fois depuis longtemps. Je reportai mon attention sur le soleil qui se couchait déjà derrière la vitre.

"Un ami a moi a eu l’occasion de jammer avec leur guitariste une fois."

"Sérieusement?" elle cracha un peu de fumée noire. "Je donnerais n’importe quoi pour avoir cette chance."

"Tu joues de la guitare?"

"Ouais, on peut dire ça."

"Quoi?" je me tournai vers elle. "Je ne savais pas ça!"

Elle rougit et regarda ses pieds. "Ben… tu ne me l’as jamais demandé."

J’avalai ma salive avec difficulté.

"Ca fait combien de temps que tu joues?" continua Adam.

"Oh, depuis que je suis toute petite, seulement je n’ai commencé à prendre des leçons que très récemment. Avec un ami."

"Quelqu’un que je connais?"

"Matthieu Sia. Son vrai nom c’est Matthieu Dubuis mais il se fait appeler Sia à cause de Beau Sia, le poète beat."

Il y eut un long blanc pendant lequel aucun de nous trois ne prononça une parole. Nous étions presque arrivés quand Adam demanda enfin

"Cet ami dont je te parlais, son groupe donne un concert samedi prochain, ça te dirait de venir?"

Bien entendu, la petite nihiliste accepta. Ce soir là, elle avait l’air à nouveau heureuse.

Samedi soir, Camille resta près de deux heures dans la salle de bain. Elle lava et sécha ses cheveux plusieurs fois de suite jusqu’à ce que leur forme soit parfaite et élégante. Elle portait une robe noire et sobre avec de longues manches qui cachaient ses stupides cicatrices. Quand Adam est arrivé, elle était encore en haut et c’est moi qui dus lui ouvrir. J’étais en pyjama, mes cheveux enroulés dans des bigoudis. Je criai à ma soeur qu’Adam était là et elle descendit l’escalier doucement.
Je remarquai que son corps était très fin, qu’elle évoluait avec cette grâce maladroite que possèdent les jeunes nobles. Elle avait la silhouette que j’avais toujours espéré obtenir en mordillant mes bananes au petit déjeuner, en piochant dans ma salade le soir. Elle était rayonnante, la dernière fois que je l’avais vu sourire comme ça remontait à l’époque où nous habitions encore à Paris. Un jour, nous étions allées jusqu’à la Tour Eiffel en chemises hawaïennes et nous portions des appareils photos autour de notre cou pour faire semblant d’être des touristes. Adam et Camille partirent sans me dire au revoir. Ce soir là, je pris deux des somnifères de ma mère et je dormis jusqu’à trois heures de l’après midi. Quand je me levai, ma sœur était assise à la table de la cuisine, elle rayonnait encore et elle lisait le journal. Elle s’était préparé du café qu’elle buvait à petites gorgées entre deux bouffées de sa cigarette.

"Good morning!" me lança-t-elle.

"Ummmm…" Je n’étais pas bien réveillée et je me pris la tête dans les mains.

"Tu veux du café?" Elle se leva et me remplit un bol qu’elle posa devant moi. J’en bus un peu. Il était froid et amer et je le laissai reposer sur ma langue pendant quelques instants avant de me décider à l’avaler plutôt que de le recracher.

"Mon rendez-vous d’hier soir s’est vraiment bien passé."

"Camille, ça n’était pas un rendez-vous."

"Et comment tu sais que ça n’en était pas un?"

"Eh bien, pour commencer, il est en terminale et tu es en seconde."

"Oh."

"Ensuite, il s’agit d’Adam Schielder et tu n’es que Janis Martin."

"Oh."

"Ma pauvre, tu veux que je te dise, moi, pourquoi il t’a invitée? Parce qu’il avait pitié de toi, voilà pourquoi." Je pris une autre gorgée de mon café et le regrettai immédiatement.

"Oh? Toujours est-il que la nuit dernière, il m’a embrassée après m’avoir reconduite." Elle se leva, plia le journal et écrasa sa cigarette. "Avec la langue." Elle quitta la cuisine en buvant son immonde café avec assurance.

Dans la salle de bain, je me regardai dans le miroir. Il y avait des traces de mascara séché sur mes joues et mes cheveux tombaient sur mes épaules en stupides boucles blondes.

"Qu’est-ce qui ne va pas avec moi?" criai-je à personne en particulier. "Je suis désolée de ne pas être une mocheté avec une taille de guêpe et des cheveux noirs et gras. Je suis désolée de ne pas m’ouvrir les poignets. Je suis désolée de ne pas écrire de la poésie merdique. Je suis désolée de ne pas écouter de la musique écrite par des tapettes mortes et enterrées." Mes yeux se remplirent de larmes et tout ressemblait soudain à un Monet.

"Et merde."

Le rasoir de ma sœur était posé sur le porte-savon de la douche. Je le pris et le fit tourner plusieurs fois entre mes doigts avant de frotter sa lame contre l’intérieur de mon bras gauche. Ca piquait. Une petite coupure se transforma rapidement en bavure rouge. Je me suis demandée comment ma sœur pouvait se faire ça.
Elle passa devant la porte que j’avais laissé ouverte et voulut se saisir du rasoir.

"Qu’est-ce que tu fous, Emilie? Rends-moi ça, j’en ai besoin!"

"Non, non, Camille." Je m’arrangeai pour maintenir le rasoir hors de sa portée. "Je suis ta grande sœur et je ne te laisserai plus te faire ça."

"Et quelle merveilleuse sœur tu fais!" me cria-t-elle après s’être enfermée dans la salle de bain.

"Ta gueule. Ce n’est pas moi qui joue les grandes reines du drame."

"Pauvre idéaliste, maintenant si réaliste." me nargua-t-elle. "Soumise aux doigts de la société!"

"Tu as tort, Camille!" criai-je en cognant à la porte. "Je n’ai pas changé du tout depuis qu’on n’habite plus à Paris, et peut-être que je suis soumise mais au moins je ne suis pas un putain de déchet social."

Je pensais qu’elle ne trouverait rien à répondre à ça et partit avant qu’elle eut le temps d’ajouter quoi que ce soit.

Camille recommença à nous accompagner régulièrement jusqu’au restaurant et désormais c’était elle qui était toujours assise côté d’Adam dans la voiture. Je finis par les laisser y aller seuls. Adam se laissait pousser un petit bouc, avait acheté une paire de lunettes neutres et portait des pulls à col roulé noirs. Mes amies en riaient encore, elles ne revenaient pas de l’avoir un jour trouvé séduisant. Comme il avait changé!

Vers la fin de l’hiver, il me proposa de l’accompagner au travail, Camille était malade et ne pouvait pas venir. J’avais conscience de n’être là que pour combler un trou mais j’acceptai.

"C’est comme au bon vieux temps" soupirai-je dans la voiture.

"J’espère que Camille ira vite mieux."

Je haussai les épaules. "Que veux-tu, les jeunes peuvent être si insouciants."

"Tu n’as que 17 ans." il remarqua.

"Camille a à peine 15 ans et elle est déjà accro à la cigarette. Je te jure… j’essaie de m’occuper d’elle mais parfois… » Je secouai la tête. "J’ai dû lui arracher le rasoir des mains pour qu’elle arrête de se couper."

"Elle n’a pas arrêté." me dit-il comme si ça avait été évident.

"Oh." Je reniflai. "J’essaie vraiment d’être une bonne grande sœur…"

Il ne dit plus rien et gara la voiture sur le parking du restaurant. Il faisait sombre et l’endroit était presque désert. Il ouvrit la portière pour descendre.

"Attends!" dis-je en me tournant vers lui. "Ne sors pas tout de suite!"

"Pourquoi?"

"Oh Adam!" Je me jetai à son cou. "J’ai besoin de toi!"

"Quoi?" Il ne bougea pas. Je m’écartai et le regardai droit dans les yeux.

"S’il te plaît, fais moi l’amour." Je sentis mes yeux se mouiller, je me demande d’où venaient ces larmes.

"Tu es cinglée? Je sors avec Camille!"

"Peut-être que je le suis." Je pressai mes lèvres contre les siennes dans une tentative de baiser. Il me repoussa.

"Tu es complètement cinglée." Il fit un mouvement vers la porte.

"Adam," j’attrapai sa main. "Je sais garder un secret." dis-je en souriant et en battant des cils.

Il soupira, puis me regarda pendant un moment qui sembla une éternité. "Je mentirais si je disais que je ne te trouve pas jolie, Emilie, mais… je ne suis pas sûr que…"

"Elle ne saura jamais." je m’approchai de lui, mes seins débordant de mon décolleté. Je montai sur ses genoux, contente d’avoir choisi de porter une jupe ce jour là. Je l’ai regardé dans les yeux. "S’il te plaît?" Je sentis qu’il hésitait.

"Putain, pourquoi il faut que tu sois si belle." il murmura comme s’il ne voulait pas que je l’entende.

Je souris. J’allais enfin obtenir ce que je voulais. "Embrasse moi." lui ordonnai-je. Car c’ était tout ce que je voulais. Je me foutais de l’entendre dire que j’ étais belle ou qu’il m’aimait. Tout ce qui comptait à ce moment précis, c’était qu’il m’appartenait, à moi, pas à ma sœur. Nous avons fait l’amour et il l’a immédiatement regretté.

"Je t’en prie, ne dis rien à Camille." me supplia-t-il.

"Va te faire foutre." répondis-je en boutonnant mon chemisier.

Le lendemain, Camille était déjà assise à la table de la cuisine quand je me suis levée. Elle ne fumait pas, pour une fois. Je me servis un bol de café qui me brûla la langue et avait un goût de métal.

"J’ai couché avec ton petit ami hier soir." lançai-je.

"Je sais." Elle releva la tête et je remarquai que ses yeux étaient injectés de sang. "Il me l’a dit."

"Je suis désolée, Camille, c’est un connard." Je me précipitai près d’elle et voulut l’entourer de mes bras. "Je suis là pour toi."

"Ta gueule, trollop!" cria-t-elle en me repoussant. Je n’avais pas envie de savoir ce que trollop voulait dire. "Il m’a raconté ce que tu as fait."

"Ce que j’ai fait?" Je pris un air choqué. "Ma chérie, je voulais te protéger!"

"J’ai besoin de toi, Adam, fais-moi l’amour. C’est ce que tu disais en montant sur ses genoux pour l’embrasser."
Tout d'un coup j’aurais voulu être invisible, aussi mince que ma soeur. Aussi belle.

"Il m’a…"

"Ta gueule espèce de pute. Tu n’es plus ma sœur." Elle se leva et sortit de la pièce.

Je me suis demandée comment je m’étais mise dans une situation pareille, comment j’étais devenue aussi désespérément égoïste.

Les filles avec qui je traînais au lycée trouvaient que c’était hilarant et que j’étais devenue une espèce de héros en brisant le cœur d’Adam et celui de cette Janis. Elles me posaient des questions du genre est-ce qu’Adam a une grosse bite, est-ce que tu as simulé l’orgasme, est-ce que Janis est au courant ? En marchant jusqu’à ma salle de classe, je les ai vus tous les deux, Adam et Janis, ils paraissaient triste et vaincus. Ils s’embrassaient, emmitouflés dans leur petite bulle, loin de la foule qui se pressait autour d’eux sans les voir. J’allais avoir mon bac cette année, et j’allais repartir à Paris pour étudier le commerce avec quelques uns de mes anciens amis. Bientôt je serais loin de ma sœur, mais les inquiétudes que j’avais ravalées il y a si longtemps pour les remplacer par mes propres petits besoins égoïstes revinrent soudainement me hanter. Ma sœur, Camille, Janis : la marginale, la snob, le déchet social, la seconde qui sortait avec un terminale, la sœur d’une putain.

J’entendis deux de mes amies ricaner quand elles les aperçurent. Je me souvins que, sous la tour Eiffel, Camille avait oublié son porte-monnaie et je lui avais offert une glace. J’étais vraiment la même fille à cette époque là. Je n’avais pas changé du tout.

of all things you must be glad and young.
    -e.e. cummings

pour ceux qui n'ont pas vu la référence du titre (ben quoi, tout le monde ne connaît pas la bible par coeur), il s'agit d'une phrase tirée du mythe de cain et abel qui se trouve dans la genèse (ma nouvelle est censée être une pseudo-réécriture de ce mythe).

autre, nouvelle, g

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