Le pouvoir des RuneswilwywaylanOctober 2 2021, 19:31:50 UTC
Depuis deux heures maintenant, Reynir s'agitait dans la grande salle, allant de ci, de là, marmonnant pour lui-même. Onni avait bien décidé de ne faire absolument aucune remarque, se contentant de le suivre des yeux en silence, les bras croisés, planté sur sa chaise comme si rien n'allait pouvoir l'en déloger. Son paquetage, qu'il avait parfaitement sanglé dans son sac, chaque objet à sa place, était maintenant étalé sur les trois grandes tables de bois. Les vêtements avaient été dépliés, les paquets défaits, même ses chaussures avaient été entassées, les semelles tournées vers le plafond.
Pourtant, Onni avait fait de son mieux pour ne pas être vu. Il était descendu de la chambre d'un pas aussi détendu que possible, tâchant de ne pas montrer ce qu'il avait en tête. S'il pouvait atteindre la porte, il pourrait prendre le chemin qui passait derrière la maison, et personne ne le verrait. La soeur de Reynir était partie tôt le matin, les parents devaient être avec leurs moutons, et Reynir... Eh bien, là était son erreur. Il avait pensé que Reynir se trouverait quelque part dans les champs, peut-être à tenter de contacter Emil et Lalli avec la radio pour leur raconter des choses dont ils ne comprendraient que la moitié. Mais Onni n'avait pas atteint la porte que celle-ci s'ouvrait à la volée, laissant rentrer une bouffée d'air glacé, quelques feuilles mortes, et un Reynir enroulé dans une longue écharpe, les joues rosées à cause du froid. A peine avait-il vu Onni, qu'il avait commencé à babiller, à propos de brouillard et de moutons perdus. A la troisième phrase, il avait remarqué le sac jeté sur son épaule, et le regard coupable qu'Onni tentait à grand-peine de dissimuler. Sa bouche s'était ouverte en un O parfait, et il avait jeté un tel regard de chien malheureux qu'Onni n'avait pu empêcher un pincement de remords.
Tout ça parce qu'il n'avait pas fait plus attention au moment de partir. Il devenait imprudent, avec l'âge. Ce n'était pas bon, ça, pas du tout. Sur le terrain, cela pouvait faire la différence entre la vie et la mort. Il évita de penser au fait qu'une maison en Islande n'était pas du tout semblable au Monde Silencieux et que le risque présenté par Reynir n'était pas vraiment aussi important que celui d'un troll ou d'un géant. Quoique, se dit-il avec un regard morne à son paquetage défait, parfois, la nuance n'était pas aussi nette.
RE: Le pouvoir des RuneswilwywaylanOctober 2 2021, 19:32:04 UTC
Reynir marchait toujours entre les tables, si vivement que sa tresse volait derrière lui. Un pinceau dans une main, un encrier dans l'autre, il gribouillait des symboles incompréhensibles où il le pouvait : sur l'intérieur de certains vêtements, dans ses chaussures, dans la doublure de son sac. Il prit le kantele en main, et Onni eut un geste pour l'arrêter, mais le regard que Reynir lui lança, s'il ne suffit pas à le faire se rasseoir, le coupa au moins dans son élan.
- Ne touche pas à ça, marmonna-t-il, mais sa voix manquait de force.
Reynir hésita un instant, mais déjà, le pinceau avait repris sa danse, traçant de fines lignes noires sur le bois. Onni pensa un instant à s'en offenser, mais il savait déjà que ça n'aurait aucun effet sur Reynir. Une fois que celui-ci avait décidé quelque chose, que ce soit de le suivre dans la rue ou venir dans son espace mental sans invitation, Onni se trouvait curieusement sans défense ou presque. Il aurait dû réagir violemment, le frapper, le jeter dehors, mais il n'en était pas capable à moins d'être furieux contre lui. Ce qui paraissait de plus en plus difficile à faire. Surtout quand, comme maintenant, il se sentait quelque peu pris en faute. Il avait blessé Reynir ; c'était visible pour qui savait le lire, malgré ses efforts pour le cacher. Et Onni savait très bien le lire. Aussi, il n'ajouta rien, se contentant de s'approcher pour voir ce que Reynir pouvait bien dessiner sur toutes ses affaires.
- Quand tu auras fini, grogna-t-il, tu pourras peut-être m'expliquer ?
- Je mets des runes sur tes affaires, répondit Reynir sans lever la tête.
- Oui, ça, j'ai cru remarquer.
Reynir ne releva pas le sarcasme, ou peut-être qu'il n'y avait pas fait attention. Il tint le kantele à bout de bras, admira son oeuvre.
- Ce sont des runes de protection, expliqua-t-il avec un sourire brillant. Ce n'est pas grand-chose, mais ça t'aidera.
- Elles ne tiendront pas longtemps, je vais les effacer, à force.
Le sourire de Reynir vacilla, et Onni s'en voulut. Un petit peu. Après tout, il était en train de dessiner des runes sur ses affaires ! Il allait certainement se retrouver avec de l'encre partout, et ça ne serait pas facile à faire partir, surtout perdu comme il allait l'être au milieu de nulle part. Il fut tenté de dire que si, c'était très bien, elles résisteraient, ou quelque chose qui le réconforterait un peu, mais Reynir ne lui en laissa pas le temps.
- Ce n'est pas grave ! Il en restera bien une, ce sera suffisant.
RE: Le pouvoir des RuneswilwywaylanOctober 2 2021, 19:32:18 UTC
Il remit le kantele dans sa housse, entreprit de replier les vêtements. Onni se mit lui aussi au travail. Ils s'activèrent ainsi côte à côte, dans un silence qui n'avait rien de confortable. Au moins, refaire son paquetage avait l'avantage de lui occuper les mains. Mais à deux, ça ne dura pas longtemps, et très vite, ils se retrouvèrent face à face, le sac bien refermé, posé sur la table. Onni se passa une main dans les cheveux, nerveusement. Il aurait donné un bras à quiconque en voulait pour pouvoir prendre la forme de son luonto et s'envoler par la fenêtre. C'était exactement pour cette raison qu'il avait tenté de se faufiler sans être vu, pour éviter des adieux prolongés, inconfortables ou même douloureux. Tout plutôt que de devoir expliquer les raisons de son départ. Reynir... Reynir comprendrait, bien sûr, mais il serait triste de le voir partir. Comme Onni se sentait également tiraillé entre l'envie de quitter l'Islande et celle de rester dans cette maison. Mais il avait un devoir à accomplir, et à moins d'empoigner Reynir et de le jeter dehors... On en revenait toujours là. A ce damné berger islandais et à l'étrange effet qu'il persistait à avoir sur lui.
Ils restèrent à se dévisager pendant un temps inconfortablement long. Onni fouillait furieusement son esprit à la recherche des mots qui lui permettraient de passer sans déclencher chez Reynir une crise de larmes. Est-ce qu'il pleurerait, seulement ? Est-ce qu'il dirait quelque chose ? Ou est-ce qu'il voulait seulement parler à Onni de quelque chose d'autre, lui demander de l'emmener, peut-être ? Non, Reynir n'était pas le genre à verser des larmes. Par contre, il s'était fait une spécialité dans l'art de venir se mêler de ses projets, et il n'en était pas question. Ce serait bien assez dangereux comme ça. Il était mage, pas baby-sitter ! Mais il ne pouvait pas le dire comme ça. Plus maintenant, en tous cas.
- Tu pars longtemps ? demanda soudain Reynir.
Onni haussa les épaules, secrètement reconnaissant de ne pas être le premier à rompre le silence.
- Je ne peux pas dire. Plusieurs mois, au moins.
L'expression de Reynir se renfrogna. Onni remarqua qu'il avait des taches d'encre sur le nez, les gouttelettes noires se mêlant aux taches de rousseur, et dut faire un effort pour ne pas les effacer d'un geste de la main.
- Tu ne peux pas me suivre, ajouta-t-il avant que Reynir eut pu le proposer. C'est trop dangereux.
- Je suis...
- Non, coupa Onni en levant une main autoritaire. C'est trop dangereux. Tu n'as aucun entraînement sur le terrain, et je ne peux pas te protéger.
RE: Le pouvoir des RuneswilwywaylanOctober 2 2021, 19:32:37 UTC
Reynir fit la moue et croisa les bras, lui aussi, mais se contenta de répliquer :
- J'espère bien que tu me laisseras au moins entrer dans ton rêve, alors. Que je sache au moins si tu vas bien.
Onni fit une légère grimace ; ils ne s'étaient pas rencontrés dans leurs rêves depuis... eh bien, depuis cette fois où il l'avait brutalement accueilli. Il se doutait que Lalli avait dû utiliser ses pouvoirs pour tenter de le joindre quand il était parti poursuivre le Kade, mais il avait érigé des barrières, fermé l'accès, pour éviter que Lalli ne le trouve et ne décide de lui demander ce qu'il faisait, et bien sûr, de le rejoindre. Ca n'avait pas vraiment eu l'effet escompté, bien sûr. Mais depuis, Reynir n'avait plus fait d'apparition dans ses rêves. Peut-être l'envie lui en était-elle passée. Ou peut-être en avait-il assez d'être attaqué.
Reynir le regardait toujours, clairement dans l'attente d'une réponse, même si du point de vue d'Onni, ce n'était pas vraiment la peine. On ne pouvait pas promettre ce genre de choses, ça ne marchait pas ainsi ! Mais Reynir attendait, et il aurait fait n'importe quoi pour faire disparaître de son visage cette expression à la fois triste et inquiète.
- J'essayerai, marmonna-t-il.
Il était sur le point d'enchaïner sur un laïus à propos des pouvoirs de mage, et leur imprévisibilité, et leur utilité également, mais Reynir lui offrit un petit sourire un rien tremblant, et les mots perdirent de leur importance. Pour se donner une contenance, Onni se tourna à nouveau vers son paquetage, vérifiant des fermetures dont il savait qu'elles étaient parfaitement fermées. Il aurait donné n'importe quoi pour que quelque chose se passe et détourne l'attention de Reynir suffisamment longtemps pour qu'il puisse se glisser dehors sans être vu. Il aurait même accepté l'arrivée de la capitaine très bruyante de Lalli, n'importe quoi pour que Reynir cesse de le dévisager ainsi. Mais la grande salle de la maison Arnason, d'habitude grouillante de vie, était désespérément silencieuse. La foule compacte qui s'y pressait en permanence semblait s'être évanouie dans la nature alors même qu'Onni l'appelait de tous ses voeux. Mais non. Il allait devoir boire cette coupe jusqu'à la lie, et affronter des adieux inconfortables. Combien de temps cela prendrait pour convaincre Reynir qu'il ne pouvait absolument pas l'accompagner, et qu'il n'était pas question d'y penser ? Une heure, au moins. Si pas davantage.
La main de Reynir se referma autour de son poignet, avec une force surprenante chez quelqu'un d'aussi fin que lui. Il remonta la manche, dévoila son bras. Le contact de ses doigts sur la peau nue fit frissonner Onni et il tenta de se libérer, mais Reynir tint bon. Sa poigne se fit autoritaire, et Onni abandonna le combat. Reynir attrapa son pinceau de sa main libre, traça quelques lignes au creux du poignet. Le contact était presque insupportable, et par réflexe, il tenta à nouveau de retirer son bras. Cette fois-ci, Reynir leva un regard ennuyé vers lui, mais sa main resta remarquablement sûre.
Enfin, il le libéra, satisfait, rangea le pinceau et l'encre. Onni observa les lignes noires sur sa peau. Le motif n'était pas le même que celui dont Reynir avait décoré tous ses vêtements. A force de passer du temps au village, il avait fini par se familiariser avec les différentes runes qu'utilisait Reynir. Celle-ci avait quelque chose de familier, avec ses flèches arrondies, mais...
RE: Le pouvoir des RuneswilwywaylanOctober 2 2021, 19:33:01 UTC
- Encore une rune de protection ? demanda-t-il.
Au lieu de répondre, Reynir l'observa un instant. Il jouait avec l'extrémité de sa tresse, comme s'il hésitait à lui répondre. Onni fut tenté d'effacer les lignes, ou de les brouiller ; il n'était pas question qu'il garde sur lui quelque chose dont il ne connaissait pas le but. Paranoïaque, peut-être, mais c'était sa survie qui était en jeu ! Mais il avait à peine posé le pouce à la base d'une des lignes que Reynir s'empressait de l'arrêter.
- C'est une rune spéciale ! s'écria-t-il.
- Comme toutes les runes, grogna Onni.
- Ce n'est pas.... (sa voix devint un murmure, forçant Onni à tendre l'oreille pour comprendre.) Pas une rune habituelle.... Je l'ai créée pour...
Onni dut résister à l'envie de le secouer un peu. Il n'avait pas toute la nuit. Le bateau allait partir sans lui. Mais peut-être était-ce le but de Reynir ? Le retenir avec des histoires de runes pour l'empêcher de s'en aller ? Il devait bien savoir que c'était inutile. Qu'Onni partirait qu'il le veuille ou non, même s'il devait aller à pieds jusqu'au port le plus proche et camper sur un quai jusqu'à ce que le bateau suivant arrive.
La réponse ne venait pas. Bien, si Reynir ne se décidait pas à répondre, Onni n'allait pas le supplier. Il effacerait la rune quand il serait à bord, et tant pis ! Il prit la lanière de son sac pour le jeter sur son épaule, mais la main de Reynir se posa sur son bras, l'arrêta net. Il jouait toujours avec sa tresse, tirant nerveusement sur les mèches rousses. Il dit très vite :
- Je l'ai créée pour qu'elle te ramène vers moi.
Onni regarda le dessin, puis Reynir, puis le dessin à nouveau. Reynir avait parlé si vite qu'il n'était pas sûr d'avoir correctement compris ses paroles. Peut-être s'était-il trompé, après tout. Mais son attitude embarrassée semblait confirmer qu'il avait bien entendu. Ce qui posait une nouvelle question : comment répondre à ça ? Que convenait-il de dire quand quelqu'un vous annonçait avoir inventé un sort pour faire revenir quelqu'un vers soi après une aventure ? Onni n'en avait pas la moindre idée. S'il savait utiliser des sorts et des invocations pour venir en aide aux autres, surtout à son cousin et à sa bande de bras cassés, ceux-ci se contentaient de remerciements brefs qu'Onni écartait d'un geste, ou dans le cas de Lalli, d'un signe de tête lourd de sens. Mais jamais encore il ne s'était trouvé dans cette position, et les mots lui manquaient. Alors, il enfila ses gants, faisant bien attention de fermer les lacets sous la rune afin de la protéger.
RE: Le pouvoir des RuneswilwywaylanOctober 2 2021, 19:33:06 UTC
Cela devait être la chose à dire, car le visage de Reynir s'éclaira. Il le regarda ajuster le sac sur ses épaules avec soin, et le suivit quand il se dirigea vers la porte. Onni redoutait encore qu'il tente de le retenir, ou peut-être qu'il lui fasse des reproches. Il n'aurait pas su répondre aux premiers, et les seconds l'auraient mis en colère. Mais Reynir se contenta de l'accompagner jusqu'à la porte, et le laissa partir avec un geste de la main et un sourire.
Onni se retrouva dans l'air froid du matin, encore quelque peu troublé par les événements des deux dernières heures. Mieux valait ne pas y penser maintenant, il aurait tout le temps de le faire à bord. Il tourna le dos à la maison et se mit à avancer. Un pas après l'autre, un pied devant l'autre, concentré sur le bruit de ses chaussures sur la terre froide. Le rythme lui emplissait la tête, l'empêchant de penser de trop près à toutes ces choses qui lui encombraient l'esprit.
Arrivé en haut de la petite colline, il se retourna une dernière fois, mû par il ne savait trop quoi. Peut-être juste une intuition, ou un souhait qu'il ne voulait pas formuler. Reynir était toujours à la porte, sa tresse cuivrée se détachant clairement dans le matin encore brumeux. Il agita la main au-dessus de sa tête, et Onni répondit d'un petit geste. Il n'aurait pas fallu grand-chose pour qu'il fasse demi-tour, qu'il retourne dans cette maison où il faisait chaud et où il était le bienvenu. Reynir serait certainement ravi qu'il reste, et lui.... lui, il ne savait pas. Mais c'était de toute façon hors de question. Il avait une mission à accomplir. Il tourna les talons, s'éloignant de la maison, le coeur un peu plus lourd qu'il ne l'aurait pensé et l'esprit agité de bien trop de questions.
RE: Le pouvoir des RuneswilwywaylanOctober 2 2021, 19:33:17 UTC
Reynir souffla dans ses mains pour les réchauffer, tapa des pieds. Depuis plus d'une heure qu'il se tenait là, il commençait à ne plus sentir ses orteils. Quant à ses oreilles, elles le brûlaient malgré l'écharpe qu'il avait enroulé comme il pouvait autour de son crâne. Il aurait pu attendre à l'intérieur d'une des petites auberges, ou même à la pâtisserie près du port. Il connaissait bien la vieille dame qui s'en occupait, il avait traîné plus d'une fois autour de son magasin, le nez collé à la vitrine pour contempler les délicieux desserts couverts de miel et de sucre. Il n'aurait eu qu'à la regarder avec des yeux suppliants comme il savait si bien le faire, pour qu'elle le laisse rester au chaud près du poêle.
Et pourtant il était là, à faire les cent pas en essayant de ramener un peu de vie dans ses mains, sous les regards amusés des marins rassemblés là. Il aurait pu prendre une diligence plus tard, il aurait même pu arriver après le bateau. Personne ne lui aurait fait la moindre remarque. Mais depuis qu'il savait qu'Onni revenait, il ne tenait plus en place. Depuis trois jours, très exactement. Depuis que la radio avait grésillé à l'aube, faisant sursauter les occupants de la maison de poste. Onni n'avait peut-être pas pris l'heure en compte, ou peut-être n'en avait-il eu rien à faire. Insensible à la mauvaise humeur de son correspondant, il avait délivré son message et raccroché tout de suite après. L'un des employés avait couru jusqu'à la maison Arnason, tambouriné à la porte et réveillé tous ses habitants jusqu'à ce que l'un d'eux ne se décide à lui ouvrir. La nouvelle avait immédiatement tiré Reynir des brumes du sommeil. Cela faisait presque un mois qu'il n'avait pas eu de nouvelles d'Onni ; le monde des rêves restait désespérément vide, à part une rencontre avec Lalli qui lui avait donné l'impression de vouloir lui échappé au plus vite. Onni devait trouver plus facile de travailler la nuit et de dormir le jour, mais cela signifiait qu'il n'avait pas pu le voir, et qu'il n'avait donc aucune idée de comment il allait et du déroulement de sa mission. D'avoir finalement la nouvelle de son retour avait apaisé ses inquiétudes, mais il avait été sur des charbons ardents depuis.
Enfin, après ce qui sembla être une éternité, mais n'avait duré d'après l'horloge qu'une heure et demi, un petit point apparut à l'horizon. Les marins se mirent au travail, cherchant les amarres, la passerelle, essayant de repousser la foule qui surgit pour venir s'amasser au bord. Reynir trouva refuge au pied de la tour d'observation, se cramponna à l'un des piliers pour ne pas être poussé à l'eau. L'expérience était très désagréable, il le savait, et il n'avait pas envie de recommencer de sitôt.
Il fallut encore une demi-heure pour que le navire vienne finalement se ranger contre le quai, que la passerelle soit hissée, et qu'enfin, les voyageurs descendent, un par un, en file clairsemée. Au moins, se dit Reynir, il ne serait pas question de quarantaine en posant le pied à terre. Sa patience ne l'aurait peut-être pas supporté. Juste quelques formalités, et ce serait bon. Mais il avait beau scruter, observer ceux qui descendaient et étaient immédiatement accueillis à grands cris, il ne parvenait pas à voir Onni. Etait-il bien à bord ? Oui, s'il l'avait dit, sans doute, mais il aurait pu le rater. Un contretemps était si vite arrivé, et il savait qu'Onni n'aimait pas tant que ça voyager. Ou bien.... peut-être avait-il changé d'avis au dernier moment ? Et si quelque chose s'était passé ? Si au moment de monter sur la passerelle, un événement...
RE: Le pouvoir des RuneswilwywaylanOctober 2 2021, 19:33:28 UTC
Reynir secoua la tête pour chasser ses idées, au risque que sa tresse vienne le frapper au visage. Non, il imaginait des choses stupides. Bien sûr qu'il n'allait pas arriver quelque chose à Onni au moment même où il revenait en Islande. C'aurait été vraiment trop idiot. Et pourtant, l'idée continua à lui trotter dans la tête, jusqu'à ce qu'enfin, la silhouette caractéristique d'Onni apparaisse. Le coeur de Reynir fit un bond ; il sauta de son perchoir et se fraya un chemin jusqu'au pied de la passerelle en écrasant quelques pieds au passage, dont il s'excusa en marmonnant.
Il ralentit en arrivant devant les planches, au moment même où Onni posait le pied sur le quai. Ils s'observèrent un instant. Onni avait les traits tirés, des cernes profonds se creusaient sous ses yeux, et il tenait son paquetage d'une manière qui laissait deviner une blessure à l'épaule. Peut-être grave, il faudrait certainement l'examiner de plus près. S'il se laissait faire, évidemment, ce qui, le connaissant comme Reynir le connaissait, demanderait un peu de subtilité. Mais enfin, il était là, devant lui, et Reynir n'avait aucune idée de ce qu'il pourrait dire. Bien sûr qu'il s'était imaginé la scène des dizaines de fois, qu'il avait prononcé dans son esprits des douzaines de phrases toutes plus expressives les unes que les autres. Il avait passé tellement de temps à trouver comment formuler sa joie de le revoir, qu'il ait choisi de revenir au lieu de repartir pour la Finlande, et encore tout un tas d'autres choses qui ne lui venaient à l'esprit qu'au milieu de la nuit et qu'il n'arrivait pas vraiment à démêler. Des phrases, des phrases, pour dire tout, et n'importe quoi. Des phrases qui avaient disparu au moment crucial, le laissant bouche bée, avec juste cette étrange émotion nichée au creux de son estomac maintenant qu'Onni le regardait.
Il remarqua que ses cheveux avaient poussé, et qu'ils retombaient maintenant sur son front. Pas au point des longues mèches de Lalli, mais c'était... différent. Reynir avait envie de les écarter du bout des doigts. De franchir ces quelques centimètres qui paraissaient immenses. Les seuls contacts qu'il avait eus jusque là avec Onni avaient été... professionnels, presque. Une tape sur l'épaule pour attirer son attention, tirer l'autre en arrière au moment crucial. Et bien sûr, cette... conversation dans le monde des rêves. Hormis quand il lui avait pris le poignet pour dessiner dessus, bien sûr, mais c'avait été une exception. Il avait parfois l'impression d'en ressentir encore la sensation au bout de ses doigts. Non pas qu'il l'aurait avoué, c'était une idée stupide, mais...
Ils auraient pu rester à se dévisager encore longtemps sans trouver quoi dire, si les employés du port, certainement agacés de les avoir dans les jambes, ne les avaient pas poussé vers la sortie. Ils trébuchèrent sur les pavés inégaux, pataugeant dans la couche de neige jusqu'à la halte de la diligence. Onni posa son sac sur l'un des bancs pour le protéger, et se tourna vers lui. Reynir sentit à nouveau ses joues le brûler, sans que ce soit dû entièrement à la morsure du froid.
RE: Le pouvoir des RuneswilwywaylanOctober 2 2021, 19:33:47 UTC
Reynir aurait voulu lui répondre que oui, bien sûr, c'était un peu évident à le voir devant lui, surtout qu'il lui avait annoncé son retour trois jours auparavant. Mais cela aurait peut-être fait un peu de peine à Onni, et il n'en avait pas envie. Surtout pas alors qu'il venait à peine de mettre pied à terre.
- J'en suis content, répondit-il à la place.
- Ta rune a fonctionné.
Reynir lui adressa un petit sourire contrit.
- Elles n'ont pas dû durer bien longtemps. Je suis désolé, tu as dû avoir de l'encre partout...
Onni grogna légèrement.
- Ca oui. J'ai de la chance qu'ils n'aient rien remarqué à Joutenvesi. J'en avais jusque dans le cou.
Reynir sentit à nouveau la chaleur lui monter au visage, mais davantage à cause de l'embarras. Bien sûr qu'il aurait pu y penser. Ou trouver un moyen de fixer l'encre de manière efficace. Ca oui, il n'était pas encore prêt à être un véritable mage ! Son seul réconfort, Onni n'avait pas l'air furieux.
- Ca n'a pas dû durer longtemps, alors, remarqua-t-il en refrénant l'envie de se mordre la lèvre. Si elles se sont effacées.
A sa grande surprise, Onni... sourit ? Reynir ne savait même pas s'il l'avait vu sourire une fois, vraiment, à part peut-être en voyant Lalli. Onni fouilla dans sa poche, et en tira un bout de papier. A voir les marques de plis, il avait dû être ouvert et replié un grand nombre de fois. Et dessus, tracée d'une main qui avait dû légèrement trembler, la rune que lui-même avait dessinée sur le poignet d'Onni, recopiée avec patience.
- Tu vois. Elle a marché.
Reynir regarda le dessin dont les traits restaient nets, même dans les pliures. Les lignes avaient été retracées avec soin quand l'usure les faisait disparaître. Une empreinte de pouce, dans un coin, avait été effacée autant que possible pour ne pas gâcher l'ensemble. Reynir se représenta Onni, redessinant patiemment la rune le soir, la faisant sécher près du feu avant de la replier dans sa poche. Pas pour se protéger ; les sorts sur ses vêtements devaient lui avoir paru une aimable plaisanterie comparés aux protections qu'il était lui-même capable de créer. Mais il lui avait paru important de conserver l'autre rune, celle qui devait le ramener en Islande. La gorge de Reynir se serra, et pendant quelques secondes, il eut l'impression qu'il allait se mettre à pleurer. Il fit un pas en avant, franchissant la distance qui les séparait, et lentement, referma les bras autour d'Onni. Celui-ci se tendit, et Reynir crut qu'il allait le repousser, le frapper, peut-être. Mais après une seconde, il l'enlaça en retour. Il était juste assez grand pour appuyer son front contre l'épaule de Reynir. La fourrure de sa cape chatouillait la joue de Reynir et sentait la fumée, et aux légers sursauts de ses épaules, peut-être était-il en train de pleurer. Reynir le serra un peu plus fort, et fut récompensé par les bras autour de sa taille resserrant leur étreinte.
- Est-ce que tu veux rentrer ? demanda-t-il à voix basse quand ses sanglots se calmèrent.
RE: Le pouvoir des RuneswilwywaylanOctober 2 2021, 19:33:52 UTC
Onni répondit par un murmure. Reynir le relâcha avec précaution, se détourna vers le panneau des horaires qu'il étudia avec attention le temps qu'Onni puisse s'essuyer le visage. Il avait encore les yeux rouges quand Reynir se tourna à nouveau vers lui, mais celui-ci ne fit aucune remarque. A la place, il l'entraîna vers le banc pour attendre la diligence qui allait arriver. Ils se serrèrent l'un contre l'autre pour combattre le froid. La jambe d'Onni se pressait contre celle de Reynir, et il aurait pu sentir son souffle si seulement il tournait la tête. Leurs doigts même se frôlaient, il n'aurait pas fallu beaucoup pour...
La main d'Onni se referma soudain sur la sienne, entrelaça leurs doigts. Reynir émit un petit bruit qu'il déguisa comme il put en une quinte de toux. Même si Onni n'était probablement pas dupe. Sur une impulsion, Reynir se tourna vers lui, déposa un baiser maladroit sur son front. Il se détourna immédiatement, le visage brûlant. Qu'est-ce qui l'avait pris ? C'était ridicule de faire ça ! Onni allait certainement lui dire d'arrêter d'être stupide et de se comporter comme un enfant ! Mais Onni ne fit rien de tout ça. Au lieu de lui faire des remontrances, il posa à nouveau la tête sur son épaule, et resta ainsi, la main serrant celle de Reynir, qui appuya sa joue sur le capuchon couvert de fourrure. Ils restèrent ainsi, insensibles au vent qui faisait à nouveau tourbillonner des flocons de neige. Reynir sourit, ferma les yeux pour mieux profiter du moment. Onni était revenu. Que ce soit grâce à la rune ou non, ce qui comptait, c'était la main dans la sienne, le poids sur son épaule. Il y aurait encore beaucoup de choses à démêler, des conversations à avoir, mais c'était pour plus tard. Pour l'instant, Onni était revenu, et aux yeux de Reynir, tout le reste pourrait attendre.
Pourtant, Onni avait fait de son mieux pour ne pas être vu. Il était descendu de la chambre d'un pas aussi détendu que possible, tâchant de ne pas montrer ce qu'il avait en tête. S'il pouvait atteindre la porte, il pourrait prendre le chemin qui passait derrière la maison, et personne ne le verrait. La soeur de Reynir était partie tôt le matin, les parents devaient être avec leurs moutons, et Reynir... Eh bien, là était son erreur. Il avait pensé que Reynir se trouverait quelque part dans les champs, peut-être à tenter de contacter Emil et Lalli avec la radio pour leur raconter des choses dont ils ne comprendraient que la moitié. Mais Onni n'avait pas atteint la porte que celle-ci s'ouvrait à la volée, laissant rentrer une bouffée d'air glacé, quelques feuilles mortes, et un Reynir enroulé dans une longue écharpe, les joues rosées à cause du froid. A peine avait-il vu Onni, qu'il avait commencé à babiller, à propos de brouillard et de moutons perdus. A la troisième phrase, il avait remarqué le sac jeté sur son épaule, et le regard coupable qu'Onni tentait à grand-peine de dissimuler. Sa bouche s'était ouverte en un O parfait, et il avait jeté un tel regard de chien malheureux qu'Onni n'avait pu empêcher un pincement de remords.
Tout ça parce qu'il n'avait pas fait plus attention au moment de partir. Il devenait imprudent, avec l'âge. Ce n'était pas bon, ça, pas du tout. Sur le terrain, cela pouvait faire la différence entre la vie et la mort. Il évita de penser au fait qu'une maison en Islande n'était pas du tout semblable au Monde Silencieux et que le risque présenté par Reynir n'était pas vraiment aussi important que celui d'un troll ou d'un géant. Quoique, se dit-il avec un regard morne à son paquetage défait, parfois, la nuance n'était pas aussi nette.
Reply
- Ne touche pas à ça, marmonna-t-il, mais sa voix manquait de force.
Reynir hésita un instant, mais déjà, le pinceau avait repris sa danse, traçant de fines lignes noires sur le bois. Onni pensa un instant à s'en offenser, mais il savait déjà que ça n'aurait aucun effet sur Reynir. Une fois que celui-ci avait décidé quelque chose, que ce soit de le suivre dans la rue ou venir dans son espace mental sans invitation, Onni se trouvait curieusement sans défense ou presque. Il aurait dû réagir violemment, le frapper, le jeter dehors, mais il n'en était pas capable à moins d'être furieux contre lui. Ce qui paraissait de plus en plus difficile à faire. Surtout quand, comme maintenant, il se sentait quelque peu pris en faute. Il avait blessé Reynir ; c'était visible pour qui savait le lire, malgré ses efforts pour le cacher. Et Onni savait très bien le lire. Aussi, il n'ajouta rien, se contentant de s'approcher pour voir ce que Reynir pouvait bien dessiner sur toutes ses affaires.
- Quand tu auras fini, grogna-t-il, tu pourras peut-être m'expliquer ?
- Je mets des runes sur tes affaires, répondit Reynir sans lever la tête.
- Oui, ça, j'ai cru remarquer.
Reynir ne releva pas le sarcasme, ou peut-être qu'il n'y avait pas fait attention. Il tint le kantele à bout de bras, admira son oeuvre.
- Ce sont des runes de protection, expliqua-t-il avec un sourire brillant. Ce n'est pas grand-chose, mais ça t'aidera.
- Elles ne tiendront pas longtemps, je vais les effacer, à force.
Le sourire de Reynir vacilla, et Onni s'en voulut. Un petit peu. Après tout, il était en train de dessiner des runes sur ses affaires ! Il allait certainement se retrouver avec de l'encre partout, et ça ne serait pas facile à faire partir, surtout perdu comme il allait l'être au milieu de nulle part. Il fut tenté de dire que si, c'était très bien, elles résisteraient, ou quelque chose qui le réconforterait un peu, mais Reynir ne lui en laissa pas le temps.
- Ce n'est pas grave ! Il en restera bien une, ce sera suffisant.
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Ils restèrent à se dévisager pendant un temps inconfortablement long. Onni fouillait furieusement son esprit à la recherche des mots qui lui permettraient de passer sans déclencher chez Reynir une crise de larmes. Est-ce qu'il pleurerait, seulement ? Est-ce qu'il dirait quelque chose ? Ou est-ce qu'il voulait seulement parler à Onni de quelque chose d'autre, lui demander de l'emmener, peut-être ? Non, Reynir n'était pas le genre à verser des larmes. Par contre, il s'était fait une spécialité dans l'art de venir se mêler de ses projets, et il n'en était pas question. Ce serait bien assez dangereux comme ça. Il était mage, pas baby-sitter ! Mais il ne pouvait pas le dire comme ça. Plus maintenant, en tous cas.
- Tu pars longtemps ? demanda soudain Reynir.
Onni haussa les épaules, secrètement reconnaissant de ne pas être le premier à rompre le silence.
- Je ne peux pas dire. Plusieurs mois, au moins.
L'expression de Reynir se renfrogna. Onni remarqua qu'il avait des taches d'encre sur le nez, les gouttelettes noires se mêlant aux taches de rousseur, et dut faire un effort pour ne pas les effacer d'un geste de la main.
- Tu ne peux pas me suivre, ajouta-t-il avant que Reynir eut pu le proposer. C'est trop dangereux.
- Je suis...
- Non, coupa Onni en levant une main autoritaire. C'est trop dangereux. Tu n'as aucun entraînement sur le terrain, et je ne peux pas te protéger.
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- J'espère bien que tu me laisseras au moins entrer dans ton rêve, alors. Que je sache au moins si tu vas bien.
Onni fit une légère grimace ; ils ne s'étaient pas rencontrés dans leurs rêves depuis... eh bien, depuis cette fois où il l'avait brutalement accueilli. Il se doutait que Lalli avait dû utiliser ses pouvoirs pour tenter de le joindre quand il était parti poursuivre le Kade, mais il avait érigé des barrières, fermé l'accès, pour éviter que Lalli ne le trouve et ne décide de lui demander ce qu'il faisait, et bien sûr, de le rejoindre. Ca n'avait pas vraiment eu l'effet escompté, bien sûr. Mais depuis, Reynir n'avait plus fait d'apparition dans ses rêves. Peut-être l'envie lui en était-elle passée. Ou peut-être en avait-il assez d'être attaqué.
Reynir le regardait toujours, clairement dans l'attente d'une réponse, même si du point de vue d'Onni, ce n'était pas vraiment la peine. On ne pouvait pas promettre ce genre de choses, ça ne marchait pas ainsi ! Mais Reynir attendait, et il aurait fait n'importe quoi pour faire disparaître de son visage cette expression à la fois triste et inquiète.
- J'essayerai, marmonna-t-il.
Il était sur le point d'enchaïner sur un laïus à propos des pouvoirs de mage, et leur imprévisibilité, et leur utilité également, mais Reynir lui offrit un petit sourire un rien tremblant, et les mots perdirent de leur importance. Pour se donner une contenance, Onni se tourna à nouveau vers son paquetage, vérifiant des fermetures dont il savait qu'elles étaient parfaitement fermées. Il aurait donné n'importe quoi pour que quelque chose se passe et détourne l'attention de Reynir suffisamment longtemps pour qu'il puisse se glisser dehors sans être vu. Il aurait même accepté l'arrivée de la capitaine très bruyante de Lalli, n'importe quoi pour que Reynir cesse de le dévisager ainsi. Mais la grande salle de la maison Arnason, d'habitude grouillante de vie, était désespérément silencieuse. La foule compacte qui s'y pressait en permanence semblait s'être évanouie dans la nature alors même qu'Onni l'appelait de tous ses voeux. Mais non. Il allait devoir boire cette coupe jusqu'à la lie, et affronter des adieux inconfortables. Combien de temps cela prendrait pour convaincre Reynir qu'il ne pouvait absolument pas l'accompagner, et qu'il n'était pas question d'y penser ? Une heure, au moins. Si pas davantage.
La main de Reynir se referma autour de son poignet, avec une force surprenante chez quelqu'un d'aussi fin que lui. Il remonta la manche, dévoila son bras. Le contact de ses doigts sur la peau nue fit frissonner Onni et il tenta de se libérer, mais Reynir tint bon. Sa poigne se fit autoritaire, et Onni abandonna le combat. Reynir attrapa son pinceau de sa main libre, traça quelques lignes au creux du poignet. Le contact était presque insupportable, et par réflexe, il tenta à nouveau de retirer son bras. Cette fois-ci, Reynir leva un regard ennuyé vers lui, mais sa main resta remarquablement sûre.
Enfin, il le libéra, satisfait, rangea le pinceau et l'encre. Onni observa les lignes noires sur sa peau. Le motif n'était pas le même que celui dont Reynir avait décoré tous ses vêtements. A force de passer du temps au village, il avait fini par se familiariser avec les différentes runes qu'utilisait Reynir. Celle-ci avait quelque chose de familier, avec ses flèches arrondies, mais...
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Au lieu de répondre, Reynir l'observa un instant. Il jouait avec l'extrémité de sa tresse, comme s'il hésitait à lui répondre. Onni fut tenté d'effacer les lignes, ou de les brouiller ; il n'était pas question qu'il garde sur lui quelque chose dont il ne connaissait pas le but. Paranoïaque, peut-être, mais c'était sa survie qui était en jeu ! Mais il avait à peine posé le pouce à la base d'une des lignes que Reynir s'empressait de l'arrêter.
- C'est une rune spéciale ! s'écria-t-il.
- Comme toutes les runes, grogna Onni.
- Ce n'est pas.... (sa voix devint un murmure, forçant Onni à tendre l'oreille pour comprendre.) Pas une rune habituelle.... Je l'ai créée pour...
Onni dut résister à l'envie de le secouer un peu. Il n'avait pas toute la nuit. Le bateau allait partir sans lui. Mais peut-être était-ce le but de Reynir ? Le retenir avec des histoires de runes pour l'empêcher de s'en aller ? Il devait bien savoir que c'était inutile. Qu'Onni partirait qu'il le veuille ou non, même s'il devait aller à pieds jusqu'au port le plus proche et camper sur un quai jusqu'à ce que le bateau suivant arrive.
La réponse ne venait pas. Bien, si Reynir ne se décidait pas à répondre, Onni n'allait pas le supplier. Il effacerait la rune quand il serait à bord, et tant pis ! Il prit la lanière de son sac pour le jeter sur son épaule, mais la main de Reynir se posa sur son bras, l'arrêta net. Il jouait toujours avec sa tresse, tirant nerveusement sur les mèches rousses. Il dit très vite :
- Je l'ai créée pour qu'elle te ramène vers moi.
Onni regarda le dessin, puis Reynir, puis le dessin à nouveau. Reynir avait parlé si vite qu'il n'était pas sûr d'avoir correctement compris ses paroles. Peut-être s'était-il trompé, après tout. Mais son attitude embarrassée semblait confirmer qu'il avait bien entendu. Ce qui posait une nouvelle question : comment répondre à ça ? Que convenait-il de dire quand quelqu'un vous annonçait avoir inventé un sort pour faire revenir quelqu'un vers soi après une aventure ? Onni n'en avait pas la moindre idée. S'il savait utiliser des sorts et des invocations pour venir en aide aux autres, surtout à son cousin et à sa bande de bras cassés, ceux-ci se contentaient de remerciements brefs qu'Onni écartait d'un geste, ou dans le cas de Lalli, d'un signe de tête lourd de sens. Mais jamais encore il ne s'était trouvé dans cette position, et les mots lui manquaient. Alors, il enfila ses gants, faisant bien attention de fermer les lacets sous la rune afin de la protéger.
- J'y ferai attention, dit-il simplement.
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Cela devait être la chose à dire, car le visage de Reynir s'éclaira. Il le regarda ajuster le sac sur ses épaules avec soin, et le suivit quand il se dirigea vers la porte. Onni redoutait encore qu'il tente de le retenir, ou peut-être qu'il lui fasse des reproches. Il n'aurait pas su répondre aux premiers, et les seconds l'auraient mis en colère. Mais Reynir se contenta de l'accompagner jusqu'à la porte, et le laissa partir avec un geste de la main et un sourire.
Onni se retrouva dans l'air froid du matin, encore quelque peu troublé par les événements des deux dernières heures. Mieux valait ne pas y penser maintenant, il aurait tout le temps de le faire à bord. Il tourna le dos à la maison et se mit à avancer. Un pas après l'autre, un pied devant l'autre, concentré sur le bruit de ses chaussures sur la terre froide. Le rythme lui emplissait la tête, l'empêchant de penser de trop près à toutes ces choses qui lui encombraient l'esprit.
Arrivé en haut de la petite colline, il se retourna une dernière fois, mû par il ne savait trop quoi. Peut-être juste une intuition, ou un souhait qu'il ne voulait pas formuler. Reynir était toujours à la porte, sa tresse cuivrée se détachant clairement dans le matin encore brumeux. Il agita la main au-dessus de sa tête, et Onni répondit d'un petit geste. Il n'aurait pas fallu grand-chose pour qu'il fasse demi-tour, qu'il retourne dans cette maison où il faisait chaud et où il était le bienvenu. Reynir serait certainement ravi qu'il reste, et lui.... lui, il ne savait pas. Mais c'était de toute façon hors de question. Il avait une mission à accomplir. Il tourna les talons, s'éloignant de la maison, le coeur un peu plus lourd qu'il ne l'aurait pensé et l'esprit agité de bien trop de questions.
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Et pourtant il était là, à faire les cent pas en essayant de ramener un peu de vie dans ses mains, sous les regards amusés des marins rassemblés là. Il aurait pu prendre une diligence plus tard, il aurait même pu arriver après le bateau. Personne ne lui aurait fait la moindre remarque. Mais depuis qu'il savait qu'Onni revenait, il ne tenait plus en place. Depuis trois jours, très exactement. Depuis que la radio avait grésillé à l'aube, faisant sursauter les occupants de la maison de poste. Onni n'avait peut-être pas pris l'heure en compte, ou peut-être n'en avait-il eu rien à faire. Insensible à la mauvaise humeur de son correspondant, il avait délivré son message et raccroché tout de suite après. L'un des employés avait couru jusqu'à la maison Arnason, tambouriné à la porte et réveillé tous ses habitants jusqu'à ce que l'un d'eux ne se décide à lui ouvrir. La nouvelle avait immédiatement tiré Reynir des brumes du sommeil. Cela faisait presque un mois qu'il n'avait pas eu de nouvelles d'Onni ; le monde des rêves restait désespérément vide, à part une rencontre avec Lalli qui lui avait donné l'impression de vouloir lui échappé au plus vite. Onni devait trouver plus facile de travailler la nuit et de dormir le jour, mais cela signifiait qu'il n'avait pas pu le voir, et qu'il n'avait donc aucune idée de comment il allait et du déroulement de sa mission. D'avoir finalement la nouvelle de son retour avait apaisé ses inquiétudes, mais il avait été sur des charbons ardents depuis.
Enfin, après ce qui sembla être une éternité, mais n'avait duré d'après l'horloge qu'une heure et demi, un petit point apparut à l'horizon. Les marins se mirent au travail, cherchant les amarres, la passerelle, essayant de repousser la foule qui surgit pour venir s'amasser au bord. Reynir trouva refuge au pied de la tour d'observation, se cramponna à l'un des piliers pour ne pas être poussé à l'eau. L'expérience était très désagréable, il le savait, et il n'avait pas envie de recommencer de sitôt.
Il fallut encore une demi-heure pour que le navire vienne finalement se ranger contre le quai, que la passerelle soit hissée, et qu'enfin, les voyageurs descendent, un par un, en file clairsemée. Au moins, se dit Reynir, il ne serait pas question de quarantaine en posant le pied à terre. Sa patience ne l'aurait peut-être pas supporté. Juste quelques formalités, et ce serait bon. Mais il avait beau scruter, observer ceux qui descendaient et étaient immédiatement accueillis à grands cris, il ne parvenait pas à voir Onni. Etait-il bien à bord ? Oui, s'il l'avait dit, sans doute, mais il aurait pu le rater. Un contretemps était si vite arrivé, et il savait qu'Onni n'aimait pas tant que ça voyager. Ou bien.... peut-être avait-il changé d'avis au dernier moment ? Et si quelque chose s'était passé ? Si au moment de monter sur la passerelle, un événement...
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Il ralentit en arrivant devant les planches, au moment même où Onni posait le pied sur le quai. Ils s'observèrent un instant. Onni avait les traits tirés, des cernes profonds se creusaient sous ses yeux, et il tenait son paquetage d'une manière qui laissait deviner une blessure à l'épaule. Peut-être grave, il faudrait certainement l'examiner de plus près. S'il se laissait faire, évidemment, ce qui, le connaissant comme Reynir le connaissait, demanderait un peu de subtilité. Mais enfin, il était là, devant lui, et Reynir n'avait aucune idée de ce qu'il pourrait dire. Bien sûr qu'il s'était imaginé la scène des dizaines de fois, qu'il avait prononcé dans son esprits des douzaines de phrases toutes plus expressives les unes que les autres. Il avait passé tellement de temps à trouver comment formuler sa joie de le revoir, qu'il ait choisi de revenir au lieu de repartir pour la Finlande, et encore tout un tas d'autres choses qui ne lui venaient à l'esprit qu'au milieu de la nuit et qu'il n'arrivait pas vraiment à démêler. Des phrases, des phrases, pour dire tout, et n'importe quoi. Des phrases qui avaient disparu au moment crucial, le laissant bouche bée, avec juste cette étrange émotion nichée au creux de son estomac maintenant qu'Onni le regardait.
Il remarqua que ses cheveux avaient poussé, et qu'ils retombaient maintenant sur son front. Pas au point des longues mèches de Lalli, mais c'était... différent. Reynir avait envie de les écarter du bout des doigts. De franchir ces quelques centimètres qui paraissaient immenses. Les seuls contacts qu'il avait eus jusque là avec Onni avaient été... professionnels, presque. Une tape sur l'épaule pour attirer son attention, tirer l'autre en arrière au moment crucial. Et bien sûr, cette... conversation dans le monde des rêves. Hormis quand il lui avait pris le poignet pour dessiner dessus, bien sûr, mais c'avait été une exception. Il avait parfois l'impression d'en ressentir encore la sensation au bout de ses doigts. Non pas qu'il l'aurait avoué, c'était une idée stupide, mais...
Ils auraient pu rester à se dévisager encore longtemps sans trouver quoi dire, si les employés du port, certainement agacés de les avoir dans les jambes, ne les avaient pas poussé vers la sortie. Ils trébuchèrent sur les pavés inégaux, pataugeant dans la couche de neige jusqu'à la halte de la diligence. Onni posa son sac sur l'un des bancs pour le protéger, et se tourna vers lui. Reynir sentit à nouveau ses joues le brûler, sans que ce soit dû entièrement à la morsure du froid.
- Je suis revenu, tu vois, dit-il.
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- J'en suis content, répondit-il à la place.
- Ta rune a fonctionné.
Reynir lui adressa un petit sourire contrit.
- Elles n'ont pas dû durer bien longtemps. Je suis désolé, tu as dû avoir de l'encre partout...
Onni grogna légèrement.
- Ca oui. J'ai de la chance qu'ils n'aient rien remarqué à Joutenvesi. J'en avais jusque dans le cou.
Reynir sentit à nouveau la chaleur lui monter au visage, mais davantage à cause de l'embarras. Bien sûr qu'il aurait pu y penser. Ou trouver un moyen de fixer l'encre de manière efficace. Ca oui, il n'était pas encore prêt à être un véritable mage ! Son seul réconfort, Onni n'avait pas l'air furieux.
- Ca n'a pas dû durer longtemps, alors, remarqua-t-il en refrénant l'envie de se mordre la lèvre. Si elles se sont effacées.
A sa grande surprise, Onni... sourit ? Reynir ne savait même pas s'il l'avait vu sourire une fois, vraiment, à part peut-être en voyant Lalli. Onni fouilla dans sa poche, et en tira un bout de papier. A voir les marques de plis, il avait dû être ouvert et replié un grand nombre de fois. Et dessus, tracée d'une main qui avait dû légèrement trembler, la rune que lui-même avait dessinée sur le poignet d'Onni, recopiée avec patience.
- Tu vois. Elle a marché.
Reynir regarda le dessin dont les traits restaient nets, même dans les pliures. Les lignes avaient été retracées avec soin quand l'usure les faisait disparaître. Une empreinte de pouce, dans un coin, avait été effacée autant que possible pour ne pas gâcher l'ensemble. Reynir se représenta Onni, redessinant patiemment la rune le soir, la faisant sécher près du feu avant de la replier dans sa poche. Pas pour se protéger ; les sorts sur ses vêtements devaient lui avoir paru une aimable plaisanterie comparés aux protections qu'il était lui-même capable de créer. Mais il lui avait paru important de conserver l'autre rune, celle qui devait le ramener en Islande. La gorge de Reynir se serra, et pendant quelques secondes, il eut l'impression qu'il allait se mettre à pleurer. Il fit un pas en avant, franchissant la distance qui les séparait, et lentement, referma les bras autour d'Onni. Celui-ci se tendit, et Reynir crut qu'il allait le repousser, le frapper, peut-être. Mais après une seconde, il l'enlaça en retour. Il était juste assez grand pour appuyer son front contre l'épaule de Reynir. La fourrure de sa cape chatouillait la joue de Reynir et sentait la fumée, et aux légers sursauts de ses épaules, peut-être était-il en train de pleurer. Reynir le serra un peu plus fort, et fut récompensé par les bras autour de sa taille resserrant leur étreinte.
- Est-ce que tu veux rentrer ? demanda-t-il à voix basse quand ses sanglots se calmèrent.
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La main d'Onni se referma soudain sur la sienne, entrelaça leurs doigts. Reynir émit un petit bruit qu'il déguisa comme il put en une quinte de toux. Même si Onni n'était probablement pas dupe. Sur une impulsion, Reynir se tourna vers lui, déposa un baiser maladroit sur son front. Il se détourna immédiatement, le visage brûlant. Qu'est-ce qui l'avait pris ? C'était ridicule de faire ça ! Onni allait certainement lui dire d'arrêter d'être stupide et de se comporter comme un enfant ! Mais Onni ne fit rien de tout ça. Au lieu de lui faire des remontrances, il posa à nouveau la tête sur son épaule, et resta ainsi, la main serrant celle de Reynir, qui appuya sa joue sur le capuchon couvert de fourrure. Ils restèrent ainsi, insensibles au vent qui faisait à nouveau tourbillonner des flocons de neige. Reynir sourit, ferma les yeux pour mieux profiter du moment. Onni était revenu. Que ce soit grâce à la rune ou non, ce qui comptait, c'était la main dans la sienne, le poids sur son épaule. Il y aurait encore beaucoup de choses à démêler, des conversations à avoir, mais c'était pour plus tard. Pour l'instant, Onni était revenu, et aux yeux de Reynir, tout le reste pourrait attendre.
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