Fingolfin et ses enfants, à Valinor...
Il était devenu habituel, dans les maisons aristocratiques, de servir un digestif composé de fruits coupés et d'alcool dans une petite tasse, à la fin du repas. C'était le cas dans la maison de Fingolfin et Anairë. Mais pour Turgon, qui n'était encore qu'un bambin, on ne servit, dans la même tasse, qu'un jus de fruit. Le petit prit sa tasse et observa son grand frère, qui la tenait par la anse, l'auriculaire élégamment levé. Il essaya de faire la même chose, en tendant son petit doigt miniature.
« Turukano », dit Fingolfin, « pourquoi fais-tu ça avec ta tasse ? »
« Je veux bien la tenir », expliqua Turgon de sa petite voix aiguë.
« Findekano, tu vois, tu donnes le mauvais exemple à ton frère... Je t'ai déjà dit de ne pas faire ça avec ta main... »
Fingon rétracta son petit doigt.
« Et c'est pareil pour tes jambes. Il ne faut pas les croiser. Il faut légèrement les écarter, comme ça... C'est ainsi qu'un homme se tient. »
Fingon, qui était toujours souriant habituellement, s'était rembruni. Turgon lui toucha l'avant-bras et dit : « Ça va ? »
Puis il demanda à son père : « Où est maman ? »
« Elle est chez Tante Eärwen. »
Turgon renversa sa tasse par inadvertance (semblait-il). Un serviteur accourut pour nettoyer la table.
« Tu es trop maladroit », dit Fingolfin.
« Mais maman m'a dit que je dessinais bien », répondit Turgon.
« On peut bien dessiner et être étourdi, ce n'est pas incompatible. »
Il y eut une sorte de gémissement étouffé ; une larme avait coulé sur la joue de Fingon. L'adolescent se leva et quitta la pièce.
« Mais qu'est-ce qu'il a au juste ? » s'agaça Fingolfin.