PB : Le Borgne

Jun 14, 2007 19:03

Titre : Le Borgne
Fandom : Prison Break
Disclaimer : Michael et Lincoln ne m’appartiennent pas, ils sont la propriété de leur créateur et de la chaîne qui les héberge. Je ne perçois aucun argent avec ce texte.
Demandé par : karine_itml pour le premier échange de pbff_echange
Prompt  : "L'enfer, c'est les autres". Une orange (le fruit). Une cravate bleue. Évoquer des événements se déroulant avant, pendant et éventuellement après la série. De préférence pas de crackfic
Personnages et/ou couple(s) : Michael, Lincoln
Genre : Flash-back
Spoiler/Timeline : Épisode 220, "Panama" : la dispute un peu musclée entre Lincoln et Michael.
Rating : PG, pour la langue quelque peu familière.
Résumé : La Brute et le Cerveau, les rôles sont distribués depuis toujours.
Note : Pour le prompt « l’enfer c’est les autres », je me suis référée à ce que Sartre disait de cette formule : « J'ai voulu dire "l'enfer c'est les autres". Mais "l'enfer c'est les autres" a été toujours mal compris. On a cru que je voulais dire par là que nos rapports avec les autres étaient toujours empoisonnés, que c'était toujours des rapports infernaux. Or, c'est tout autre chose que je veux dire. Je veux dire que si les rapports avec autrui sont tordus, viciés, alors l'autre ne peut être que l'enfer. Pourquoi ? Parce que les autres sont, au fond, ce qu'il y a de plus important en nous-mêmes, pour notre propre connaissance de nous-mêmes. Quand nous pensons sur nous, quand nous essayons de nous connaître, au fond nous usons des connaissances que les autres ont déjà sur nous, nous nous jugeons avec les moyens que les autres ont, nous ont donné, de nous juger. Quoi que je dise sur moi, toujours le jugement d'autrui entre dedans. Quoi que je sente de moi, le jugement d'autrui entre dedans. Ce qui veut dire que, si mes rapports sont mauvais, je me mets dans la totale dépendance d'autrui et alors, en effet, je suis en enfer. Et il existe une quantité de gens dans le monde qui sont en enfer parce qu ils dépendent trop du jugement d'autrui. Mais cela ne veut nullement dire qu'on ne puisse avoir d'autres rapports avec les autres, ça marque simplement l'importance capitale de tous les autres pour chacun de nous. »
1ère publication : juin 2007

Le Borgne

Westmoreland. Tweener…

Michael énumère des noms et ce sont autant de coups de poing que Lincoln prend dans l’estomac. Mais il encaisse et ne laisse rien paraître. Si Lincoln prenait le temps d’y songer, il pourrait presque trouver ironique que, dans cette histoire, il soit le calme et Michael le coléreux.
Quand Michael était petit, il voulait être un Jedi. Il connaissait Star Wars par cœur et tout était prétexte à caser une réplique. Sa préférée : la très emblématique grande autoroute vers le côté obscur de la Force : « La peur mène à la colère, la colère mène à la haine et la haine mène à la souffrance ». Dès que Lincoln perdait quelques miettes de son sang-froid (ce qui avait tendance à arriver souvent), Michael débitait sa tirade, tranquille comme un Yoda. Mais c’était davantage l’accusation du regard bleu preux que les mots mécaniquement répétés qui faisait chanceler Lincoln. Si tu fais le con, on nous séparera, semblaient-ils lui dire.
Peut-être qu’à force de la répéter, tel un mantra, Michael avait fini par faire sienne la phrase. Jamais ni colère, ni haine ne venaient perturber le petit frère. Émotions inutiles et nuisibles qui asphyxiaient la raison et la logique, grippaient les rouages policés de son intelligence.
Michael ne cédait jamais au côté obscur de la Force. Ou presque… Parce que Michael est présentement en colère. Il a mal : la femme qu’il aime a été arrêtée et son grand frère le moque (« Ne me joue pas l’histoire du gars qui a perdu sa nana ! »). Alors, voie de conséquence, les noms s’abattent sur Lincoln, glissent sur sa carapace, cherchent la fissure.

… LJ. Lisa…

Lincoln serre les dents, plisse les yeux : les mots font mouche. Propulsés par voix de Michael, bousculés par ses gestes désordonnés, ils s’acharnent, déterrent, ressuscitent. Le cœur s’emballe, la gorge se serre et les mains tremblent. Que Michael se taise. Que Michael… Mais Michael a mal et il veut être sûr de ne pas être le seul à souffrir.

… Le gardien dont, oui, Lincoln a oublié le nom…

Et puis, l’uppercut final : Vee.

La faille se fait béance et la réponse de Lincoln est instinctive, physique et brutale. Il pousse avec violence Michael. Mais Michael persiste, insiste, revient à l’attaque. Les mots se déversent encore. Comment faire taire un petit frère teigneux ?
- Je ne t’ai pas demandé de faire ce que tu as fait, déclare Lincoln et il amorce un mouvement de retrait.
- Ils allaient te tuer, Linc’ ! s’exclame Michael.
- Peut-être que t’aurais dû les laisser faire !
Il crie. Parce que lui aussi a mal. Certes, il n’est pas l’empathe de leur fratrie, il n’est pas non plus celui atteint d’un complexe du sauveur, cela ne signifie pas pour autant qu’il est sourd et aveugle. La prison et l’injustice de sa situation ne l’ont pas désensibilisé, rendu incapable de compassion. Même si c’est plus simple de le prétendre.
- Retire ce que tu viens de dire !
Lincoln regarde Michael sans ciller. Michael fronce les sourcils, serre les mâchoires, pince les lèvres et baisse un peu la tête. La couleur de ses yeux se ternit. Lincoln reconnaît les signes avant-coureurs…

**

Le tonnerre roulait au loin et le ciel s’éclairait par intermittence depuis près d’une demi-heure mais l’orage refusait toujours d’éclater. L’air était lourd, électrique, brûlant. Les vêtements, moites de sueur, collaient à la peau. Chaque mouvement coûtait plus d’effort que le précédent ; Lincoln ne ménageait pourtant sa peine. Il cognait. Cognait. Cognait encore. Jusqu’à faire craquer les os, transformer la chair en pulpe sanguinolente. Il était payé pour "briser la glace et lancer le débat", alors il brisait.
- C’est bon. Arrête ! Linc’ arrête, tu vas nous le crever.
Linc’ recula, hors d’haleine. L’homme ficelé à sa chaise gémit et se ratatina sur lui-même. Sans ses liens, il aurait chut sur le sol comme un vieux calmar crevé.
Aidan saisit l’homme par le menton et le força à le regarder droit dans les yeux.
- Alors Hooks ? Tu n’as toujours aucune idée de qui pourrait être derrière le meurtre de Roth ?
Hooks éclata en sanglots et balbutia des mots incohérents. Lincoln recula discrètement jusque dans un coin sombre de la pièce. Il se cala contre le mur et attendit d’éventuels ordres. Parfois les "intervenants", effarouché par un mot ou un nom, se réfugiaient en catastrophe dans un mutisme des plus frustrants.
Lincoln mettait un soin particulier à ne rien entendre de ce qui se disait. Il s’en tenait à ce pour quoi il était payé et tant qu’il recevait l’argent qui lui était dû, l’enfer pouvait bien s’ouvrir… Muet et aveugle. Ou presque. On le surnommait le Borgne. Linc’ le Borgne. Cette farandole des pseudonymes (Birdy Hooks, Sonic Aidan, Joey Ice-Cream, Jeff the Old...) le faisait sourire. Un peu. Beaucoup moins quand Michael avait commencé à demander s’il pouvait récupérer le surnom de Cyclope. « Un borgne et un cyclope font forcément la meilleure paire possible. » Lincoln avait répondu que Cyclope était un naze qui réfléchissait trop et que, quitte à choisir, il préférait faire équipe avec Phénix. Il avait botté en touche. Remis à plus tard. Joué les sourds aveugles.
Malgré la chaleur, Linc’ alluma une cigarette et inspira à pleins poumons.
- Tu n’as pas peur de déclencher une explosion, toi, ricana Joey.
Linc’ avait Joey en horreur. C’était un petit gars malingre avec un regard torve dans une tronche de fouine. Il avait les mains déglinguées et un rictus permanant accroché à ses lèvres grises. Linc’ le détestait vraiment.
- Qu’est-ce que tu veux ? marmonna-t-il sans aménité. Il ne lui décocha pas même un regard.
- La question est plutôt : qu’est-ce que veut Cameron ? Réponse : te voir. Il t’attend dans son bureau.
- Je passerai tout à l’heure : Aidan n’a pas fini.
- Tu ne m’as pas bien compris, le Borgne. Il veut te voir tout de suite.
Linc’ jura intérieurement, tira une dernière bouffée et écrasa sa cigarette. Il faisait vraiment trop chaud pour fumer.
- Tu m’as l’air d’avoir fait un beau massacre, siffla avec admiration Joey.
- Juste mon job.
- Tu es un artiste. Qu’est-ce que je donnerai pour avoir tes mains le Borgne ! Probablement un œil.
Et il rit de sa petite blague qui était fort peu drôle.

Linc’ gravit les marches qui menaient au rez-de-chaussée d’un pas alerte et la tête encombrées de questions inquiètes. Pourquoi Cameron le faisait mander aussi expressément, en plein interrogatoire ? Linc’ s’arrêta un instant sur le verbe "mander". Où était-il allé chercher un putain de verbe pareil ? Sûrement un emprunt à Mike et à son langage de grand écrivain prétentieux ! Il n’avait fait aucune connerie, reprit-il, ne préparait aucune trahison non plus. Il avait refusé toutes les autres offres de boulot. N’avait fait aucune demande pour avoir une part plus active dans les affaires, pas réclamé d’augmentation non plus. Et pourtant, il avait un sacré besoin de pognon. Pas tant pour lui, mais pour Michael. Et pour le polichinelle du tiroir : son fils qui grandissait dans le ventre de Lisa. Linc’ n’en avait pas encore parlé à Veronica. Il repoussait l’échéance, espérant un signe, du courage ou bien. Mais c’était sa faute à elle aussi ! Elle était partie se construire un avenir brillant, dans sa fac à l’autre bout du monde (« à deux heures en avion, » corrigeait Michael). Un avenir dans lequel il n’avait pas de place.
Linc’ n’avait aucun diplôme : arrêté l’école trop tôt. Il n’était pas plus con qu’un autre, il avait juste un petit frère génial. Ça vous démotiverait le premier je-sais-tout venu et Lincoln était tout sauf un je-sais-tout. Et puis Linc’ s’était ennuyé ferme à l’école. Il avait passé plus de temps à regarder le carré bleu découpé par le cadre de la fenêtre qu’à lire ses bouquins. Il avait rêvé de s’évader de ces murs gris, d’échapper à ces tyrans plus occupés à exercer leur pouvoir disciplinaire qu’à partager les quelques miettes de savoirs insipides accumulées dans un coin vague de leurs caboches. Linc’ avait un jour cessé de rêver, abandonné l’école à Michael et s’était barré. Il s’était formé à l’école de la rue, comme on dit. Là-bas aussi, il y avait des règles et des tyrans, mais il savait comment contourner les premières et renverser les seconds.
Seulement maintenant Linc’ n’avait aucune qualification reconnue par les Institutions et avait un petit frère à charge (et bientôt un fils). Sans argent, on lui retirerait la tutelle de Michael et ça, ce n’était tout bonnement pas envisageable. Son frangin était un chieur qui se croyait plus malin que tout le monde (parce qu’il l’était), pourvu d’un humour de constipé, mais c’était son frangin. Linc’ n’avait que lui. Ou plutôt : Mike n’avait que Linc’.

Cameron était occupé avec un client. Mais ni le potentiel l’acheteur, ni le vendeur ne semblaient particulièrement motivés par la transaction. Cameron tenait une librairie spécialisée dans les ouvrages anciens et, comme tout bon libraire, il détestait vendre ses trésors.
La pièce était exiguë, poussiéreuse et encombrée de colonnes de livres branlantes. Un mouvement trop brusque, un éternuement trop violent et c’était l’apocalypse fait papier moisi dans la librairie. Parfois, Linc’ était pris d’une envie irrésistible de jouer au domino avec toutes ces piles tordues. Une petite impulsion et la pile tombait sur une autre, qui tombait sur une autre, qui tombait sur une autre, ainsi de suite jusqu’à ce que tout se retrouve par terre. Bien évidemment, il ne le ferait jamais, mais il imaginait.
Le carillon tinta et le client partit, un livre empaqueté de mauvais gré sous le bras. Cameron, agacé, gribouillait le montant de l’opération dans la colonne appropriée de son livre de comptes. Il marmonna quelques paroles désobligeantes envers son client ("véritable sagouin ignare") et referma bruyamment son registre.
- Lincoln ! grommela-t-il. Joey m’a communiqué que tu avais su délier la langue de notre ami. Bien, bien. Tu t’améliores à chaque fois. Si tu voulais…
Linc’ ne voulait pas.
La main de Cameron plongea sous le comptoir et le libraire fit tomber une épaisse liasse de billets de cinq dollars.
Lincoln avait commencé par déménager les cartons, bouger les livres, les charger, les décharger, les expédier pour un salaire de misère. Et puis son poste s’était quelque peu diversifié. Linc’ aurait pu partir (ou refuser) mais les bonus étaient juteux et Cameron ne lui demandait jamais plus que ce qu’il pouvait donner. Pas de vol, pas de meurtre, juste de la protection et de l’intimidation. Il n’était pas le garde du corps ultime : il y en avait d’autres au-dessus de lui dans la hiérarchie, et ça lui convenait. Il était juste un homme à tout faire qui ne craignait pas trop de se salir les mains. Mais régulièrement, Cameron lui faisait du pied.
Lincoln empocha l’argent sans le compter, non qu’il eût une confiance aveugle en l’équité de Cameron mais le libraire détestait qu’on mît sa probité en doute. Honneur de mafieux.
- J’attends une livraison dans trois jours, j’aurais besoin que tu sois présent. Mark sera là, mais un peu de renfort ne fait jamais de mal.
Linc’ serra les mâchoires. Dans trois jours, c’était l’anniversaire de Vee. Elle venait exprès. Il ne protesta pourtant pas. Parce que.
- Mais je ne t’ai pas fait venir pour parler comptabilité ou emploi du temps, continua Cameron.
Nous y voilà !
- Tu sais que je fais toujours attention à préserver l’esprit de bon voisinage. Les rivalités et les guerres n’amènent rien de bon. Ça effraie les clients et raréfie la main d’œuvre. Alors quand Jeremy Mitchell m’appelle pour me signaler qu’un môme truande en mon nom sur ses terres, je ne prends pas ça à la rigolade, fiston, je peux te le dire.
Lincoln hocha la tête. Il ne savait pas où Cameron voulait en venir, mais il savait qu’il était tout à son intérêt de faire celui qui était d’accord même s’il était au courant de quelques inadéquations entre les paroles et les faits. Mais il était Lincoln le Borgne et il ne piperait mot. Sourd, aveugle et muet. C’est le Désensibilisé qu’il aurait fallu l’appeler.
- Il aurait bien écorché le môme, mais il m’est redevable. J’ai tiré sa sœur d’un sale pétrin. Et puis les mômes… Personne n’aime vraiment les bousculer. Ils sont jeunes, cons, pas encore le sens des convenances. On ne peut pas vraiment leur vouloir.
- Qu’est-ce que tu veux que je fasse ?
- Je veux que t’ailles chercher le gamin et que tu lui colles la plus grande des raclées. Si jamais, il recommence, et je ne dis pas s’il se fait choper une nouvelle fois, non, si jamais il recommence, Jeremy Mitchell ni personne ne se donnera la peine de préserver son intégrité physique. Le gamin se croit intouchable, à toi de lui apprendre qu’il n’en est rien. Et si jamais il récidive, je te tiendrai pour personnellement responsable et je serai très déçu et Dieu sait que je n’aime pas être déçu…

Lincoln connaissait bien le bar où Jeremy Mitchell tenait ses quartiers : il allait souvent y jouer avant d’être engagé par Cameron. Lincoln regrettait les parties, l’argent facilement gagné (facilement perdu aussi) mais il fallait être sobre. Et puis il n’était plus vraiment possible d’y traîner, il était connu maintenant. Non que Mitchell ne l’eût pas laissé jouer ; plutôt que Cameron ne l’aurait pas accepté, car il aurait fini par le savoir. Tout se savait toujours. C’était juste une question de temps.
Lincoln traversa le bar en affectant l’air le plus dégagé possible, ignorant les regards acérés qui le suivaient comme une mauvaise odeur. Il s’arrêta devant le comptoir et s’annonça sobrement. Une barmaid fatiguée le détailla avec désinvolture un moment qui lui sembla un peu long.
- C’est sans bouton les chemises maintenant ? se moqua-t-elle en fixant la chemise à moitié ouverte de Linc’.
Elle passa la main sous le zinc et pressa un bouton. Une porte sur le côté s’ouvrit. Un homme, carrure Demolition-Man, escorta Linc’ tout le long d’un couloir mal éclairé. Ils débouchèrent dans une pièce bien meublée, genre petit salon de velours rouge, qui puait le tabac froid.
- Burrows… Tu as fait vite, marmonna Lina sans lever les yeux de son magazine, j’ai eu à peine le temps de lire mon horoscope.
Lincoln se demanda un instant comment diable la jeune femme comptait lire son destin astral dans un mensuel économique, avant de comprendre qu’il s’agissait d’une boutade. Un point pour la blonde ex-strip-teaseuse.
- Il est dans la pièce d’à-côté, avec Cameron, enchaîna-t-elle.
D’un mouvement de tête, elle désigna une porte sur le côté fermée sur la sacro sainte salle de jeux. Il fallait montrer les quatre pattes blanches pour pénétrer ce temple. Linc’ marmonna un vague merci et traversa la pièce. Demolition-Man lui emboîta le pas et se chargea d’ouvrir la porte.

Une lampe descendait bas au-dessus d’une table à jouer et éclairait théâtralement deux joueurs. Mitchell regardait alternativement ses cartes, son adversaire (qui tournait le dos à Linc’), la mise, son adversaire, puis, d’un geste rageur, Mitchell jeta ses cartes sur le tapis.
- Je me couche comme une pute frappée au ventre par un énorme type boutonneux, marmonna-t-il, rageur.
L’adversaire tendit la main vers les jetons et les attira à lui dans un geste large et fébrile. Linc’ se racla la gorge.
- Je t’ai vu, le Borgne, maugréa Mitchell. Tu tombes bien, on vient de finir la partie. Tu peux l’embarquer !
L’adversaire se retourna et il y eut un instant quelque peu irréel où Linc’ fixa le gamin s’étonnant de sa ressemblance avec Mike. Ressemblance photocopique. Parce qu’il était impossible que ce môme fût son frère ! Mike usait le fond de son futal sur les sièges du bahut. Donc ce gamin ne pouvait pas être Michael. CQFD. Sauf que c’était Michael.
- Salut, Linc’.
Mike eut au moins la décence de paraître embêté. Il se leva et posa le regard à peu près partout sauf sur son grand frère.
- Allez ! On y va ! siffla Linc’ entre les dents.
Michael voulut prendre ses gains, mais Mitchell saisit la main de Michael et sourit en secouant la tête.
- Ne pousse pas ta chance, gamin.
- Mais cet argent…
- … est un acompte à ce que tu me dois. Compris ?
Le regard de Mike glissa vers Linc’, lui demandant assistance, mais Linc’ ne bougea pas. Mike reporta alors toute son attention vers l’homme qui lui tenait fermement le poignet. Linc’ trouva à son petit frère une attitude de chat face à un énorme dogue, tout à la fois effrayé et téméraire.
- Il a compris, intervint Linc’.
- Je veux qu’il me rembourse tout l’argent qu’il a pillé de mon territoire.
- Il le fera.
Mitchell lâcha Michael.
- Il peut remercier Lina. Elle a craqué pour ses yeux bleus.
- Des yeux pareils, qui n’y résisterait pas ? susurra Lina tout en rondeur.
Lincoln se retourna, l’ex-strip-teaseuse se tenait dans l’encadrement de la porte, sourire aux lèvres.
- Il ne recommencera plus, j’y veillerai, promit Lincoln.
- Je l’espère bien, sinon ses beaux yeux bleus seront montés en pendentif pour Lina.
Sans lui adresser un regard, Linc’ attrapa son petit frère par le bras, un peu plus fortement qu’il n’était nécessaire, et l’entraîna vers la sortie.
- Le Borgne ! appela Mitchell.
Lincoln se retourna.
- Il est bon.
- Il est bon pour une raclée, oui !
- Il a l’œil, insista Mitchell.
Lincoln ne répondit rien.

Lincoln plaqua durement Michael contre le capot de la voiture. L’orage avait finalement éclaté et toute l’eau du ciel leur tombait dessus. Mike essaya de se débattre, de se faufiler comme une anguille, mais Linc’ le tenait fermement par le col. Ils avaient cinq ans d’écart, la différence musculaire était disproportionnée. Surtout que Michael avait une activité physique plus que réduite, au contraire de Lincoln.
- Tu peux m’expliquer ce que tu fais là, espèce de crétin !?
- Ce n’est pas évident ? Je jouais au poker !
Lincoln serra un peu plus sa prise.
- Ne joue pas au p’tit génie avec moi, p’tit frère.
- Pas besoin de jouer, siffla Michael.
- Tu n’as rien à foutre ici ! explosa Lincoln. As-tu la moindre idée de ce que ces hommes sont capables de faire à un p’tit merdeux comme toi ? Bordel, Mike ! Ta place est au lycée !
- T’es mal placé pour me faire la leçon !
Lincoln lâcha Michael et recula de quelques pas.
- Tu veux jouer à être moi ? C’est ça, Mike ? Très bien ! On va voir ce que tu vaux en Linc’ le Borgne. Si tu me bats, tu auras gagné ta place à mes côtés. Tu auras ma bénédiction pour devenir escroc, racketteur ou assassin, comme tu le sens. Mais si je t’explose la face, tu retournes au lycée et tu réussis tous tes exams.
- Tu ne veux quand même pas que l’on se batte ?
Michael rit froidement, un peu décontenancé par la proposition de Lincoln. Le coup de poing partit très vite et cueillit Michael à la mâchoire. Michael perdit l’équilibre et se raccrocha au rétroviseur de la voiture pour ne pas tomber.
- Mais tu es complètement malade ! s’écria-t-il en se tenant la mâchoire.
- Ne baisse jamais ta garde. Allez viens !
- Je ne veux pas me battre ! s’écria Mike, les larmes aux yeux.
- Dommage ! Parce que moi, j’en ai très envie.
Linc’ décocha un second coup que Mike évita cette fois. Linc’ sourit froidement, tandis que Mike le dévisageait totalement déboussolé.
- Allez viens p’tit frère. Montre-moi un peu ce qu’un petit génie a dans le ventre.
Michael fronça les sourcils, serra les mâchoires, pinça les lèvres et baissa un peu la tête. Et dans un cri de rage, Michael chargea, tête la première. Lincoln encaissa le coup et prit son frère à bras le corps. Mais la chaussée était glissante, Lincoln perdit l’équilibre et, entraînés par leur poids, ils heurtèrent le mur.
Lincoln ne voulait pas frapper Michael mais c’était un réflexe, il avait mal, il tapait. Michael se plia sous la douleur. Cria. La terreur tomba sur Lincoln. Il avait tapé son petit frère. Michael répliqua et les coups s’enchaînèrent. Douleur de frapper, douleur d’être frappé. Et puis vint le moment où l’un céda. Ce ne fut pas Lincoln.
Michael était dos contre le bitume, les bras en croix. Il avait la lèvre supérieure éclatée et l’œil droit fermé. Des bleus apparaissaient sur sa mâchoire et la pluie diluait le sang qui coulait de son nez. Lincoln avait encore le poing en l’air, telle une épée de Damoclès. Les deux frères se regardaient, se dévisageaient. Leurs respirations étaient courtes et leurs facultés de raisonnement quelque peu embrumées.
- Tu vas retourner à l’école ! déclara Linc’, impitoyable. Tu auras ton diplôme et tu intègreras une bonne université dont tu sortiras major de ta promotion.
- Je n’aime pas l’école, geignit Michael. Ils me prennent tous pour un monstre, ils me détestent…
- Rien à foutre !
Pourquoi donc Michael voulait-il ressembler (être ?) son raté de grand frère quand il pouvait être n’importe qui ? Le Cerveau qui se rêvait Brute ? Quelle ineptie ! La voie de Michael n’était pas de ce côté. Non. Elle était même à l’opposé.
- Tu iras au boulot en portant des cravates bleues qui feront ressortir tes yeux bleu minet et tu amasseras un paquet de pognon…
Lincoln exposa l’avenir de Michael comme s’il était évidence. Peut-être parce qu’il l’était. Ou peut-être Linc’ décrivit la vie qu’il aurait voulue. Qu’il désirait encore. Une vie dans laquelle Vee se sentait bien, à sa place et heureuse. Une vie où aucune assistante sociale ne le harcelait de questions et d’exigences, où le miroir ne lui renvoyait pas le reflet d’une brute sans cervelle, sans espoir et avec un œil en moins.
Linc’ prit alors sa décision. Quoiqu’il lui en coûtât, Michael aurait cet avenir qui, quelques secondes encore, lui semblait inaccessible à tous deux. Ce qui n’avait été qu’une projection fantasmée dans un avenir improbable devait devenir réalité.
Lincoln lâcha le col de Michael et lui tendit la main. Michael hésita un instant puis saisit la main tendue. Se redresser lui tira quelques grimaces, mais il tenait debout. Linc’ songea avec soulagement que, d’ici la prochaine visite de l’assistante sociale, les ecchymoses auraient disparu. Sinon, il y avait toujours le fond de teint que Vee avait oublié dans sur le rebord du lavabo.
- Et, éventuellement, de temps en temps, tu m’apporteras une orange en prison, acheva Linc’. Est-ce compris ?

**

Le choc est violent. Michael n’est plus le petit adolescent chétif de seize ans. Il est un adulte d’un mètre quatre-vingt-cinq avec une bonne condition physique. Depuis sa dernière raclée, Michael a pratiqué divers sports (natation, aviron et boxe, si les souvenirs de Lincoln sont exacts). Cela pourrait presque tirer un sourire de Lincoln (en d’autres circonstances) : Michael apprend toujours de ses erreurs et de ses défaites. Michael apprend tout le temps, sans cesse et sans relâche. Il amasse des données comme… La chute arrête le cheminement des pensées de Lincoln.
Ils roulent. Le sable s’infiltre dans sa bouche, dans ses yeux, griffe sa peau. Quand les tonneaux cessent enfin, Lincoln se relève tout de suite, sans perdre un instant. Ils se font face. Deux monolithes d’hostilité.
Michael n’a pas une once de violence en lui (d’après Vee) et c’est tant mieux, car Michael n’est ni faible ni maigrichon. Un mètre quatre-vingt-cinq de muscles et de volonté qui fonce, il faut savoir l’éviter. Lincoln a appris. Encaisser les coups et les rendre sont dans ses capacités. Trois années de prison ont aiguisé ses réflexes, développé son imagination et sa capacité à s’adapter à toutes les situations. En un coup d’œil, il a repéré quel élément du décor pourrait lui être utile et quel accident de terrain pourrait…
- Aussi responsable que je me sente de ce qui est arrivé à Sara, elle avait le choix. Veronica, non. Je l’ai écouté mourir, Michael. Je l’ai écouté mourir et je ne pouvais rien faire. Rien. Nous avons perdu tellement dans cette guerre, mec. On ne peut pas se permettre de se battre l’un contre l’autre. On ne peut pas.
Il s’avance vers la mer et fourre les mains dans ses poches. Il ferme un œil pour se protéger de la lumière du soleil et se laisse assourdir par le bruit des vagues.

Lincoln est fatigué d’être la Brute.

Fin

fic: pbff_echange, genre: fanfiction, format: one shot, fandom: prison break

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