Jul 04, 2010 18:24
Elle était là, coincée dans sa petite robe noire. Son col l'étouffait un peu, mais elle ne s'en préoccupait guère. Ce qui attirait son attention c'était ce grand cercueil noir, ouvert à moitié, et qui laissait voir la figure de son père. Elle observait sa pâle figure, son menton carré, ses sourcils broussailleux, pour graver tout ça en elle. Pour ne pas oublier ce visage haïssable, qui lui avait donné la vie.
Cela faisait longtemps que sa mère était morte. Des années, durant lesquelles Annie avait refusé de penser à elle, pour ne pas remuer le couteau dans la plaie. Elle avait été un modèle pour elle, presque une icône, comme celle de Jésus devant laquelle elle devait prier tous les soirs dans son enfance. Ordre de son père.
Son attention retourna sur ce dernier. Son teint blanc la troublait : jamais il n'avait eu le visage aussi pâle, même à l'enterrement de sa mère. Il était resté silencieux tout le long, son regard jamais troublé par les larmes. Annie lui en avait toujours voulu pour ça. Comment pouvait-on rester aussi stoïque le jour de l'enterrement de la personne avec qui l'on avait vécu pendant quarante ans et avait qui l'on avait donné naissance à deux filles ? C'était impensable. Complètement irréel. Et pourtant.
Il n'avait pas été là très souvent, selon ses souvenirs. Son travail l'appelait souvent loin et longtemps, et c'était la mère d'Annie qui s'était occupée de les éduquer, elle et sa soeur. C'est à elle que la jeune femme devait son sens de la répartie, ses sourires fréquents, sa serviabilité. Non à son père.
Qu'est-ce qu'elle faisait là, de toute façon ? Elle était venue en espérant avoir une illumination. En pensant que, peut-être, la lumière divine lui éclairerait la route à suivre, mais rien n'était survenu dans l'église. Rien. Elle n'avait eu ni illumination, ni éclairage divin, et restait devant le cercueil ouvert, les bras ballants et la gorge serrée par le col de sa robe trop petite.
C'est quand elle s'en rendit compte qu'elle pleura, s'agenouillant au sol. Ce n'était pas parce que son père était mort, non, ou parce que la situation le demandait. C'était parce qu'elle venait de réaliser qu'elle n'était pas à l'enterrement de son paternel, mais d'un parfait étranger, qui la dominait tout autant de sa boîte en bois que Jésus du haut de sa croix.
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