"Juste un regard", de Harlan Coben

Jun 04, 2008 13:42


"Et si votre vie n'était qu'un vaste mensonge ? Si l'homme que vous avez épousé il y a dix ans n'était pas celui que vous croyez ? Si tout votre univers s'effondrait brutalement Pour Grace Lawson, il a suffi d'un seul regard.

Juste un regard sur une photo vieille de vingt ans pour comprendre que son existence est une terrible imposture. Mais le cauchemar ne fait que commencer...

Traques, disparitions, vengeances implacables, assassinats sanglants... un suspense à vous couper le souffle, par Harlan Coben, le maître de vos nuits blanches."

Avis d'Océane : La toile de fond de ce roman à suspense est le "massacre de Boston" : un coup de feu est tiré lors d'un concert dans les années 1970, ce qui créé un mouvement de panique de la foule, et qui verra un bilan de plusieurs morts et blessés, dont Grace Lawson. C'est cet évènement qui va relier tous les personnages du livre des années plus tard.

Harlan Coben nous offre à nouveau son style haletant avec beaucoup de dialogues, des descriptions aiguisées et craquelantes à vous en donner des frissons et froid dans le dos : tout particulièrement celles concernant les violences d'Eric Wu, tueur à gages. Ce personnage m'a glacé le sang, il connait sur le bout des doigts les points d'appuis du corps : il vous paralyse en une pression, brise des os, etc. Je cite quelques passages ci-dessous. Ca m'a marqué et m'a mis réellement mal à l'aise!

Le personnage de Grace est très touchant, dans son amour pour son mari (qui a disparu), pour ses enfants, et par les séquelles de l'accident de Boston (a une jambe qui claudique, ne s'est pas remise de cette épisode).

J'ai beaucoup apprécié comme Harlan Coben ancre l'histoire et ses protagonistes dans le temps, dans notre époque : en effet, il mentionne de la musique (les Stones et l'assassinat des Hells' angels, Bruce Springsteen, même Eminem), la télévision (les Simpsons, Jerry Springer show, la famille Soprano), le cinéma (anecdote du nom de Madison trouvé par Tom Hanks dans "Splash", Meg Ryan), des livres ... et tout ceci donne un aspect très contemporain, et proche du lecteur. Ca rend le récit encore plus vivant tout simplement (j'ai également beaucoup aimé cela dans "Flight" de Sherman Alexie).

A quelques rares fois, j'ai trouvé la traduction un peut trop au mot à mot, pas très français ("ça faisait sens" pour "it made sens"), ce n'est toutefois pas bien gênant!

J'aime autant l'intrigue proposée par Harlan Coben, que toutes les réflexions sur le monde qui l'entoure et descriptions superbement amenées qu'il nous offre. C'est ce qui rend ce livre si riche.

Voici quelques passages :
- Le vendeur du Photomat : "Le jeune qui travaillait derrière le comptoir avait une touffe de duvet blanc sous le menton, une couleur de cheveux à faire pâlir Crayola et assez de piercings pour pouvoir servir d'instrument à vent".

- Eric Wu : "L'homme grand et bourru, était vêtu d'un survêtement en velours rasé bleu. Il ne portait pas de chemise dessous, juste une forêt de poils. Avec sa main droite, Wu lui a attrapé la nuque. L'attirant à lui d'un geste brusque, il a planté son coude gauche dans sa pomme d'Adam. La gorge s'est tout simplement effondrée, la trachée tout entière a cédé comme une brindille. L'homme s'est écroulé, son corps se convulsant tel un poisson sur une jetée. Wu l'a repoussé dans la camionnette. (...) L'homme gigotait toujours, il n'en avait plus pour longtemps à vivre".

- Grace et ses enfants : "Ses enfants aimaient les Simpson, ça".

- Le massacre de Boston : "Même avant le massacre de Boston, Grace aurait voulu se consacrer à la peinture. Mais il lui manquait quelque chose... quelque chose d'impalpable, d'impossible à expliquer. Toute cette épreuve lui avait permis de franchir une étape en matière de sensibilité artistique."

- Cynisme sur l'église : "L'énorme enseigne fluo faisait état d'une congrégation dont Grace n'avait jamais entendu parler. Ca s'appelait, à en juger par plusieurs panonceaux autour de l'édifice, la "Maison de Dieu". Si tel était le cas, Dieu aurait dû mieux choisir son architecte, car cette construction dégageait la chaleur et l'éclat d'un hypermarché de bord de route. L'intérieur était encore pire - d'une ringardise telle que Greceland, à côté, faisait figure d'un modèle de bon goût. La moquette était d'un écarlate généralement réservé au rouge à lèvres de supermarché. Le revêtement mural était plus foncé, couleur de sang, un machin en velours parsemé de centaines de croix et d'étoiles. Grace en avait le tournis. La nef centrale, ou plutôt l'amphithéâtre, comportait des gradins plutôt que des bancs. Ils n'avaient pas l'air bien confortables, mais n'était-ce pas pour obliger les gens à rester debout ? Avec une pointe de cynisme, elle se disait que faire lever épisodiquement les ouailles pendant le service religieux n'avait rien à voir avec la dévotion : il s'agissait surtout de les empêcher de dormir."

- Grace et la course poursuite dans le supermarché : "Elle s'efforçait de marcher plus vite, mais sa jambe traînait derrière elle comme une barre de plomb. Plus elle se dépêchait, plus elle boitait. Lorsqu'elle s'est mise à courir, on aurait vraiment dit Quasimodo en train de grimper le clocher. Peu importait son allure cependant, le problème était d'ordre fonctionnel : elle n'était pas assez rapide."


- Grace et son mari : "Grace a entrepris de mettre de l'ordre dans la chambre à coucher. Jack était le meilleur des maris. Intelligent, drôle, aimant, tendre et dévoué. Pour contrebalancer tout cela, Dieu l'avait doté des facultés organisationnelles d'une bouteille de limonade. En un mot, Jack était bordélique. (...) Depuis longtemps elle ne comptait plus sur lui pour ranger la pile de magazines à côté du lit. Sa serviette mouillée après la douche finissait rarement sur le porte-serviettes. Tous les habits sales n'arrivaient pas à destination. Aujourd'hui encore, il y avait ce tee-shirt gisant à moitié dans le panier à linge, à moitié dehors, comme si on lui avait tiré dessus alors qu'il tentait de s'échapper."

- Elever un enfant : "Les experts en éducation - tous ces psys gnangnan à la voix lobotomisée qu'on voit sur les chaînes cablées n'auraient pas manqué de se récrier, mais Grace n'était pas adepte du "tout dire à ses enfants". Le rôle d'une mère était de protéger avant tout. Emma n'était pas assez grande pour affronter la réalité, c'était aussi simple que ça. Le mensonge faisait partie de la fonction parentale. Peut-être avait-elle tort - Grace en était consciente -, mais ce qu'on dit est vrai : les enfants ne sont pas livrés avec un mode d'emploi. Tout le monde se trompe. Elever un enfant relève de l'improvisation pure." ; "Emma et Max n'avaient rien à craindre, les instituteurs restaient jusqu'au départ du dernier enfant. Puisqu'elle ne se manifestait pas, ils pousseraient un soupir d'impatience et les escorteraient au bureau de la directrice. Cette vieille harpie de Mme Dinsmont prendrait un malin plaisir à déplorer l'incurie maternelle pendant que les mômes feraient le poireau. C'était déjà arrivé 6 mois avant, quand Grace avait été retardée par des travaux sur la chaussée. Rongée par le remords, elle imaginait Max en train de l'attendre comme dans une scène d'Oliver Twist, mais lorsqu'elle avait débarqué à l'école, il était occupé à colorier un dinosaure et n'avait pas envie de partir".

- Touffe de Poils : "Penché en avant, ses cheveux lui tombait sur le visage à la manière d'un rideau. Son expression - il ne devait pas en avoir d'autre - était maussade. Il a mordu dans le taco comme si celui-ci venait d'insulter son groupe grunge préféré. Il avait le casque sur les oreilles, le cordon trempait dans la crème fraîche. Grace ne voulait pas passer pour une vieille rombière, mais, franchement, avoir ce genre de bruit branché directement sur le cerveau toute la journée. Quane elle était seule, elle la mettait plus fort, chantait, dansait... Donc, ce n'était pas une question de musique, ni de volume. Mais quelles étaient les conséquences sur la santé mentaled 'une musique, probablement âpre et violente, qui résonnait non-stop dans les oreilles ? Isolement auditif, murailles solitaires du son, pour paraphraser Elton John, et aucune échappatoire possible. Aucun bruit de la vie ne filtre jusqu'à vous. Aucune parole vivante. Votre existence se déroule sur une bande son artificielle."

- Grace et son travail : "Son travail avait acquis cette qualité vague et indéfinissable. Il véhiculait plus d'émotion, plus de vie, plus de... mouvement. Il était devenu plus sombre, plus rageur, plus saisissant. Les gens se demandaient souvent si elle peignait des scènes de cette terrible journée. La réponse évidente se résumait à un seul portrait - un jeune visage si plein d'espoir qu'on savait qu'il serait bientôt saccagé -, mais la véritable explication était la suivante : le massacre de Boston empreignait et colorait tout ce qu'elle touchait."

- Echo génétique : "- Emma ! Allez, debout ! Un gémissement. Sa fille était trop jeune pour avoir la volonté de sortir du lit. Grace elle-même n'y était parvenue qu'à partir du lycée. D'accord, du collège, mais surement pas à l'âge de huit ans. Elle a songé à ses propres parents, morts depuis si longtemps déjà. Parfois, un de ses gosses lui faisait penser à son père ou à sa mère. Quand Emma faisait la moue, elle ressemblait tellement à la maman de Grace qu'elle en avait la chair de poule. Max avait le sourire de son père. Cet écho génétique, Grace ne savait jamais s'il lui était une consolation ou bien une douloureuse piqûre de rappel."

- Eric Wu et Grace : "Il a posé la main sur son mauvais genou. - Vous avez une jambe abîmée, a-t-il fait remarqué. Grace n'a su que dire. Sa main était légère comme une plume. Tout à coup, des serres d'acier se sont plantées dans son genou, jusque derrière la rotule. grace s'est courbée en deux. Les doigts de l'hommes se sont enfoncées dans le creux où le genou rencontre le tibia. La douleur était si soudaine, si violente, qu'elle n'a même pas eu la force de hurler."

- Grace et sa fibre maternelle : "Couchée là, sur le ventre, la joue presée contre le plancher, Grace a souri. Réellement souri. Ce n'était pas un sentiment de chaleur maternelle, même si ça en faisait partie. Non, c'était à cause d'un souvenir. Lorsqu'elle était enceinte d'Emma, elle avait dit qu'elle voulait accoucher naturellement, sans l'aide d'une quelconque médication. (...) Aux premières contractions, ils ont foncé à l'hôpital, fin prêts à récolter les fruits de leur dur labeur. Une fois sur place, les contractions sont devenues plus fortes. Ils ont entamé l'exercice de respiration. (...) Tout marchait à merveille jusqu'au moment où... eh bien, où elle a commencé à ressentir la douleur. L'absurdité de leur plan - depuis quand respiration rimait avec analgésie ? - leur est alors apparue dans toute sa splendeur. (...) Et la raison pour laquelle elle souriait maintenant, huit ans après les faits, était que ce jour-là elle avait souffert autant, sinon plus. Elle avait accepté de souffrir. Pour sa fille. Puis, miraculeusement, elle avait bien voulu recommencer pour Max. "

- Eric Wu : "L'Asiatique se déplaçait avec grâce et fluidité, mais en même temps chaque mouvement semblait soigneusement calculé. C'était une étrange combinaison, cette façon de se mouvoir - cela avait quelque chose d'inhumain. Pour le moment, l'homme se tenait à côté de sa voiture, immobile. Son bras s'est soulevé - uniquement le bras -, le reste de sa personne semblait si peu affecté par ce geste qu'on aurait presque cru à une illusion d'optique. Et là leur pare-brise a explosé."

-Les armes : "Grace a fermé la porte de sa chambre en regardant le pistolet que Crash lui avait donné, elle l'avait posé sur le lit, le regardant longuement. Grace avait toujours été contre les armes. Comme toutes les personnes sensées, elle redoutait la présence d'une arme dans un foyer. Mais Crash lui avait dit haut et fort : on avait menacé ses enfants".

- "Un policier mort fait exploser le thermomètre" : "Il était courbé en deux et Wu l'a cogné derrière les jambes. Richardson est tombé à genoux. Utilisant la technique des points de pression, Wu a enfoncé les jointures de ses index de part et d'autre de sa tête, dans la cavité auriculaire sous le cartilage, une zone qu'on appelle le Triple Réchauffeur 17. Il faut trouver le bon angle. Mettez-y de la force et c'est la mort assurée. Tout est affaire de précision. Les yeux de Richardson se sont révulsés. Wu a lâché prise. Le flic est retombé comme un pantin dont on aurait coupé les fils."

- Grace et son art : Jack "allumait son ordinateur tous les matins accueilli par son visage. Car le site comportait un portrait photographique de Grace, au même titre que plusieurs exemples de ses oeuvres. Farley, son agent, avait récemment insisté pour qu'elle inclue sa photo dans tous les supports publicitaires car, selon son expression, elle était à croquer. Grace avait consenti à contrecoeur. Tous les artistes jouaient sur leur physique pour promouvoir leur travail. Sur scène et à l'écran, l'importance du look n'était plus à démontrer. Les écrivains eux-mêmes s'y mettaient, avec leurs portraits retouchés, leurs yeux de braise de prochain prodige de la littérature, leur apparence commerciale. L'univers de Grace - celui de la peinture - avait jusque là échappé au phénomène, la beauté du créateur n'entrant pas en ligne de compte, peut être que la forme contenait en elle le monde physique. Plus maintenant cependant. L'aspect esthétique est certes primordial aux yeux d'un artiste".


harlan coben, juste un regard

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