Titre : Mémoires vives
Auteur : Chester (Participant 3)
Pour : Cornelius (Participant 28)
Fandom : Mythologie égyptienne
Persos/Couple : Bastet
Rating : G
Disclaimer : Domaine public
Prompt : N'importe quoi sur Bastet, vraiment ! Peut-être quelque chose sur la cité de Bubastis, ou sur son côté moitié chatte, moitié lionne (puisqu'après tout c'est un aspect de Sekhmet... J'aime l'idée que, quand elle s'énerve, elle peut faire des gros massacres).
La ville est un curieux mélange de modernité et d’archaïsme. Les hauts immeubles de béton y côtoient les chars traînés par des chevaux efflanqués. Au soleil couchant, les tours se reflètent dans l’eau du canal de Muiz, canalisé par les quais de pierre. Certains bâtiments sont semblables à des milliers d’autres de part le monde, murs anonymes percés de multiples fenêtres, d’autres offrent davantage de concessions à la couleur locale. Sur la promenade le long de la rivière, un chat rêve. Sa fourrure dorée rappelle le sable du désert, le vent ébouriffe légèrement son poil, révélant un dessous crème. L’une de ses pattes trempe dans l’eau, comme s’il pouvait y puiser non de la boisson mais des souvenirs. En s’approchant de plus près, on pourrait distinguer trois boules de poils blotties contre son flanc. On en déduirait aisément qu’il s’agit d’une femelle. En s’approchant davantage encore, on pourrait peut-être voir ses yeux, si elle daignait les ouvrir. Et alors…
Alors un vertige saisit le curieux. Il ne parvient pas à définir la couleur de ces yeux, quelque chose qui lui rappelle à la fois l’eau et le désert, ce grand fleuve qu’on appelle le Nil, peut-être. Il y plonge, s’y noie. Autour de lui ce n’est plus la ville de Zagazig, mais une autre dont l’heure de gloire a rayonné bien longtemps auparavant. Les grecs lui donnaient le nom de Bubastis. Une foule à la peau brune se presse le long du fleuve, débarque des jonques surchargées. Le vin coule à flots. Hommes, femmes, enfants, tous chantent, dansent, rendent hommage à leur déesse. Bastet, déesse musicienne de la joie et de la chaleur du soleil. Déesse aussi de la maison et des femmes qui profitent de l’occasion qui leur est offerte de s’amuser. Nombre de chats déambulent dans les rues, sans crainte : ils sont sacrés. Une nécropole leur a même été consacrée, à l’autre bout de la ville.
Peu à peu, l’ambiance bon enfant s’échauffe, sous l’effet du vin. Des rixes éclatent, des enfants crient. Le ciel s’assombrit. Une femme lance un avertissement, il ne convient pas de gâcher la fête de Bastet. On l’ignore jusqu’à ce que le premier coup de tonnerre retentisse. D’un coup, des trombes d’eau s’abattent sur les fêtards, noyant leur ivresse en même temps que leurs velléités belliqueuses. Le ciel est en colère et ne sont-ce pas des grondements de fauve qui résonnent entre deux éclairs ? Contrits, les hommes se réfugient dans les temples. Ils sortent de leurs tuniques les fleurs, les parfums et les statuettes de terre cuite qu’ils ont apportés avec eux, les posent devant l’autel en priant la déesse de rappeler la redoutable Sekhmet pour redevenir la douce Bastet.
Petit à petit, l’orage s’apaise, le bruit de la pluie se fait chuchotis, ronronnement. Les hommes se relèvent avec timidité, esquissent quelques pas sur les dalles humides. La statue de la déesse brille au soleil, ses yeux peints luisent d’une couleur étrange… Etrange…
Le curieux se réveille. Rien n’a changé, devant lui le canal de Muiz déroule son flot paresseux. La chatte lèche ses petits, indifférente aux bruits de la ville. Mais voilà qu’un gamin s’approche. Il a la peau brune, huit ans peut-être dix, l’âge où l’on se montre volontiers cruel envers les animaux. Il ne quitte pas du regard les petites boules de poil. Oh, quels merveilleux jouets cela ferait ! Au bord de l’eau traînent quelques pierres descellées de la berge. Il en ramasse une et la lance de toutes ses forces en direction de la chatte. « Ouste, déguerpis ! » Cependant le projectile n’atteint jamais son but. Quelque force inconnue l’a déviée vers le canal où il atterrit dans un « plouf » éclatant. Des gouttes d’eau jaillissent, aspergent la fourrure de la chatte dont les yeux semblent grandir en même temps qu’ils se cerclent de noir. Le gamin a peur, à présent. Il voudrait fuir ou du moins s’excuser, mais ses pieds refusent de bouger, sa langue demeure inerte. L’animal qui s’approche de lui à pas chaloupés n’a plus rien d’un inoffensif chat domestique. Sous son pelage sable roulent des muscles puissants, dans sa gueule ouverte luisent des crocs acérés. Un grondement s’échappe de la gorge de la reine du désert, la terrible lionne. L’enfant tombe à genoux, son front vient heurter le sol dans un claquement mat. Il se promet que plus jamais, jamais il ne cherchera à faire du mal à un chat. Lorsqu’il ose relever les yeux, la lionne a disparu. La chatte débarbouille de nouveau ses petits avec le tranquille dédain de qui sait qu’elle ne sera plus dérangée.
Le curieux retourne à sa visite. Demain il doit visiter les ruines de Bubastis. Quant au gamin, en rentrant chez lui, il demandera à sa mère de laisser ce soir-là sur le pas de la porte une soucoupe de lait, pour tous les chats du quartier.