Titre : Il n'y a pas que les courses dans la vie (Partie 1)
Auteur : Dinah (Participant 1)
Pour : Azmé (Participant 18)
Fandom : Oban Star Racers
Persos/Couple : Don Wei/Rick Thunderbolt
Rating : R pour le langage.
Disclaimer : Oban Star Racers est la propriété de Thomas Romain et Savin Yeatman-Eiffel.
Prompt : Que s'est-il vraiment passé entre Don Wei et son poulain, comment l'entraîneur a-t-il réussi à survivre à la perte de sa femme et à abandonner la boisson ?
Notes : Oban n'est pas la meilleure série que j'ai visionnée et ça a même été assez douloureux de revoir les épisodes nécessaires à l'écriture de cette fic, mais le couple en question est assez fun. Un vieux connard avec un beau poseur, ça c'est du duo bien assorti !
***
J'avais tout perdu.
Ma famille, mon amour-propre, tout ce qui faisait de moi un homme heureux. Je n'avais plus que la route et ma carcasse à traîner.
Et c'était ce que je faisais. Assis à la table d'un bar miteux situé en plein dans la Vallée de la mort, je sirotais un alcool de cactus dégueulasse qui me donnait envie de vomir tripes et boyaux. Une chance que j'étais habitué depuis longtemps au goût de ce breuvage, comme la plupart des losers qui traînaient dans le coin. Tout un ramassis de déchets qui comme moi, n'avaient plus leur place dans la société et n'avaient rien trouvé de mieux que de se planquer ici, dans cet endroit pourri loin de tout.
La porte du bar s'ouvrit brusquement. Je levai à peine les yeux, fasciné que j'étais par la contemplation des striures du bois de la table. Puis un bruit lourd de pas se rapprocha de moi, et je sus qu'on voulait me parler. Je maudis cette personne jusqu'à ce que je reconnaisse sa voix.
- Eh, Rick, t'es partant pour une course ?
Je levai les yeux vers Denis, un vieil ami qui m'avait sorti du pétrin bien des fois en me prêtant de quoi m'acheter à manger. Ce n'était pas de la bouffe de palace, quelques rognons dégotés dans des bouis-bouis à peine assez solides pour tenir debout, mais ça calait le ventre et ça me faisait tenir une journée de plus. En souvenir de tous les rogatons qu'il m'avait valu, j'acceptai de bonne grâce.
- Ouais, pourquoi pas. Ça paye bien ?
- Trente mille, à partager entre nous si on remporte la course.
- J'ai pas de quoi mettre les enjeux.
- Pas grave, j'ai négocié avec Hans, le gars d'en face. Il te fait bosser dans son bouge à l'œil pendant un mois, repas offert. Pas mal, hein ? T'es pas totalement perdant si tu la remportes pas.
- Je vais gagner.
Je pensais ce que je disais. Depuis le temps que je participais à ce genre de course entre gars du cru qui n'avaient rien d'autre à faire pour s'amuser, j'avais rarement perdu. Ma fierté à la course était à peu près tout ce qui me restait. Denis disait que j'avais ça dans le sang, mais j'en doutais. S'il y avait quelque chose que je devais avoir dans le sang, ça devait être des litres de cet alcool de cactus.
- On se voit dehors ? J'ai un nouveau petit bijou, tu verras, elle est magnifique.
Je ris de bon cœur avec lui. Pour un paumé de la vie comme nous qu'il était, on trouvait tous que Denis avait un peu trop de fric à dépenser pour son bien. On était deux-trois à se demander quand viendrait le jour où il se ferait tabasser dans un coin pour sa bourse. On posait pas trop de questions dans les environs, mais c'était quand même bizarre, qu'il soit aussi riche (du moins par rapport à nous tous).
- Faudra que tu me dises un jour où tu dégotes tous tes fonds, Den. T'es un millionnaire en planque, ou quoi ?
- Dis pas n'importe quoi, grommela Denis. J'ai juste un peu d'économies, hein, pas de quoi en faire tout un plat.
Denis me fit un sourire bienveillant. Je plaisantais et il le savait : même en regardant de près, il n'avait rien du golden boy qui faisait la une des tabloïds. Une coupe afro, une sale moustache pas très esthétique, un physique de gringalet, c'était Denis : à peine de quoi plaire à une fille pas très gâtée par la nature et sûrement pas l'intelligence pour se faire du fric à la pelle, même s'il lui arrivait de négocier des paris du genre de la course qu'on allait disputer. Son pactole, il devait l'avoir gagné à la loterie ou il l'avait reçu d'une vieille mémé qui lui avait clamsé entre les pattes.
- Fais gaffe quand même, fis-je en secouant la tête. Tes économies là, elles te feront pas que des amis.
- T'inquiète. Je fais attention à mes arrières, et y'a toujours des types comme toi pour me les couvrir.
- Quoi, des gars qui te doivent de l'argent ?
- Non, des braves gars, tu sais, des gars qui ont encore le sens de l'honneur.
- Tu parles.
Malgré tout, ça me faisait un peu plaisir, qu'il ait une si haute opinion de moi. C'était pas une chose très courante dans le coin.
- Je vaux pas un clou. Comme la plupart des mecs ici, d'ailleurs.
- Sympa pour moi. Mais je confirme ce que je dis. Tu vaux plus que la plupart des mecs que j'ai rencontrés, et j'en ai vu pas mal, crois-moi.
- Si tu le dis.
Sans plus de façons, je sortis avec lui. Le patron nous laissa partir sans problème : comme d'habitude, il avait déjà mis les verres que j'avais consommés sur mon ardoise. Si je gagnais cette fichue course, je pourrais la lui régler et peut-être me payer des verres d'avance, qui sait.
Le semblant de bolide qui nous attendait dehors me fit pousser un sifflement admiratif. Denis ne plaisantait pas quand il disait qu'il s'agissait d'un petit bijou. Il avait dû dépenser un paquet rien que dans son châssis.
- Le moteur ?
- Trafiqué par Max, de la Mendes. Il m'a dit qu'il l'avait eue du ferrailleur de la Galactic Motors, un prototype qu'ils ont jamais mis en vente parce qu'il y avait des problèmes avec le liquide de refroidissement. Tu connais Max, quand il a une énigme de mécanique sous le nez, il peut pas s'empêcher de vouloir la résoudre. Il a acheté ça pour une misère et il a passé des mois à le réparer et à faire des modifs. Il m'a dit que maintenant, ça ronronnait mieux qu'une femme en manque.
- T'es sûr de ton coup ? Si la Galactic Motors en voulait pas, c'est qu'il y avait une raison, non ?
- J'suis sûr. Max est pas du genre à refiler un moteur pourri, il a sa fierté.
- Ouais mais est-ce qu'il est doué, au moins ?
Denis éclata de rire.
- Tu plaisantes ? Pourquoi tu crois qu'il a pu dégoter comme ça un projet de la Galactic Motors, tu crois qu'ils sont du genre à vendre leurs merdes à n'importe qui, peut-être ? C'était un de leurs anciens mécanos, l'un des meilleurs en prime.
J'étais perplexe. Je le connaissais de vue, ce Max : c'était une espèce de type à l'âge indéfinissable qui bossait à la Mendes, une station-service paumée à la frontière du désert qui devait avoir un client tous les six mois ou presque.
- Ah ouais ? S'il est aussi doué, qu'est-ce qu'il fout ici au lieu d'être à la ville ?
Denis haussa les épaules.
- Il a ses raisons. Comme toi et moi, mec.
Je ricanais. Ouais, chacun de nous avait ses raisons d'être dans cette décharge à pauvres types qu'était la Vallée de la mort. Une vie de merde, des créanciers aux trousses, une belle-mère à fuir, que sais-je : on était tous dans le même bateau et c'était pour ça qu'on évitait généralement de poser des questions sur le passé des autres. Il n'empêche, j'étais quand même curieux, des fois.
- J'espère qu'il l'a chiadé ce truc, ton Max. J'ai pas envie de finir dans le fossé.
- T'inquiète.
Il aimait bien dire « t'inquiète », Denis. Remarque, dans le coin, il était difficile de tomber plus bas. Je fis craquer mes poings.
- Bon, assez tchatché, on la teste, cette beauté ?
***
En fin de compte, Denis avait eu raison d'avoir confiance en ce Max : le moteur de son racer se révéla d'une puissance et d'une efficacité redoutable. Je pouvais passer les vitesses en un rien de temps, un vrai bonheur. Quand je me mettais au volant, je pouvais presque vrombir avec la machine tant elle était bien ajustée.
- C'est quoi le plan ? criais-je à Hans, mon adversaire, au-dessus du bruit assourdissant de nos moteurs combinés.
On n'était pas seuls : sans doute alléché par la prime, un autre concurrent s'était joint à nous, un gars nommé Berg. Il avait fait monter les enjeux à plus de soixante mille, une fortune en somme. Denis n'avait plus tenu en place. Et ce qui devait arriver arriva : il fit un peu trop le pitre et se planta sur un bout de chaise qui traînait dans un coin. Entorse. Le simple fait de se retrouver dans le racer lui donnait un mal de chien de tous les diables, c'est pourquoi il resta au bercail et se contenta d'attendre les résultats. J'en étais plutôt content, en fait : je pouvais profiter plus à mon aise de sa machine jusqu'à ce que je doive la lui rendre.
En attendant, Hans prenait son temps pour se décider. Je trouvais qu'il ressemblait un peu à Denis dans son genre, sauf qu'au lieu de la moustache il avait un bouc. Il se plaisait aussi à se montrer avec une chaîne sur le torse, un vrai poseur. Mais bon, je ne pouvais pas lui en vouloir pour ça : pour cette occasion, je m'étais fait beau et j'avais mis mon haut le plus propre. J'avais même poussé le luxe jusqu'à piocher dans ma prime future pour acheter une paire de gants en cuir et des lunettes de course teintées. Rien qu'à cause de ça, je devais gagner.
- On va jusqu'au gros Station Motor abandonné et on part de là jusqu'à la Mendes, dit enfin Hans. Y'a toujours un vieux qui traîne là-bas, il nous donnera le départ.
- Ça me va.
Et nous voilà partis, fonçant comme si le départ était déjà donné. Station Motor n'était pas très loin en racer : c'était une ancienne station d'essence abandonnée qui servait de squat aux clodos du coin, le genre de vermines encore plus miteuses que Denis ou moi. Quand j'avais dit qu'on pouvait difficilement tomber plus bas, en fait j'avais oublié les losers qui traînaient là-bas. De vrais déchets, ouais.
Comme Hans nous l'avait dit, il y avait bien un vieux type qui était assis à l'ombre du bâtiment, en train de se descendre une pinte d'alcool bon marché (sans doute de l'alcool de cactus). Il ne ressemblait à rien, ce vieux : de vieilles fripes sur le corps, un sombrero sale près de lui, un sac en lambeaux au pieds, pire qu'une épave. Même à des mètres de lui, je sentais qu'il puait comme un rat mort.
- Eh, vieux schnock, qu'est-ce tu glandes ? m'écriai-je pour le secouer. On a besoin de quelqu'un pour donner le départ.
- J'vous demande pardon ?
Pas mal, il avait encore de la hargne pour un déchet humain. Je souris.
- On fait la course. Mais c'est p'têt pas assez clair pour toi ?
- Ahaha. Tu veux que je donne le départ d'une course ?
Il se mit à rigoler bêtement. Je ne comprenais pas, mais je le laissais faire parce que, eh bien ! Des vieux un peu fous qui se mettaient à rire sans raison, c'était pas ça qui manquait dans le coin. En fait, ça m'amusait même un peu, sans que je sache pourquoi, et je me mis à rire avec lui. Hans devait nous croire fous.
- T'es un sacré numéro, l'vieux.
Et là, ce type se leva d'un air décidé et dit :
- Ok. J'vais l'faire. Mais un conseil : embraye pas aussi rapidement, cette fois.
De quoi parlait-il ? Il me fit un sourire en coin, et je perdis un peu mes moyens. C'était quoi, ce plan ? Je lui aurais bien demandé de m'en dire plus, mais alors Hans cracha dans un coin et se fit plus impatient.
- Bon, on y va ?
J'avais une course à disputer, pas le temps de taper la discute avec des vieux alcolos.
- Ouais.
Nous nous retrouvâmes parqués devant le garage, prêt à bondir dès que le vieux nous aurait donné le signal du départ. Il leva bien haut un mouchoir et l'abaissa d'un coup. Je fonçais.
La course était bien partie : placé au milieu des deux autres, je menais d'une courte tête, mais Hans et Berg me talonnaient de près, ces bâtards. Il fallait que je donne mon maximum.
Au moment d'embrayer, je me souvins tout d'un coup des mots du vieux. En fait, maintenant que j'y pensais, il m'avait fait une forte impression, ce type. Comme s'il savait de quoi il parlait. Un autre génie paumé comme Max de la Mendes ? J'avais l'impression que le coin en regorgeait, c'était bizarre.
- C'est parti, dis-je à voix haute pour me motiver.
J'allais suivre les conseils du vieux, ça ne coûtait rien d'essayer. Au pire, je m'arrangerais avec Denis et Hans si je perdais la course.
***
Je n'y croyais pas moi-même : j'avais gagné, et haut la main avec ça ! Les conseils du vieux avaient porté leurs fruits. J'avais l'impression d'avoir fait quelque chose de bien, pour une fois dans ma vie. Sitôt que j'eus empoché ma part avec Denis et que je lui eus rendu son bolide, je me dépêchais de retourner à Station Motor. Ce vieux devait être un génie de la course. Il fallait que je le retrouve. Il fallait que je sache. Je ne savais pas pourquoi, mais il me fascinait.
Station Motor n'était pas loin, mais à pieds, ça me prit quand même toute une journée. Je n'osais pas demander à Denis de me déposer de peur de me faire charrier : après tout, ce vieux, je ne le connaissais ni d'Ève ni d'Adam, je ne savais même pas son nom. Si ça se trouve, il me chasserait comme un malpropre sitôt qu'il me verrait, mais ça m'était égal, je voulais en savoir plus sur lui. Je voulais qu'il me donne d'autres conseils pour la course. Je ne m'étais pas senti aussi ragaillardi, aussi... vivant depuis très longtemps.
- Encore là ? me fit-il en me voyant débouler sous un soleil de plomb. Et ton bel engin ? Tu l'as perdu ?
- Pas tu tout. J'ai gagné.
- Et alors ?
Il s'enfila une longue gorgée de son breuvage. Je déposai mon sac près de lui et m'assis sans plus de façons dans le sable. Puis, doucement, sans me presser, je sortis ma propre gourde et me mis à boire. J'étais heureux. Le vieux me regarda comme s'il m'était poussé une deuxième tête, puis il finit par hausser les épaules et retourna à sa bouteille.
- J'ai gagné, fis-je avec fierté. Vos conseils étaient super. J'étais si loin devant eux que j'ai eu le temps de me boire un coup en les attendant.
- Menteur, ricana-t-il. Pas avec l'engin que t'avais.
- C'est vrai, admis-je. Comment vous savez ça ?
Le vieux parut pensif un instant, puis il sourit.
- Le bruit du moteur. C'est un prototype qui n'a jamais abouti de la Galactic Motors. Mais c'était quand même pas mal. Le type qui l'a réparé doit être un sacré mécano.
- Vous avez deviné ça juste en l'entendant tourner ?
Cette fois, je ne cachai pas ma surprise. Comment ce type d'allure si misérable pouvait-il en savoir autant ? J'en étais sûr : ce n'était pas un homme ordinaire.
- Ça fait bien longtemps que je n'ai plus discuté de ça avec quelqu'un, grommela-t-il dans sa barbe.
Je me mis à rire.
- Je m'appelle Rick Thunderbolt, fis-je en lui tendant la main.
Il la fixa longtemps. J'avais tout mon temps : qu'il la prenne ou la rejette, j'étais décidé à rester près de ce type jusqu'à ce qu'il m'ait révélé au moins son nom. C'était comme ça : quand quelque chose ou quelqu'un attisait mon intérêt, je ne pouvais m'empêcher de vouloir tout faire pour m'en rapprocher. C'était le cas avec les star racers. Et avec ce type.
- Don Wei, dit-il enfin en prenant ma main tendue et en la serrant. Tu peux m'appeler Don, petit.
***
Qui l'eût cru ? Don, tout comme ce roublard de Denis, n'était pas ce qu'il semblait être au premier abord. Je le croyais doué pour la course, mais en fait, il était bien plus que cela : il avait une passion telle qu'il avait des connaissances dans ce milieu pourtant fermé. Il me traîna jusqu'à la ville la plus proche et à l'aide d'une pièce que je lui prêtai, il appela l'un de ses anciens collègues qui s'empressa de lui envoyer un véhicule pour le ramener au bercail. Je subis tout sans un mot, trop abasourdi par la tournure qu'avaient prises les choses en si peu de temps : notre conduite jusqu'à un hôtel de haut standing que Don régla comptant, sa commande de vêtements de prix au téléphone et la livraison express qui s'ensuivit, leur enfilage après un bon bain et une toilette méticuleuse. Don était méconnaissable : rasé de près, les cheveux gominés et dans un beau costume tout neuf, il ressemblait à un directeur d'entreprise sur le point de conclure un gros contrat. Quant à moi, il me fit quitter mes habits pouilleux pour une tenue qui aurait pu figurer dans un magazine de mode. Je me sentais un autre homme.
- C'est quoi ce bin's ? demandai-je quand j'eus enfin la présence d'esprit de réagir. Qui es-tu vraiment ?
- Je te l'ai dit. Don Wei.
- Oui, mais...
- Tu m'as bien dit que tu t'appelais Rick Thunderbolt, non ? As-tu un lien de parenté avec Gary Thunderbolt de la Thunderbolt&Co ?
J'en ouvris la bouche de surprise.
- Comment...
- Il me semblait bien t'avoir déjà vu. Tu es son fils, n'est-ce pas ? Celui qui a disparu ?
Je détournai les yeux, tout honteux. J'avais pourtant juré de laisser cette partie de ma vie derrière moi, et voilà que Don me la rappelait sans préavis ! Certes, j'utilisais mon vrai nom, mais l'expérience m'avait prouvé que les gens étaient souvent crédules : si je m'appelais ainsi, c'était par simple coïncidence, ou alors j'utilisais un pseudonyme entendu à la radio... Que je fusse le vrai Rick Thunderbolt leur était inimaginable.
- Je ne vois pas de quoi tu parles, fis-je froidement.
- Ça a été un scandale retentissant. Gary Thunderbolt déshérite son fils publiquement avant de se donner la mort. Du jour au lendemain, son fils disparaît et l'entreprise tombe aux mains de l'État.
- La ferme ! hurlai-je. Je ne sais pas de quoi tu parles !
- Sale petit menteur.
Don prit un air féroce.
- Tu es un bon pilote, j'ai pu en juger en te voyant courir. Mais je ne vais pas investir dans un gamin inconscient qui agit sur un coup de tête.
- C'est faux.
- Je n'en sais rien. Personne n'a jamais su pourquoi tu étais parti.
- Mon père me haïssait. Il l'a bien prouvé.
- Tu admets donc que tu es le fils Thunderbolt ?
- Ok ! tonnai-je à nouveau. Je le suis, et alors ? Ça ne me sert absolument à rien pour courir !
- Je veux savoir.
Don se rapprocha lentement de moi, tel un prédateur qui teste sa proie avant de la gober en entier. J'étais pétrifié. Il me fascinait et me terrorisait en même temps, Don. Et pire que tout, je m'aperçus enfin pourquoi : il ressemblait à s'y méprendre à mon père. Non pas son physique, bien sûr : mon père avait été un homme massif, me dépassant d'une bonne tête, alors que Don était presque aussi frêle qu'une jeune fille. J'aurais pu l'assommer sans effort, d'un seul coup de poing. Non, c'était sa personnalité qui me déconcertait : arrogant, sûr de lui, à la limite de la cruauté. Je sentis mes mains trembler. Il me faisait vraiment le même effet que mon père.
- Je t'en prie...
- Dis-le moi, Rick.
Il était si près de moi qu'un seul pas nous aurait collés l'un à l'autre. Je me mis à rire nerveusement.
- Tu veux savoir pourquoi ?
Sans prévenir, sans que je l'eusse moi-même prémédité, je me saisis du col de sa veste et l'attirai vers moi. Le baiser passionné, désespéré que je lui donnai me tira de ma torpeur. Aussitôt horrifié, je le jetai loin de moi et précipitai vers la porte, prêt à fuir loin de toute cette folie.
Je n'en eus pas le temps : la main ferme de Don m'attrapa par l'épaule et il me força à me tourner vers lui.
- Rick !
- Pardon ! m'écriai-je, m'imaginant me retrouver en face de mon père. Je te demande pardon ! Ce n'est pas de ma faute !
Don leva la main pour me donner une claque retentissante. J'en avais besoin : je repris aussitôt mes esprits. Ce n'était pas mon père qui se trouvait devant moi, mais un inconnu que j'avais rencontré il y avait deux jours à peine ! Qu'avais-je fait ? J'avais fui mon ancienne vie, pour me retrouver dans une situation impossible !
- Désolé, dis-je, morose.
- De rien.
Je n'osais pas le regarder en face. Don soupira.
- Tu es...
- Tu as deviné, hein ?
Un long silence se fit.
- Papa l'avait découvert, finis-je par avouer. Mon... inclination n'arrangeait pas ses affaires, alors il a tout fait pour me l'enlever. Il a même essayé de m'envoyer en thérapie. Mais quand il a vu que je ne voulais rien entendre, il m'a déshérité.
- Mais pourquoi s'être suicidé ?
Cette fois, je me tus, car cette partie de mon secret était encore moins avouable que le reste. Pourtant, Don parut comprendre quelque chose puisqu'il ouvrit des yeux ronds et recula d'un pas.
- Tu...
- C'était un homme respectable, mon père. Un homme qui aimait l'ordre et la tradition. Que son fils soit ainsi ? Il ne le supportait pas. Il...
- Ça suffit, me coupa Don d'une voix sèche. C'est tout ce que je voulais savoir.
Je lui jetai un regard surpris.
- Quoi ?
- Tu peux occuper cette chambre, j'en prendrai une autre au besoin si ma présence te gêne. Couche-toi de bonne heure, nous devrons nous lever tôt demain.
- Pour quoi faire ? fis-je, abasourdi.
- Ton entraînement, pardi ! J'ai décidé de devenir ton coach.
- Quoi ? Mais... coach de quoi ?
- De course, cette question ! J'ai décidé de faire de toi un champion de course, et foi de Don Wei, j'y arriverai !
- Mais c'est insensé ! Tu me connais à peine !
- Disons que j'ai un très bon instinct pour reconnaître les champions.
- Et mon père...
- Ça fait partie du passé. On avait une règle d'or, dans la Vallée de la mort, c'était de tirer un trait sur tout ce qui faisait notre passé. Tu as déjà oublié ?
Je baissai les yeux. Non, je n'avais pas oublié, mais ce n'était plus si facile à présent. Don avait déjà réveillé mes anciennes blessures. Je sentais que je devais dire quelques chose.
- Je l'ai tué, murmurai-je. J'ai attendu qu'il soit seul dans son bureau, puis j'ai coupé le système de surveillance et je l'ai poussé par la fenêtre. J'ai pris soin de laisser un mot en imitant son écriture. Je le haïssais.
Ce semblant de confession m'étonna moi-même. Comment allait réagir Don ? Se détournerait-il de moi, horrifié et honteux ?
- Je me fiche de ces idioties, fit Don, impitoyable. Je n'ai que faire d'un meurtrier, tout ce qui m'intéresse, c'est un pilote.
Je ricanai. Évidemment.
- T'es vraiment une ordure.
- Qui se ressemble s'assemble.
Que pouvais-je dire ? Il me tenait, et j'avais dressé moi-même mon bûcher. Cet homme me fascinait, car il représentait à lui seul ce dont j'avais peur.
Mais pas seulement.
- Je ferai de toi le plus grand champion de tous les temps, dit Don avec un sourire cruel sur les lèvres.
- Je te hais.
- C'est faux.
Il se rapprocha de moi, me prit le menton d'un air possessif. Je tremblai bien un peu...
- Tu le sais très bien.
Tout en m'embrassant à pleine bouche, il m'entraîna vers le lit. Je le laissai faire.
C'est ainsi que débuta notre étrange relation.
***
Don tint parole. Il mit à ma disposition les meilleurs mécaniciens et les meilleurs stars racers. Je disputais des compétitions de haut niveau, et grâce à son aide, je les gagnais. Tout était si simple sous sa houlette ! Et chaque soir ou presque, quand l'entraînement ne me réclamait pas, je me glissais dans son lit, soumis, suppliant même. Don me faisait l'amour avec toute la froideur d'un homme d'affaire en pleine réunion de travail, et en bon employé que j'étais, je me pliais à tous ses caprices sans rechigner. Je n'étais pas heureux, mais au moins n'étais-je plus aussi malheureux qu'avant.
Don ne me faisait aucun reproche. Hors de notre couche, nous ne parlions jamais de notre relation. Je n'étais même pas sûr de ce qu'elle était : étions-nous amants, amis avec intérêts, alliés de secrets ? Cette dernière supposition était absurde, car Don n'avait pas secret que j'aurais pu exploiter. Il me tenait entièrement, et si confus que j'étais, je n'étais pas sûr de vouloir m'échapper.
Ces années filèrent en un éclair. Je devins une référence dans le milieu de la course ; le nom de Rick Thunderbolt était vénéré par les amateurs de vitesse. Seule la course comptait à mes yeux. Du haut des tribunes, Don veillait sur moi d'un œil jaloux, lui qui m'avait découvert et lancé. Les écuries Wei Race se développaient avec moi, et pendant longtemps, je crus que c'était ce qui lui importait le plus, à Don. Moi, je n'étais qu'un moyen pour lui d'accéder au sommet ; ni plus, ni moins. Et s'il pouvait jouir de mon corps par-dessus le marché, ce n'en était que mieux, n'est-ce pas ? Ou pensait-il peut-être me faire une faveur ? Un extra en plus des sommes mirobolantes que me rapportaient les courses et les sponsors ?
Ce fut durant cette période que je me tatouais des signes sur les bras, symboles de mon ascension rapide et de mon appartenance à la Wei Race. J'étais la chose de Don, son champion, sa salope en titre. Autant en être fier, n'est-ce pas ? Si la censure ne me permettait pas de le dire tout haut, je pouvais au moins le signaler par mon corps.
La fin de notre relation fut aussi abrupte que le début. Un beau jour, Don me fit venir dans son bureau, seul. Je pensais qu'il voulais m'informer d'une autre course que j'aurais à disputer ; j'étais prêt à le satisfaire de mon mieux. Quelle ne fut pas ma surprise de le voir me tendre un contrat sur lequel je reconnus le sceau de la Galactic Motors !
- Je t'ai vendu à la Galactic Motors, me dit-il d'emblée. Tu commences demain. J'ai déjà fait transférer tes affaires dans les appartements qu'ils t'ont gracieusement donnés.
- Quoi ?
- Ton contrat avec Wei Race prend fin à cette minute. Tu es libre.
- C'est une plaisanterie ? tonnai-je en tapant sur son bureau.
Don ne broncha pas.
- Tu as fait du bon travail durant toutes ces années. Il est temps pour toi de développer ta carrière. Je ne suis pas égoïste : tu as le droit de choisir des écuries qui t'offriront de meilleures opportunités.
- Un choix ? Quel choix ! Tu as tout décidé pour moi !
- Tu préfères rester ?
- Je...
- De toute façon, ce qui est fait est fait. Le contrat est déjà établi, on ne peut pas y revenir sous peine de voir la Wei Race perdre la face.
J'avais envie de le frapper, de le tuer même. De quel droit ? De quel droit se permettait-il de décider de ce que j'allais faire ? Tout ce que nous avions partagé était-il donc si dérisoire à ses yeux ?
- Va-t'en, dit-il sans plus m'adresser le moindre regard. Tu es libre.
Serrant les poings jusqu'au sang, je sortis en trombe du bureau.
Je ne devais plus revoir Don avant trois ans, au moment de la course d'Ôban.
À suivre...
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