Titre : Une goutte de sang après l’autre
Auteur : Festimouche (Participant.e 8)
Pour : Alea Jacta Est (Participant.e 6)
Fandom : Cendrillon
Persos/Couple : Princesse Vociféra/Cendrille
Rating : T
Disclaimer : Domaine public
Prompt : Fic - Contes - Cendrillon
Une réécriture FF du conte, dans une ambiance gothique.
Notes : J’ai respecté l’esthétique gothique, mais pour l’ambiance, je n’en suis pas certaine. Je me suis inspirée de la famille Addams, du jeu vidéo Bayonetta, de Hunger Games, et également de l’animé Grimm Variation. J’espère néanmoins que l’humour et le subtext féministe de cette fanfiction te seront sympathiques. J’ai bossé plusieurs heures dessus donc j’espère que ça valait le coup ^^’
Aussi, je voulais m’excuser pour les fautes qui parsèment sans doute ce texte, je n’ai pas réussi à trouver de bêta-lecteurice dans les temps.
TW masochisme, vampirisme
Il était une fois dans le sombre royaume Vociféra, un roi et une reine qui désespéraient de marier leur fille.
La réputation de la beauté ténébreuse de la princesse n’était plus à faire. Nombreux étaient les princes et chevaliers qui, avides de gloire et de conquête, avaient été introduits auprès d’elle dans l’espoir d’obtenir la clef de son cœur, encouragés par la famille royale prête à tout pour avoir un héritier.
Mais la princesse Pipistrella n’était pas simplement belle. C’était une vampire redoutable aux multiples capacités surnaturelles, héritées du côté de sa mère. Son père, quant à lui, lui avait enseigné tout ce qu’il savait de l’art du combat, que ce soit avec les armes à feu, les armes blanches, ou le corps à corps, en passant par la conduite d’une armée.
Et cela, peu d’hommes étaient capables de l’encaisser. Une telle force, de telles compétences chez une femme, nul prétendant ne parvenait à y l’accepter. Ils déclaraient tous forfait au bout d’un moment, lorsqu’ils réalisaient à quel point elle était meilleure qu’eux, et de loin.
Non pas qu’elle leur demande de se battre en duel contre elle ou quoique ce soit de ce genre, pas du tout. En fait, les rencontres suivaient toutes le même schéma : ils venaient et flattaient sa beauté, sa délicatesse, ils essayaient d’être prévenants et de la traiter comme une petite chose fragile. Puis ils se rendaient compte à quel point elle n’avait pas besoin d’eux, et peu à peu, cela finissait par les rebuter de se sentir trop inutile. Ils lui trouvaient alors tous les défauts de la terre : trop arrogante, trop sûre d’elle, trop autoritaire, trop désinvolte…
Elle était toujours “trop” quelque chose. Même le prince de l’empire Kahun, réputé pour ses invincibles guerriers, n’avait tenu que trois jours avant de se plaindre que la princesse l’avait battu au bras de fer sept fois de suite, qu’elle parlait trop fort et qu’elle portait trop souvent le pantalon. Lui, il voulait seulement une petite femme docile qui savait cuisiner et qui se laisserait porter jusqu’au lit nuptial en rougissant, le visage caché dans l’épaule virile de son époux.
Bon, forcément, ça ne pouvait pas coller.
Dans ce même royaume, il existait bon nombre de jeunes filles fragiles qui savaient faire la cuisine, mais nulle n’était aussi charmante que Cendrille.
En plus d’être à la fois sensible, délicate et gentille, elle était belle comme la nuit, et aussi une cuisinière hors pair. Elle faisait aussi remarquablement le ménage, le repassage, le lavage des sols, le reprisage, le lavage des habits, le nourrissage de la basse-cour, le ramassage des oeufs, le balayage, la traie des vaches, le nettoyage des carreaux, le dépoussiérage des plinthes, et bref, toutes les tâches domestiques dont sa démoniaque belle-mère et ses deux effroyables belle-soeurs la chargeaient.
Cela n’avait pas toujours été le cas, mais malheureusement, Cendrille était porteuse d’une terrible malédiction : elle manquait de chance. Sans doute qu’à la naissance, la sorcière qui s’était penchée sur son berceau avait oublié de lui en fournir.
D’ailleurs cette dernière commençait à culpabiliser, dans sa cabane sinistre au fond de la Forêt Sans Repos. Elle voyait dans son chaudron les divers sévices infligés à Cendrille par sa belle-famille : coups de ceinture, privation alimentaire, nettoyage de la litière du chat…tout ça ne lui plaisait pas beaucoup. Après tout, si quelqu’un se rendait compte qu’elle avait porté la poisse à la petite, sa réputation risquait d’en être ternie et adios la clientèle.
Ni une ni deux, elle réfléchit à un plan qui pourrait résoudre sa malencontreuse situation.
Elle venait à peine d’entrer en méditation qu’on frappa à sa porte.
Le couple royal était affolé. Tous les hommes qu'ils avaient envoyés auprès de leur fille avaient l'égo bien trop fragile. Même les plus vaillants n'avaient pas supporté d'être moins forts qu'une femme et s'étaient vexés en constatant le caractère indépendant de la princesse.
En écoutant le récit de leur malheur, la sorcière ne put s'empêcher de se demander pourquoi la princesse ne faisait pas comme tout le monde, à se forcer un peu. Enfin bon elle n'était peut-être pas très bien placée pour dire ça, vu qu'elle vivait célibataire dans les bois à l'abri des hommes et de leurs désirs…
Avec un soupir, elle leur suggéra de demander directement à la princesse si elle ne préférait pas les filles, ce serait plus simple. Ensuite il serait toujours temps de concocter une potion ou un sort pour qu'elle tombe enceinte. Si elle le désirait.
Bien entendu, les deux parents n’avaient jamais osé aborder le sujet avec leur enfant.
C’est comme cela que la sorcière se retrouva à attendre bêtement dans un boudoir du château pour rencontrer la princesse et avoir une DISCUSSION.
Honnêtement, elle ne savait pas comment ils avaient réussi à la convaincre. Elle détestait les embrouilles familiales, et c’était aussi l’une des raisons pour lesquelles elle s’était réfugiée dans les bois. Elle avait déjà suffisamment de problème à régler, avec Cendrille qui était incapable de se faire un minimum respecter.
Soudain, une chandelle s’alluma dans son esprit. Elle venait d’avoir une idée qui résolverait ses deux soucis à la fois.
La princesse entra sur cet entrefait et la sorcière se leva - parce que même si elle vivait en ermite au fond de la forêt, elle avait conservé ses bonnes manières. Elle tapota le devant de sa robe pour chasser quelques araignées domestiques qui dormaient sur ses genoux, et salua la princesse.
Celle-ci était bien plus belle qu’on le disait : le teint cadavérique, les cheveux longs et brillants, des yeux de biche et la taille aussi fine qu’un asticot, elle correspondait en tous points aux critères de beauté inatteignables que la société imposait aux femmes.
Elle s’assit en face de la sorcière, jambes largement ouvertes, les coudes fermement plantés dans les accoudoirs. Son pantalon en cuir noir grinçait à chaque mouvement.
La sorcière l’aimait déjà. Elle remonta ses lunettes sur son nez et se rassit à son tour.
- Chère princesse, comme vous le savez, vos parents m’ont appelé au secours car vous les désespérez…
- Et moi, vous savez ce qui me désespère ?, rétorqua la princesse Vociféra d’une magnifique voix grave.
La sorcière frissonna, pas entièrement imperméable à son charme vénéneux.
- Eh bien, je m’en doute. C’est pour cela que je suis venue.
Elle se servit du thé, sur la table basse en ébène qui se trouvaient entre elles. Cela sentait le cassis et de rooibos, donnant au liquide sombre des reflets rougeâtres et bruns.
- J’ai dans l’idée que les hommes ne vous plaisent guère…
La princesse grimaça :
- Ce n’est pas qu’il me plaise ou me déplaise, c’est plutôt qu’ils me laissent indifférente. Ils viennent, ils pensent déjà tout savoir, tout comprendre, et dès que je fais preuve d’un peu d’initiative, ça se retourne contre moi. Prenez le prince de Kahun par exemple. Ce n’est pas moi qui ait proposé le bras de fer ! Il a insisté après m’avoir vu aider les bûcherons à couper du bois. Il voulait me prouver qu’il était plus fort que moi. Moi, je suis gentille : je lui ai dis qu’il n’y avait pas besoin, qu’il suffisait qu’on s’entende bien, mais il ne voulait rien entendre. Et après il est venu pleurer que je l’avais battu…
Elle leva les yeux au ciel en soufflant.
- Je vois quel est votre problème, déclara la sorcière. L'idée d'être avec un homme ne vous déplaît pas, mais quand vous en rencontrez en vrai, ils ne vous intéressent pas.
La princesse haussa les épaules, faisant s'agiter les breloques squelette qui y étaient accrochées.
- Je suppose qu'on peut dire ça.
- Mais dans ce cas…avez-vous déjà envisagé de rencontrer des femmes ?, susurra la jeteuse de sorts d'un air sournois.
À ces mots, la princesse rougit jusqu'aux oreilles et sortit en trombe de la pièce en claquant la porte avec fracas, faisant tomber un tableau du mur.
Le roi et la reine sortirent de derrière les rideaux derrière lesquels ils se cachaient, l'air désemparé. Mais la sorcière chassa leur inquiétude d'un geste de la main.
- J'ai la solution, dit-elle en leur tendant une enveloppe grise.
La reine la prit et tira le faire part qui était dedans. C'était une invitation à un bal.
- Rien de mieux qu'un flamboyant bal costumé pour faire de belles rencontres. Et cette fois, ne vous contentez pas d'inviter des garçons. Invitez tout le monde !
Dure journée pour Cendrille, qui, suite à la réception de l’invitation de la princesse, fut forcée de coudre de jolies robes en taffetas à ses deux affreuses belle-soeurs jusqu’à en avoir les doigts en sang. Et comme ce n’était pas suffisant, elle dut également cirer leurs chaussures de bal, astiquer leurs bijoux pour les rendre plus brillants, et finalement les maquiller et les coiffer en les écoutant se plaindre et la rabrouer à la moindre erreur.
A aucun moment elle n’eut l’audace de demander si elle pouvait les accompagner - bien que l’invitation stipule que TOUTE la famille était invitée.
Cendrille aurait bien apprécié se faire humilier en public. La journée avait été difficile, mais pas suffisamment à son goût.
Car ce que la plupart ignorait, c’était que Cendrille adorait sa vie. C’était même elle qui avait demandé à se voir attribuer toutes les tâches les plus ingrates au décès de son père, qui n’appréciait guère ses penchants.
Cendrille était aux anges d’être réveillée tous les matins par un seau d’eau glacée, d’être continuellement rabaissée et maltraitée. Pourquoi se serait-elle laissée faire sinon ? Elle jouissait d’être obligée de se laver à l’eau sale, de ne manger que des miettes et de se faire frapper pour tout ou n’importe quoi.
Au début, sa belle-mère et ses belle-soeurs l’ignoraient alors elle avait tout fait pour que ces dernières la prennent en grippe en se montrant insupportablement aimable. Et puisqu’elles étaient toutes trois cupides, arrogantes et mesquines, la gentillesse n’était pour elles qu’une marque de stupidité.
Elle était heureuse de cette façon. Cela la faisait se sentir meilleure d’expier ainsi sa vie.
Du coup, elle n’avait vraiment aucune envie d’aller au bal de la princesse. C’était une punition qu’elle acceptait volontiers - mais était-ce seulement une punition si elle en tirait de la satisfaction ?
Quoiqu’il en soit, lorsque sa marraine la sorcière apparut, elle trouva Cendrille en train de cirer tous les souliers de la maison.
La sorcière leva les yeux au ciel et lui arracha sa brosse de la main pour la balancer et aider la jeune femme à se lever.
• Qui êtes-vous ?, demanda Cendrille, le regard flou à cause de la fatigue - ses doigts usés étaient rugueux dans la main de la jeteuse de maléfices.
• Je suis ta marraine la sorcière Venduline !, déclara cette dernière. Et je suis là pour te permettre d’aller au bal !
Cendrille secoua la tête :
• Ce n’est pas nécessaire. Je vous remercie de vous inquiéter, mais j’ai encore du travail avant que ma famille ne rentre à la maison.
Elle allait s’écarter lorsque la sorcière l’agrippa fermement par le poignet.
• Je t’ai pas demandé ton avis ! Tu vas aller à ce bal, que tu le veuilles ou non !! Ma réputation est en jeu !
Elle traîna Cendrille dans la cour, sans se soucier de ses récriminations.
• Alors, déjà on va te changer cette robe, décida la sorcière. Ensuite on s’occupera de ton moyen de transport…
• Je peux y aller à pieds vous savez, répondit timidement Cendrille qui commençait à apprécier d’être ainsi malmenée et dirigée.
• Oui oui c’est ça, comme ça ton maquillage aura bien coulé et tes pieds auront triplé de volume, grogna la jeteuse de sorts en l’examinant sous toutes les coutures. T’es abrutie ou tu le fais exprès ?
• Les deux ?, répliqua doucement Cendrille.
La sorcière lui jeta un regard, puis haussa les épaules et sortit une fiole de sa sacoche.
• Bois ça ?
• Est-ce que ça a mauvais goût ?
• Tais-toi et bois, ordonna la sorcière.
Cendrille s’exécuta avec docilité et son visage prit la couleur d’une tomate cerise. Elle tomba à genoux en pleurant, haletant et tentant de s’essuyer la langue avec la manche de sa chemise. La sorcière jeta un coup d’oeil autour d’elle et ramassa une citrouille mûre dans le potager. Elle siffla avec deux doigts et le chien de la maisonnée courut les rejoindre.
Tandis que Cendrille se tordait de douleur sur le sol, la sorcière grava des symboles ésotériques sur la citrouille, puis récita une incantation. Le cucurbitacé et le chien se métamorphosèrent dans une nuage de fumée violette en un magnifique corbillard tiré par un alezan d’un noir de jais.
La sorcière se retourna enfin sur Cendrille, qui se releva d’un bon. Elle portait une robe de soirée moulante couvrant ses pieds comme une toile d’araignée, de la couleur de la cendre, piquetée de multiples grains de lumière. Au premier regard, on pouvait penser qu’elle était d’un gris ennuyeux, mais en fait elle scintillait comme du feldspath.
Ses cheveux étaient coiffés de telle sorte qu’ils formaient deux couettes comme des ailes de chaque côté de sa tête. Les mèches étaient entrelacées de rubans rouges et gris, contrastant joliment avec le blond qui paraissaient presque blanc.
Son bustier laissait apparaître une poitrine avantageuse grâce à un décolleté orné d’une gouttelette de sang en rubis.
Cendrille essaya de marcher et constata que c’était rendu difficile par sa robe fourreau. Elle avait l’impression d’être compressée de partout, grâce au corset. Comme dans une camisole de force.
• J’adore cette robe !, déclara-t-elle, des étoiles dans les yeux.
• Vu le prix qu’elle m’a coûté, ya intérêt, rétorqua la sorcière.
Elle désigna le corbillard.
• Ton carrosse est avancé, alors monte. Je serais ton cocher, alors ne pense même pas à t’échapper.
Emplie d’une excitation jusque là jamais ressentie, Cendrille monta dans le corbillard et prit place sur la sublime banquette en soie blanche.
La sorcière claqua la portière et monta derrière le cheval. Son chignon frissonna comme un nid de serpents, s’allongèrent et ses cheveux l’enrobèrent dans un tourbillon. Le cheval hennit, sentant que quelque chose d’inhabituel se produisait.
Lorsque le tourbillon se dissipa, les cheveux de la sorcière avaient formé de nouveaux habits qui dissimulaient sa silhouette et son visage grâce à une large capuche et une longue cape.
Elle s’empara alors des rênes qu’elle fit claquer dans les airs.
• C’est parti ! Yah !
Le bal avait débuté en fin d’après-midi, à la tombée de la nuit. Le roi et la reine, reconnaissables à leur masque chauve-souris surmonté d’une couronne identifiable, avaient fait un discours avant de s’éclipser, sans présenter la princesse. Ainsi, tous et toutes ignoraient en quoi était travestie Vociféra, et il y avait tellement de monde qu’il était difficile de chercher à la retrouver.
Cela n’empêcha pas certains d’essayer. Vociféra se moquait intérieurement de ces idiots, dissimulée derrière un masque de papillon de nuit et d’une perruque châtain. Une fois n’était pas coutume, elle portait une robe - ce n’était pas qu’elle détestait en porter, mais simplement qu’elle préférait généralement le pantalon.
Sa longue robe portefeuille faisait penser à des ailes de papillon, les reflets du velour évoquant les écailles de celles-ci. La doublure du tissu était cousue de formes d’ocelles rappelant des yeux, qui apparaissaient lorsqu’elle marchait ou faisait des mouvements un peu plus amples.
La musique était agréable, mais elle se sentait seule. Une fois débarrassée de son statut de princesse, il lui apparaissait qu’elle n’intéressait pas grand monde. Sa beauté dégageait une aura, qui bien qu’atténuée par son anonymat, ne faisait que repousser les gens qui avaient peur de lui parler. Lorsqu’elle se mêlait à un groupe, les gens l’ignoraient. Peut-être aurait-elle dû s’imposer, parler d’elle-même, mais elle n’osait pas, de peur de dévoiler son identité. Car si personne ne la reconnaissait, c’était également vrai pour elle aussi, et elle était incapable de discerner les gens qu’elle avait déjà rencontré.
L’idée de ce bal costumé pour l’aider à trouver l’âme soeur lui parut alors encore plus stupide, et frustrée, elle s’éclipsa sur le balcon, où quelques fumeurs lui jetaient des regards en coin sans avoir l’audace de l’aborder.
En contrebas, un corbillard approcha de l’entrée du palais. La princesse regarda l’équipage approcher et se ranger aux côtés des nombreux carrosses et voitures.
La porte du corbillard s’ouvrit d’elle-même et une belle jeune fille descendit. Elle ne portait pas de masque, ce qui intrigua la princesse qui voulut voir son visage pour savoir si elles se connaissaient. Mais le cocher sauta à terre et couvrit prestement le visage de la nouvelle arrivée avec un masque de chauve-souris.
Vociféra grimaça. Nombreux avaient été celles et ceux à faire de même, en honneur de la famille royale - ou, plus grossièrement, pour leur lécher le cul en espérant qu’en montrant leur admiration, ils gagneraient de l’attention.
Elle revînt tout de même vers la salle de bal pour se placer près de l’entrée afin de voir l’arrivée de l’invitée en retard.
Cette dernière pénétra dans la pièce à petits pas de souris, engoncée dans sa robe extra serrée ne laissant rien à l’imagination.
Beaucoup autour d’elle se mirent à chuchoter en dardant sur elle des regards dédaigneux. La fille avait le visage rouge derrière son masque, sûrement gênée. Vociféra aurait presque eu de la peine pour elle. Peut-être n’avait-elle pas choisi sa tenue. Peut-être qu’elle aussi, ses parents l’avaient forcée à être là pour trouver un bon parti.
Soudain sa robe prit feu, sous les cris de terreur des invités.
Lorsque les flammes embrasèrent sa tenue, Cendrille poussa un hoquet de stupeur. La chaleur l’envahit et sentit le plaisir l’envahir à mesure que la température grimpait.
Malheureusement pour elle, l’incendie s’éteignit aussi vite qu’il avait commencé.
Les cendres de sa robe dégoulinèrent le long de sa silhouette, révélant…la pureté virginale d’une robe de mariée blanche.
• Comment ose-t-elle !?, hurla quelqu’un.
Un verre de champagne vola et heurta la tête de Cendrille.
• Qui êtes-vous ? Comment osez-vous !?, s’écria un homme qui l’agrippa par les bras pour la secouer.
• Faites sortir cette femme, elle n’a rien à faire ici !
• Dehors !!!
Quelqu’un la bouscula encore, une autre personne la gifla. Les gens commençaient à se presser contre elle, à lui tirer les cheveux, à l’insulter.
• Par ici, souffla une voix caverneuse.
On lui prit la main et l’entraîna rapidement à l’extérieur. Cendrille gémit, navrée de laisser ses bourreaux trop tôt à son goût, néanmoins la poigne qui la retenait était trop forte et elle fut obligée de suivre le mouvement.
Sa “sauveuse” l’amena dans les jardins, s’enfonçant d’un pas assuré parmi les bosquets afin d’échapper à d’éventuels poursuivants.
• C’était moins une, souffla la femme vêtue en papillon.
• Je le méritais vous savez ?, déclara Cendrille.
Le papillon de nuit haussa les épaules :
• Pourquoi ? C’est un déguisement comme un autre. Et puis c’était divertissant. Comment avez-vous fait pour que la robe s’enflamme ?
• Je n’en sais rien, dit sincèrement Cendrille. J’imagine que c’est de la magie.
• Quoi, tu n’étais pas au courant ?, s’étonna le papillon de nuit.
Cendrille nota le passage au tutoiement, mais n’en fit aucune remarque. Cela ne la dérangeait pas.
• C’est ma marraine qui m’a forcé la main. Personnellement, je n’avais guère envie de me rendre à ce bal. Je n’aime pas m’amuser.
• Comment ça ?
Cendrille fit la moue, et ce faisant, son nez effleura une plume pendant de son masque, ce qui la fit éternuer. Elle retira le masque, et sa compagne eut un petit moment de surprise, mais Cendrille n’y prêta pas attention. Le masque s’était également transformé, ce n’était plus une chauve-souris mais des ailes de colombe.
• Seigneur, c’est d’un mauvais goût, grinça Cendrille.
Le papillon de nuit lui jeta un coup d’oeil interrogatif, aussi Cendrille se sentit obligée d’expliquer :
• Disons que…ce n’est pas comme ça que je me vois. Ce n’est pas ce que j’aime être.
Elle rosit un peu et remit le masque malgré tout, sentant sur elle le regard pesant du papillon.
• Je ne crois pas que je mérite le blanc. Le gris, c’était beaucoup mieux. C’est discret, ça ne fait de mal à personne.
• Alors tu te définirais comme quelqu’un de gentil ?, demanda doucement le papillon.
• Je ne réfléchis pas vraiment en ces termes. Je veux dire que le bien et le mal est une question de point de vue, et le mien est extérieur à tout cela…
• Tellement originaaaal, grommela le papillon. Pourtant tu disais toute à l’heure que tu méritais de te faire lyncher. S’il y a mérite, il y a moralité.
• Pfff, pourquoi je me retrouve à parler philosophie avec une inconnue qui a essayé de jouer les preux chevalière ?, rétorqua Cendrille sur le même ton.
D’un geste rageur, le papillon retira son masque. Cendrille la dévisagea avant de lâcher :
• Oh.
• Oui, oh !, s’agaça le papillon de nuit.
• …..
• C’est tout ce que tu trouves à dire ?
• Non heu, balbutia Cendrille. C’est juste que…hum. Je me disais que j’aimerais que vous me marchiez dessus.
Le papillon eut un mouvement de recul.
• Quoi ??
Cendrille rougit jusqu’aux oreilles. Le papillon était une femme sublime, en plus d’avoir du franc parler, beaucoup de caractère et d’assurance. Jamais Cendrille n’avait rencontré une femme comme elle, et son coeur tambourinait à tout rompre dans sa poitrine.
• Je veux dire…rien ne vous y force, évidemment, je ne voulais pas…
• Pourquoi je ferais ça ??, l’interrompit le papillon d’une voix très rauque.
Cendrille frissonna d’excitation.
• Vous semblez contrariée. Si vous voulez, je peux m’allonger sur le sol pour que vous me piétiniez, je n’y vois aucun inconvénient et ça vous soulagera peut-être.
• N…n’importe quoi !!, protesta le papillon.
Cendrille esquissa son sourire le plus adorable.
• Vous pouvez aussi m’écraser le visage sous votre talon, ça ne me dérange absolument pas. Il parait que mon crâne a une forme parfaite pour ça.
• Que…comment tu peux savoir ça ?
Avec une moue ingénue, Cendrille croisa les bras avant de répondre :
• Je ne peux vous le dire, ça risquerait de leur attirer des problèmes. Si vous ne voulez pas, je ne vous forcerais pas.
Elle fit un geste pour s’éloigner mais le papillon la retînt par le poignet.
• Attends, tu…tu t’appelles comment ?
• Peu importe.
La poigne sur son bras se raffermit. Cendrille remarqua alors les crocs qui commençaient à dépasser des lèvres pleines de sa compagne.
Elle écarquilla les yeux en comprenant enfin à qui elle était en train de parler.
• Si tu refuses de me donner ton nom, alors tu mérites une punition.
Et la princesse plongea dans le cou de Cendrille pour y mordre.
Vociféra n’était pas étrangère à l’attirance. La plupart du temps, celle-ci s’était révélée vaine et décevante.
La princesse était donc réticente à se laisser guider par ce type de sentiment. Pourtant, elle ne pouvait nier que la fille au masque de colombe, dont elle ignorait complètement l’identité, l’attirait indubitablement.
C’était peut-être son comportement bizarre, l’intelligence et la précision de son parler. La beauté aussi de son visage, la sensualité de sa tenue.
Elles n’avaient que peu discuté mais déjà elle piquait l’intérêt de la princesse. Elle voulait se débarrasser de ce désir, et pour se faire, elle choisit un moyen aussi radical que délicieux. Ses crocs s’enfonçant dans la veine, elle aspira avec un plaisir non dissimulé la première gorgée de sang. Le liquide était incroyablement doux sur sa langue, très sirupeux et piquant. Il y avait quelque chose qui fit naître des feux d’artifice derrière ses paupières et elle ouvrit brusquement les yeux.
Sa victime se cambra, offrant davantage sa gorge à la morsure, le souffle languissant. Lorsqu’elle se redressa, Vociféra remarqua que la jeune femme était en pâmoison, chose inhabituelle chez la victime d’un vampire. Celles-ci avaient plutôt tendance à hurler et à s’évanouir.
• Encore…, murmura la colombe tachée de sang.
Le sang qui coulait sur sa peau de lait tomba sur son bustier, et le tissu absorba le sang avidement, s’étalant en une tache de plus en plus large.
• Que…
• Encore !, réclama la colombe en lui empoignant le menton, la mine suppliante.
En temps normal, Vociféra aurait résisté, mais le sang lui picotait encore le bout de la langue comme un bonbon acidulé. Elle s’empressa d’obéir à l’instinct qui la poussait et reprit son repas.
Elle resserra ses bras autour de sa victime qui se renversa contre elle. Elle ne pesait presque rien, aussi légère qu’une plume. Toutefois son sang était lourd dans sa bouche, il rassasiait Vociféra comme jamais elle ne l’avait été.
• Qui es-tu ?, haleta-t-elle en réussissant enfin à se redresser, la tenant encore dans ses bras.
Le regard perdu dans le vide, la colombe lui sourit avec douceur.
• Je ne suis personne.
Elle se pencha et leurs lèvres se rencontrèrent en un baiser chaste et visqueux de sang.
Cendrille était au bord de l’explosion. Son corps n’avait jamais ressenti quelque chose d’aussi puissant. Elle réalisait que tout ce qu’elle avait vécu à présent comme plaisir n’était rien par rapport à ce que la princesse pouvait lui offrir.
Les maltraitances de sa famille n’étaient qu’un faible expédient en comparaison. Lorsque la princesse Vociféra l’avait mordu, elle avait cru s’éteindre sur le champ, comme la flamme d’une bougie que l’on souffle, et cette sensation était parfaite.
Cela lui donnait envie de rire, chose qu’elle n’avait pas fait depuis le décès de son père.
La pensée de son père la ramena quelque peu dans la réalité, et après leur baiser, elle s’écarta de la princesse.
• Je suis désolée, je n’aurais pas dû, chuchota-t-elle en s’inclinant. Vous pouvez me frapper si vous le voulez.
• Oh arrête avec ça, marmonna la princesse en se passant la main dans les cheveux - avant de se rappeler que c’était une perruque, qu’elle retira d’un geste las.
Cendrille évita son regard. Si la princesse apprenait qui elle était, elle…
Incapable de terminer sa pensée, portée par un fort sentiment de peur, Cendrille tourna les talons.
Elle…
Les larmes lui montèrent aux yeux. Cela faisait des années qu’elle n’avait pas versé de vraies larmes. Depuis l’enterrement.
Elle…
Relevant le bas de sa robe, elle se mit à courir. Derrière elle, la bête vampirique la poursuivait, elle entendait le bruit de ses ailes parmi le feuillage. Ce n’était pas ce qui l’effrayait le plus.
Agile, elle sauta par-dessus une haie et traversa un énième bosquet pour déboucher sur la cour où étaient garés les véhicules. Elle fonça vers son corbillard, et tandis que le clocher commençait d’égrener minuit, elle cria à son cocher de partir. C’était la première fois qu’elle donnait un ordre de toute sa vie, et l’urgence dans sa voix agrippa la sorcière par la gorge comme une main de glace. Cette dernière ne posa aucune question et fouetta le cheval vigoureusement, faisant démarrer celui-ci au quart de tour, sous le regard effaré des domestiques qui les entouraient.
La princesse Vociféra déboucha dans la cour et poussa un hurlement de frustration rageuse, retrouvant sa forme humaine en s’effondrant, la tête lui tournant à cause de tout le sang ingurgité.
Ses yeux tombèrent sur le sol souillé de sang. Elle les releva vers la silhouette du corbillard qui s’éloignait à toute allure.
Elle avait une idée pour retrouver sa promise.
“Ça craint !!”, couina Cendrille en tournant en s’arrachant les cheveux.
• Calme-toi, dit la sorcière en se servant du thé, sereine. Certes, tu as foiré dans les grandes largeurs, mais c’est rattrapables…
• Vous ne comprenez pas !, s’exclama Cendrille en se tournant vers sa marraine. Si elle apprend qui je suis…
• Elle t’épouseras et tu deviendras reine ?, présupposa la sorcière en haussant un sourcil.
Cendrille éclata de rire.
• Mais bien sûr ! Qu’est-ce qu’il ne faut pas entendre !
Elle gémit en levant la tête, comme si une solution se trouvait au plafond.
Elles étaient rentrées aussi vite que possible, avant que sonne les 12 coups de minuit - la sorcière avait oublié de la prévenir mais ça tombait bien, car son sortilège prenait fin à minuit. Bref, elle avait retrouvé ses haillons, adieu beau maquillage et jolie coiffure.
Elle n’en voyait que davantage le contraste entre elle et la princesse.
• Elle me décapitera en place publique, et ma famille avec, souffla Cendrille.
La sorcière fronça les sourcils. Elle observa attentivement Cendrille avant de prendre la parole.
• Tu penses qu’elle se vexerait si elle savait qu’en vérité tu sers de bonne à tout faire dans ta propre maison ?
Cendrille lui tourna le dos, les épaules basses.
• Il n’y a rien que je puisse faire pour mériter…, commença-t-elle.
Soudain le bruit de la voiture de sa belle-mère et ses demi-soeurs retentit. Cendrille se retourna, paniquée.
• Il ne faut pas qu’elles vous trouve ici ! Vite, passez par derrière et ne vous faites pas voir !
Elle poussa sa marraine vers la sortie menant à la basse-cour. La sorcière enjamba une barrière, mais se retourna une dernière fois :
• J’ai voulu t’aider, tu sais ? Mais si tu n’es pas prête, je ne peux pas te forcer. Même la magie ne sert à rien pour ça.
Cendrille claqua la porte et s’adossa contre pour s’asseoir par terre. Elle se mordit la lèvre et toucha du bout des doigts la plaie que sa marraine avait pansée sur son cou.
C’était la seule preuve que ce qui était arrivé ce soir était réel.
Une fiole de sang pour chaque fille en âge de se marier. C’était tout ce que la princesse Vociféra réclamait aux familles qui avaient été invitées au bal.
Elle avait bien tenté les affiches avec un portrait de celle qu’elle recherchait, mais les artistes du palais étaient incapables de suivre ses directives - “mais non, plus adorable la bouche ! Et le nez, plus mignon ! Plus bleu les yeux !!”. Donc elle s’était rabattue sur sa première idée, à savoir retrouver ce goût inimitable.
Le roi et la reine était soulagée de la voir s’acharner. Cela ne pouvait qu’être bon signe, même si sa prétendante était une femme, la sorcière avait prétendue pouvoir arranger cela. Leur projet d’héritier était donc en bonne voie.
D’ailleurs, en parlant de la sorcière, ils avaient bien tenté de la contacter pour aider à retrouver la mystérieuse jeune fille, mais la jeteuse de sorts avait laissé un panonceau sur la porte de sa cabane pour signifier qu’elle partait en vacances aux Monts de la Nuée Mordante.
Les fioles parvinrent au palais par centaines, et la princesse passa ses jours et ses nuits sans dormir, à avaler du sang. Ses pouvoirs s’en trouvaient renforcés mais ça ne lui était d’aucune utilité pour l’instant.
Le manque de sommeil la rendait irritable et de plus en plus brusque dans ses réactions. Malgré tout le sang qui lui était parvenu, elle continuait d’avoir faim. Ce n’était pas une faim physique, mais une profonde insatisfaction qui la hantait comme un fantôme, l’empêchant de trouver le repos.
Elle reconnaissait en elle-même une obsession surnaturelle, mais elle était certaine qu’il ne s’agissait pas d’une malédiction, ses pouvoirs la protégeant de ce type d’attaque.
En tout cas, pas d’une malédiction à son encontre.
En désespoir de cause, elle commença à faire des patrouilles sous forme de chauve-souris géante à travers les villes et villages alentour, guettant un indice. Sa proie ne devait pas vivre très loin. Mais le fait que son sang ne lui soit pas parvenu était inquiétant : cela signifiait soit qu’elle se cachait, soit que quelque chose l’empêchait de répondre à son décret. Dans les deux cas, c’était alarmant.
Vociféra se tourmentait l’esprit sur la fuite de sa victime. Elle avait eu l’air d’apprécier leur étreinte, de ne pas être effrayée par ses crocs…et pourtant il y avait quelque chose qui l’avait terrifié au point de s’enfuir au courant.
La princesse avait besoin de savoir pourquoi. Il en allait de sa santé mentale. Si elle connaissait la réponse à cette question, alors peut-être qu’elle pourrait faire le deuil de ce qu’elle commençait à soupçonner d’être le début d’un énorme béguin.
• Ramasse ça !, hurla une voix stridente qui fit grincer les dents de la princesse.
Elle était perchée sur une corniche, surplombant une rue éclairée par les lampadaires. La nuit venait de tomber et elle avait repris sa forme humaine pour se reposer un instant avant de reprendre son inlassable quête de sang magique.
La voix venait de la rue en contrebas, où une fille vêtue d’une robe aux couleurs criardes s’évertuait à frapper une petite silhouette recroquevillée.
En dépit de son ouïe affûtée, la princesse parvenait à peine à entendre la voix de la servante qui s’excusait. Elle ramassait prestement les légumes qu’elle remit dans son panier. Mais alors qu’elle tendait la main vers une pomme de terre tombée au sol, sa maîtresse épingla son poignet sur le trottoir avec son talon et lui donna un coup de pied au visage.
• Tu me dégoûtes !, cria-t-elle avant de s’en aller.
La servante se frotta le visage avec son tablier et s’empressa de la suivre en s’excusant toujours.
Vociféra assista à ce pathétique spectacle avec indifférence. Les gens étaient prêts à tout pour de l’argent. Si cette servante ne se plaisait pas dans cette famille, elle pouvait toujours demander du travail ailleurs - évidemment, la princesse ayant grandi dans un environnement très privilégié, n’avait strictement aucune idée des conditions de vie du petit peuple et de ses difficultés, une chose qu’elle devra apprendre avant de devenir reine.
Et qui de mieux pour le lui enseigner qu’une servante, justement ?
Cendrille suivit passivement sa demi-soeur. Elle saignait du nez et sa main était égratignée, mais cela ne lui procurait plus aucun plaisir. Elle avait connu l’indicible, et ces fioritures l’ennuyaient désormais. Cependant, habituée à obéir, elle continua comme si de rien n’était, espérant vainement qu’elle finirait par retrouver sa joie de vivre après quelque temps.
Il lui était très difficile d’oublier la princesse. Ce n’était pourtant pas le peu dont elles avaient discuté qui avait pu lui faire si forte impression. Mais maintenant que son corps s’était calmé et que ses sensations s’étaient atténuées, elle se surprenait à rêver d’être à nouveau sauvée. Elle rêvait de sa poigne puissante, de son autorité dominante.
Elle avait aimé sa façon rude de parler, son arrogance et sa fougue. Elle avait également aimé l’attention avec laquelle elle l’observait, le souci qu’elle avait semblé éprouver en l’entendant avouer à demi-mots son masochisme et les sévices dont elle était victime - non, pas victime ! Elle refusait de se considérer telle quelle ! Elle était responsable de son destin, c’était elle qui avait choisi d’être maltraitée. Parce qu’elle aimait ça.
Toutefois, lorsqu’elles furent arriver et que sa belle-soeur la roua de coup avant de la balancer dans la cave pour nettoyer l’inondation de ces deux derniers jours - il avait beaucoup plû - Cendrille ne ressentit pas la satisfaction qui l’habitait normalement à effectuer les tâches les plus ingrates.
A la place, elle eut envie de pleurer.
Une effluve parvînt aux narines de Vociféra lorsqu’elle atterrit dans la rue. Genou plié, elle se pencha vers les quelques gouttes de sang qui tachait le sol. Elle essuya avec son doigt et sans se préoccuper du regard d’autrui, le porta à sa bouche.
• Je te tiens, siffla-t-elle avec bonne humeur.
Elle s’envola à nouveau et activa un sortilège de pistage. Celui-ci lui indiqua la chemin à suivre parmi les nombreuses maisons de ce petit bourg, l’amenant devant une vaste demeure en haut d’une colline.
S’enveloppant dans sa cape pour se protéger de la pluie, elle frappa énergiquement à la porte avec le heurtoir en forme d’oiseau.
Un domestique ouvrit la porte et elle lui montra sa broche chauve-souris sans un mot.
Le majordome eut un hoquet de surprise et s'empressa de la faire entrer, avant de l'introduire dans le petit salon et d'ordonner à une servante de lui servir à boire tandis qu'il prévenait la maîtresse de maison, dame Colombelle.
Cette dernière rejoignit Vociféra, en compagnie de ses deux filles qui se présentèrent élégamment l'une après l'autre - et la princesse reconnue l'une d'elle comme étant la sadique qui écrabouillait les mains de ses employées.
D'un seul coup d'oeil, elle sut que le sang magique ne lui appartenait pas, toutefois elle demanda à la goûter.
Le marjordome apporta une aiguille et la jeune femme se piqua le doigt avec un petit geignement de douleur - encore une preuve qu'il ne s'agissait pas de la proie que recherchait Vociféra; quand elle l'avait mordu, sa victime n'avait émis qu'un soupir apaisé.
Elle prit le doigt et le pressa au-dessus de sa bouche. Une goutte suffit pour lui permettre de se faire une idée : riche, sucrée, fluide et équilibré. Pas du tout le doux nectar qu'elle recherchait.
Il lui fallait trouver la servante, donc.
• Que toutes les femmes de la maison, sans exception, me fasse don d'une goutte de leur sang, ordonna la princesse en relâchant la main de fille. J'ai grand soif.
Après avoir épongé toute la cave, Cendrille remonta péniblement les marches. Elle était éreintée.
Quelle ne fut pas sa surprise en constatant l'effervescence dans laquelle elle trouva la maisonnée.
• La princesse Vociféra est dans nos murs ! Elle veut notre sang à toutes !!, l'informa une des domestiques, entre peur et excitation.
Le sang de Cendrille se figea dans ses veines.
Si la princesse découvrait qui elle était vraiment…
Son réflexe fut de courir. Elle lâcha ses ustensiles, dont le seau qui répandit son contenu sur le carrelage, et s'enfuit sans un regard en arrière.
Bien qu'engourdie par sa consommation de sang en grande quantité, la princesse n'eut aucun mal à percevoir les pas rapides d'une personne qui prend la fuite. Elle se leva d'un bond de son siège et tout le monde recula comme un seul homme.
Elle se précipita à la fenêtre, qu'elle ouvrit en grand, et sans un regard en arrière, elle sauta.
La pluie tombait dru et Cendrille ne savait pas où aller. Elle pensa un temps se cacher dans les écuries mais c'était trop proche, le princesse avait bien réussie à la traquer jusqu'à sa propre demeure, la retrouver dans les écuries serait un jeu d'enfant pour elle.
Elle prit la direction de la forêt, que l'on appelait, non sans raison, la Forêt Sans Repos.
C'était un endroit dangereux pour qui s'éloignait des sentiers battus. Et c'était exactement ce que Cendrille était en train de faire.
Elle savait qu'elle ne devrait pas. Son père était parti dans cette forêt avec elle une fois. Elle avait essayé de lui expliquer combien elle se sentait mal depuis qu'il s'était remarié, et elle l'avait énervé. Il l'avait accusé de préférer le malheur au bonheur. Puis il avait quitté le sentier, l'abandonnant au milieu du chemin, et on avait retrouvé son corps à moitié dévoré quelques jours plus tard tandis qu'elle était rentrée sagement à la maison sans une égratignure.
Peut-être que c'était son destin de revenir dans ces bois après tout…
A cause de la pluie, Vociféra préféra conserver sa forme humaine car sa vision était bien meilleure. Elle avait aperçu une silhouette s'engouffrer dans la forêt.
Confiante en sa capacité à terrasser toute créature se dressant sur son chemin, elle pénétra à sa suite dans les bois.
L'atmosphère y était lourde, ancienne. La frondaison des arbres cachait le ciel, ajoutant davantage à l'oppression du lieu, mais la végétation phosphorescente qui poussait par ici permettait néanmoins de se diriger.
Au bout de 500 mètres à suivre les traces de pas dans la boue et les branches cassées, un rugissement sourd retentit devant elle.
La princesse n'écouta que son courage et se précipita au devant du danger…
Et percuta de plein fouet Cendrille qui fuyait dans la direction opposée au bruit.
• Je te tiens enfin !, triompha Vociféra.
Cendrille tenta de lui échapper mais la princesse resserra sa prise autour de ses hanches.
• Il y a un énorme monstre !, haleta Cendrille. Ce n'est pas le moment de…
• Je m'en moque. C'est MON moment et je refuse de le gâcher, susurra la princesse.
Elle l'enveloppa de sa cape, et l'entraîna à nouveau sur le sentier.
À quelques pas de là, un ours à queue de scorpion et trompe d'éléphant fut entouré d'un tourbillon de cheveux et la sorcière Venduline retrouva sa forme habituelle. Elle bailla et tourna les talons, considérant en avoir assez fait. La balle était dans leur camp à présent.
Cendrille se mit à sangloter comme une enfant perdue. Vociféra ignorait quel en était la raison et se trouvait bien désemparée devant cette réaction inattendue.
• Tu…tu devrais t'asseoir, proposa-t-elle.
Cendrille vagit de plus belle et s'accrocha à sa cape, l'arrosant de plus belle. Vociféra n'eut pas le choix, il fallait qu'elle prenne le taureau par les cornes. Elle l'enlaça et lui caressa le dos.
• Allons, qu'est-ce qui ne va pas ? Je te fais si peur que ça ?
• Non !!!, s'écria aussitôt Cendrille. C'est juste…tu…vous…vous devez être tellement déçue !
• C'est vrai, acquiesça la princesse. Je suis déçue que tu n'ais pas obéi à mon décret. J'avais dis TOUTES les jeunes filles.
• Mais je ne voulais pas…que tu découvres qui je suis, protesta Cendrille dont les larmes se tarissaient enfin.
• En vérité, je ne sais toujours pas qui tu es, nota la princesse. Ce qui est parfaitement injuste, tu ne trouves pas ?
L'humour dans sa voix sembla calmer davantage Cendrille, qui s'essuya en reniflant.
• Puisque c'est trop tard…je m'appelle Cendrille Colombelle, et vraiment, je suis tout sauf une prétendante raisonnable pour le trône.
Vociféra lui prit la main et la porta à ses lèvres en souriant. Elle lécha délicatement l'égratignure encore sanglante sur le dessus de sa main et Cendrille rougit jusqu’aux oreilles, oubliant momentanément comment parler.
• Ça tombe bien, ce n'est pas une prétendante au trône que je cherche. Juste une fille bizarre qui m'a tapé dans l'oeil dès notre première rencontre.
Cendrille s'étrangla. Elle retrouva sa voix et marmonna :
• Et c'est MOI qui suis bizarre ? Qui tombe amoureux dès le premier rendez-vous ?
• Eh bien je te propose que nous en ayons un second afin de confirmer la chose, susurra la princesse.
La pression de sa main sur celle de Cendrille se fit un peu plus forte.
• Et puis dois-je te rappeler que c'est toi qui m'a embrassé la première ?
• Parce que tu m'avais mordue !, se défendit Cendrille.
Vociféra éclata d'un rire rauque et joyeux.
• C'est la pire excuse que j'ai jamais entendu. Mais je crois bien que ça me plaît que mes morsures aient cet effet là sur toi…
• Pas que les morsures, bougonna Cendrille tout bas.
La princesse rit à nouveau et la serra contre elle.
Un couple de chauve-souris les observait depuis une branche. Elles se regardèrent et prirent leur envol d'un commun accord, laissant les deux tourterelles faire plus amples connaissance