Titre : Au bord du précipice
Auteur : Alegría (Participant.e 9)
Pour : L'esprit de l'eau (Participant.e 5)
Fandom : SWTOR
Persos/Couple : Lana/l’Étrangère, Theron
Rating : K
Disclaimer : SWTOR appartient à Bioware et Star Wars à Georges Lucas et aux studios Disney
Prompt : Garder le cap. L’Étrangère (Chevalier ou Jedi Consulaire, côté Lumineux) revient de l’emprise d’Arcann dans un monde ravagé par une guerre qu’elle n’a pas pu arrêter. Dépassée par les changements subis dans la Galaxie, par son impuissance face à Arcann, face à l’influence grandissante de Valkorion dans sa tête, elle se replie sur elle-même/se jette dans la mêlée et fait des choix qui la mènent progressivement vers le Côté Obscur, au grand désarroi de Lana (sa compagne ? ex-compagne ? leur relation était-elle ambiguë ? A toi de décider !) Comment est-ce que Lana réagit face à ce plongeon, elle qui a toujours baigné dans le côté obscur malgré sa dévotion envers le bien commun de leur œuvre ? Comment leur relation personnelle et professionnelle se développe-t-elle ? L’Étrangère parvient-elle à conserver ses amis ou la rupture est-elle inévitable ? J’adore l’exploration des traumatismes et les conséquences sur la psyché des personnages alors n’hésite pas à jouer dessus !
Assise dans l’ombre, d’abord pour rester à l’abri d’éventuels regards inquisiteurs et ensuite par principe et par habitude, Lana observait attentivement la cantina, et l’une de ses occupants en particulier quand Theron se glissa à côté d’elle, assez silencieusement même pour l’impressionner. Il n’avait vraiment pas envie qu’elle échappe à cette conversation, ce qui voulait dire que Lana était à peu près sûre d’en connaître le sujet.
-Tu ne la trouves pas changée ?
Lana hocha sombrement la tête. Bien sûr, elle savait exactement de qui Theron voulait parler, et elle ne s’était pas trompée en pariant sur le sujet de la conversation. Shakesh Nu était le centre de l’attention générale ce soir, tout le monde semblait vouloir lui parler et obtenir un mot d’elle. C’était l’Étrangère, leur héroïne, la figure de proue qu’ils avaient imaginé pour se dresser contre l’Empire Éternel et enfin réunir autour d’elle les différents mouvements de rébellion qui n’aboutissaient à rien depuis le début. Mais même avec tout ce monde autour d’elle, Shakesh sentit quand même le regard de Lana sur elle et prit une seconde pour se tourner dans leur direction et leur sourire, avant de se remettre à écouter attentivement son interlocuteur.
Ce sourire ne ressemblait en rien à ceux dont se souvenait Lana, et c’était forcément la même chose pour Theron. Lana n’avait même pas besoin de lui répondre, et pourtant, il faudrait bien qu’elle accepte de dire les choses à voix haute.
Shakesh n’avait pas changé. Elle avait changé.
Physiquement, c’était toujours la même femme, telle que Lana l’avait vue à leur dernière séparation, sur Yavin 4 après la mort supposée de l’Empereur. La coiffure, extrêmement alambiquée, qui disparaissait sous son manteau brun de Jedi et où jamais ne dépassait une mèche rebelle, au point que Theron soupçonnait qu’elle utilisait la Force pour la maintenir en place, et Lana n’était pas loin de penser de même. La robe, décorée des mêmes broderies de fil doré récitant des mantras jedi. Le visage, sans une seule des petites rides que Lana et Theron avaient collectionnées durant les cinq années écoulées depuis sa disparition. Ou peut être qu’il y en avait, sous le masque d’os sculpté et patiné qui cachait l’absence d’yeux dans son visage de Miraluka.
Si. Lana voyait quand même une différence, infime, peut être, mais terriblement parlante. Il s’agissait du sabre laser que Shakesh portait à sa ceinture, après avoir proclamé qu’elle réprouvait le fait de se présenter en tant que Jedi, garant de la paix, tout en affichant une posture aussi agressive. Mais en dehors de ce détail, et d’un petit éclat d’os manquant sur son masque, elle était identique à la dernière image qu’en avait gardé Lana. Pour un observateur inattentif, cela aurait suffit à se rassurer.
Malheureusement, Lana et Theron étaient des espions. Avec ou sans la Force, ils étaient entraînés à découvrir et interpréter le moindre changement chez un ami ou un ennemi, et la liste des changements que Lana décelait était bien trop longue à son goût.
Son sourire, d’abord, était tendu et manquait cruellement de naturel. C’était celui que maître Nu arborait sur les holos officiels, chaque fois que la République ou l’ordre jedi décidait d’ attribuer une récompense de plus à la Barsen’thor en vertu de ses innombrables exploits. Ce sourire disait qu’elle ne voulait pas être là mais qu’elle acceptait d’offrir à tous le visage qu’on attendait d’elle. C’était le visage de Shakesh Nu quand elle sacrifiait toute sa personne à la galaxie. Qu’elle l’offre à contempler à tous ces convertis à sa cause de plus ou moins fraîche date, c’était une chose. Qu’il ne change pas pour Theron, et surtout pour Lana, c’en était une autre.
Ensuite, il y avait sa posture, gardée, comme si Shakesh était entourée d’ennemis. Elle ne l’avait pas vu adopter cette posture même au plein cœur d’un assaut, à part pendant la débâcle sur Zios, qui donnait encore des cauchemars à Lana. Et si Shakesh ne jetait pas des coups d’œils frénétiques dans toute la pièce, puisqu’elle ne voyait pas, elle penchait souvent la tête sur le côté, comme si elle cherchait à surprendre un mouvement ennemi.
Même sa manière de parler interpelait Lana. Shakesh Nu avait toujours pris le plus grand soin à peser ses mots, une déformation professionnelle que Lana partageait, mais là où Lana reconnaissait sans peine qu’elle s’exprimait avec une froideur clinique, Shakesh s’efforçait toujours de mettre de la chaleur dans sa voix. Quand Lana le lui avait fait remarquer, Shakesh lui avait expliqué qu’elle essayait ainsi de contrebalancer tant la crainte qu’instillait les Jedi chez certains que le malaise déclenché bien malgré eux par le visage sans yeux des Miraluka.
Tout un faisceau d’évidences indiquant un changement profond chez Shakesh. Et ce n’était que les indices physiques d’un changement que Lana venait de lister mentalement. S’il fallait aborder la question des changements dans ses actes...
-Lana ?, insista Theron.
Lana soupira, et vida son verre avant de donner à Theron la réponse qu’il attendait.
-Oui. Elle a changé.
Elle doutait que Theron se satisfasse d’une réponse aussi concise, mais elle n’était pas d’humeur à lui en donner une autre, et elle ne trahirait pas le secret que Shakesh lui avait confié, même si elle crevait d’envie de déballer toutes ses craintes devant quelqu’un. Theron n’était pas doté de la Force. Il ne comprendrait pas ce que Shakesh vivait. La Jedi en parlerait à Theron quand elle serait prête, comme elle l’avait fait avec Lana. Tout ce que Lana espérait, c’est qu’elle s’en charge rapidement. Ils avaient besoin de garder la tête froide pour organiser leur Alliance naissance, pas de paniquer à l’idée que la Jedi la plus puissante des dernières décennies aient l’empereur sith qu’ils avaient eu tant de mal à détruire coincé dans un coin de la tête, mais il fallait quand même qu’ils adaptent leurs plans en tenant compte de ce nouveau facteur.
Comme Lana s’y attendait Theron grimaça devant sa réponse qui n’en était pas une et ne lâcha pas l’affaire. À la place, il remplit leurs deux verres et avala quelques gorgées à peine avant de reposer son verre. Lana l’imita. Elle n’avait pas bu de la soirée et n’avait pas le cœur à ça.
-Et bien, je suppose qu’on ne peut pas passer cinq ans dans la carbonite sans en sortir un peu changé. Nous avons tous changé ces cinq dernières années.
Lana manqua s’étrangler. Être hanté par l’empereur était un changement de taille, mais elle ne pouvait pas dire ça à voit haute. Pour donner le change avant que Theron ne se demande ce qu’elle lui cachait, elle leva un sourcil moqueur.
-Vraiment ? Pourquoi alors garder cette ignoble veste ?
-C’est sentimental, et ne croit pas que je ne te vois pas essayer de changer de sujet. Il y a quelque chose d’anormal là-dedans. On serait tous ronchon en sortant de cinq ans d’animation suspendue pour découvrir une galaxie entièrement changée, une République et un Empire dévasté, sans compter qu’elle a été utilisé comme épouvantail et comme étendard par deux factions différentes, comme si elle n’avait pas suffisamment subi ça de la part de l’ordre jedi et de la République. Mais Maître Nu a toujours été reine dans l’art d’avaler les larves qu’on lui présente à manger.
Lana retroussa le bout de ses lèvres.
-Charmante métaphore.
-Mais appropriée, pas vrai ? Quand il faut une figure de proue, c’est toujours elle qu’on va chercher, et nous en sommes tous deux les premiers coupables. Quoi qu’il en soit, je comprend son attitude, mais l’espionnage et le renseignement est notre domaine à tous les deux, Lana. On sait que quelque chose ne va pas et tu en sais plus que moi à ce sujet, c’est évident. Après tout, ça ne fait que quelques heures que je l’observe alors qu’il s’est passé quoi, un mois, un mois et demi depuis que tu l’as sortie de la Flèche de Zakel. Alors ?
La Force emporte les espions trop perspicaces. Lana le foudroya du regard, sans que Theron ne soit déstabilisé. Il y avait longtemps qu’elle ne l’impressionnait plus, ce en quoi il avait tort. Au lieu de se rappeler qu’il avait affaire à une Seigneur Sith et de trembler, Theron leva les bras et les yeux au ciel. Un de ces jours, Lana ferait bien de l’étrangler quelques minutes, juste par principe.
-Sith ou Jedi, vous êtes bien les mêmes toutes les deux. La communication, ce n’est pas votre fort.
-Et c’est un champion en la matière qui en parle.
-C’est ce qui me permet de critiquer. Elle m’inquiète, Lana.
Malgré elle, Lana jeta un coup d’œil vers Shakesh. Celle-ci semblait refluer peu à peu dans l’angle de la pièce afin de se faire oublier dans les recoins d’ombre.
-Oui, moi aussi, finit-elle par reconnaître à contrecœur.
Theron soupira et se passa la main dans les cheveux en cachant mal sa frustration.
-Parle-lui.
Lana se redressa de toute sa hauteur.
-Je suis une Seigneur Sith, pas ton intermédiaire. Tu connaît Shakesh depuis plus longtemps que moi, assez pour pouvoir t’adresser directement à elle si tu en as besoin.
-Mais je ne peux pas l’atteindre aussi facilement que toi. Vous vous étiez quasiment promise l’une à l’autre, avant que tout ne s’effondre dans la galaxie et qu’elle ne disparaisse. Ne le nie pas, je l’ai entendu de ta bouche, même si je suis sûr que tu regrette d’avoir partagé ce détail. Vous avez partagé toutes les deux des choses dont je n’ai pas idée, et ça me va très bien comme ça, merci. Alors non, avoir travaillé étroitement ensemble n’est rien à l’aune de ce que tu partage avec elle, et si quelqu’un peut la faire parler et l’aider, c’est toi, pas moi.
-Tu te trompes. C’est de ce que je partageais avec elle qu’il conviendrait de parler.
-Partageais… Tu veux dire que vous n’êtes plus…
Il s’arrêta, à court de mots. Lana leva les yeux au ciel. La dernière chose dont elle avait besoin était de parler de sa vie amoureuse avec quelqu’un d’aussi émotionnellement constipé que Theron Shan.
Du coin de l’œil, elle surprit un mouvement dans le coin de la pièce où Shakesh s’était réfugiée. Lana se leva, vida ce qu’il restait de son verre et le reposa.
-Si je savais ce que nous étions, tu en serais le premier informé pour le bon fonctionnement de cette alliance, Theron. Je te souhaite bonne nuit. On se voit demain pour planifier le prochain mouvement contre Arcann et l’Empire Éternel, et si j’entends la moindre allusion à ma vie amoureuse, je te pends par les pieds au sommet de la Flèche et je laisse Vaylin te trouver.
Le bruit bruyant de déglutition de Theron lui remit du baume au cœur. Lana quitta la pièce grandes enjambées en dégageant une aura si désagréable que même les plus saouls des rebelles présents n’osèrent pas venir l’aborder.
Shakesh était déjà hors de vue quand Lana sortit de la cantina. Frustrée, elle se plaça au bord de la plateforme, au-dessus des épaisses forêts d’Odessen, inspira une grande goulée d’air frais et se força à inspirer profondément.
La paix est un mensonge, il n’y a que la passion. L’Empire et la République s’étaient cru en paix intérieure, à défaut d’avoir fait la paix entre eux, avant qu’Arcann ne leur tombe dessus comme un chien enragé. Devant leur conquête, ils étaient restés amorphes, au lieu de laisser leur passion les brûler et les porter. Pas Lana. Elle n’avait jamais été faible. Tous ceux qui avaient confondu son calme avec de la faiblesse pourraient en témoigner, mais la plupart étaient morts.
Par la passion j’ai la puissance. La puissance de rester debout, la puissance de dire non, la puissance de pénétrer au cœur de l’Empire Éternel et de leur arracher celle qu’elle aimait, même cachée dans la plus imprenable des prisons.
Par la puissance, j’ai le pouvoir. Le pouvoir de déchaîner l’énorme pouvoir de la Barsen'thor sur ce même Empire Éternel qui la lui avait arraché. Lana était puissante dans la Force, mais son pouvoir faiblissait face à celui de Shakesh, qui pouvait survivre après avoir été empalée par le sabre d’Arcann. L’esprit de Lana conjugué à la puissance de Shakesh pouvaient détruire des empires, si elles s’en donnaient la peine.
Par le pouvoir, j’ai la victoire. La victoire, et la vengeance. On ne prenait pas à Lana Beniko tout ce à quoi elle tenait sans en payer le prix au centuple. Elle restait une Sith. Déterminée, pragmatique, réfléchie, mais une Sith quand même.
Par la victoire, je brise mes chaînes. Les siennes, et celles de ce qui restait de l’Empire sith. Il restait encore dans la galaxie assez de seigneurs noirs qui avaient assez de passion pour se dresser avec elle contre Arcann et Vaylin, une fois que Lana leur aurait prouvé que l’Alliance avait la puissance et le pouvoir d’y parvenir, pourvu qu’ils reçoivent suffisamment de soutien. Après le reste de la galaxie, c’est Zaketh qui brûlerait.
La Force me libérera.
Alors pourquoi se sentait-elle si vide ?
-Je me suis toujours demandée comment tu pouvais te sentir apaisée après une méditation qui t’entraîne aussi loin dans le côté obscur.
Lana se retourna vers Shakesh. Elle ne l’avait pas entendu approcher. Habituellement, c’était difficile de ne pas sentir une lumière comme la sienne. Mais à présent, cette lumière était comme étouffée. Bien sûr, Lana n’allait pas dire ça à Theron. L’idiot paniquerait, comme si la puissance de Shakesh était intrinsèquement liée au côté lumineux. Lana savait qu’il n’en était rien, mais…
-J’entends un « mais » dans ta phrase, reprit-elle à voix haute.
La tête de Shakesh se tourna vers le haut, faisant glisser la capuche de son manteau de Jedi. Lana s’était habituée à l’étrangeté de son visage de Miraluka, mais elle détestait pouvoir si difficilement décrypter ses pensées, même avec la Force.
-Aujourd’hui, cela me semble terriblement facile à comprendre.
Le cœur de Lana sauta un battement. Pendant un instant, il lui sembla voir Shakesh faire un pas en avant, rester en équilibre au-dessus du vide l’espace d’un clignement d’œil, puis sombrer dans une obscurité qui n’avait rien à voir avec celle des bois sombres d’Odessen, puis l’image se dissipa. Lana se secoua mentalement, mais l’impression de malaise persista.
Elle examina plus attentivement sa compagne. Shakesh avait l’air sereine, plus que durant ces dernières semaines, mais elle ne pouvait pas tromper Lana. Pendant des années, elle avait cru le calme de la Jedi absolument incassable, mais à présent, c’était comme une eau calme faussement trompeuse qui cachait mal le torrent déchaîné dans ses profondeurs. Elle voulut dire quelque chose, mais avant qu’elle ait pu réunir ses esprits et ses mots, un groupe de mécaniciens passa non loin d’elles en riant bruyamment, puis Theron sortit à son tour de la cantina, regarda tout autour de lui, puis leva les yeux en l’air et les repéra immédiatement. Il avait l’habitude de travailler avec des Jedis. Quand il les eut repéré, il leva un pouce en direction de Lana. Elle se retint de lui faire un geste grossier en réponse. C’était immature, mais Theron réveillait certaines réactions un peu infantiles en elle, comme l’envie de tirer la langue chaque fois que Shakesh favorisait une de ses idées par rapport à celles de l’espion. Theron secoua la tête avec amusement puis disparut à l’intérieur d’un bâtiment.
-Allons ailleurs, proposa-t-elle à Shakesh.
-Pourquoi ? Je n’ai rien à cacher. Je n’ai jamais rien eu à cacher.
Si c’était vrai, pourquoi cette note de désespoir dans sa voix ?
-Allons ailleurs, répéta-t-elle d’une voix qui ne donnait pas à Shakesh le droit de refuser.
Au lieu de bouger, celle-ci resta quand même au bord du vide, à contempler l’obscurité absolue qui constituait le seul horizon des Miraluka. Lana ne put retenir un soupir d’agacement.
-On t’a déjà réservé une chambre. Il va bien falloir que tu l’utilises. Même la Barsen’thor de l’ordre jedi ne peut vivre d’air pur et de méditation.
-Je ne suis plus la Barsen’thor, et il n’y a plus d’ordre jedi.
Lana lui jeta un regard où l’incrédulité devait se le disputer à la colère. Où était la Jedi à l’esprit déterminé, la femme qui gardait toujours une réserve d’espoir à partager avec les autres, même dans les pires circonstances ? Il n’y avait plus d’ordre jedi, mais seulement comme il n’y avait plus d’ordre sith. Les lâches et les faibles étaient restés, obéissants au moindre ordre du Trône Éternel dans l’espoir de récupérer quelques miettes de pouvoir, mais leurs idéaux survivaient dans chacun de leurs membres encore debout et prêt à se battre.
La Force me libérera.
-Donne moi une bonne raison de ne pas te traîner jusqu’à ta chambre, menaça-t-elle Shakesh.
Jadis, celle-ci lui aurait adressé un sourire en coin et demandé si elle comptait vraiment tenir sa promesse et si elle allait aussi la mettre au lit. La première fois que Lana avait découvert que la toujours très apprêtée Jedi était capable de faire des allusions graveleuses - enfin, graveleuses pour une Jedi qui collait au plus prêt aux préceptes de l’ordre - elle en était restée comme deux ronds de flanc, pendant que Shakesh s’éloignait, très fière d’elle-même. Contrairement à ce que Theron prétendait, ce n’était pas à ce moment là que Lana était tombée amoureuse, mais cela y avait contribué. Pour une première rencontre avec une Jedi autrement que le sabre à la main, on pouvait dire qu’elle avait laissé une durable impression en Lana.
-J’ai du mal à dormir avec de la pierre ou du métal au-dessus de ma tête, répondit finalement Shakesh. Il me semble être de retour dans la carbonite. Ces dernières nuits dans le Cénotaphe étaient... éprouvantes.
Le cœur de Lana se serra à cette idée. Son premier instinct fut de prendre Shakesh dans ses bras, au vu et su de tout le monde, mais elle réprima aussitôt cet instinct, tout comme celui de l’embrasser. Les habitudes avaient la vie dure. Pour une Sith, les sentiments devaient être gardés sous clé et jamais montrés en public, sous peine d’être utilisés contre elle, sans compter qu’ils avaient besoin que l’image de Jedi sereine de Shakesh reste immaculée pour convenir à leurs alliés issus de la République. Ils n’accepteraient jamais une telle romance, si c’en était encore une.
-Suis-moi.
Sans attendre de voir la réaction de Shakesh, Lana bondit dans les airs, pas en direction de la forêt et de ses ténèbres attirantes, mais vers le ciel.
Lana se posa sur l’immense toit rond qui formait le sommet du quartier général de l’Alliance naissante. La vue était encore plus impressionnante d’ici, avec le crépuscule qui semblait faire brûler la forêt au-dessous d’eux. Les jungles, les forêts impénétrables… Lana avait toujours eu une certaine affection pour elles. Elle était née sur Dromund Kaas, après tout, mais ce n’était pas de là que datait son amour pour ce genre d’environnement. Non, la faute en revenait à Yavin et ses bois touffus si pratiques pour dissimuler une idylle entre une Jedi et une Sith à deux factions entières. Quand Lana et Theron s’était penchés sur le choix d’une planète où construire une telle base… Lana mentirait si elle prétendait que la nostalgie n’avait pas joué un rôle dans son choix. Et Lana n’était pas du genre à se mentir à elle-même. Non, c’était plutôt le genre de Shakesh et Theron. Un problème qu’elle associait à leur éducation républicaine, à moins que ce ne soit quelque chose qu’ils mettaient dans leur kaf.
-A-t-on le droit de venir ici ?, demanda Shakesh d’un ton dubitatif.
-Nous sommes les dirigeantes de l’Alliance. Qui va nous le reprocher ? Theron ? Qu’il grimpe d’abord jusqu’ici. Je sais que les Jedi détestent contrevenir aux règlements, mais là quand même…
Elle attendit que Shakesh réplique que c’était les impériaux qui avaient besoin d’une autorisation en trois exemplaires pour oser respirer en présence d’un Sith. C’est ce qu’elle aurait fait avant, en y ajoutant un petit sourire caustique. À la place, Shakesh s’assit sans la regarder, au bord du vide à nouveau.
Sans un mot, Lana s’assit à côté d’elle.
Maintenant qu’elles étaient seules, Lana fit un geste pour prendre Shakesh dans ses bras, mais l’interrompit à mi-chemin. Sur Yavin, il leur avait été tout simple de se tenir la main et de s’embrasser à la sauvette entre une réunion avec Theron et une avec Darth Marr. À quelques occasions, elles avaient même réussi à partager une couche sans qu’aucun des espions dans le camp ne le réalisent. Mais cette intimité si facile avait disparu. Lana avait du prendre trois fois Shakesh dans ses bras depuis leurs retrouvailles et l’embrasser une fois. À chaque fois, elle avait trouvé leurs gestes maladroits et contraints. La découverte de la présence de l’empereur dans l’esprit de Shakesh n’avait rien arrangé, mais le mal semblait déjà définitivement fait. Lana se demandait si elles retrouveraient jamais ce qu’elles avaient partagé sur Yavin, et ça lui faisait mal dans les entrailles.
-Tout semble paisible, vu d’ici, nota finalement Shakesh comme si elle ignorait où les pensées de Lana la conduisait. Et la Force, elle a quelque chose de différent, tu l’as noté ?
-Oui. C’est un nexus de Force, ni vraiment lumineux, ni vraiment obscur. L’endroit idéal où cacher une alliance de Jedis et de Siths.
-Alors pourquoi…
Shakesh s’arrêta brusquement, et ne donna pas le moindre signe qu’elle était désireuse de poursuivre cette conversation ou qu’elle comptait méditer. Cette fois, Lana craqua.
-Pourquoi quoi, Shakesh ? Qu’est-ce que tu me caches ? Et ne le nie pas encore une fois, tu me cache quelque chose, ainsi qu’à Theron.
-Combien de fois m’avez-vous caché des secrets ?, rétorqua la Jedi. Utilisée, quand j’étais prête à vous aider ?
Lana eut un geste de recul. Le visage de Shakesh restait aussi indéchiffrable que de coutume, mais un léger mouvement de son menton trahit son regret d’avoir prononcée ces paroles.
-Tu sais que ce n’est pas vrai. Nous avions les mêmes objectifs, et nous avons travaillé ensemble tout du long.
-Sauf quand tu as laissé Theron se faire capturer derrière mon dos, dans l’espoir qu’il espionne les révanites pour toi.
-C’est de l’histoire ancienne.
-Pour toi, peut être. Est-ce que je sais quelles autres trahisons tu as commises pendant mon emprisonnement ?
-S’il y en a eu, je les ai commises pour toi, et je ne t’ai pas entendu te plaindre d’être sortie de la carbonite. Tu me sembles d’ailleurs confondre trahison et sacrifice. Il me semblait que les Jedi étaient pourtant familier avec le second, et ce n’est pas toujours ta propre vie que tu étais prête à sacrifier. Oh, je connais la réponse jedi à ça : « ils savaient ce qu’ils faisaient », « ces soldats ont sacrifié leur vie pour nous donner la victoire ». Hypocrites.
Shakesh détourna la tête.
-Tu t’en veux, souffla Lana, soudain calmée.
-Tant de vies perdues. Tant d’années gâchées en compromissions, en trahisons et en lâchetés. Coruscant, perdue. Le sénat, détruit. Les temples jedis, profanés, encore une fois. Des enfants qui auraient du être en sécurité à l’intérieur forcés de fuir en pleurant. Les maîtres qui se sont sacrifiés pour leur fuite gisant sur les marches du temple, le sabre encore à la main. Les familles dispersées, les orphelins regardant le soleil se lever sur des villes en ruine, la lueur dans leurs yeux, si vide, oh si vide, Lana, si tu les voyait comme je les ai vu ! Si j’avais été là…
Lana lui prit la main. Elle était glacée.
-Tu n’y étais pas, parce que tu as tout fait pour arrêter Arcann et ses armées avant qu’ils ne commettent toute cette destruction aveugle. On ne pouvait pas te demander plus, peu importe ce que tes maîtres jedi te répètent depuis l’enfance. Tu n’étais pas là, et ceux qui l’étaient n’ont pas fait mieux. Et les destructions n’ont pas été si terribles, ni sur Dromund Kaas, ni sur Coruscant, contrairement à ce que dit la propagande d’Arcann. Ils ont frappé au cœur la République et l’Empire, détruit les armées et les centres de commandement, mais ils avaient intérêt à garder les infrastructures intactes et nos concitoyens vivants pour les utiliser au service de leur empire.
Shakesh arracha sa main des siennes. Lana ne l’avait jamais vu s’agiter comme ça.
-Tu ne comprends pas ! J’ai vu…
Elle s’arrêta et passa une main tremblante sur son visage.
-Vu quoi ?
Les épaules de Shakesh s’affaissèrent.
-Les destructions. Je les ai abandonné, Lana.
-Qui ?
-Tous. Les habitants de Coruscant et d’Alderaan, les padawans de Tython, Mon équipage, luttant pour sa survie, pour tenter de me sauver, mais dispersés, pourchassés, morts, peut être. Ma padawan a disparu, Lana. Elle avait peut être depuis longtemps gagné le titre de chevalier, mais j’aurais quand même du être là pour les aider. Et quand je pense à Arcann… J’ai des envies de meurtre, Lana, de meurtre. J’ai envie de prendre mon sabre laser et de me tracer un chemin jusqu’à lui sans me soucier de la résistance que rencontrera mon sabre.
Lana se leva et fit un pas en arrière. Elle commençait à comprendre ce qui se passait, et se frappa mentalement de ne pas l’avoir réalisé. Pourtant, elle était formée à reconnaître les signes, mais c’était tellement plus dur d’accepter de les reconnaître chez quelqu’un qu’elle aimait.
-Tu réalises à quel point c’est stupide ce que tu dis ?, demanda-t-elle d’une voix où elle essaya de ne pas laisser percer l’urgence et le désespoir. Tu crois vraiment que tu aurais pu arrêter ces destructions alors que tu n’as pas pu empêcher ton propre emprisonnement ? Être à ce point meilleure que tous les autres Jedis ou Siths qui ont échoué à arrêter cette marée ?
-Oui !
Shakesh s’arrêta, pantelante, les poings fermés. Lana inspira profondément avant de reprendre la parole. Elles étaient deux à devoir se calmer avant de continuer. Quand elle vit les poings se desserrer, laissant une petite marque de sang sur ses doigts, elle soupira.
-À quand remonte ta dernière méditation ?
Le long silence de Shakesh valait toutes les réponses du monde. Et Lana avait la sienne. Tous les signes étaient là, visibles pour qui était prêt à les voir. La seule excuse de Lana, c’était qu’en temps que Sith elle avait l’habitude de voir ce basculement beaucoup plus jeune.
-Je suis stupide, souffla-t-elle. C’était évident. Ça aurait du être évident.
-De quoi tu parles ?
-De ta chute vers le côté obscur.
Shakesh poussa un cri d’outrage.
-Non ! Jamais !
-Tu ne trompes que toi alors. Tu crois que je n’en ai jamais vus, des Jedis y glisser lentement ou s’y précipiter la tête la première ? Que je n’en ai jamais aidé à le faire ?
-Je n’ai jamais cédé au côté obscur et jamais…
-À d’autres. Pas sur Manaan, c’est certain. Pas sur Rishi, ni sur Yavin, et la Force sait que tu aurais eu des excuses pour le faire sur Ziost. C’est admirable que tu ai résisté, avec ce qu’on affrontait. Mais tout ça, c’était avant, et depuis… Je n’ai rien noté sur Zakel, quand tu n’as pas fait demi-tour pour empêcher cette explosion. Tu venais de sortir de la carbonite, tu étais confuse et nous étions pourchassées par une folle furieuse. Et ta méfiance face à Senya était on ne peut plus justifiée, étant donnée les circonstances. Je ne prétendrait pas avoir été spécialement enthousiaste au début. Mais Asile ? Shakesh, Asile… Tu n’aurais jamais fait ça par le passé, attaquer sans sommation, t’attarder pour une chance de tuer ton ennemi, sacrifier les vies de ton équipage pour qu’ils gagnent du temps et te donnent celui de te venger, laisser des réfugiés sans protection…
-Je…
-Des réfugiés, répéta Lana en insistant sur chaque syllabe. Je l’aurais fait. Theron l’aurait fait. En se détestant un peu plus au passage, mais il l’aurait fait. Mais toi, Shakesh Nu, la Barsen’thor de l’ordre jedi ?
-Ce n’est qu’un titre, rétorqua Shakesh avec une pointe de dégoût.
Lana lui sourit doucement.
-Je sais. Tu l’as toujours détesté. Et je les déteste aussi, ou tu t’adresserais à Darth Necrotis, ou quelque autre idiotie du même acabit. Mais Shakesh, est-ce que tu as pensé qu’il soit au moins en partie responsable de tes dernières décisions ?
-Il ne m’influence pas. Je ne l’écoute pas.
-Tu as parlé de visions, insista Lana. Mais quelles visions ? Je te connais, tu as de très nombreux talents, très impressionnants, mais la vision de l’avenir ou du présent n’en a jamais fait partie. Je comprends ta frustration de ne pouvoir rien faire de plus, mais dès que notre Alliance sera suffisamment puissante, nous porterons la guerre sur le territoire de Zakel. Il est grand temps qu’ils découvrent ce qu’est la guerre et que leur vaillant Arcann ne peut pas les protéger de tout, mais je ne bouge pas d’ici tant que tu ne m’as pas expliqué ce qui ne va pas. Ne me dit pas qu’il n’a rien à voir avec ces visions ou ta nouvelle manière de penser.
-Il n'y a pas d'émotion, il y a la paix.
Il n'y a pas d'ignorance, il y a la connaissance.
Il n'y a pas de passion, il y a la sérénité.
Il n'y a pas de chaos, il y a l'harmonie.
Il n’y a pas de mort, il y a la Force.
Surprise par cet écho de ses pensées d’un peu plus tôt, Lana s’interrompit pour écouter la récitation du code jedi. Ce n’était pas la première fois qu’elle entendait Shakesh réciter le code. Il lui donnait de la force dans les pires moments. Lana pouvait respecter ça. Il en allait de même pour elle avec le code sith. Mais jamais la voix de Shakesh n’avait été si sourde en le récitant, comme si les mots familiers étaient à présent dépourvus de sens.
-Où est la paix ?, reprit Shakesh sans laisser à Lana le temps de s’interroger. Où est la connaissance, quand ses gardiens ont péris ? Où est la sérénité, quand tant de familles pleurent leurs morts et leurs disparus ? Où est l’harmonie quand…
Elle s’étrangla sur ses mots.
-Le monde a changé, souffla Lana en reprenant sa main. Cela ne veut pas dire que tu sois toi obligée de changer.
Un rire amer échappa à Shakesh.
-Tu ne comprends pas. Le monde n’a pas changé. Il est toujours là. Vitiate, Valkorion, l’Empereur, peut importe le nom qu’il se donne ou qu’on lui donne. Il est toujours là.
-Je sais. Tu le sens dans ta tête. Il insinue ton poison en toi.
Elle fit un pas vers Shakesh, mais celle-ci la repoussa brutalement.
-Non. Tu ne comprends rien. Des fois, je me demande si tu as jamais compris quoi que ce soit. Regarde-toi, l’ancienne cheffe du renseignement de l’Empire qui n’a jamais rien vu venir aux menaces qui s’en approchent.
Lana s’attendait aux insultes, mais pas que Shakesh frappe aussi rapidement et violemment. Refusant d’entrer dans son jeu, elle fit un pas de plus en arrière et croisa les bras.
-On devrait inventer un mot pour décrire cet instant, quand on se tient juste au bord du vide, le côté lumineux d’un côté et le côté obscur de l’autre. La plupart de ceux qui s’y tiennent ne basculent pas tant qu’ils tombent la tête la première. C’est enivrant, pas vrai ? De sentir cette obscurité, juste à ta portée. Cette sensation de toute puissance… Tu as envie d’y plonger et de la boire jusqu’à la lie.
-Non.
Le murmure de Shakesh était presque inaudible, mais Lana le sentait sans peine, elle était tentée. Lana aurait du s’en réjouir. Faire tomber un Jedi était toujours considéré comme une grande victoire, et plus encore quand on parlait d’un des plus éminent membres de l’ordre. Mais la simple idée que cela arrive à Shakesh…
-Plus tu l’écoutes, plus tu es susceptible de basculer, insista Lana d’un ton de plus en plus désespéré. Tu crois qu’il te donnera le petit plus dont tu as besoin pour vaincre Arcann ? Il te ment, sur toute la ligne ! Il n’a jamais fait que ça.
-Tu crois que je ne le sais pas ?, cria Shakesh. Je rejette ses mensonges, je crache sur ses conseils, et je le hais comme je n’ai jamais rien haï dans toute la galaxie. Et… j’en ai assez de me battre contre sa voix pendant que vous vous comportez tous comme si son esprit n’était pas là dans la pièce, parasitant tout de sa noirceur.
Lana se mordit les lèvres pour ne pas rétorquer que cela eut été plus facile si Shakesh ne lui avait pas caché sa quasi-possession jusqu’à ce qu’elles rencontrent les « alliés » de Sanya à Asile. C’était difficile d’aider quelqu’un qui tenait tant à cacher la moindre blessure physique ou psychologique parce que ses maîtres lui avaient répété toute sa vie qu’elle devait être forte. Seulement, à force de laisser en silence ces épreuves laisser d’invisibles marques dans son âme, Shakesh l’avait fragilisée.
Lana se souvient de son premier sabre laser. Elle était tellement fière de le tenir. Il étincelait de mille feux quand elle l’avait présenté à son maître et elle entendant son cristal kyber hurler merveilleusement. Son maître avait hoché la tête et lui avait de l’allumer. Lana s’était exécutée et avait effectué quelques mouvements sans problème, mais dès qu’elle avait tourné la lame un peu trop vite, le sabre avait explosé, sans préavis. Lana portait encore à la main droite des cicatrices dues aux fragments de métal qui s’étaient incrusté dans sa peau. Son maître, lui, n’avait rien eu. Il s’était protégé d’un bouclier de force. Alors que Lana se tenait la main en essayant de ne pas hurler de peur, il n’avait eu qu’un seul mot : « recommence ». Lana avait cru construire le sabre parfait, mais elle n’avait pas remarqué qu’elle avait rayé plusieurs composants en les assemblant. Elle avait été trop arrogante dans son travail, persuadée que produire le plus beau sabre prouverait qu’elle était la meilleure, sans réaliser que la fonctionnalité était primordiale. Lana avait appris une leçon importante ce jour là.
Shakesh était comme ce sabre. Ceux qui l’avaient crée étaient trop fier d’exhiber un métal brillant et ne s’étaient pas soucié de la rendre aussi dure à l’intérieur que brillante à l’extérieur. Un mouvement de trop la ferait se briser en mille morceaux, et toute leur Alliance avec. Lana ne pouvait pas la laisser se briser, mais elle ne pouvait pas non plus la réparer si Shakesh refusait de s’ouvrir à elle.
-J’ai grandi au sein d’une famille de siths, reprit-elle de sa voix la plus calme. Je n’ai pas « chuté » comme vous dites chez les Jedi. J’ai baigné dans le côté obscur depuis l’enfance. Pour un Jedi, c’est différent. Tu devrais rencontrer l’apprentie de la Furie de l’Empereur, ce serait très instructif. Savait-tu que c’est une ancienne Jedi qu’il a fait tomber ? Apparemment, c’était une femme mesurée et intelligente. Aujourd’hui, c’est limite si la Furie ne doit pas la tenir en laisse. Après tout ce temps à vous accrocher au côté lumineux, je me suis laissé dire que c’est comme de s’injecter directement des épices dans le cerveau. Toute cette fureur, toute cette colère, cette haine que vous n’avez jamais laissées s’exprimer et qui se précipitent pour se manifester… En moyenne, c’est deux Jedi sur trois qui ne sont plus bon à utiliser que comme chiens de garde après être tombés brutalement dans le côté obscur, et c’est ce que tu t’apprête à faire. Ne fais pas ça, Shakesh. N’emprunte pas un chemin que tu ne veux pas suivre.
Shakesh se tendit brusquement.
-Parce que quand la grande Lana Beniko utilise le côté obscur c’est acceptable, mais si moi je pense à le faire, c’est une tragédie.
-Oui ! Non. Ne me fait pas dire ce que je n’ai pas dit.
Lana s’interrompit pour chasser ses mots. Elle regarda longtemps la femme qu’elle aimait, toujours figée dans une posture de colère. Elle su que si la Miraluka avait été dotée d’yeux, elle aurait pu y percevoir un éclat doré, au lieu de quoi elle sentit seulement le côté obscur s’enrouler autour d’elle. Lana s’approcha tout doucement, consciente que si elle la brusquait, elle risquait de la perdre au profit du côté obscur. Celui-ci avait toujours été pour Lana un outil à manier, mais à présent, c’était un ennemi. Un rival.
Shakesh la laissa l’enlacer, mais ne lui rendit pas son étreinte.
-Si tu fais ça, tu le regrettera toute ta vie, murmura Lana dans son cou, et si tu ne le fais pas, c’est seulement parce que tu te seras perdue toi même en route, ce que tu verrais si tu réfléchissait calmement et que tu méditait cinq minutes.
C’était comme de parler à un mur. Shakesh secoua la tête.
-Méditer ! C’est bien de ça qu’on a besoin quand Arcann détruit tout ce pour quoi nous nous sommes battues. C’est agir qu’il nous faut faire, maintenant, avant qu’il ait le temps de rassembler ses troupes contre nous et de nous chasser comme des proies. Lui faire comprendre, à lui et tous ces Zakéliens qu’il n’est qu’un homme, un lâche et un faible qui n’arrivera jamais à s’élever à la hauteur de l’ombre de son père !
-Et pour ça tu voudrais attaquer Zakel sans te soucier de nos pertes ou des pertes civiles ?
-C’est ce que tu ferais, se défendit Shakesh.
-Tu te trompes, répondit Lana en se refusant de dévoiler à quel point cette réflexion était blessante.
-À d’autres. Dis moi que tu ne préférerai pas voir une Sith à la tête de ta rébellion, Lana. Dis-le !
-Tu as vraiment si peu de respect pour moi et si peu confiance en mes sentiments. Je suis pragmatique, oui, mais ne me confonds pas avec ces Siths fous de pouvoir et de violence. Je suis contre une attaque sans cible militaire déterminée et je suis pour qu’on minimise les pertes, pas pour te plaire, comme tu le penses, ou parce que j’ai « un bon fond sous mes couches de cynisme », comme le pense Theron, mais parce qu’il ne peut y avoir de paix ou de trêve là où règne le désir de vengeance. Nous devons épargner les Zakéliens, pas parce qu’ils méritent notre pitié, mais parce que nous allons ainsi leur prouver que nous vallons mieux qu’Arcann, que nous les voyons comme des personnes et pas comme des composantes de sa machine de guerre ou comme des parasites tout juste bon à divertir pour qu’ils nous laissent seuls libres de penser et d’agir par nous même. Je n’approuve la violence que quand elle sert un but et nourrir ta haine n’est pas un but, ou du moins pas un qui soit rationnel.
-Où est cette passion que vous autres Siths vous vantez tant de posséder ?
Lana posa sa main sur son cœur.
-Ici. Elle bat à chaque fois que je respire, à chaque fois que je te vois, et quand je pense au devenir de la galaxie. Mais toi qui connaît si bien le code sith, on dirait que je dois te rappeler comme à tous ces apprentis surexcités que le code parle de passion, et pas de rage. Ne fais pas l’erreur de confondre les deux toi aussi.
-Et si ce n’en est pas une, d’erreur ? Si opposer à Arcann et Vaylin toute la rage qu’ils nous destinent est la bonne réponse, la seule réponse possible ?
Lana prit le temps de réfléchir. Elle s’était posée cette même question bien des fois depuis l’intrusion des armées de Zakel dans l’espace connu et sa séparation forcée d’avec Shakesh.
-Quand tu as disparu et que les premières rumeurs nous sont parvenues depuis l’espace de Zakel, j’ai refusé d’y croire, répondit-elle finalement. Puis j’ai appris que Arcann t’avait enfermée dans sa chambre des trophées. Heureusement pour tout le monde, j’étais seule quand j’ai reçu la nouvelle. Rien n’y a survécu autour de moi. J’ai laissé ma rage m’envahir, et j’ai tout brisé, jusqu’au communicateur qui me permettait de rester en contact avec tous ceux que je payait pour te chercher pour moi. Le temps que je renoue le contact avec chacun, j’avais perdu six mois. J’aurais pu te retrouver six mois plus tôt si je n’avais pas cédé à cette rage.
-Si c’est une leçon que tu essaie de m’enseigner, j’en ai entendu de meilleures.
-Ce n’est pas une leçon, mais un avertissement. Reste qui tu es, Shakesh. N’essaie pas de devenir qui tu n’est pas. Tu ne ferais que t’y perdre, et pire encore, tu y perdrais tout ce que tu cherches à gagner. Tu es une grande Jedi, ne risque pas tout pour devenir une Sith pitoyable. Tu n’en as pas besoin. C’est ton nom, ta réputation qui a attiré ici tant de républicains et d’impériaux. Des Jedis et des Siths travaillent ensemble dans un but commun pour la première fois depuis la Force seule sait quand. Si ce dont nous avons besoin ce sont des chiens d’attaque, nous en trouverons. Ils ne manquent ni parmi les seigneurs Siths, ni parmi les soldats de la République. Mais ne te rend pas ridicule pour gagner une guerre que tu peux remporter sans risquer ta propre décision.
Shakesh redressa le menton d’un air impérieux.
-Et si je décidais de prendre ce risque, pour sauver la galaxie de la destruction lui promet Arcann ? Si je décidais de m’emparer du pouvoir de l’empereur ?
Lana lui jeta un regard méprisant qu’elle espérait que Shakesh saurait percevoir dans la Force.
-Fais ce que tu veux. Quoi que tu décides, je serais là pour affronter l’Empire Éternel à tes côtés. Mais si tu te noie dans une obscurité que tu auras toi-même crée, ne compte pas sur moi pour t’en arracher. Et si tu perd des alliés, des amis ou si tu me perds moi, n’accuse personne d’autre que toi même.
Sa voix se brisa malgré elle sur ces derniers mots. Lana se détourna et fit mine de ne pas voir la main de Shakesh qui se tendait presque malgré elle dans sa direction. Elle avait dit ce qu’elle avait à dire. À Shakesh maintenant d’ouvrir les yeux ou de sauter dans le vide. Lana, elle, sauta au bas du toit pour échapper à cette conversation et à l’angoisse que dégageait Shakesh.
Une fois au sol, elle se retint de jeter un coup d’œil vers le toit et s’éloigna à grands pas, tout en maintenant soigneusement cachée sous clé dans son esprit la vérité là où Shakesh ne pourrait la voir. Lana était une Sith. Bien sûr qu’elle trouverait plus facile de voir une Sith dépourvue de complexes et de remords affronter l’Empire Éternel, plutôt qu’une Jedi habituée au compromis et à la pitié. Mais c’était de Shakesh la Jedi qu’elle était tombée amoureuse, au mépris de ton bon sens et de toute logique. Elle avait rencontré une Jedi pleine de confiance dans la capacité des gens à donner le meilleur d’eux même et dans leur capacité à tous les trois, Theron, Lana et elle même, à sauver la galaxie du danger qui planait sur elle quand bien même ils étaient totalement dépourvus d’informations, d’alliés et de ressources. Lana était une Sith. Elle aurait du trouver la Basen’thor risible avec son optimisme béat et son refus absolu de faire le moindre compromis avec ses idéaux. Au lieu de ça, la présence lumineuse de Shakesh dans la Force l’avait affolée, et pas de cette façon qui poussait certains Siths à détruire tout ce que le Jedi avait jamais aimé pour le faire chuter. Lana l’avait admirée, appréciée, puis aimée. À sa plus grande surprise, Shakesh lui avait rendu ses sentiments. Et maintenant, elle était en train de la voir s’éloigner là où même Lana ne pouvait la suivre. Lana détestait se sentir impuissante à ce point.
Une silhouette sortit de l’ombre d’un bâtiment, la faisant sursauter, mais ce n’était que Theron, qui la salua le visage dur.
-C’est grave à ce point ?, demanda-t-il.
Lana lui jeta son meilleur regard hautain, mais il ne montra pas le moindre signe de peur. Son manque d’instinct de survie allait lui causer des torts un jour.
-Nous gérons la situation. Je suis sûre que tu as suffisamment à faire de ton côté pour me laisser cet aspect du problème. N’est-ce-pas pour ça que tu m’a demandé de lui parler ?
-Lana.
D’un air entendu, Theron tapota les implants sur sa tempe. Lana blêmit en comprenant le sous-entendu.
-Je n’ai pas tout écouté, promit Theron en levant les mains comme pour empêcher Lana de l’approcher et de lui arracher la tête pour son crime. Juste assez pour me faire une idée, et ce n’était même pas mon intention au départ. J’ai juste installé des mouchards à des endroits stratégiques de la base, jusqu’au cas où certains soient tentés de nous trahir et de rapporter notre position à Arcann, ou d’attaquer notre triumvirat. Je ne pensais pas capter cette conversation.
Lana soupira.
-Au moins tu sais.
-Apparemment. Et moi qui était tellement content de la revoir… Je suppose que je me suis emporté trop vite. J’aurais du laisser parler mon côté plus cynique, mais elle m’a trop habitué à garder espoir même quand tout semble perdu. Tu crois qu’elle va s’en sortir ?
-Le côté obscur n’est pas une maladie.
-On pourrait s’y tromper, à ta manière de lui en parler. Et je suis à peu près sûr qu’avoir l’empereur dans sa tête peut être apparenté à une maladie, et pas une très reluisante. Sois honnête, Lana. Est-ce qu’on peut l’aider ?
-Je ne suis même pas sûre qu’elle puisse s’aider elle-même, reconnut Lana à contrecœur.
-Je vais peut être te donner l’impression d’être fou, et je reconnais que c’est le monde à l’envers de voir le Républicain poser cette question et la Sith s’inquiéter pour la Jedi, mais est-ce que ce serait si grave qu’elle tombe du côté obscur ? Elle a au moins raison sur un point quand elle dit que nous avons besoin de toutes les armes à notre disposition pour vaincre Arcann, et visiblement l’empereur aussi.
Lana secoua la tête.
-Ce ne serait pas la même personne. Ne jauge pas les Siths à l’aune de ma seule personne. Entre la passion, la rage et le chaos, la plupart choisissent les deux derniers. Je crains que ce ne soit notre perte un jour.
-Loin de moi cette idée de te confondre avec les autres Siths. J’ai des cicatrices pour me rappeler ce dont la plupart sont capables. Mais si tu peux atteindre la sérénité et l’harmonie du code jedi, qu’est-ce qui l’empêche de trouver un équilibre dans l’autre sens ?
-Va te coucher, Theron, répondit Lana d’une voix fatiguée.
Elle s’attendit à ce qu’il proteste, mais Theron se contenta de poser une main sur son épaule dans un geste qu’il devait espérer réconfortant et disparut à l’intérieur, cette fois définitivement. Lana jeta un coup d’œil en direction du toit, sans voir le moindre signe de la présence de Shakesh. Elle espérait juste que celle-ci ne les ait pas entendu. Dans l’état où elle était, cela ne pourrait qu’éveiller sa paranoïa et la faire chuter plus brutalement encore.
À nouveau, Lana s’aventura jusqu’au bord de la plate-forme, là où leur base surplombait la forêt à présent totalement avalée par les ténèbres. Tout comme Shakesh un peu plus tôt, elle contempla le précipice et se mit à réfléchir. Elle connaissait l’attirance du côté obscur, bien sûr. Elle était une Sith. Et elle comprenait comment Shakesh, il n’y a pas si longtemps la Jedi parfaite que l’ordre et la République paradaient comme un étendard, pouvait si vite se mettre à marcher sur la corde raide. Plus d’une fois au cours des cinq dernières années Lana aurait pu passer le cap et se lancer dans une croisade meurtrière qui aurait impressionné même un fou furieux comme Darth Nox. Elle ne l’avait pas fait, parce qu’il y avait la lumière de Shakesh à l’horizon pour la garder saine d’esprit. Et pendant qu’elle s’échinait à la sauver, celle-ci était torturée par les visions de mort et de destruction de l’Empereur.
L’idée de voir Shakesh tomber lui donnait la nausée. Lana était certaine que si elle passait le cap, ils la perdraient toute entière au profit de l’obscurité. Ils perdraient tout espoir de réunir la galaxie derrière une figure de proue capable de convaincre les gens de dépasser leurs rancunes et leurs anciennes allégeances.
Plus égoïstement, Lana perdrait la seule femme qu’elle avait jamais aimé, la seule qui avait vu et aimé Lana pour qui elle était, qui lui avait confiance et donné la confiance d’être autre chose qu’un outil de plus au service de l’Empire. Et en retour, Lana l’avait bien mal récompensée, puisque c’était elle qui l’avait utilisée, qui l’utilisait encore. Sith un jour…
Lana connaissait trop bien Shakesh. Son esprit ne survivrait pas à la chute. Elle était trop encrée dans la Lumière, même maintenant pour ne pas se noyer dans le côté obscur. Valkorion devait compter sur ça, espérer la posséder plus facilement et utiliser l’immense pouvoir de Shakesh à son seul profit. En ce moment même, il nourrissait probablement sa paranoïa pour saper ses défenses, mais Lana ne pouvait s’accrocher à Shakesh comme une ombre pour la sauver d’elle même. Pour ça, il fallait que Shakesh désire échapper à la tentation du côté obscur. Lana ne pouvait pas lui réciter le code jedi jusqu’à ce qu’elle retrouve son bon sens, pas quand elle pensait elle même que la sérénité et l’harmonie étaient des mensonges. Et impossible pour ça de compter sur Theron. Il faudrait pour ça qu’il ait plus de deux crédits d’intelligence émotionnelle.
Ça ne voulait pas dire que Lana était prête à s’avouer vaincu par ce monstre de Valkorion. Comme tous les Siths, elle n’était pas prête à partager ce qu’elle considérait comme sien, et Shakesh était à elle, tout comme elle était à la Jedi, corps et âme. Et si elle était prête à la suivre au-delà de l’espace connu de la galaxie pour la sauver, Lana était aussi prête à plonger avec elle jusqu’au plus profond du côté obscur. Elles ne sauveraient pas la galaxie, elles la détruiraient, mais elles le ferait ensemble.
Lana essaya d’imaginer Shakesh, le visage rongé par le côté obscur et son cœur se révulsa. Non. Ce ne serait plus Shakesh, ce serait autre chose qui porterait son visage, quelque chose que Lana serait incapable d’aimer comme elle aimait Shakesh en dépit de toute raison. Elle sentit une détermination nouvelle s’enraciner en elle. Elle ne laisserait pas Shakesh céder à l’empereur ou au côté obscur. Elle la tuerait plutôt que de la voir se transformer en quelque chose que la vraie Shakesh n’aurait jamais supporter de devenir. Et s’il fallait qu’elle sacrifie sa propre vie pour exciser Valkorion de l’esprit de sa Jedi, Lana n’y hésiterait pas une seconde. Lana montrerait à la galaxie tout entière qu’à l’occasion même une Sith pouvait en remonter aux Jedis en matière de sacrifice de soi.
Tout ce qu’elle espérait, c’était qu’il n’était pas trop tard pour ramener Shakesh à la raison. Hélas, elle sentait aux vagues de détresse que Shakesh laissait échapper malgré elle depuis le sommet de la base que le cap avait peut être déjà franchi…