[Fic] Gris les cieux d’Irlande, Mythologie irlandaise, Ferchetne/Curoi [d'Alegría, pour Ligeia]

Aug 20, 2024 10:46

Titre : Gris les cieux d’Irlande
Auteur : Alegría (Participant.e 9)
Pour : Ligeia (Participant.e 10)
Fandom : Mythologie irlandaise
Persos/Couple : Ferchetne/Curoi, Cú Chulainn, Bláthnat
Rating : K
Disclaimer : Curoi McDaire et les autres personnages appartiennent à l’imaginaire irlandais
Prompt : J'adore Curoi McDaire, entre autre mentionné ici :
https://www.maryjones.us/ctexts/curoi.html. J'aimerais bien quelque chose sur lui, en particulier de la romance Ferchertne/Curoi, potentiellement à sens unique.
Notes : J’avoue que je connaissait très mal cette légende, et j’ai eu immédiatement envie d’explorer les sentiments de Ferchertne au moment de la mort de Cú Roí. J’espère que le rendu te plaira quand même.


Gris les cieux d’Irlande quand ses rois expirent. Plus triste encore la terre d’Irlande quand ses rois tombent, car le roi et la terre ne font qu’un en terre celte. La blessure de la terre est celle du roi, la blessure du roi est celle de la terre. Nul ne le sait mieux qu’un druide et barde, conseiller des rois et chanteur de leurs exploits.
Ferchertne était de ceux-là. Pourtant, tout son savoir et sa sagesse n’avaient pu aider son roi ou le protéger de la traîtrise d’une femme, et à présent, il ne pouvait que se tenir debout, loin des ruines de la forteresse de Cú Roí Mac Dáire, roi de Munster, tandis que celle-ci finissait de flamber, trop loin pour arriver à temps et sauver son peuple ou son roi. Les murs extérieurs étaient déjà tombés et les flammes léchaient le broch au centre de la forteresse. Les gémissements des guerriers mourants montaient jusqu’à lui, tout comme les cris de terreurs des femmes que les vainqueurs violentaient.
Et Ferchertne de se dire que c’était entièrement de sa faute.
Sa faute, la mort de tant de nobles guerriers, sa faute la perte de la forteresse, sa faute les souffrances du Munster dans les années à venir. Sa faute, enfin, la mort d’un grand roi, car Cú Roí était mort à l’heure qu’il était. Le feu n’aurait pas pris s’il était en vie.
Hélas, trois fois hélas pour Cú Roí Mac Dáire ! Si au moins Ferchertne ferma un instant les yeux, saisit de douleur, puis les rouvrit, plein de détermination. Il était trop tard pour son roi, mais pas pour leur peuple. Il pouvait aider les survivants à fuir ou au moins venger son roi, et mourir au combat après lui si ce n’était pas avec lui. Il ne comptait en tout cas pas survivre à son roi plus d’une poignée d’heures et même ce délai était déjà de trop.
Ferchertne sauta sur son cheval. Il saisit par la bride deux autres chevaux et galopa en direction de la forteresse. Le vent lui piquait les yeux, mais pas les larmes. Ferchertne ne pleurerait pas Cú Roí.
Il le vengerait.

En approchant de la forteresse, Ferchertne croisa des hommes, des femmes et des enfants fuyant celle-ci, échevelés et couverts de sang. Ils n’avaient pu emporter avec eux que leurs vêtements. Un ou deux avaient à la main un couteau, attrapé au passage pour se défendre. Certaines femmes avaient les vêtements déchirés et les yeux hagards. Quand son regard croisait celui d’un guerrier à l’épée brisée et au front ensanglanté, Ferchertne et l’homme s’adressaient un signe de tête et continuaient leur fuite en avant sans s’adresser une parole. D’un regard, Ferchertne confiait au guerrier le devoir de défendre le Munster de ses envahisseurs, et d’un autre le guerrier lui enjoignait de venger Cú Roí.
Aux deux premières femmes qu’il vit, Ferchertne confia les deux chevaux qu’il avait de trop et le devoir de conserver vivant le souvenir de cette journée afin que leurs enfants vengent leurs pères. En retour, elles lui confièrent avec des mots hachés par les sanglots ce que Ferchertne savait déjà. La forteresse était tombée par traîtrise. Comment aurait-il pu en aller autrement, puisque seule la magie permettait d’y pénétrer, Cú Roí en cachant l’entrée tous les soirs avec sa magie ? Ce qui manquait à Ferchertne, c’était le nom du coupable qu’il devait punir, et les deux femmes lui donnèrent mot pour moi la même réponse.
Bláthnat. Bláthnat a ouvert la porte.
Ferchertne les remercia et leur donna la direction du fort ami vers lequel se dirigeaient probablement les guerriers blessés. N’étant plus ralentit par les chevaux en trop, il partit au triple galop, ne ralentissant que pour donner le même conseil à d’autres fuyardes.
Un cri de rage lui brûlait les lèvres. Ferchertne l’avait dit à Cú Roí, que Blathnat ne lui apporterait que des problèmes. Cú Roí avait rit et lui avait tapé sur l’épaule avec sa force habituelle en disant que Ferchertne était celui qui lui avait conseillé de prendre femme, et qu’il devrait se réjouir plutôt que son roi se soit si promptement mis à la tâche.
Ferchertne aimait son roi, plus que de raison. Mais Cú Roí savait se montrer savamment sourd à ses conseils, ou les interpréter d’une manière qui l’horrifiait quand il le voulait.

C’était bien Ferchertne qui avait conseillé à Cú Roí de prendre femme. Il ne pouvait pas le nier et cela le rendait responsable du drame qui se jouait à présent. Faire cette proposition avait été l’acte le plus égoïste et désintéressé de sa vie. Ferchertne avait aimé Cú Roí. Trop aimé, avec une passion qui n’aurait rien eu de répréhensible, si seulement Cú Roí lui avait rendu cet amour. Mais non, le roi de Munster n’avait même jamais réalisé la ferveur que Ferchertne lui vouait. Cú Roí était un excellent juge de caractère, souvent appelé pour trancher des conflits ou des disputes, mais il était aveugle aux sentiments que les gens lui vouaient, en bien ou en mal.
Ferchertne aurait aimé réaliser l’ampleur du problème et avertir Cú Roí de toujours chercher d’autres avis pour prendre des décisions concernant sa vie avant qu’il ne soit trop tard. Il ne l’avait pas fait, probablement parce qu’il aurait été impossible d’avoir cette conversation sans devoir expliquer à Cú Roí que Ferchertne le désirait et rêvait de lui depuis des années, que la moitié de ses guerriers avait compris son manège à la manière dont ses yeux le suivaient sans cesse et à la ferveur des chants qu’il écrivait en l’honneur de son roi. Et maintenant, il était trop tard.
Pour tuer cet amour visiblement non désiré, Ferchertne s’était convaincu qu’il devait pousser Cú Roí à se marier et le rendre enfin inaccessible. D’ailleurs, en tant que barde et conseiller, c’était son devoir de guider Cú Roí dans cette voie. Un royaume était toujours plus fort quand une reine trônait à côté du roi et combattait au milieu de la mêlée. Il n’y avait qu’à voir le couple formé par Ailill mac Máta et Medb du Connacht.
Cú Roí l’avait prit au mot, hélas. Mais au lieu de chercher une noble guerrière parmi les femmes de Munster ou chez leurs alliés, Cú Roí avait décidé de réclamer Blathnat comme prix de l’aide qu’il avait apporté à Cú Chulainn lors du raid sur Fir Falgae. Cú Roí était rentré en riant, une femme hurlant jetée sur son épaule, tout fier du tour qu’il avait joué au héros de l’Ulster, mais quelle idée que de réclamer en récompense une femme qui était prêt à se donner tout entière à Cú Chulainn, et d’humilier celui-ci en l’enterrant jusqu’aux épaules et en lui coupant les cheveux, la fierté de tout guerrier. Jour honni entre tous que celui-là ! Ferchertne avait protesté tout son possible, usé de toutes les ficelles de barde pour prouver à Cú Roí que son affaire tournerait mal, mais peu nombreux étaient ceux qui pouvaient faire changer d’avis le roi quand il avait prit une décision. Ferchertne ne faisait certainement pas partie de ceux-là, malgré qu’il soit son barde. Un regard de feu de Cú Roí et il était prêt à le soutenir dans ses pires décisions.
Ce jour là, le regard de feu de Cú Roí n’avait eu d’égal que celui de Bláthnat, mais ses yeux à elle crachaient du poison. Ce jour-là, Ferchertne avait su qu’elle serait la perte de son roi. Il avait redoublé d’attention pour déjouer d’éventuels complots fomentés par Bláthnat et l’empêcher de se créer des alliés dans la forteresse, mais tous ses efforts n’avaient été remerciés que par des moqueries amicales de la part de Cú Roí. L’entendre plaisanter que l’amitié de Ferchertne allait parfois trop loin lui avait brisé le cœur des dizaines de fois. Mais aujourd’hui, ce qui restait de ce coeur était en cendres, tout comme la forteresse qui aurait du protéger Cú Roí.

Au triple galop, Ferchertne déboucha dans la cour de la forteresse et sauta à bas de son cheval, mais celle-ci était déjà vide de toute vie amie. Il arrivait trop tard, même pour venger sa mort en massacrant les troupes ennemies. Senfiacal reposait là, couvert de sang, et Eochaid, presque ouvert en deux et... Tant d’autres valeureux combattants tombés au combat reposaient au sol, abandonnés aux flammes et aux chiens, tant d’innocents assassinés… Et parmi eux, le corps de Cú Roí. Ses meurtriers l’avaient abandonné là où il était tombé, nu et sans ses armes. Ferchertne voulu s’en saisir et le tenir contre lui une dernière fois, mais les guerriers de Cú Chulainn levèrent leurs lances et leurs épées pour l’accueillir, mais arrêtèrent leur geste en voyant qui il était. On ne s’attaquait pas impunément à un barde. Bláthnat, elle, n’eut pas cette mesure. Lovée aux creux des bras de Cú Chulainn, les mains couvertes du sang de son époux, elle offrit à Ferchertne un rictus déformé par le reflet des flammes jouant sur son visage.
-Venu chercher ton maître, chien ?
-Je ne vois qu’un chien ici, aux côté de sa chienne, rétorqua Ferchertne en rappelant les origines du nom du héros de l’Ulster. Je ne vois que des assassins dépourvus de valeur et de courage.
Bláthnat éclata d’un rire sanglant.
-Oui. Il en faut de la valeur et du courage pour arracher une jeune fille à son foyer et en faire de force sa femme.
Ferchertne se mordit les lèvres. Il réprouvait le comportement de Cú Roí à cette occasion, mais si Bláthnat haïssait tant l’idée de partager sa couche et son trône, elle n’aurait eu qu’à fuir et rejoindre Cú Chulainn. Ferchertne lui aurait facilité la tache, avec joie. À la place, elle avait accepté la couronne de reine et la place à côté de Cú Roí. Il fut un temps ou Ferchertne aurait pu la plaindre, ou reconnaître que Cú Roí s’était comporté en conquérant avec elle et pas en époux, mais l’amour qu’il portait à son roi l’avait toujours rendu aveugle à ses tares et la joie mauvaise qu’il lisait dans les yeux de Bláthnat étouffa ce qu’il avait pu garder de pitié pour elle.
De colère, il saisit l’épée du guerrier tombé le plus proche pour la passer à travers le corps de la traîtresse, mais Cú Chulainn le repoussa brutalement et il tomba au sol.
-Assez, barde. Tu n’es pas un guerrier. Chante la mort de ton roi si tu veux, mais ne te prend pas pour son vengeur.
-Est-ce la vengeance d’un druide que tu veux alors ?, lui cracha Ferchertne. Ne craint tu pas la satire et les geis ? Mais je n’en ai même pas besoin pour te tuer. Les geis posés sur toi te conduiront à la mort, et je ne fois pas le fils de Cú Roí parmi les guerriers tombés. Si ce n’est pas moi, ce seront Lugaid et les fils des pères que tu as tué qui te poursuivront et t’abattront comme le chien que tu es.
-Fais le taire, Cú Chulainn, s’exclama Bláthnat. Ce ne sont que les cris apeurés d’un vaincu et ton œuvre n’est pas encore tout à fait terminée. Quand tu l’as tué, j’ai vu l’âme de Cú Roí s’échapper dans une pomme qui fut avalée par un saumon. Il remonte le courant à l’heure qu’il est. Ne la laisse pas t’échapper.
-Chienne !
Avec un cri de fureur, Ferchertne bondit vers elle, les mains tendues pour l’étrangler. Il n’eut que le temps de voir une ombre se lever au-dessus de lui avant qu’il ne s’ombre dans l’inconscience.

Il rouvrit les yeux dans un fort désert où le feu continuait de flamboyer et les murs de s’effondrer. Il rampa jusqu’au corps de son roi et caressa des lèvres le front déjà glacial de l’homme qu’il avait tant aimé. Les assassins lui avaient coupé la tête et les cheveux en guise d’ultime moquerie. Le beau front de son roi s’était déjà figé dans une ride de colère. Dans ses yeux vides, Ferchertne ne retrouva pas la flamme qui l’avait animé de son vivant et dont il était tombé si follement amoureux. Ses joues ne brillaient plus de son habituelle joie de vivre, mais il entendait encore l’écho de son rire quand jeunes hommes ils couraient encore dans les collines avec dans le but de dépasser le vent et que Ferchertne espérait encore que Cú Roí approche ses lèvres des siennes et le renverse sur l’herbe verte.
Ferchertne tâcha de remettre de l’ordre dans ses cheveux et le transporta sur l’herbe, loin des flammes qui auraient pu s’attaquer à lui, afin que ceux du Munster puissent le retrouver et édifier une sépulture à sa hauteur. Il aurait voulu embrasser ses lèvres pour y chercher un peu de courage, mais il n’osait faire dans la mort ce qu’il n’avait jamais osé se permettre de son vivant et craignait d’y sentir la même froideur que sur son front et de s’écrouler de chagrin. Mais au lieu de s’effondrer, Ferchertne releva la tête. Il restait encore un espoir. S’il atteignait avant les tueurs le saumon où se cachait l’âme de Cú Roí, il pouvait encore sauver son roi.
Ferchertne siffla. Son cheval s’avança pour le servir. Ferchertne bondit dessus et galopa sur les ailes du vent vers les montagnes, les yeux rivés sur les traces de sabot qui lui indiquaient la piste de ceux qu’il pourchassait avec tant d’ardeur.
Il n’avait pas de temps à perdre, et il savait qu’il galopait vers sa perte, mais Ferchertne prit quand même celui de confier au vent un chant qui disait son amour pour son roi et sa juste colère devant sa trahison avant d’encenser les hauts faits d’armes de Cú Roí et sa sagesse, lui laissant le soin d’emmener ce chant jusqu’aux oreilles de Lugaid et des hommes du Munster afin de fortifier leurs cœurs et de les encourager à reprendre les armes contre Cú Chulainn et les hommes d’Ulster. La magie de Ferchertne était telle que sa rage vivrait longtemps dans les cœurs de son peuple, attisée chaque fois que le vent atteindrait leurs oreilles.
Cú Chulainn mourait, tué par un homme de Munster. Quand à Bláthnat, lui seul aurait l’honneur d’en tirer vengeance.

Enfin à l’horizon, en haut d’une falaise qui dominait la rivière, Ferchertne vit Bláthnat attendant Cú Chulainn en sécurité au milieu des hommes d’Ulster, et le grand héros remonter vers elle en brandissant un saumon dans sa main d’un air victorieux. Deux fois ils avaient tué Cú Roí, mais Ferchertne ne pouvait le venger qu’une fois.
Il traversa d’un bon les rangs des guerriers d’Ulster, les dispersant d’un chant de guerre qui les fit saigner des yeux et des oreilles et fuir dans les collines d’où ils ne ressortirent jamais. Il sauta à bas de son cheval, qui fit volte face et repartit au triple galop porter vers la forteresse le dernier chant de Ferchertne, barde du Munster et amant non aimé de Cú Roí Mac Dáire, et fonça droit sur Bláthnat.
Quand ils le virent, Bláthnat poussa un cri de peur et Cú Chulainn un cri outragé. Ferchertne riva son regard dans les yeux de Cú Chulainn pour qu’il comprenne que c’était parce qu’il lui avait prit l’être qui comptait le plus au monde pour lui que Ferchertne lui rendait la pareille sans un remords et qu’il se réjouissait de son chagrin, et saisit Bláthnat par la taille, tout en continuant à courir vers la falaise.
Elle essaya de se débattre, mais il la serra plus fort encore. Elle n’eut pas le temps d’implorer une pitié qu’il aurait refusé de lui offrir, et Ferchertne ressentit une joie vicieuse quand il ses côtes se brisèrent sur la force de son étreinte, puis leurs pieds décoller du sol. Il eut le temps de jeter un dernier regard au ciel gris d’Irlande qui pleurait comme lui le plus grand des rois et de dédier leurs morts à sa mémoire, puis il ne vit que le gris des rochers et de l’eau qui s’approchaient d’eux à toute vitesse.
Cú Roí était vengé. Ferchertne avait vécu. Son seul regret était de ne jamais avoir osé lui hurler la force de ses sentiments comme le vent vociférait à présent dans ses oreilles son ultime chant, son chant de revanche.

pour:ligeia, fic, mythologie celte, auteur:alegría

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