[Fic] Étrange désert, désert étranger, Dune, Jessica [d'Echolalie, pour Sainte-Fabeau]

Aug 09, 2023 14:27

Titre : Étrange désert, désert étranger
Auteur : Écholalie (Participant.e 13)
Pour : Sainte-Fabeau (Participant.e 8)
Fandom : Dune
Persos/Couple : Jessica, Alia, Paul
Rating : K
Disclaimer : Dune appartient à Frank Herbert
Prompt : Survivre à Arrakis. Juste après la mort de Leto et la fuite dans le désert, je suis curieuse de savoir comment Jessica s’adapte à la culture Fremen et devient une de leurs mystiques alors qu’elle doit endurer sa grossesse et voir son fils grandir et s’éloigner d’elle, trouver une compagne, réaliser progressivement qui il est et ce qu’elle a dû faire pour qu’il reste en vie. Des idées de thème, si jamais : choc des cultures, aridité de la vie sur Arrakis, le secret autour de l’épice qu’elle n’est pas sûre de percer, les visions et l’incertitude quant au destin de sa famille.


Les yeux fermés, assise en tailleur dans la grotte qui servait de refuge temporaire aux Fremen au deuxième jour de leur fuite du Sietch Tabr, Jessica écoutait les bruits autour d’elle avec un étonnement sans fin. Moins d’une semaine s’était écoulée depuis que son monde s’était effondrée autour d’elle. Leto est mort, se répéta-t-elle, ni pour la première fois, ni pour la dernière. Yueh est mort, le traître. Duncan est mort. Gurney, Thufir… probablement aussi. Nos soldats, morts, massacrés par les Harkonnen. Le passé n’était plus, enfui à tout jamais. L’accepter était la partie la plus difficile. Jessica sentait encore les effets de l’état de choc dans lequel les évènements récents l’avaient plongée. Même son éducation Bene Gesserit ne l’en avait pas protégée. Sans Paul, Jessica ne savait pas si elle aurait eu la force de lutter pour survivre. Sa connaissance instinctive du désert la laissait encore pantoise.
Leto est mort, conclut-elle sa litanie avant de passer au positif. Mon fils est vivant, je suis vivante, ma fille naîtra vivante. La liste s’arrêtait là. Ils étaient seuls, deux personnes et une encore à naître face à un monde déterminé à les broyer, ou tout du moins à les changer.
Un bruit encore étranger fit ouvrir l’œil à Jessica, mais ce n’était qu’une Fremen s’installant à proximité pour réparer un distille. Tant de bruits lui étaient encore étrangers dans ce désert et elle ne pouvait se permettre qu’ils le restent plus longtemps. Parce qu’elle avait tort, Paul et elle n’étaient pas seuls. Ils avaient les Fremen, leur seul espoir de survie, leur seul espoir de vengeance.
Jessica chercha Paul du regard. Il se tenait à l’autre bout du refuge et parlait à Stilgar. Utilisant son entraînement Bene Gesserit, Jessica les étudia attentivement. Le chef de clan se tenait comme un homme sûr de lui-même, avec des années d’expérience derrière lui et certain qu’il faudrait encore des années avant que quiconque ne pense à défier son autorité. La façon dont il tenait sa tête en parlant à Paul était cependant révélatrice de ses pensées secrètes : déjà il considérait que ce serait Paul, l’homme qui le défierait. Il lui transmettait son savoir comme un duc à son successeur, mais en sachant qu’en même temps il donnait à celui-ci les armes pour l’abattre.
Regarder Stilgar parler ainsi à Paul faisait mal, car c’était Leto qui aurait du ainsi instruire son fils. Jessica tourna son attention vers Paul. Celui-ci écoutait attentivement, et toute sa posture trahissait qu’il était tout aussi conscient que Stilgar de la menace qu’il représentait pour le chef. Comment aurait-il pu l’ignorer, avec ses talents ?
Après plus de quinze ans passés à vivre dans une Grande Maison, comme concubine et comme mère de l’héritier, les premières pensées de Jessica allèrent immédiatement à l’essentiel. Stilgar était une menace dont il fallait se débarrasser avant que Paul ne soit en danger. Aucun duc ou comte n’accepterait la concurrence d’un jeune loup comme Paul, pas alors que ses fils, vivants ou à naître, pouvaient hériter de son domaine. Il devait être possible de se débarrasser de Stilgar, peut-être en abattant progressivement son autorité, en convainquant les membres de sa tribu qu’il fatiguait, que ses décisions n’étaient pas les meilleures pour le clan. La nouvelle position de Jessica en temps que Révérende Mère pourrait y aider, mais il lui faudrait être très prudente, ou le clan remettrait aussi en cause la décision de Stilgar d’accueillir les deux Atréides.
Non.
Quelque chose remua à l’intérieur de Jessica, dans son ventre et dans sa conscience. C’était Alia et la mémoire seconde qu’elle avait gagné quelques jours plus tôt, les souvenirs de dizaines d’autres Révérendes Mères, toutes Fremen. En les écoutant, Jessica compris que Stilgar n’était pas une menace pour Paul, pas avant des années et peut être jamais. Un Fremen n’en assassinerait jamais un autre parce qu’il craignait la menace qu’il représenterait un jour. Stilgar allait former Paul en attendant le jour où ils s’affronteraient à découvert pour savoir lequel garderait ou prendrait le contrôle du clan, et lequel mourrait.
Les Fremen n’étaient pas les Grandes Maisons, rongées par les ambitions et la suspicion. Ici, pas besoin de protéger son dos par un bouclier ou des gardes du corps, pas besoin de contrôler chaque plat à la recherche de poison et chaque mur à la recherche d’armes cachées. C’était difficile à concevoir, mais Paul était peut être plus en sécurité ici qu’il l’avait jamais été sur Calladan.
Les Fremen n’attaquaient pas les leurs, du moins pas comme ça. Jessica referma les yeux, en partie rassurée, et tâcha de méditer. Elle devait s’entraîner à utiliser sa mémoire seconde et glaner ainsi tout ce qu’elle pouvait sur la culture fremen, comment ces gens pensaient, quels étaient leurs peurs et leurs espoirs… Quand Jessica aurait identifié chaque voix présente dans son esprit et identifier lesquelles étaient les plus savantes et lesquelles étaient les plus sages, là elle aurait un avantage concret sur les gens autour d’elle. Pour cela, elle n’avait pas beaucoup de temps, dix mois tout au plus. Dix mois, c’était le temps qu’il leur faudrait pour se fondre véritablement dans la culture fremen sans dépendre uniquement des prophéties implantées par la Missionaria Protectiva. C’était aussi le temps qu’il faudrait à la fille que Jessica portait pour naître, dotée de la même mémoire seconde à cause de l’erreur de Jessica. À ce moment-là, il faudrait que Jessica connaisse parfaitement ces centaines de milliers de femmes présentes dans sa tête pour aider sa fille à vivre avec.
Sa main se porta inconsciemment sur son ventre, et il lui sembla la sentir bouger pour répondre à son appel, même s’il aurait du être bien trop tôt pour cela. Sa fille. Jessica lui avait donné un nom, qu’elle gardait précieusement pour elle seule pour l’instant. Alia. Ce que serait l’enfant, seul l’avenir le dirait. Paul le savait peut être, lui qui avait une prescience qui échappait largement à Jessica. Elle ne l’interrogerait pas sur le sujet. Jessica était bien consciente de ses peurs, et elle ne voulait pas les imposer plus que nécessaire à Paul. Son fils avait déjà bien assez sur les épaules.
-Tout va bien, mère ?
Jessica rouvrit les yeux. Elle n’avait pas entendu son fils approcher au milieu de tous ces bruits qu’elle n’identifiait pas encore tout à fait. Lui sourire ne fut pas difficile, mais elle sentit que celui que lui rendit Paul n’atteignait pas tout à fait ses yeux. Ils s’étaient éloignés, irrémédiablement, après avoir du compter si fort l’un sur l’autre pour survivre au massacre des Harkonnens. Paul restait son fils, mais il n’était plus vraiment son enfant. Il ne pouvait pas l’être, avec la pression posée sur ses épaules si jeune.
Le regard de Paul se posa sur son ventre, où la main de Jessica reposait toujours. Il était impénétrable, même pour les yeux entraînés de Jessica. Elle mourrait d’envie de demander à son fils quel futur il entrevoyait pour la petite Alia, quelles épreuves elle devrait affronter. Elle s’abstint. Un jour, peut être que Paul serait capable de percer totalement le voile de l’avenir, mais elle n’allait pas l’inciter à franchir trop vite les étapes conduisant à la maîtrise de ses pouvoirs.
-Tout va bien, finit-elle par lui répondre. Je pensais simplement au temps qu’il nous faudrait pour devenir Fremen.
-Le devenir ? Mais nous le sommes déjà.
La voix de Paul était emplie de certitude quand son regard se reposa sur le ventre de Jessica. Elle se mordit les lèvres pour ne pas le réprimander du ton qu’il avait employé, comme s’il jugeait sa mère d’être si lente à comprendre des choses qu’il avait accepté dès le moment où il s’était réveillé ligoté pendant que Harakeen était prise d’assaut par les Harkonnen. Tu es jeune, aurait-elle voulu dire, tu ne sais pas ce que c’est que de tout perdre quand la moitié de sa vie est déjà derrière toi. Jessica garda ses paroles pour elle, consciente qu’elle aurait rendu injustice pour injustice. Si Paul ignorait ce que c’était que de perdre un foyer à un âge où l’on est déjà ancré dans ses habitudes, elle ignorait en retour ce qu’il devait ressentir à pressentir un futur terrible sans trouver d’échappatoire.
Le regard de Paul glissa jusqu’à Chani, qui aidait à préparer le repas un peu plus loin, sans perdre sa grâce de guerrière meurtrière. Il la couvait d’un regard amoureux depuis l’orgie tau qui s’était déroulée quand Jessica avait embrassé le rôle de de Révérende Mère. C’était étrange comment l’amour changeait les gens. Au regard de Paul, Jessica compris qu’il n’était plus tout à fait le fils de Leto et le sien, ou plus seulement. Il était aussi l’amant de Chani, le Lisan al-Gaib, le Kwisatz Haderach, des dizaines de version de lui-même, la plupart étrangères à Jessica. Mais n’était-ce pas le propre des humains ? Jessica était la mère de Paul, celle d’Alia, une initiée Bene Gesserit, une concubine aimée devenue veuve, une Révérende Mère des Fremens…
D’un coup, elle comprit à quel point Paul avait raison. Ils étaient Fremens. Paul l’était à un quadruple titre, par les prophéties qui l’attachaient à ce sol et à ce peuple, même implantées par le Bene Gesserit, par le sang versé pour obtenir une place au Striech, par la haine commune des Harkonnen qui unissait Fremen et Atréides, et enfin par l’amour qui le rapprochait irrésistiblement de Chani. Il mourrait sur cette terre, ou il y prospérerait plus que quiconque aurait jamais pu le prédire. Si les Bene Gesserit avaient la moitié de la prescience de Paul, elles se seraient battues pieds et griffes pour empêcher que les Atréides posent le pied sur Dune, Jessica le sentait sans avoir plus de prescience qu’elles.
Quand à Alia, elle était déjà plus Fremen qu’Atréides avant même sa naissance, puisqu’elle avait été imprégnée de la mémoire seconde de tout un peuple de femmes, guerrières, mères et Révérendes Mères. Elle grandirait sur ce monde, en n’ayant de Calladan que les souvenirs de Jessica elle-même, présents en elle. Dune serait son passé, son présent, et son futur.
Restait Jessica elle-même, Jessica, habituée à une vie de douceur et d’eau, capable de contrer par amour un plan planifié sur des milliers et des milliers d’années, mais incapable de renoncer tout à fait à son allégeance au Bene Gesserit. C’était fait, maintenant, mais sous la contrainte. Plus jamais Jessica n’obéirait à la Mère Mohiam ou aux autres, car elles avaient tué Leto, aussi sûrement que l’avaient fait les Harkonnen, l’Empereur ou la Guilde Spatiale. Après toutes ces années de conditionnement à obéir, Jessica était perdue. Inconsciemment, elle cherchait à qui donner son allégeance. À Paul, son fils qui s’éloignait un peu plus d’elle à chaque instant ? À Alia, déjà étrangère avant même de naître ? Ils l’avaient déjà. Elle était leur mère et elle les aimait, quels que soient leurs fautes passées ou à venir. Elle ne pouvait être loyale envers Dune. Arrakis lui avait volé tout ce qu’elle croyait tenir entre les mains.
Ta loyauté doit aller au peuple, soufflèrent les voix des Révérendes Mères l’ayant précédé. Mais les Fremen n’étaient pas son peuple, juste un peuple étrange et étranger, comme l’étaient les déserts d’Arrakis à ses yeux d’étrangère. La nuit précédente, Jessica avait rêvé de Calladan et de la fois où Leto et elle était partis se baigner dans l’océan, au bord des jungles du sud du continent. Au réveil, il lui avait semblé sentir encore les vagues venir doucement lécher sa peau. Cette expérience la maintenait à des milliers d’années lumières des Fremen. Ce n’était pas la violence de leur mode de vie, la philosophie ou la religion qui rendait Jessica si différente d’une Chani, mais cette expérience d’une eau dans laquelle on pouvait se laisser glisser pour le simple plaisir de nager opposée à la nécessité d’économiser chaque goutte. Jessica était pleine d’eau, comme les Fremen disaient avec beaucoup de mépris, une femme habituée au luxe et à l’excès. Une étrangère, incapable de comprendre ce qu’impliquait la vie sur Arrakis.
En elle, des milliers de femmes dont elle hébergeait la mémoire s’agitèrent devant ce souvenir que Jessica partageait avec elles sans y penser. En retour, elles partagèrent avec elle un autre souvenir, celui des premiers pas que les Fremen avaient accomplis sur Dune, lorsqu’une partie des Vagabonds Zensunni s’y étaient installés pour fuir l’esclavage. Par les yeux de Nourha, née dans les fers et devenue femme libre, elle vit le désert brûlant et sans fin, couvert d’une brume de chaleur. Elle sentit le désespoir de cette femme qui avait perdu trop de fils et de filles déjà et qui sentait qu’elle en perdrait bien plus avant que les nouveaux Fremen n’apprenne à vivre avec cette planète où l’homme ne pouvait espérer imposer sa loi. Jessica sentit aussi la détermination de cette femme et de toutes celles l’ayant suivi à aider le peuple fremen à faire sien cette planète, non pas en la contrôlant, mais en devenant des grains de sable en harmonie avec tous les autres.
Jessica avala une gorgée d’air. Elle ravala ses larmes, précieuses gouttes d’eau qu’il ne fallait pas gâcher. Elle comprenait maintenant, ou du moins elle comprenait mieux. Devenir Fremen, c’était comme de se laisser engloutir par les océans de Caladan, une descente oppressante dans l’obscurité. Dans les profondeurs océanes, l’eau était glaciale et indifférente à la peur comme au manque d’air. Sur Arrakis, le sable était prêt à lacérer toute forme de faiblesse. Le danger de Caladan se cachait soigneusement en dessous d’eaux chaudes et accueillantes, celui d’Arrakis s’affichait avec arrogance aussi loin que portait la vue, mais la façon d’y échapper était la même, renoncer à la peur.
Je ne connaîtrai pas la peur car la peur tue l’esprit. La peur est la petite mort qui conduit à l’oblitération totale. J’affronterai ma peur. Je lui permettrai de passer sur moi, au travers de moi. Et lors qu’elle sera passée, je tournerai mon œil intérieur sur son chemin. Et là où elle sera passée, il n’y aura plus rien. Rien que moi.
Un murmure d’approbation résonna dans sa mémoire seconde, et fit légèrement bouger Alia à l’intérieur de son ventre. Les femmes fremen qu’elle portait en elle ignoraient la litanie contre la peur, mais celle-ci résonnait en elles. Une nouvelle image s’imposa à son esprit, celle d’une femme seule au milieu du désert, et de la tempête de sable courant à sa rencontre. La femme avait survécu en se cachant dans une anfractuosité de la roche à laquelle elle s’était accrochée comme les chevaucheurs de Ver sur celui-ci. La femme avait chevauché la tempête, sa capuche rabattue pour ne pas être étouffée par le sable, mais elle avait quand même observé la tempête par dessous, les yeux grands ouverts, la laissant passer sur elle et à travers d’elle. La peur de Jessica était que le désert l’engloutisse, de devenir une autre personne au point d’être autre à elle même. Elle comprenait maintenant qu’elle serait toujours elle-même après être devenue Fremen, tant qu’elle ne laisserait ni la peur, ni les Harkonnen l’oblitérer.
Jessica inspira profondément et regarda les Fremen qui s’affairaient sous ses yeux d’un autre œil, non plus comme des alliés à utiliser pour survivre, mais en leur rendant le respect qu’ils lui accordaient depuis qu’elle était leur Révérende Mère. Ses enfants étaient déjà Fremen. Jessica serait Fremen et arpenterait ce désert étranger jusqu’à devenir aussi étrangère que lui à ses ennemis, jusqu’à ce que vienne le temps de frapper avec la détermination et le manque de pitié qui caractérisait Arrakis.
Elle serait Fremen, sèche et aride, fermement dressée pour affronter le danger, mais sachant quand plier pour ne pas s’effondrer sous les assauts de la tempête. Et à l’intérieur d’elle, elle conserverait juste assez d’eau et de tendresse pour dispenser aux siens jusqu’à ce que vienne l’heure de renaître encore et de redevenir la Jessica d’hier sans renier la dureté qu’elle aurait appris au contact du désert.
Et n’était-ce pas là tout le rêve des Fremen, d’amener Arrakis à la vie sans se perdre eux-même en route ?

dune, auteur:écholalie, fic, pour:sainte-fabeau

Previous post Next post
Up