Titre : Héritage
Auteur : Écholalie (Participant.e 13)
Pour : Sainte-Fabeau (Participant.e 8)
Fandom : Kenobi
Persos/Couple : Obi-Wan, Reva
Rating : K
Disclaimer : Kenobi et Star Wars appartiennent à Georges Lucas et aux studios Disney
Prompt : Héritage. Je donne ma vie pour le concept des Inquisiteurs et tout le bagage qu’ils portent : le traumatisme, la culpabilité qui les a rongés, la torture - transformé en haine au service de l’Empire et du Côté Obscur et mon âme pour les Inquisiteurs sur le chemin de la rédemption. J’adorerai voir un moment entre Obi-Wan et Reva, pas obligatoirement des alliés mais pas en tant qu’ennemis (dans la continuité de la série ou en post-série) partager un moment qui leur rappelle leur passé de Jedi - un rituel, une méditation, un entraînement à la Force et se souvenir, ensemble, de leur héritage. Très doux-amer, juste une introspection, mais la porte ouverte à l’exploration des thèmes liés au génocide, à la persécution religieuse, à la culpabilité du survivant, au chagrin et au deuil, au caractère précieux de la culture.
Notes : Merci, oh merci pour ce merveilleux prompt ! J’espère que la réponse en sera à la hauteur.
Et maintenant ?
C’était la question qui tournait en boucle dans l’esprit de Reva depuis qu’elle avait abandonné son sabre d’inquisitrice sur le sable de Tatooine. Une part d’elle-même brûlait de retourner le chercher, alors même qu’elle faisait depuis de terribles cauchemars dans lesquels elle était poursuivie et acculée par des dizaines de sabres rouges. La plupart du temps, ils étaient tenus par des silhouettes informes, mais parfois, des visages apparaissaient, celui de Vador, principalement, des autres inquisiteurs et même de l’Empereur. Une fois, l’un de ses assaillants avait prit le visage de Kenobi, terrifiant dans la lumière rouge de son sabre. À chaque fois, Reva cherchait le sien à sa taille, mais ne trouvait que le vide, ou un de ces sabres d’entraînement que les enfants utilisaient au temple et qui n’avaient protégé aucun d’entre eux.
Reva voulait sentir son sabre entre les mains. Sans lui, elle se sentait nue. Impuissante. Comment pourrait-elle se défendre sans lui, le jour où ses cauchemars s’accompliraient et où les Inquisiteurs retrouveraient sa trace et se précipiteraient sur elle pour la déchirer avec un bonheur inégalé né du Côté Obscur ? Le sabre à la main, elle pourrait au moins donner le change pour ne pas être une deuxième fois une victime incapable de se défendre. Si elle pouvait en entraîner un dans la mort, ce serait encore mieux. Kenobi avait du cacher son sabre, ou le détruire, s’il était sage, mais Reva doutait à présent de sa sagesse et de celle de tous les Jedi avec. Si elle retournait chaque grain de sable du désert, elle pouvait le retrouver.
Ce ne serait pas difficile. Elle n’avait pas quitté Tatooine.
Évidemment, l’envie avait été forte de quitter au plus vite cette planète minable assortie à ses habitants, mais Reva savait être raisonnable. D’abord, elle avait eu besoin de bacta pour sa blessure, et il était hors de question d’exiger de l’aide en se revendiquant de son titre d’inquisitrice. Autant appeler directement ses supérieurs pour leur signaler qu’elle était en vie et tout juste bonne à achever. Ensuite, il avait fallu commencer à préparer la suite, se débarrasser de l’armure comme elle l’avait fait avec le sabre, trouver un blaster pour remplacer ce dernier et des vêtements pour se fondre dans la foule, puis trouver quelqu’un pour lui fabriquer une fausse identité suffisamment solide. C’était la première fois que Reva mettait le pieds sur Tatooine, mais elle savait exactement où trouver le genre d’individu qui pouvait lui procurer tout ça. D’habitude, c’était son rôle de les pister pour les faire avouer où se cachait le Jedi qui avait fait appel à leur service, avant de les exécuter tous pour trahison envers l’Empire.
Elle n’appartenait plus à celui-ci. Quand elle voyait les prix que ces trafiquants pratiquaient et leur irrespect, elle regrettait presque de ne plus en faire partie pour leur donner la leçon qu’ils méritaient et les voir ramper devant elle. La haine l’avait quitté quand elle avait renoncé à tuer le rejeton de Skywalker. La colère et la rage, elles, étaient toujours bien là, enracinées dans son cœur noirci. L’orgueil, aussi. Elle avait éprouvé une grande satisfaction à se tenir aussi haut au-dessus de la foule. À présent, elle rampait dans la fange.
Tout était prêt à présent. Reva avait réuni - volé - assez d’argent pour quitter Tatooine. Ce qui la laissait avec cette terrifiante question : que faire à présent ?
Jusque là, elle avait agit en mode automatique - guérir, manger, disparaître - mais à présent Reva réalisait qu’elle mettait le pied sur un tout nouveau territoire. Elle était passée de la vie sécurisée du temple à celle ordonnée à l’excès des Inquisiteurs. Il y avait quelque chose de simple à n’être que la Troisième Sœur, qu’un rouage de la machine impériale, alternant la chasse et l’attente. Pendant qu’ils chassaient les Jedi, les inquisiteurs pouvaient se montrer ingénieux et innovant. Le reste du temps, ils devaient surtout ronger leur frein et obéir.
Obéir. Toute sa vie, Reva avait reçu des ordres et s’était vue imposer les choix d’autrui. Ses parents qui l’avaient donné à l’ordre Jedi. Ses professeurs qui lui avaient dit quand s’entraîner et quand se mettre au lit. Le sénat qui s’était abaissé à lécher les pieds du futur empereur et l’avait laissé faire ce qu’il voulait avec les Jedi. Skywalker qui avait choisi de tuer des enfants. Kenobi qui avait choisi de ne pas l’exécuter comme l’animal enragé qu’il était devenu. Même son clan à la crèche lui avait été imposé par les Jedi. Elle s’y était fait des amis, mais cela ne changeait rien à l’affaire.
Maintenant qu’elle ne pouvait compter que sur elle seule pour prendre des décisions, Reva était perdue. Que devait-elle faire ? Disparaître dans la Bordure Extérieure en menant une petite vie discrète de vendeuse de fruit ou de cultivatrice d’eau ? Rejoindre un équipage de contrebandier ? Devenir mercenaire ou tueuse à gages ? Son expérience comme chasseuse de Jedi lui soufflait qu’il n’y avait pas de solution parfaite. Les Jedi qu’elle avait chassé avaient testé toutes ces options. Les inquisiteurs avaient quand même fini par les découvrir. La liste des survivants connus ou soupçonnés du massacre avait d’abord été longue de trois chiffres. Ils venaient tout juste de repasser au-dessus de la dizaine maintenant qu’on pouvait y ajouter le nom de Reva.
Cette pensée la fit sourire. Ils était si peu nombreux sur cette liste que même si elle était tout sauf une Jedi, elle était contente de rajouter son nom à sa liste et de la réciter pour elle-même avant de se coucher, même si Kenobi ne serait sûrement pas d’accord après ce qu’elle lui avait fait. Cela n’arrêtait pas les cauchemars, mais lui prodiguait au moins quelque réconfort de savoir que l’Empire n’était toujours pas parvenu à finir le travail macabre qu’il s’était fixé.
Tout cela, cependant ne réglait pas la question de son avenir. Son expérience d’Inquisitrice ne pouvait en rien l’aider à prendre une bonne décision, et son expérience parmi les Jedi avait été trop courte et trop protégée. Maître Yoda, s’il était là, lui dirait probablement d’écouter la Force. Malheureusement, Reva ne savait plus comment l’écouter, seulement comment l’utiliser et la contraindre à son service. Elle allait devoir trouver sa voie toute seule, quelque part entre les deux extrêmes qu’elle avait connu. L’idée était… libératrice.
Enfin, elle prit la décision, non pas d’écouter la Force, mais de laisser décider le hasard. Un maître Jedi lui aurait dit que cela revenait au même. Reva lui aurait rétorqué qu’après avoir vu tant de Jedi se faire capturer à cause d’un malencontreux hasard, elle n’était plus assez bête pour mélanger hasard et volonté de la Force. Elle prendrait le premier, non, le deuxième vaisseau prêt à partir qu’elle trouverait et verrait bien où il la conduirait.
Elle partirait le surlendemain. Malgré son envie de laisser Tatooine derrière elle, Reva reconnaissait une qualité à la planète. Ici au moins, personne ne fêterait le Jour de l’Empire ni ne lui imposerait de le fêter en même temps qu’eux. À la Citadelle, c’était une obligation à laquelle tous se conformait et malheur à celui ou celle qui n’applaudirait pas assez fort. Plus d’une fois, Reva avait fini cette journée en s’endormant à force de pleurer tout en veillant que sa détresse ne transparaisse pas dans la Force. Le premier jour anniversaire de l’Empire qu’elle y avait passé, un garçon à peine plus âgé s’était étranglé en essayant de réciter le discours d’allégeance qu’on les forçait à réciter, puis avait vomi sur le sol. Le Grand inquisiteur l’avait frappé d’éclairs pour faire sortir chaque mot de sa bouche l’un après l’autre, puis un autre enfant récupéré après le massacre et torturé pour apprendre à se conformer au moule qu’on leur destinait avait été contraint à lui passer son sabre dans le corps. Reva aurait pu être à leur place, à l’un comme à l’autre. Chaque fois qu’elle l’avait pu, elle s’était arrangée pour être en mission ce jour là et éviter d’avoir à répéter ces mots qui lui brûlaient la gorge. On lui demandait de les réciter à son retour pour compenser, mais elle pouvait y arriver plus facilement tout autre jour de l’année.
Sa décision de partir et de se fier au hasard prise, Reva ferma l’œil plus sereinement cette nuit là que les précédentes. Cependant, à peine les yeux fermés, elle se mit à naviguer de cauchemar en cauchemar. Cette fois, ce n’était pas elle qui était poursuivie. Elle tenait le sabre, au contraire et voyait fuir devant elle ses victimes. Elle se réveilla en sueur et ne parvint pas à se rendormir, obligée de se confronter à elle même et de se demander quel genre de femme elle était pour que le souvenir du massacre au temple ne l’ai pas empêché à son tour de tuer et torturer au nom de l’Empire. Son premier meurtre, elle l’avait commis à l’âge de seize ans, quand le Grand Inquisiteur l’avait mis en souriant sur la piste d’un ex-padawan âgé d’à peine quatre ans de plus qu’elle. Au moment de le tuer, elle n’avait pas ressenti de honte, juste de la haine devant ce padawan qui avait osé réussir à s’échapper pendant qu’elle regardait tomber ses camarades sans pouvoir bouger, mais aussi de la fierté à l’idée d’être devenue assez forte pour tuer, en espérant qu’un jour c’était Vador lui même qui tomberait devant elle.
Reva avait été ce monstre là. Elle pouvait bien dire que ce n’était pas sa faute, que c’était le côté obscur, mais alors elle aurait du voir Vador comme une victime autant que comme un bourreau et elle n’était absolument pas prête à lui pardonner. Ne plus être une Inquisitrice ne faisait pas d’elle une faible comme Kenobi. Et affirmer qu’elle n’avait fait que ce qu’elle devait faire pour survivre la dédouanait trop facilement. Reva avait ressenti du plaisir à faire ce qu’elle faisait, de la fierté. Elle ne pouvait pas effacer ces sentiments.
Il fallait dormir, mais Reva n’y parvint pas. Chaque fois qu’elle fermait les yeux, un visage en particulier s’affichait derrière ses paupières closes, la poursuivant d’un regard bleu qui la jaugeait avant de se fermer et de se rouvrir uniquement pour laisser place à des pupilles jaunes emplies de haine.
Au matin, contrairement au projet formulé la veille, ses pas fatigués ne la conduisirent pas au spatioport le plus proche afin de s’évader définitivement de Tatooine.
Se procurer un speeder ne fut pas difficile. Une fois un engin en pas trop mauvais état volé, histoire de ne pas entamer ses ressources, Reva fila droit sur la Mer des Sables. Elle retrouva sans peine la ferme des Lars et s’arrêta à bonne distance avant de poursuivre à pied. La vue du canyon où elle avait pourchassé le fils de Skywalker ramena un goût de bile dans sa bouche, mais Reva continua à avancer. Elle chercha un point d’observation et sortit ses jumelles.
Ce qu’elle cherchait ne fut pas difficile à trouver. L’enfant jouait en tournant autour de ses parents qui travaillaient à proximité de la ferme familiale. L’oncle fit un geste un peu brusque, comme pour lui dire d’aller jouer ailleurs, puis le rappela pour lui donner à boire et lui frotter la tête avec indulgence.
Un crissement dans le sable lui fit tourner la tête. Obi-Wan Kenobi se tenait juste derrière elle. Il avait réussi à s’approcher dans un silence complet et lui cacher son existence dans la Force. Reva était impressionnée. Il était à des années lumières que l’homme qu’elle avait affronté à plusieurs reprises ces dernières semaines. Comme elle, il était changé. Contrairement à elle, il baignait dans le Côté Lumineux de la Force, même s’il se camouflait assez pour qu’elle soit la seule à pouvoir le sentir. Reva l’envia. Elle ne se noyait plus dans le Côté Obscur, mais elle était loin d’être sauvée.
Les maîtres Jedi de son enfance proclamaient que nul ne revenait du Côté Obscur. Dark Vador et les Inquisiteurs répétaient la même chose. Si elle le lui demandait, Kenobi chanterait-il la même chanson ? Elle n’était pas sûre de vouloir entendre la réponse. L’espoir rendait faible. Ou du moins, les Inquisiteurs le disaient. Et elle était trop jeune lorsque l’ordre était tombé pour que ses leçons résistent à des années d’enseignement visant à la faire tomber toujours plus profondémént dans le Côté Obscur.
Reva remarqua que Kenobi cachait son bras dans son manteau. Il devait y avoir un sabre laser là-dessous.
-Je ne viens pas tuer l’enfant, si c’est ce qui vous inquiète.
-Je n’ai pas dit que c’était le cas, répondit calmement Kenobi.
Et pourtant, ses épaules se décrispèrent. Il était méfiant envers elle. Il avait raison. Reva elle-même ne se faisait pas confiance. Pas encore, peut être jamais. Elle déglutit, avec la bizarre impression d’être à nouveau une initiée à la crèche qu’un maître grondait pour avoir fait une bêtise.
-J’avais besoin de voir…
Elle s’arrêta en se demandant pourquoi elle essayait de se justifier. Elle n’était plus une enfant. Kenobi les avait tous trahi en échouant à voir la dangerosité de Skywalker et avec l’entraînement des Inquisiteurs, elle en savait plus que lui sur la Force, dans certains domaines.
-Je comprends, l’arrêta Kenobi avant qu’elle ne s’effondre devant lui ou ne l’attaque rageusement.
Elle faillit lui lancer une accusation cinglante, mais s’arrêta. Peut être bien qu’il comprenait, lui qui ne s’était éloigné de l’enfant que lorsque la fille d’Organa avait disparu. Il était incapable de s’éloigner du vivant souvenir de ses fautes, incapable de dépasser l’ordre 66 et le reste, tout comme Reva elle-même. Si depuis elle avait acquis sa part de responsabilité dans les crimes de l’Empire, elle ne pouvait se reprocher l’Ordre 66 et ses horreurs. Elle n’était qu’une enfant à l’époque, même si elle avait du mal à l’accepter. Kenobi était adulte, membre du Conseil. Lui n’avait pas cette excuse. Il devait vivre avec la connaissance de ce qui aurait pu se passer si les Jedi avaient été moins aveugles. Peut être était-ce le juste prix à payer pour ses fautes. Mais aujourd’hui, si Reva n’était pas capable de lui pardonner ou de le plaindre, elle comprenait. Elle ne se sentait même pas capable de le juger.
C’était étrange d’être débarrassée de sa haine. Elle n’était pas sûr d’apprécier le changement. La haine était facile. Réconfortante. Ce qu’elle ressentait à présent et qu’elle n’était pas sûre de comprendre tout à fait, était bien plus difficile.
Ils continuèrent un moment d’observer l’enfant et ses jeux. Reva sentit quelque chose se calmer en elle en le voyant si dépourvu de soucis. Elle lui avait fait peur, mais il semblait se remettre. Pour une fois, elle n’avait pas fait de victimes. Elle voulait y voir un signe encourageant. Le Côté Obscur chantait encore en elle, exigeait un tribut, mais si elle avait ignoré son appel une fois…
-Suis-moi, reprit finalement Kenobi en l’arrachant à ses pensées.
Reva hésita. Elle ne voulait rien avoir à faire avec Kenobi maintenant que sa vengeance avait lamentablement échoué. Mais il était aussi le seul Jedi à une dizaine de systèmes à la ronde, et c’était le Jour de l’Empire, l’anniversaire de l’Ordre 66. Reva se sentait incapable de lui dire non en ce jour.
Elle le suivit jusqu’aux rochers où elle avait poursuivit le fils de Skywalker, mais ce fut un soulagement de voir qu’il l’entraînait dans une autre direction que celle qu’avait pris l’enfant. Elle revoyait trop souvent la scène dans ses cauchemar pour être prête à s’y confronter éveillée. À la place, Kenobi la conduisit au sommet d’une large anfractuosité remplie de sable auquel le soleil éreintant de Tatooine donnait d’infinies nuances ocres et rouges. Kenobi s’y assit en tailleur dans une posture familière, sous une avancée de la roche qui les protégeaient d’une partie des attaques du soleil de Tatooine. Reva déglutit. Méditer était interdit par l’Inquisition. Les rares enfants capturés par l’Inquisition qui s’y étaient essayé l’avaient très chèrement payé.
-Je ne sais plus comment faire, avoua-t-elle avec l’impression d’être une petite fille prise en faute.
-Parfois, je ne suis plus tout à fait sûr de me souvenir non plus, confessa Kenobi en fermant les yeux, mais cela me fait toujours du bien d’essayer.
Après un instant d’hésitation, elle l’imita, peut être parce que dès qu’il ferma les yeux son visage s’apaisa et une partie des légères rides au coin de ses yeux disparut comme si elles n’avaient jamais existé. Assise à ses côtés, Reva ferma les yeux en priant la Force de lui rendre au moins ce morceau de son enfance.
Les minutes passèrent, excessivement longues. Reva sentait le sable du désert glisser dans ses bottes et l’intérieur de sa tunique, sa bouche se crevasser sous le soleil brûlant, le sable crisser sous les assauts du vent qui lui sifflait dans les oreilles, mais elle ne réussit pas à méditer.
-C’est inutile, finit-elle par déclarer en ouvrant les yeux. Je perds mon temps.
Les yeux de Kenobi étaient tristes quand il les rouvrit pour la regarder.
-Je n’y arrive pas non plus. Mais tu n’as aucun reproche à te faire. Je ne connais personne qui serait capable de réussir à méditer dès son premier essai au beau milieu du désert de Tatooine, pas même maître Yoda. Tu as déjà montré plus de patience que certains padawans que j’ai connu.
-Skywalker.
-Entre autres.
Ils cessèrent de parler. C’était difficile de trouver quoi dire quand le spectre de Skywalker rôdait à proximité, particulièrement en ce jour. Leur ordre avait disparu, décimé par l’ambition des Siths et par la haine de l’un des leurs.
-Je le hais toujours, finit par déclarer Reva, parce qu’il fallait que ce soit dit. Je le haïrais toujours.
Elle s’attendait à moitié à ce que Kenobi proteste et déclare qu’il y avait encore quelque chose à sauver chez Skywalker, ou qu’elle devait exciser la haine de son cœur si elle souhait guérir, que des paroles vides de sens. Au lieu de cela, il se contenta de hocher la tête.
-Je comprends, promit-il.
Reva renifla.
-Je doute fort.
-J’ai perdu tous mes frères Jedi. J’ai vu les enregistrements du temple montrant mon padawan détruire ce que j’avais de plus précieux. Les Jedi ne sont pas censés s’attacher, mais nous étions tous attachés à l’idée du temple, de l’ordre, d’aider la prochaine génération à maîtriser la Force. Crois-tu que je n’ai pas manqué de passer du Côté Obscur à ce moment là ? Je me demande aujourd’hui si j’aurais pu sentir ta présence et celle d’autres survivants, si je n’avais pas été aussi dévasté et en colère. C’est un reproche de plus à l’innombrable liste que je m’adresse.
Reva hocha la tête en silence. Une boule dans la gorge l’empêchait de parler. Elle n’avait pas eu aussi envie de pleurer depuis très longtemps. Les Inquisiteurs disaient de changer le chagrin en colère et la colère en haine. Une méthode efficace pour ne rien ressentir, mais Reva ne voulait plus de ça.
-Cela me manque, reconnut-elle après un long moment. La méditation. Des fois, je me réveille et j’ai presque l’impression de sentir les odeurs du temple.
-Pour moi, ce sont les bruits du jardin de méditation.
-J’essayais toujours de m’y faufiler, dans l’espoir d’attirer l’attention d’un maître. Il me restait encore quelques années pour en trouver un, mais…
-Tous les initiées l’ont fait, moi y compris. Pensait-tu à quelqu’un en particulier ?
Reva fronça les sourcils.
-Je crois. Mais j’ai oublié qui. Cela valait mieux, je crois.
-C’est possible. L’oubli est parfois la seule grâce accordée au survivant.
Dans ce cas, la Force aurait du permettre à Reva d’oublier les visages de ses amis morts et les yeux froids de Skywalker. Mais il y avait des trous dans sa mémoire en effet, concernant la façon dont elle avait fui le temple vide de toute vie. Peut être devait-elle s’en réjouir, en effet.
-Ils en ont fait le palais impérial, reprit-elle en essayant de contenir la colère qu’elle ressentait depuis des années face à cette idée. J’y suis rentrée, une fois. L’Empereur avait envie de se divertir en voyant nos visages réaliser ce qu’il avait fait au temple. Quand je me cachait dans les rues de Coruscant, je les ai vu faire tomber les statues des maîtres du passé et les laisser se fracasser vingt niveaux plus bas. Il n’en restait que la poussière. Mais ce qu’ils ont fait à l’intérieur…
Les larmes dans les yeux de Kenobi l’arrêtèrent. Comme pour elle, le temple était la seule maison qu’il ait jamais connu. Elle avait vu la souillure que l’Empire lui avait infligé, les archives détruites et avec elles toute l’histoire de l’Ordre Jedi, les chambres de méditation transformées en chambres de torture, les piédestaux surmontés à présent de maximes et de statues siths…. Mais quelque soit la responsabilité de Kenobi dans l’avènement de l’Empire, il ne méritait pas d’entre la liste de ces dégradations.
-J’ai pensé garder Luke auprès de moi, avoua Kenobi, et de le préparer à devenir mon padawan dès son plus jeune âge.
-Pourquoi ne l’avoir pas fait ?
Reva essaya de contenir le reproche dans sa voie. Elle avait retrouvé trop facilement l’enfant dans le dédale de pierre où il se cachait. Elle avait surpris les Lars comme Vador les avait surpris au temple, mais un initié connaissant mieux son environnement que l’agresseur aurait du pouvoir distancer celui-ci plus longtemps en utilisant la Force pour se camoufler et se rendre silencieux. L’enfant, Luke, ne savait même pas plus utiliser la Force qu’un enfant de deux ans. Kenobi ne lui avait pas rendu service en s’en tenant à l’écart. Si l’enfant se faisait tuer, Kenobi en serait coupable et cette fois il ne pourrait s’en prendre qu’à lui-même.
-Mon maître ne voulait pas de moi comme padawan parce que le précédent était tombé dans le Côté Obscur. Enfant, je trouvais ça injuste, de me refuser ce que je désirait plus que tout au monde parce qu’un autre était tombé. Même après sa mort, je me suis efforcé de pouvoir continuer à lui prouver qu’il avait eu raison de me faire confiance. Peut être suis-je devenu trop fier de ma réussite, ou peut être qu’il est plus facile de repérer les signes chez soi que chez un autre, mais à mon tour je me retrouve à nourrir des doutes sur la qualité de mon enseignement et à refuser de prendre un padawan. D’ailleurs, que pourrait-je lui offrir ? Les Siths ont brûlé notre passé et continuent de s’attacher à détruire notre avenir.
-Vous auriez pu lui apprendre à se défendre.
-Cela suffirait-il, contre l’Inquisition et Vader ?
Reva déglutit et secoua la tête. Rien ne suffirait contre pareils monstres. Et la prochaine fois que Luke Skywalker se retrouverait face à un Inquisiteur, celui-ci n’éprouverait que trop de plaisir à abattre le fils de son tortionnaire ou à l’offrir en offrande à l’empereur pour plus de pouvoir et la joie de voir le fils du monstre torturé sous les yeux de celui-ci jusqu’à devenir comme eux. Elle même avait été à deux doigt de choisir la première option. Elle s’était toujours refusé à offrir des enfants à l’Inquisition, préférant les abattre sur place, mais elle aurait finir par le faire dans un avenir plus ou moins proche. Son esprit était tordu par les années passées à écouter les ordres émanant de l’Empereur et de Vador.
-L’ordre jedi a échoué, constata Kenobi avec amertume, et nous ne pouvons que nous demander à quand remonte notre échec. Est-ce le conseil qui s’est montré trop incompétent pour voir la menace, les Jedi qui sont devenus trop fiers ou bien faut-il aller chercher le coupable chez les auteurs de nos règles qui se sont montrées trop strictes pour aider Anakin et qui n’ont pas empêché des dizaines de nos frères et sœurs de chuter les uns après les autres suite à l’ordre 66 ? Puis-je enseigner ces règles à Luke sans savoir si elles l’aideront ou si elle le trahiront ?
Sa voix était montée assez fort pour résonner contre les parois du canyon. Reva cligna des yeux. Elle se souvenait vaguement d’une des fois où Kenobi était venu leur adresser une leçon à la crèche. Sa voix était douce, son ton encourageant quand il répondait à leurs questions ou corrigeait leurs erreurs. Il était tout ce que Reva était censée devenir.
Aujourd’hui, ils étaient aussi brisés l’un que l’autre. Il devait en être de même pour tous les autres survivants éparpillés aux quatre coins de la galaxie. Tout d’un coup, la maigre liste de survivants que connaissait Reva ne signifiait plus loin. L’ordre jedi était moribond. Il se mourrait un peu plus avec chaque enfant tué par un Inquisiteur pour avoir osé naître avec la Force, avec chaque Jedi tué par Vader ou sombrant dans le Côté Obscur, avec chaque temple rasé et chaque holocron détruit.
-Maître Nu disait jadis que la vraie force d’un Jedi ne reposait pas dans son arme ni dans sa maîtrise des formes au sabre mais dans sa connaissance de la galaxie, de lui-même et de son histoire.
Le souvenir fit sourire faiblement Kenobi.
-Elle avait raison. C’est - c’était - une leçon indispensable à apprendre pour tout futur padawan, mais que nous avons tous mis des années à acquérir. Aucun de nous, même elle, ne savait à quel point elle avait raison.
-C’est fini alors ?
Son ton pitoyable étonna Reva. Elle avait marché au cœur même de l’Empire. Elle savait, bien mieux que Kenobi, la puissance de l’Empire et de sa machine de guerre. Le monstre avait déjà triomphé et la galaxie plié devant elle. Pendant toutes ces années, elle avait nourri un espoir insensé que les choses reviendraient à la normale, et elle découvrait qu’elle avait nourri cet espoir à l’instant même où il était brisé.
-La force des Siths fait leur faiblesse, répondit Kenobi sur un ton docte. La haine les dévore jusqu’à ce qu’ils s’attaquent et ne se détruisent les uns les autres. L’empire chutera, tôt ou tard. Et comme les Siths ont survécu des millénaires, je veux croire qu’il en ira de même pour les Jedi.
-Mais ce ne sera plus le même ordre. Les gens ont même commencé à oublier ce qu’étaient les Jedi. Ils croient dans la propagande impériale qui leur répète encore et encore que les Jedi étaient des charlatans.
-Non, ce ne sera pas le même ordre. Ce sera l’ordre de Luke, ou de la génération qui suivra, ou de celle encore après. Elle aura de nouvelles règles, un nouveau temple, peut être même de nouvelles armes. Il ne lui restera de nous que la mémoire du souvenir d’une rumeur, mais ce sera quand même l’ordre Jedi, tant que nos idéaux survivront. Puisse-t-il seulement avoir appris de nos forces et de nos erreurs.
Reva ne voulait pas de ce nouvel ordre. Elle voulait retrouver sa maison, intacte et paisible. Elle voulait rentrer au temple et voir les visages familiers des maîtres qui s’étaient occupé d’elle sourire en la voyant approcher. Les Inquisiteurs avaient raison de se moquer d’elle. Reva n’était toujours que la petite fille qui s’était endormie un soir au temple en pensant que son monde ne changerait jamais. Que ne pouvait-elle se débarrasser de cette naïveté qui restait collée à elle comme de la boue !
Ils restèrent un long moment assis en silence, à contempler le sable que le vent du désert faisait tourbillonner dans la pente, créant sans cesse de nouveaux motifs. Malgré la chaleur torride, c’était un spectacle splendide. Noyée des années dans le Côté Obscur, Reva avait oublié qu’un de ses rêves d’enfants était d’être choisie au plus vite comme padawan par un chevalier jedi pour pouvoir enfin aller contempler de ses yeux les merveilles de la galaxie. Il n’y avait rien d’étonnant que Kenobi vienne ici quand il essayait de méditer.
Elle accepta la gourde d’eau qu’il lui tendit et but goulûment. Après lui avoir rendu sa gourde, au lieu de retourner à sa contemplation du sable, elle posa la question qui lui tournait dans la tête depuis un moment.
-Deux fois vous avez dit « nous » en parlant des Jedi. Est-ce que vous me comptez dedans ? Je suis tout sauf une Jedi.
Kenobi la contempla longuement en retour.
-Pourquoi es-tu là ?
-Vous m’avez dit de vous suivre.
-Pourquoi est-tu encore ici sur Tatooine ?
Reva mit une bonne minute à réussir à prononcer sa réponse à voix haute. Inconsciemment, elle avait espéré tomber sur Kenobi, en espérant qu’il ne pouvait rôder bien loin de l’enfant de Skywalker.
-C’est le Jour de l’Empire, réussit-elle à dire en essayant de ne pas dire à voix haute à quel point elle avait besoin de ne pas être seule ce jour-là. Je ne voulais pas voir des gens fêter la mort de Jedi qui avaient juré de les protéger.
Sa réponse sembla soulager Kenobi. Reva se demande ce qu’il avait pensé et qu’elle était la pire éventualité à ses yeux, que Reva lui demande de devenir sa padawan, ou au moins de l’aider à reprendre pied maintenant qu’elle avait quitté les Inquisiteurs, comme si elle voulait de son aide, ou bien qu’elle soit revenue parce qu’elle regrettait de ne pas les avoir tués, lui et l’enfant.
-C’est un bien triste jour, finit par déclarer Kenobi.
Reva manqua de lui rire au nez. « Triste » n’était pas le mot qu’elle aurait utilisé, pas après avoir vécu cette célébration entourée d’autres Inquisiteurs.
-Vous n’avez pas répondu à ma question.
-Tu n’es pas une Jedi, déclara Kenobi d’une voix calme. Tu n’as pas eu de maître, tu n’as pas porté la tresse de padawan et tu n’as pas subi les épreuves, même si on pourrait dire que celles que tu as enduré sont pires que celles que la Force envoyait à certains padawans. Mais « Jedi » est un mot qui ne veut plus dire grand-chose. Si l’on commence à refuser ce titre à tous ceux qui sont tombés ou qui ont trébuché dans l’obscurité, il ne resterait pas grand monde à pouvoir revendiquer ce titre. Je ne suis même pas sûr d’encore le mériter. Selon toi, qu’est-ce qu’un Jedi, aujourd’hui ?
Reva prit le temps de formuler sa réponse comme elle l’aurait fait dans une classe au temple. Pas de doute, c’était une question de Jedi.
-Avant, j’aurais dit quelqu’un qui se bat pour défendre ceux qui en ont besoin dans la galaxie. Mais on m’aurait répondu que ce n’était qu’un point de vue. Et même deux Jedi n’en auraient pas donné la même définition, n’est-ce pas ? Votre version n’est pas celle de maître Nu ou de maître Mundi. Pour le public, pendant la guerre des clones, la réponse était un général servant la République en dirigeant ses troupes. Pour le sénat, les Jedis étaient des guerriers à son service, à utiliser ou parader selon les circonstances.
-Encore une des sources du problème.
-Je dirais qu’aujourd’hui, la seule chose qui peut définir les Jedi, c’est leur point commun. Ce sont des survivants.
-Alors qui suis-je pour dire que tu n’es pas l’une d’entre nous ?
Le cœur de Reva se mit à battre plus vite. C’était tout ce qu’elle avait voulu entendre sans jamais espérer y avoir droit. C’était la pire chose qu’il pouvait lui dire, et la seule qui comptait.
Les mains de Kenobi enserrèrent les siennes. Elle ne s’était même pas rendu compte qu’il s’était approché.
-Tu t’es égarée dans l’obscurité, mais au lieu de t’y perdre, tu t’y es retrouvée. On t’a forcé à affronter la pire des tentations à un âge où tu étais trop jeune pour y résister alors que de plus sages s’y sont parfois plongés la tête la première. Je dis peut être cela parce que j’espère encore et contre tout espoir qu’il subsiste quelque chose d’Anakin en Vader, mais s’il est un précepte jedi que je n’ai pas envie d’écouter c’est celui qui proclame qu’une fois goûtée, on ne peut plus échapper à la corruption du Côté Obscur.
Reva s’accrocha aux mains de Kenobi comme si elles étaient son seul espoir de survie. Au lieu de la repousser et de se moquer de sa faiblesse, le Jedi les serra plus fort encore.
-Elle ne me réponds pas, sanglota-t-elle sans pouvoir s’arrêter. La Force. Je peux la sentir, mais quand je lui demande son aide, je ne sens rien, comme si elle me fuyait. Je ne sens que l’Obscurité et il n’y a pas de Lumière où que je regarde.
-Elle est là tout autour de toi, comme auprès de chaque être vivant. Reva, je puis te jurer qu’elle ne te fuis pas.
-Alors quoi, c’est moi qui la repousse ?
-Je ne dirais pas les choses comme ça. Peut être que tu n’es simplement pas encore prête à te pardonner et que tu as besoin de temps ? Peut être qu’il reste des pensées ou des actions dont tu dois te purifier. Peut être que tu échoueras encore et encore à atteindre la Lumière au sein de l’Obscurité, mais la différence entre toi et un Vader ou un Sidious, c’est que tu veux changer au lieu de changer ta vision du monde pour faire de toi la victime ou la seule personne qui voit la vérité. N’oublie pas qu’un Jedi n’obtient rien par la contrainte. Laisse-toi une chance de guérir, que cela prenne six mois, dix ans ou toute ta vie, mais ai confiance en la Force. Elle ne t’a pas abandonnée, puisque tu es là. Je ne peux pas te promettre que tout ira bien, mais je te jure que je serais là aussi longtemps que je peux si tu as besoin de parler. Après tout, je ne compte pas bouger d’ici.
De gros sanglots furent la seule réponse que Reva pouvait fournir dans l’état où elle était. Elle laissa le chagrin l’envahir comme la haine l’avait fait si longtemps. C’était presque un soulagement de ressentir aussi fort une sensation qui n’était pas la haine la plus implacable, et de pouvoir s’y laisser submerger sans craindre d’en ressortir changée.
Il lui fallut un bon moment avant d’être capable de se redresser. Kenobi la regardait avec une compassion qui lui aurait paru abjecte peu de temps auparavant. Le chagrin n’était pas une émotion acceptable chez un Jedi, mais il ne lui fit pas la leçon. Elle n’était pas une Jedi, mais elle était l’une des leurs. Il n’y a pas d’émotions, il n’y a que la Force. Reva savait que rien n’était plus faux. Il y avait des émotions, et elles étaient puissantes. Le chagrin, la colère, le mépris, et la haine, surtout la haine qui brûlait et annihilait toutes les autres. Elle ne voulait plus succomber à la haine. Mais si elle renonçait au chagrin, elle ne savait pas si elle serait encore suffisamment vivante pour rejeter l’obscurité la prochaine fois qu’elle y serait confrontée.
-Et si je tombe à nouveau ?, chuchota-t-elle.
-Alors tu auras acquis la connaissance que tu as pu une fois essayer et tu pourras l’utiliser pour continuer à essayer de te relever, encore et encore.
-Si je retombe, je vous tuerai. C’est si facile de vous haïr.
Sa confession ne sembla pas perturber Kenobi. Il se contenta de hocher la tête avec un sourire triste et une sérénité que Reva lui enviait.
-Alors je t’attendrais.
-Vous me tuerez ? Non, n’est-ce-pas ? Vous étiez trop faible pour tuer Skywalker.
-Je ne sais pas si c’était de la faiblesse protesta faiblement Kenobi. Je ne sais pas non plus si c’était de la sagesse. J’essaierai de t’aider, Reva. Aujourd’hui, c’est tout ce que nous pouvons nous promettre, d’un survivant à un autre.
Cette promesse semblait creuse à Reva, comme la moitié des mots qui sortaient de la bouche de Kenobi, mais elle décida de s’en contenter. Alors qu’elle cherchait quoi dire d’autre, une réalisation soudaine l’envahit.
-Je ne vous reverrai plus, du moins, si je ne succombe plus au Côté Obscur. C’est trop dangereux. Ils savent que vous avez survécu. Ils ne savent pas encore pour moi, mais le jour où ils décideront de me suivre, je ne peux pas les laisser remonter ma piste jusqu’ici. S’ils me capturent pour m’interroger, je dirais que vous êtes mort.
-C’est effectivement vrai, d’un certain point de vue. Je te remercie Reva, pour Luke, et pour l’aide que tu as apporté à un pauvre vieil ermite de Tatooine.
Reva n’avait rien fait pour l’aider. Elle avait agit dans le but de les faire souffrir, lui et Vador. Une vie épargnée ne justifiait pas toutes celles qu’elle avait fauchée au nom de sa vengeance ou par pure haine. Et maintenant, il était temps de partir. S’attarder auprès d’un Jedi était une mauvaise idée pour elle, à plus d’un titre. Il y avait trop d’amertume à contempler un visage qui lui rappelait tout ce qu’elle avait perdu et tout ce qu’elle aurait pu être. Cependant, il y avait une dernière chose qu’elle pouvait faire pour lui.
-Maître Obi-Wan Kenobi, commença-t-elle. Maître Yoda. Maître Quinlan Vos.
Elle récita la trop courte liste de survivants recherchés par l’Inquisition. À chaque nouveau nom, quelques larmes coulaient des yeux de Kenobi. Une flamme nouvelle brillait dans ses yeux, celle de l’espoir. La liste était courte, mais peut être était-elle plus longue qu’il n’avait osé l’espérer. Peut être connaissait-il d’autres noms, mais il était trop dangereux qu’il les lui donne, au cas-où l’Inquisition décide de les lui arracher par la torture.
-Reva Sevander, conclut Kenobi. Tant qu’un seul de nous reste l’espoir est permis. Et même lorsque le dernier sera tombé, tant qu’il restera un temple oublié, une archive enfouie, un holocron intact, les Jedi seront toujours là. Il n’y a pas de mort, il n’y a que la Force.
Reva ne croyait plus à ce ramassis de sornettes. Elle voulait y croire de toutes ses forces. En silence, pour elle toute seule, elle récita les noms de ceux qu’elle avait perdu ce jour-là, ceux qu’elle avait voulu venger et dont Kenobi jurait que sa compassion envers l’enfant les avait libéré. Il lui était impossible de les prononcer à voix haute, surtout devant Kenobi. Un jour, peut être qu’elle y parviendrait et qu’elle serait libérée d’un poids considérable. Elle avait oublié des noms et des visages, mais aujourd’hui elle ne s’en voulait plus. Ce n’était pas une trahison que de laisser le temps effacer ces choses de sa mémoires. L’ordre 66 était une plaie purulente dans son âme et pour la première fois, elle voulait en guérir plutôt que de la laisser l’entraîner toujours plus loin de la lumière.
-Peut-tu faire une dernière chose pour moi ?, demanda Kenobi. Descend dans le canyon et rapporte-moi trois choses qui attirent ton regard.
Cela ressemblait tellement à un exercice que les maîtres leur faisaient faire à la crèche que Reva s’exécuta par pure habitude et pour prolonger encore un peu cet instant. Si c’était un exercice de la crèche, elle aurait du ramener trois objets lui rappelant la Force, ou trois objets symbolisant le temple, ou trois pour la République. Cette fois, elle ne réfléchit pas et fit exactement ce que demandais Kenobi, ramener les trois premières choses qui attirèrent son regard. Quelques minutes, elle remonta vers lui et ouvrit ses deux mains lui montrer ses découvertes, un caillou gris sombre, un morceau de coquille appartenant à un animal depuis longtemps disparu, et quelques grains de sables. Kenobi sourit et ouvrit pareillement ses mains. À l’intérieur, elle découvrit un éclat de pierre rouge tombé de la falaise, un caillou gris percé de trous et un blanc mêlé de lignes grises.
-L’Empire célèbre aujourd’hui sa naissance, mais nous c’est un autre anniversaire que nous commémorons, déclara Kenobi, et il est temps que nous ayons des traditions pour le faire et guérir de son souvenir. Reva, je voudrait pouvoir te laisser partir avec une tresse de padawan, parce que c’est ce que tu es à présent, non pas ma padawan, mais une padawan qui a apprendre de la Force et de la galaxie comment trouver ou retrouver sa voie. Mais nous avons du abandonner tous les signes visibles de notre appartenance pour sauver nos vies. Les tresses de padawan ont été les premières à tomber, quand leurs porteurs ont survécu. Nos traditions sont moribondes, comme l’ordre lui-même. Elles ne signifient plus grand-chose dans une galaxie dominée par l’Empire. Mais à quoi servent les traditions ?
-À transmettre et enseigner, à créer un lien qui subsiste de génération en génération et qui réunit des êtres de toutes les espèces et de toutes les cultures, déclara-t-elle en commençant à comprendre où il voulait en venir. À marquer le souvenir d’évènements importants que nul ne doit oublier.
-L’un des objets que nous avons choisi est pour le passé que nous ne pouvons oublier. Le deuxième pour ce que nous sommes aujourd’hui, le troisième pour ce que nous serons demain.
Il s’empara tour à tour de l’éclat de pierre rouge et de caillou percé de trous pour les tenir dans sa main avant de les jeter derrière lui. Reva comprenait ses choix. La pierre rouge pour les sabres qui avaient fauché tant de vie. Le caillou percé pour ce maître jedi qui ne parvenait pas à réconcilier le padawan qu’il avait élevé et le monstre qu’il était devenu. Kenobi tint un long moment le dernier caillou dans sa main, celui qui symbolisait la lumière en lui, et les zones grises qu’il était obligé de confronter, et le glissa dans sa besace.
-Si je suis encore là l’an prochain, celui-là rejoindra les autres. D’ici-là, peut être m’aidera-t-il à méditer.
Reva hocha la tête. Instinctivement, elle avait trouvé les bons objets. Elle rejeta derrière elle le caillou gris pour l’uniforme qu’elle avait laissé derrière elle et la coquille qui symbolisait celle qu’elle avait bâtit autour de son cœur à l’aide de haine et de détresse et qu’elle commençait à peine à briser. La poignée de sable, pour les changements à venir, elle la garda un long moment dans sa main. Dans un an, elle les laisserait s’écouler sur le toit d’un immeuble ou les buissons d’une jungle, quelle que soit la planète où elle se tiendrait, et elle saurait que Kenobi faisait de même. Et si la volonté de la Force était qu’elle croise d’autres survivants d’ici là, elle leur enseignerait cette tradition et apprendrait celles qu’ils avaient inventé pour les imiter. Et au Jour de l’Empire, tous défieraient celui-ci en silence et en sachant qu’ils n’étaient pas seuls.
-Pour le passé que nous ne pouvons oublier, murmura-t-elle. Pour ce que je suis aujourd’hui. Pour qui je serais demain.
Reva n’avait aucun moyen de savoir quelle personne elle serait devenue dans un an ou même si elle serait toujours en vie. Elle n’avait pas envie de le savoir, mais ne craignait pas non plus la réponse. D’un geste mesuré pour ne pas en perdre un grain, elle glissa le sable dans sa propre besace.
-Veut-tu retenter de méditer ?, proposa Kenobi.
-Je n’y arriverais pas, ni aujourd’hui, ni ici. Mais j’essaierai. Vous ?
Comme unique réponse, Kenobi ferma les yeux et laissa sa respiration ralentir. Reva comprit qu’il n’y aurait pas d’adieux entre eux et décida que c’était mieux ainsi. Elle se releva et commença à redescendre la pente pour rejoindre son speeder. Elle en avait fini avec Kenobi et Skywalker, le père comme le fils. Elle ne se sentait ni plus sereine, ni plus en adéquation avec la Force qu’à son réveil, mais quelque chose avait quand même changé en elle.
Et maintenant ?
Maintenant, peut-être que Reva pouvait recommencer à vivre.